Jeter les trois barbus avec l'eau du bain
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≪Tout en marchant, Heidegger s'interrogeait sur l'audience qu'avait la célèbre formule de Marx : "Jusqu'ici, les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, il s'agit maintenant de le transformer". Les Frühschriften, les "Écrits de jeunesse" de Marx, qu'il avait analysés en 1932 alors qu'il dirigeait une thèse [note du MB : il s'agit sans doute de L'ontologie de Hegel et la théorie de l'historicité, de son ancien élève Herbert Marcuse], montraient à quel point leurs présupposés philosophiques s'inscrivaient à l'intérieur de la métaphysique hégélienne. Marx, le plus grand des hégéliens selon lui, écrivait alors que l'histoire mondiale n'était rien d'autre que la production de l'homme par le travail humain, que le devenir de la nature s'effectuait par l'homme. Ni l'homme ni la nature n'étaient saisis en tant que tels. Marx voyait l'essence de la réalité dans l'homme se produisant lui-même en produisant ses moyens d'existence. Mais non, disait Heidegger : toute production est déjà réflexion, toute production présuppose le penser. Restait à savoir pourquoi une telle évidence était depuis si longtemps niée ou non perçue. Le matérialisme de Marx n'était lui aussi, à sa manière, qu'un retournement du platonisme ; et la dialectique, une moulinette dont tout pouvait sortir et n'importe quoi, dans un monde où l'homme n'était vu que comme "être social". Heidegger ironisa sur la guerre de propagande à laquelle s'étaient livrées les officines de Hitler et de Staline. Toutes ces années avaient permis de voir que la doctrine national-socialiste s'accordait sur bien des points avec le bolchevisme. Pour les marxistes, l'homme n'était qu'un "être social" ; la pensée, le monde spirituel n'étaient que la superstructure d'une réalité économique. Pour Rosenberg et ses pareils, ces réalités n'étaient que l'expression sociale de la constitution biologique et des éléments raciaux qui déterminaient l'être humain. Ne restait plus alors qu'à exploiter ces pseudo-vérités scientifiques dans le cadre d'un programme politique. C'est précisément les fondements sur lesquels on prétendait ériger de telles conceptions qu'il avait mis en question dans ses cours.≫
(...)
≪Un autre jour, Vuia s'étant interrogé sur l'orientation de la pensée occidentale, Heidegger expliqua pourquoi l'histoire du "délaissement croissant de l'étant par l'être" ― qui atteignait à notre époque son point culminant ― avait été préparé de loin par Platon et Aristote. En tournant leur regard vers la vérité de la connaissance, la vérité de la proposition, Aristote et Platon avaient mis en route le processus d'ensevelissement de l'essence de la vérité, entendue au sens grec d'alèthéia, de dévoilement, d'ouverture à partir d'un retrait. L'alèthéia restait cependant encore dans leur champ de vision. Aujourd'hui, cette dimension, devenue incompréhensible, invisible, pour l'homme de la technique, s'effondrait. Mais lorsque tout vacillait pouvait aussi venir, pendant l'éclipse, le temps de la philosophie. Cela aussi était loin d'être clair.≫
(Frédéric de Towarnicki, À la rencontre de Heidegger, Souvenirs d'un messager de la Forêt-Noire)
Qui saisit l'homme et la nature en tant que tels, comme séparément, rate nécessairement l'histoire.
RépondreSupprimerQuant à l'éloignement de l'Être jusqu'à son état d'invisibilité au point de vue de l'homme de la technique, je ne peux m'empêcher de penser que la onzième thèse ad Feuerbach pourrait aisément figurer au fronton d'une école d'ingénieurs ou à la Silicon Valley, pour autant qu'en soit abstrait le registre social et conflictuel auquel se réfère indirectement le barbu rhénan dans cette spéculation en onze points dont le contexte était un concours de dépassement vers la gauche dans la fameuse compète de 1844-45 entre hégéliens de gauche de la Freiheit.
Or, pourvu qu'on soit doté d'une certaine faculté de masochisme intellectuel, ces deux choses (le raté ou l'évitement et l'abstraction de l'humanité) peuvent se vérifier à la lecture du Heiddi-Heiddi-Heiddo en pleine rehab, lorsqu'en 1954, une fois entendu universellement (humainement et empirico-historiquement) que le nucléaire ça pue, le philosophe nazi médite à propos de l'essence de la technique.
Il s'agit d'un texte dont certains extraits sont célèbres, même dans le jardin de l'Europe rêvé d'Hitler, en France, parce qu'ils a été distillé par certains extraits sympas, critiquant les centrales industrielles et leur rapport au fleuve en y préférant les moulins d'avant, ou amoureux des arbres (tropisme allemand encore visible pour tout téléspectateur même un peu daltonien de l'inspecteur Derrick).
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Trois points de ce chemin de l'alèthéia, du chemin vers la vérité la dévoilant dans la forêt, sans machette.
RépondreSupprimerBon le truc sympa (pp. 21-22, 24), en fait, c'était pour poser le problème. Après Heiddi-Heiddi-Heiddo avance.
1) Le raté (volontaire) de l'histoire. (p. 20) "Cette relation réciproque de la technique et de la physique est bien exacte ; mais la constatation qui en est faite demeure une simple constatation « historique » [Historie connaissance historique, que Heiddi oppose à Geschichte, l'être historique du Dasein, et qu'on appelle l'histoire effective en français] de faits et elle ne nous dit rien du fondement de cette relation réciproque."
2) L'inhumanisme. (p. 26) "Ainsi la technique moderne, en tant que dévoilement qui commet , n'est pas un acte purement humain." Ben si quand même, suffit de demander à Oppenheimer par exemple.
Il faut bien ici que j'explique l'exonérant "en tant que dévoilement qui commet". L'ensemble du raisonnement oppose puis réconcilie potentiellement "le dévoilement qui commet" – qui commet l'homme, être destinal qui ne sait pas ce qu'il fait, mais est de plus en plus conduit par le cours (mauvais) du temps – à un truc que je vous dirai après et qui est trop drôle. Pauvre chose "arraisonnée" (Arraisonnement, Gestell) que l'homme, trimballé, fatalement inautonome jusqu'à présent. "Pro-voqué" dans la traduction, qui ne peut que répondre à un Appel... s'il l'entend.
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3) Sotériologie, sauvetage – ou salut – potentiellement avenir. (pp. 37-38) "La menace véritable a déjà atteint l'homme dans son être. Le règne de l'Arraisonnement nous menace de l'éventualité qu'à l'homme puisse être refusé de revenir à un dévoilement plus originel et d'entendre ainsi l'appel d'une vérité plus initiale. Aussi, là où domine l'Arraisonnement, y a-t-il danger au sens le plus élevé.
RépondreSupprimerMais, là où il y a danger, là aussi
Croît ce qui sauve. Considérons avec soin la parole de Hölderlin. Que veut dire « sauver » ?"
Comment passe-t-on de 2) à 3) ; du pire des dangers au sauvetage ? (pp. 43-44) "C'est justement dans l'Arraisonnement, qui menace d'entraîner l'homme dans le commettre comme dans le mode prétendument unique du dévoilement et qui ainsi pousse l'homme avec force vers le danger qu'il abandonne son être libre, c'est précisément dans cet extrême danger que se manifeste l'appartenance la plus intime, indestructible, de l'homme à "ce qui accorde", à supposer que pour notre part nous nous mettions à prendre en considération l'essence de la technique. Ainsi – contrairement à toute attente – l'être de la technique recèle en lui la possibilité que ce qui sauve se lève à notre horizon."
Ça y est l'Appel est entendu !
(p. 43) "(...) si ce destin, l'Arraisonnement, est l'extrême péril, non seulement pour l'être de l'homme, mais pour tout dévoilement comme tel, alors cet acte qui envoie peut-il, lui aussi, être appelé un acte qui accorde?"
Grâce à Goethe : (p. 42) "Au lieu de fortwähren (continuer à durer, perdurer) Goethe utilise une nouvelle fois le mot mystérieux fortgewähren (continuer à accorder). Son oreille entend ici währen (durer) et gewärhen (accorder, octroyer) dans une harmonie inexprimée."
C'est trop bien ! Non ? Le "ge" savoir via les poètes... L'autoroute vers une heureuse mystique horizontale enfin advenue par le retournement du Destin.
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Fin. (pp. 45-46) "L'action humaine ne peut jamais remédier immédiatement à ce danger. Les réalisations humaines ne peuvent jamais, à elles seules, écarter le danger. Néanmoins la méditation peut considérer que ce qui sauve doit toujours être d'une essence supérieure, mais en même temps apparentée, à l'être menacé."
RépondreSupprimerEn quelque sorte : "Jusqu'ici les hommes n'ont fait que transformer le monde. Il s'agit maintenant de le méditer."
Autrement dit (p. 47) : "L'essence de la technique n'est rien de technique : c'est pourquoi la réflexion essentielle sur la technique et l'explication décisive avec elle doivent avoir lieu dans un domaine qui, d'une part, soit apparenté à l'essence de la technique et qui, d'autre part, n'en soit pas moins foncièrement différent d'elle."
Bon, mais on est pas encore sauvés (p. 48) : "Plus nous nous approchons du danger, et plus clairement les chemins menant vers « ce qui sauve » commencent à s'éclairer. Plus aussi nous interrogeons. Car l'interrogation est la piété de la pensée."
On a bien avancé, sur le chemin. Non ? Il est vrai qu'il n'était pas censé nous mener quelque part... Cependant, tant de thèmes aujourd'hui à la mode. Entendre l'appel, sauver (quoi que ce soit et tout à la fois), la post-(histoire) et machins trucs.
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Désolé pour notre réponse tardive, schizo. Mais le wi-fi passait pas dans la bergerie de l'âitre où nous passions nos vacances.
SupprimerÇa ira assez vite, cela dit. Tout ce que vous dites nous paraît juste et fondé, mais concernant peut-être un peu trop exclusivement la région technique. Certes, la technique n'est pas un détail de l'histoire chez Heiddi-heiddo, mais ce qui nous retenait davantage, dans les deux extraits cités, c'est un mépris croisé, chez lui, du sens de la notion d'essence humaine chez Marx et du projet métaphysique en général, dans sa dimension essentiellement rationnelle. Oui, rationnelle : les scolastiques ont assez rappelé, bien avant Heiddi, que la métaphysique avait pour objet l'Être (l'étant, dirait Heiddi), dans son univocité (c'est le cas de Duns Scot, littéralement), laissant à Dieu la théologie. La métaphysique, historiquement, est une tentative idéologique d'en finir avec ce mystère de l'Être, que Heiddi voudrait consacrer et célébrer comme tel : la rose n'a pas de raison, pas de pourquoi. "Hier ist kein warum", disait un nazi à un déporté, gisant dans un coin et cherchant métaphysiquement, lui aussi, une cause, ou une raison, à son calvaire.
Tout nous ramène donc à Aristote, et à la bifurcation que tout un chacun décidera de prendre ou non, face aux difficultés, aux apories, en vérité, qu'il nous laisse. Ces apories se résument focalement au statut de l'être, statut quadruple, comme vous le savez, attendu que "l'être se dit de différentes façons" (Mét. E2, 1026a33) : 1°) l'être par soi et par accident, 2°) l'être en puissance et en acte, 3°) l'être comme vrai, 4°) l'être selon les catégories. C'est l'indécision, au sein même de la pensée d'Aristote, entre les options 3 et 4 qui fait le miel de Heiddi. Celui-ci insiste évidemment sur l'option 3, en la présentant comme l'intuition la plus profonde du Stagirite, option, selon lui, ensuite, refoulée par une sorte d'oubli programmé de la "question centrale" (l'être de l'étant), ce refoulement inaugurant l'histoire de la métaphysique, etc, au profit d'un "rationalisme", d'un "logicisme" prétendant comprendre l'être, et le dominer, par l'adjonction de raison et de sens. L'être comme vrai serait la vérité de son incompréhensibilité, de son irrationalité et de son immédiateté native. L'"aléthéia" (vérité) serait essentiellement "dévoilement", monstration (et pas dé-monstration rationnelle), ce que le traitement conjointement réservé par Heiddi au terme de "logos" ("parole" - celle des poètes, par exemple - plutôt que "discours rationnel") entend consolider. L'Être authentique serait donc incompréhensible, hors-logique ou plutôt pré-logique, anté-prédicatif. Là où Heiddi tape juste, c'est que l'Être ne se donne qu'au singulier, qu'à l'individu, en propre. Cet individu même que, sous le nom de "substance première", Aristote à la fois revêtait de la réalité suprême (avant toute abstraction spécifique puis générique) tout en l'excluant de la Science (qui ne connaît et ne manipule que des universels). Ce que Kierkegaard, ou Tolstoï, dans son admirable séquence "syllogistique" de la "Mort d'Ivan Illich" avaient parfaitement aperçu : la logique prédicative, et plus généralement, la Raison appliquée à la vie (singulière, confrontée à sa plus grande possibilité : la mort) ne peuvent atteindre la vérité du sort humain. Et pourtant (c'est là que Heiddi ne dispose pas d'une "dialectique" de la raison qui lui fût bien utile) quoique impuissant, ce projet logique appliqué à la complexité indémêlable de l'existence, à son absence de sens, suffit AUSSI à faire sa grandeur.
Chez Aristote, pour en revenir finalement à lui, on trouve les deux thèses opposées : 1) primauté de l'être "anté-prédicatif" (a-logique) : "L'être par excellence est le vrai comme vrai ou faux" (Θ, 10, 1051b1) ; 2) primauté de l'Être selon les catégories, c'est-à-dire, qualifié, suivant les modalités du discours logique : " Le faux et le vrai ne sont pas dans les choses, mais dans la pensée".
"Ici il n'y a pas de pourquoi" disait le nazi au déporté. Et pourtant, à relire (quel maso je fais !) SuZ en traduction Martineau, après y avoir goûté sans fascination mais avec intrigue, il y a 30 ans, je me dis, aujourd'hui, que le Dasein serait un "qu'est-ce je fous là ?" permanent. Mais y répondre, comme vous l'expliquez très bien, par l'option 3) en faisant fi de l'option 4) de la Métaphysique d'Aristote, on demeure en suspension dans un abord qui n'en finit pas de commencer.
Supprimer"indécision, au sein même de la pensée d'Aristote" dites-vous. Mais s'il ne tranche effectivement pas soit 3) soit 4), comme s'il s'agissait d'une bifurcation qu'il faudrait résoudre, il ne me semble pas tout à fait demeurer coi au carrefour et laisser les options comme deux parallèles. Témoin ce raisonnement apparemment piétinant que je graisse pour renvoyer à quelque chose qui en est dit plus loin, par un exemple. (Métaphysique, Gamma, 4, 1008b) :
"De plus, est-ce donc que celui qui pensera que telle chose est ainsi, ou qu'elle n'est pas ainsi, se trompera, tandis que celui qui affirmera les deux propositions dira la vérité ? Si ce dernier est dans la vérité, que peut-on bien signifier en disant que telle est la nature des choses ? S'il n'est pas dans la vérité, mais qu'il se trouve plus dans la vérité que celui qui pense que telle chose est ainsi ou n'est pas ainsi, les êtres auront déjà une nature déterminée, et ce jugement du moins sera vrai, et ne sera pas en même temps non-vrai."
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Étonnant ce "plus" ! (que je ne lis pas comme un détour pour une démonstration par l'absurde, mais comme une authentique interrogation d'Aristote). D'autant que, peu après (1009a), mais hélas sur un exemple convoquant la mesure, il y a "une chose moins fausse" peu après, dire que quatre est cinq étant moins faux que dire que quatre est mille. Mais voici l'exemple qualitatif.
Supprimer(1010b) "Bien plus, un sens ne peut même pas, en des temps différents, être en désaccord avec lui-même, du moins au sujet de la qualité, mais seulement au sujet de ce à quoi la qualité appartient. Je prends un exemple : le même vin, soit parce qu'il aura changé lui-même, soit parce que notre corps aura changé, pourra paraître doux à tel moment, et, à tel autre moment non-doux. Mais ce n'est, du moins, pas le doux, tel qu'il est quand il existe, qui jamais encore a changé ; on a toujours la vérité à son sujet, et ce qui sera doux devra nécessairement posséder tel caractère." Le doux reste le doux, voilà qui est dit contre les relativistes.
Mais qu'en est-il "au sujet de ce à quoi la qualité appartient" ? Et quel est ce "ce à quoi" ? Le buveur selon son état, le vin selon son changement ? Les deux ? "la sensation n'est certainement pas la sensation d'elle-même, mais il y a quelque chose d'autre en dehors de la sensation, et dont l'existence est nécessairement antérieure". La voilà la méta- : cette antériorité. Réponse claire plus loin (Delta, 11, 1018b, 30) "Dans l'ordre logique, c'est l'universel qui est antérieur ; dans l'ordre sensible c'est l'individuel."
Voilà donc que, par "l'ordre du sensible", le registre des catégories s'impose autrement que selon les modaliés du discours logique ; dans cet exemple à propos de boire du vin, qui n'est pas un sujet dérisoire, puisque aussi bien on en meurt aussi. Toutes les mensurations objectives de l'âpreté du vin et des dérèglements des sens et des organes du buveur disent-elles quelque chose de l'in vino veritas, de l'état recherché par le buveur, de l'antériorité qui le meut vers ces sensations ? Cela vaudrait tout autant pour l'ascète. Les deux correspondant parfois au même individu. Le Dasein est pénétré de toutes les réalités qu'il rencontre, aussi bien, par le détour de leurs contradictoires, de celles qu'il fuit.
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J'en conclurai ici que la vérité selon Aristote ("Dire de l'Être qu'il n'est pas et dire du Non-Être qu'il est c'est le faux ; dire de l'Être qu'il est et du Non-Être qu'il est c'est le vrai") a finalement été assez bien nommée par la tradition scolastique adequatio rei et intellectus. Et que donc, je ne ramènerai pas tout ce dont il s'agit "aux modalités du discours logique" entendu comme véracité résidant "dans la pensée" plutôt que "dans les choses". Je suis plutôt certain du fait que le vrai et le faux sont selon l'adéquation (réciproque) entre les choses et la pensée. L'adequatio, ça se vérifie et ça s'éprouve.
SupprimerCe que ne peut dire la logique, la poésie s'aventure à le dire. En trouvant parfois au hasard cette adéquation. ("J'ai des doutes sur la question d'angle du canapé." "Avec ma belle amie quand nous dansons ensemble, est-ce nous qui dansons ou la Terre qui tremble ?") Pourvu qu'on n'use ni de l'une ni de l'autre à la manière d'Heiddi : en restaurant une métaphysique qu'on prétend détruire pour vendre son substitut destinal comme un MacDo indéfiniment questionnant l'essence ; en braconnant chez Hölderlin ou Goethe quand ils évoquent tout autres choses que ce que Heiddi prétend questionner.
Sinon, sur Horki et Marx, la réduction est réelle pour dire l'anthropologie du barbu. Mais il s'agissait de libérer l'humanité de cette contrainte, sinon les rapports sociaux n'auraient pas été contradictoires. L'anthropologie n'était pas le fin mot du barbu rhénan, se fût-il pris les pieds dedans.
Enfin, oui (et non sans lien avec ce qui précède), la thèse VI ad Feuerbach eût mieux alimenté Heiddi, s'il avait assimilé "l'essence humaine" au "genre", contre la critique de Marx (qui passe d'ailleurs bizarrement de l'homme abstrait à l'individu isolé, comme si c'était Stirner qu'il aurait eu dans le nez).
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@Schizo : "J'en conclurai ici que la vérité selon Aristote ("Dire de l'Être qu'il n'est pas et dire du Non-Être qu'il est c'est le faux ; dire de l'Être qu'il est et du Non-Être qu'il est c'est le vrai") a finalement été assez bien nommée par la tradition scolastique adequatio rei et intellectus. Et que donc, je ne ramènerai pas tout ce dont il s'agit "aux modalités du discours logique" entendu comme véracité résidant "dans la pensée" plutôt que "dans les choses". Je suis plutôt certain du fait que le vrai et le faux sont selon l'adéquation (réciproque) entre les choses et la pensée. L'adequatio, ça se vérifie et ça s'éprouve".
SupprimerOui. C'est précisément ce que Heiddi conteste : il conteste cette adequatio qui définirait la "vérité", en faisant "prématurément" sortir l'être de lui-même, le posant comme étant, le manquant comme être. Heiddi ne reproche pas à Aristote son matérialisme-mécaniste "latent" ou "rampant", il ne lui reproche pas de manquer la vérité en présentant celle-ci comme "reflet" de l'objet, préalablement existant. Son propos est autre, encore plus radical. Son Être à lui, ce n'est pas ce que vous et moi entendons par "matière", par matière existante. Et, justement, vous avez raison, d'un point de vue matérialiste, la position d'Aristote est très féconde, quoique, répétons-le tout de même, très indécise. Car cette adequatio, d'une part, c'est bien ce qui correspond clairement selon lui à "l'être selon les catégories" (sens 4), ce qu'on appelle, nous, "modalités du discours logique". Toute chose est un syllogisme objectif, membre d'une espèce puis d'un genre. Mais cela n'exclut pas une vérité "objective" de l'existence des choses, antérieurement ou indépendamment de leur captation par la pensée. C'est là le crypto-matérialisme d'Aristote : d'abord, les choses, indépendantes de la pensée, mais alors les substances premières, singulières. Aristote répète souvent cette phrase très impressionnante disant que les "espèces sont PLUS substance que le genre". Les étants singuliers sont plus "vrais", ils "sont", point à la ligne, c'est-à-dire qu'ils existent (usage attesté chez les Grecs du verbe "être" sans prédication). Ce n'est pas l'Être "nu" de Heiddi, mais c'est sur cette ambiguïté que Heiddi joue. Le singulier est chez Aristote indéniablement PLUS substantiel que l'universel. Mais, on n'a cependant connaissance, et il n'y a discours (raison et non... parole, comme dit Heiddi) que de l'universel, via les catégories.
Le passage auquel vous vous référez (Gamma, 4, 1008b) est une critique des dialecticiens et/ou des sceptiques radicaux. Nous nous en étions servis à une époque pour blaguer un certain "en même temps" caractérisant notre époque d'effondrement logique... et donc éthique (pour Aristote, le principe de contradiction est aussi un principe éthique, puisqu'il rend possible la communication) : http://lemoinebleu.blogspot.com/2020/04/en-meme-temps-2-histoire-de-dire.html
SupprimerCe qui est important aussi, c'est la nature de la sensation chez Aristote. Ceci, pour votre exemple du vin. Le seul domaine où la vérité semble chez lui extra-prédicative, n'en déplaise à Heiddi, c'est bien la sensation qui procède d'une rencontre de DEUX actes : celui de l'organe sentant et celui du sensible. Il n'y a pas, selon Aristote, littéralement, de "sensation fausse". Ce qui fait de lui, loin des futurs Descartes, sceptiques et compagnie, un grand "optimiste" de la connaissance faisant confiance aux sens. Encore faut-il, bien entendu, que l'organe puisse assurer sa fonction, réaliser sa puissance, passer à l'acte, ne pas être amoindri dans cette fonction par le vieillissement, par exemple. De même, du côté de l'objet. On ne peut pas, en quelque sorte, capter la "puissance" d'un objet, mais un sensible qui s'exprime en acte. Merleau-Ponty (dans Le visible et l'invisible, je crois) livre une belle illustration de cette rencontre de deux actes : le reflet tremblant d'un feuillage perçu par l'oeil au travers d'une étendue d'eau. Cette rencontre sujet sentant-objet sensible se fait ainsi à "mi-distance", dans un "milieu" entre les deux actes. Ce qui n'exclut pas, et c'est en cela qu'Aristote est indécis, aporétique, l'existence réelle, "indépendante" (il ne cesse d'insister là-dessus) de l'objet senti.
SupprimerJ'amène la vérité autant qu'elle m'impressionne.
SupprimerOn peut aussi, en bon "idéaliste" ou dialecticien (c'est notre cas), tenter de lire le réel, c'est-à-dire déchiffrer le réel à l'aune des classes, catégories que l'être se suscite de manière immanente. La lecture d'Aristote par Brentano (qui avait tant marqué Heiddi, d'ailleurs, et pour cause) nous paraît, à ce titre, pénétrante. Mais il reste cet échec programmé du syllogisme objectif devant le mystère de la vie singulière. La différence, c'est que ce mystère du singulier stimule chez nous l'envie de le réduire, métaphysiquement, pas d'en faire l'apologie mystique. Ce dont on ne peut parler, il FAUT pourtant le dire.
RépondreSupprimerSur Marx, maintenant, la critique de Heiddi est bien débile, qui tend (si on en croit le propos ici rapporté) à assimiler Marx et marxisme, voire Marx et stalinisme. Heiddeger n'est pas Horkheimer qui reprochait (pertinemment) au marxisme de "réduire" l'essence humaine au travail. La thèse sixième sur Feuerbach définit l'essence humaine comme être-dans-le-monde, ce qui aurait dû parler à Heiddi s'il avait été moins aveugle au propos de Marx. Et s'il avait davantage cru à la dialectique qu'à ses foutaises d'Être originaire, immédiat, sans paroles ni réalité et - surtout, par là même - sans aucune importance.
Pour finir, l'avis de Pierre Aubenque, sur l'opposition Étre prédicatif / Être "vrai" originaire, chez Aristote (le débat reste ouvert) : " Finalement les différents sens de l'être se réduisent aux différents modes de la prédication, puisque c'est à travers ceux-ci que ceux-là se constituent. C'est donc aux catégories ou figures de la prédication que l'on peut sans inconvénient ramener les significations multiples de l'être"
RépondreSupprimerCorrec : ("Dire de l'Être qu'il n'est pas et dire du Non-Être qu'il est c'est le faux ; dire de l'Être qu'il est et du Non-Être qu'il n'est pas, c'est le vrai"), évidemment !
RépondreSupprimerOui, nous celui qu'on aime beaucoup, c'est celui-là, complètement matérialiste et anti-"constructiviste" qu'on rêve de transmettre un jour à Houria Bouteldja :
Supprimer"Ce n'est pas parce que je pense que tu es blanc que tu es blanc, mais parce que tu es blanc que je dis avec vérité que tu es blanc" (Θ10, 1051b6).
Ou encore le classique : "Les choses sont comme elles sont indépendamment de toute affirmation ou négation. Ce n'est pas à cause de l'affirmation ou de la négation que ceci sera ou ne sera pas, et pas plus dans dix mille ans que n'importe quand" (Sur l'interprétation, 18b37).
SupprimerOn comprend mieux la manoeuvre de Heiddi (et peut-être la séduction induite par celle-ci sur certains esprits "hyper-matérialistes-structuralistes" de notre temps) : le glissement fourbe de l'antériorité des "choses" (pragmata) sur la pensée (défendue ici par Aristote) à l'antériorité de "l'Être"...
SupprimerDans le premier cas, chez Aristote, la substance première appelle, de manière immanente, comme chez Hegel mais pas forcément dans le même "sens", sa connaissance "catégorisante" (signifiant aussi la "perte" de l'objet singulier). Chez Heiddi, ce qui est visé, c'est un Etre pur, originaire, sans médiation, auquel le singulier Da Sein aurait un accès privilégié, et mystérieux par principe.
RépondreSupprimer"Heiddi-heiddo" exellent!!
RépondreSupprimerÇa m'inspire une référence cinématographique:
https://youtu.be/JiZBnymU5w8
Oui, bien vu, Anonyme cinéphile, j'avais un très vague souvenir d'une sorte de belle des champs dans la prairie télévisée que je croyais bavaroise, qui donnait envie de crier très fort pour appeler son attention. Je trouvais que ça collait bien avec le "en tant que tels" de l'homme et de la nature du quasi-Souabe.
SupprimerExemple paradigmatiquement gore d'un hêtre suisse pour la mort...
SupprimerTerrifiant !
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