≪Parce que c'est notre projeeeet !≫
Genre en mode on kiffe, quoi...
Plus une société a "progressé", plus elle montre des traits infantiles ─ c'est l'impression que les États-Unis donnent à beaucoup d'observateurs. C'est ce dont témoignent, pour reprendre un exemple déjà évoqué, le goût pour le sucré et la "junk food", aux dépens des aliments amers et/ou subtils, comme certains vins traditionnels (remplacés par des vins au goût de pêche ou de vanille) et certains fromages artisanaux (parfois interdits pour des raisons "hygiéniques") ; l'importance diminuée, dans presque tous les processus productifs, de la force physique, de l'habileté et de l'expérience, sur lesquels se fondaient l'artisanat et l'agriculture, tandis qu'un enfant de huit ans peut être un "génie de l'informatique" ; la préférence donnée aux images sur la parole ; le rôle désormais presque nul de la mémoire individuelle face aux supports mnésiques extérieurs ; le poids très accru des enfants à l'intérieur de la famille, où ils peuvent notamment influencer les décisions d'achat. Auparavant, la vie était un long apprentissage, même après avoir atteint l'âge adulte. Toute capacité était acquise au prix d'un parcours exigeant dont on ne pouvait sauter les étapes, lesquelles demandaient surtout de la pratique et du temps. Les progrès technologiques, tout en se fondant sur des procédures complexes ─ mais cachées, et que l'utilisateur n'a pas besoin de connaître ─, permettent de simplifier chaque acte et de brûler les étapes. La lente formation d'une personnalité via la valorisation du "caractère", du "bon sens", de "l'expérience", de "la pensée à long terme" ou de la "patience" n'est plus requise. Grandir n'amène plus guère d'avantages. Il ne s'agit plus d'entrer graduellement dans le monde fascinant, et auparavant inaccessible, des adultes. Devenir adulte ne signifie plus gagner en autonomie et mieux comprendre les mystères du monde, ni acquérir des droits supplémentaires qui compensent en quelque manière la perte des privilèges de l'enfance. Un enfant, et a fortiori un adolescent, a aujourd'hui peu de raisons de vouloir grandir. Cette absence conjointe de l'enfance et de l'âge adulte a mis à mal un aspect central de l'existence humaine : l'expérience.≫
(Anselm Jappe, La société autophage)
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Note du Moine Bleu : Texte pertinent, mais insuffisamment explicite dans sa critique de l'infantilisation massifiée des sociétés contemporaines, et, en particulier, l'exposition de son caractère dynamique-libidinal, lequel désigne la vérité politique d'une telle infantilisation, savoir : le basculement tendanciel de l'irrationalité libérale en fascisme ouvert.
Ah ! Ces "travailleurs privilégiés de la société marchande accomplie" : "On leur parle toujours comme à des enfants obéissants à qui il suffit de dire "il faut", et ils veulent bien le croire. (...) Séparés entre eux par la perte générale de tout langage adéquat aux faits, perte qui leur interdit le moindre dialogue ; séparés par leur incessante concurrence, toujours pressés par le fouet, dans la consommation ostentatoire du néant, et donc séparés par l'envie la moins fondée et la moins capable de trouver quelque satisfaction, ils sont même séparés de leur propres enfants, naguère encore la seule propriété de ceux qui n'ont rien. On leur enlève, en bas âge, le contrôle de ces enfants, déjà leurs rivaux, qui n'écoutent plus du tout les opinions informes de leurs parents, et sourient de leur échec flagrant ; méprisent non sans raison leur origine, et se sentent bien davantage les fils du spectacle régnant que ceux des domestiques qui les ont par hasard engendrés : ils se rêvent les métis de ces nègres-là." 6e minute et suivante, cinoche sans tournage
RépondreSupprimerDebord n'est pourtant pas exempt d'un certain infantilisme militant-niais (dont ses épigones gauchistes actuels, plus ou moins "invisibles" et/ "co-mités" se sont également fait les serviteurs crypto-artistiques-critiques). Voir par exemple, dans les "Notes sur la question immigrée", ce passage : "Les enfants sont encore aimés en Espagne, en Italie, en Algérie, chez les Gitans. Pas souvent en France à présent. Ni le logement ni la ville ne sont plus faits pour les enfants (d’où la cynique publicité des urbanistes gouvernementaux sur le thème « ouvrir la ville aux enfants »)".
SupprimerD'autant que cette tendance infantiliste zarma rebelle se double ici d'une critique "anti-occidentale", tendance qui est aussi celle de Jappe : en bref : "chez les primitifs, les choses sont plus saines" (on schématise, bien sûr. On adore ça).
Décolonialisme transcendantal, avant l'heure, sans doute...
Schizo, on profite qu'on est réveillé pour vous dire qu'on a tenté de répondre à vos analyses décapantes sur la question de la technique du Heiddi-Heiddo dans un autre billet. Curieux d'avoir votre avis sur le singularisme d'Aristote, et les manières éventuelles de le rendre dicible et pratique.
SupprimerS'il s'agissait de faire le tour complet de la question. Il faudrait aussi bien, en effet, tancer "le contrôle" des enfants y compris à la laisse longue patri- et matriarcale tradi. Et particulièrement expliciter la pesanteur des religions dans le choix progressif qui est fait des interdits accompagnant le dressage au pays déformé du continent Exotique. Et s'il demeuraient ça et là encore quelques terrains vagues il y a 40 ans, même à Paris. C'était seulement que l'urbanisme n'avait pas tout rempli. Mais la pédagogie n'est pas principalement au centre de tout cela.
SupprimerReste que le Guy, à son acmé, fut l'un des seuls à rappeler que devenir adulte est un prérequis de la liberté vécue et que l'irréversibilité du temps ne mène pas nécessairement à la complaisance "nostalgiste". Moins sur ses vieux jours "artistes" où il revient sur sa guerre, il est vrai.
Mais vous êtes méchant (je vous reconnais bien là) à schématiser si jappement. Vous savez bien quels plus récents fantasmes historiques de tout autre texture animaient le Guy s'agissant d'Espagne, d'Italie (et même d'une Italienne en particulier), d'Algérie buveuse et de voleurs de poules...
Pour commémorer ma sieste, je m'en vais voir ce que vous dîtes du barbu singulier. Merci.