dimanche 31 décembre 2017

Réveillon (3)

  

Réveillon (2)

Réveillon (mixte)


Synesthésie


Capitation

« Une entreprise est une personne dont tout le sang remonte à la tête. 
On appelle cela une personne morale. »

(Éric Vuillard, L'ordre du jour)






vendredi 29 décembre 2017

Tupamarocanos et Panthères noires d'Israël


« En-dehors d'Israël, le mouvement sioniste nous avait fait de belles promesses - appartements, éducation, conditions de vie décentes. Or, si notre vie n'est pas pire que dans nos pays d'origine, on ne peut pas dire que beaucoup d'entre nous vivent mieux. Dans nos pays d'origine, il y avait très peu de délinquants juifs ; ici, il y a un fort pourcentage de Juifs orientaux dans les prisons. En-dehors d'Israël, nous avons été maltraités comme Juifs ; ici, nous sommes maltraités comme Sépharades. Même s'il y a une différence entre la vie d'un Juif oriental ici et dans son pays d'origine, cela ne ressemble en tout cas en rien aux monts et merveilles que nous promettaient les envoyés sionistes. Je connais ici des familles qui se nourrissent de thé et de pain trois fois par jour. Dans leur pays d'origine, les Juifs riches de la communauté les auraient aidés. Du point de vue de l'éducation, du salaire et du logement, la situation ici ne s'est guère améliorée pour les Juifs orientaux des quartiers pauvres par rapport à leur situation antérieure. Si le sionisme est une solution au problème juif, alors il faut croire que que nous ne faisons pas partie de ce peuple juif, que c'est seulement une solution pour une partie du peuple juif. »

(Kochavi Shemesh, 26 mai 1972)

Manifestation des Panthères noires à Jérusalem, 1971.

« Lorsqu'un État se crée, d'autres choses se créent : des prisons, des hôpitaux, des usines. dans tous ces endroits, il faut de la main-d'oeuvre bon marché, du "travail [au] noir". Les Juifs orientaux ont occupé ces positions, ils sont devenus les travailleurs noirs de la communauté, ils ont rempli les usines et les prisons. Il est normal qu'après avoir subi cette situation pendant aussi longtemps, quelque chose arrive, quelque chose explose. L'explosion s'est produite dans un quartier [de Jérusalem] qui s'appelle Mousrara. Elle aurait pu se produire dans n'importe quel autre quartier, mais il se trouve qu'elle s'est produite là. Dans ce quartier, il y avait environ 300 jeunes. 300 jeunes : 300 délinquants. C'est là qu'ont pris naissance les Panthères noires. Dans ce quartier, tout le monde se connaît, tout le monde est copain. Il y avait des copains qui étaient en taule, d'autres qui traînaient dans la rue. Quand l'un fait quelque chose, l'autre le fait aussi. Nous jouons ensemble, nous vivons ensemble dans les mêmes conditions. Les jeunes de ce quartier n'avaient aucun contact avec les jeunes des quartiers plus prospères, les étudiants, etc. Ils formaient un groupe fermé sans aucun contact avec les autres jeunes de la ville. Ils se sentaient complètement rejetés. Tous avaient des ennuis avec la police, et personne n'était en mesure de les aider : pas de père avocat qui décroche le téléphone pour intervenir... Ils étaient livrés à eux-mêmes et personne ne s'inquiétait de leur sort. Les Aboutboul, les Bitton qui habitaient ces quartiers avaient le sentiment qu'ils étaient simplement nés comme cela et que leur vie entière se passerait de cette façon. C'était ainsi, on ne pouvait rien y changer. Mes amis et moi avons mis environ trois ans à prendre conscience de ce que les choses ne devaient pas forcément rester ce qu'elles sont, qu'elles pouvaient changer. Nous étions un groupe d'amis qui se retrouvaient dans une chambre pour lire les journaux et se tenir au courant de ce qui se passe. C'est cela, me semble-t-il, qui caractérisait notre groupe ; c'est une des raisons qui explique comment nous avons pris conscience que des changements étaient possibles. Étant donné ce que nous étions, nous ne pouvions pas former un groupe idéologique ni nous affilier à un mouvement idéologique. Nous étions plus proches de groupements comme la mafia par exemple. Nous avions plus de facilité à comprendre des groupes comme celui-là que des groupes idéologiques. Les copains qui se retrouvaient pour lire les journaux entendirent un jour parler des Tupamaros en Uruguay et de l'enlèvement d'un ambassadeur. Nous avons été frappés d'apprendre qu'ils ne l'avaient pas enlevé pour obtenir une rançon, mais pour que leurs quartiers soit assainis, pour exiger que des camions apportent de la nourriture dans les quartiers pauvres... C'était quelque chose dont nous n'avions jamais entendu parler avant. Des délinquants pouvaient donc faire pression sur le gouvernement pour obtenir quelque chose de positif pour eux-mêmes. Je suis sûr que tôt ou tard un mouvement serait né spontanément, même sans l'exemple des Tupamaros, et que ce mouvement aurait eu à coeur de défendre les intérêts des individus dans le groupe, non de se fixer des objectifs abstraits. Mais nous étions en mesure de nous assimiler aux Tupamaros parce que notre condition était la même : comme nous, ils étaient pauvres, leurs parents, leurs frères aussi ; leurs conditions de vie étaient misérables et pourtant ils étaient capables de prendre soin d'eux-mêmes et de ceux qui étaient comme eux. Certains des copains ont alors pris le nom de "Tupamarocanos" parce qu'ils venaient en grande majorité du Maroc. Après, nous entendîmes parler d'autres groupes, comme les Black Panthers, et il y eut de très vives discussions quant au nom que nous nous donnerions : en nous appelant Tupamarocanos, nous aurions l'air d'exclure les non-Marocains ; nous avons préféré "Black Panthers", pour inclure tout le monde. »


(Saadia Marciano, 26 mai 1972)

Charlie Bitton, membre des Panthères noires, 
puis du Hadash (parti communiste israélien), de 1977 à 1990.

« Je voudrais dire quelques mots de la façon dont nous devons nous y prendre pour toucher les gens. Et je voudrais donner un exemple, à gauche, de ce qu'il ne faut pas faire : je pense à Matzpen (...). Matzpen est un petit groupe de personnes bien organisées. Certains de ses membres sont extrêmement intelligents. Ils ont un journal, ils viennent à l'heure aux réunions, ils sont pleins de bonne volonté et très sérieux. Mais s'ils n'avaient pas commis d'erreurs depuis leur création, ils ne seraient pas restés ce petit groupuscule. Dès que le nom d'une organisation quelconque est associé à celui de Matzpen, cette organisation est détestée par le public israélien, par la quasi-totalité du peuple. Je crois que le mouvement des Panthères noires, qui est né dans les bidonvilles et dans les zones misérables, doit parler de la pauvreté, de la pénurie de logements et de l'éducation, du manque de travail. C'est dans ce domaine que nous voulons intervenir. Matzpen parle des territoires occupés, en même temps que de la pauvreté en Israël, des problèmes internationaux, de la révolution, toutes choses que le public simple, sans formation politique, qui n'a pas étudié, ne comprend pas, et ne veut pas entendre. Si je vais dans une petite ville ou à la campagne et que je dis à quelqu'un : "Écoute, le problème de ta pauvreté, de ton manque d'éducation, de ton manque de travail, tes problèmes matériels quotidiens sont liés au fait que les territoires sont occupés, à l'achat des Skyhawks et des Phantoms, aux problèmes de sécurité..." il refusera de m'écouter. Dès que je lui parle de sécurité et de problème arabe, stop, il refuse de m'entendre ! Si, au contraire, je viens et je lui parle de problèmes spécifiques qui le concernent directement, qui lui font mal, comme le fait qu'il n'a pas de lit pour dormir, qu'il n'a pas de nourriture, qu'il n'a pas de travail, que de sa vie il ne parviendra jamais à l'Université, qu'il est "baisé" et que ses enfants seront "baisés", cela, il est prêt à l'écouter, il veut l'écouter et cela l'éveille. Celui-là pourra me suivre parce qu'il me comprend, et c'est l'ABC de toute éducation politique. Dès le moment où il me rejoint, où il se bat pour la solution de ses propres problèmes, et qu'après un certain temps il se rend compte que rien n'est fait, alors il comprend quels sont les véritables problèmes. Lorsqu'il entend le gouvernement lui dire qu'il ne peut pas lui donner de l'argent, même pour satisfaire ses revendications les plus élémentaires, à cause de la guerre, il comprend que c'est un problème de classe, que c'est un problème lié à l'occupation des territoires, que c'est un problème lié à la guerre. Il se rend compte alors que, tant qu'on n'aura pas résolu les problèmes internes, on ne pourra résoudre les problèmes externes, qui servent de prétexte pour ne pas agir sur les problèmes internes et vice versa. Ce sont ces questions que j'aborde avec les copains qui ont lancé le mouvement avec moi, ceux qui ont participé aux mêmes manifestations, avec qui j'ai été en taule, avec qui j'ai parlé de ces problèmes, et qui ont fini par voir le lien direct entre leur problème, qui est celui de la pauvreté, et le problème plus vaste qui est celui des territoires occupés, des Arabes, de la guerre, de la paix, etc. Au début, ils se disaient : "Faisons des manifestations, brisons des choses, battons-nous contre les flics". Peu à peu, ils ont évolué, et aujourd'hui le lien entre leur problème et les problèmes plus vastes leur semble clair. Si nous avions dû raconter à nos familles, tout au début, que l'essentiel de notre lutte, c'était l'occupation des territoires, la politique étrangère, la paix, la guerre..., on nous aurait jetés hors de chez-nous. Maintenant nous voyons que nos familles, en un an et demi, sans que nous ayons eu besoin de rien leur expliquer, en sont venues aux mêmes conclusions que nous. Les seuls qui n'aient jamais rien compris sont ceux qui n'ont jamais rien eu dans la tête, les obtus, mais ils sont une minorité. Je donnerai l'exemple d'un vieillard dans notre quartier qui a entendu parler des problèmes de la pauvreté, de la discrimination, etc. Il nous soutenait et nous donnait souvent de petites sommes d'argent : 5 ou 10 livres. Après un an et demi, à force d'écouter le gouvernement répéter constamment qu'il était impossible de régler le problème à cause de la guerre, que l'argent devait lui être consacré en priorité, qu'une fois la guerre finie on résoudrait le problème, car nous sommes tous frères, etc, il est venu à notre siège et nous a dit : "Saadia, Charlie, Kochavi, Haïm, le problème, ce n'est pas le manque d'argent à cause de la guerre. Cela, ce n'est qu'un prétexte de la part du gouvernement. Si les deux problèmes ne sont pas résolus en même temps, il n'y aura pas de solution". C'est ainsi, d'ailleurs, que s'est passé mon propre développement. Je ne comprenais qu'une seule chose : je souffrais. Je voyais que nous étions dans la misère et qu'on nous devait quelque chose. Aujourd'hui, j'ai compris que le problème était plus profond et qu'il y a un lien entre tout et j'ai compris aussi qu'il fallait marcher côte à côte avec les siens, ne pas créer un fossé entre eux et nous ou anticiper sur leur réflexion, ni parler un langage qui ne sera pas compris par eux. C'est en continuant dans cette voie que nous pourrons devenir un groupe important, et non un groupuscule comme il en existe en Israël, qui comptent des membres très intelligents et bien organisés, mais qui restent réduits à un très petit nombre d'adhérents. »


(id.) 

(Extraits de Panthères noires d'Israël, présentation de Mony Elkaïm, Maspero, 1972)  


jeudi 28 décembre 2017

Amal

C'est pourtant pas compliqué !


Toi aussi, monétise tes amis !


(Traduction : 
- Salut c'est encore moi ! Participe, toi aussi, au monde fascinant des influenceurs avec le Kit de la princesse influenceuse. Facebook, Youtube, Instagram... : manipule tes amis pour en faire des followers, avec une foule de produits magiques que tu peux mettre en scène.
- Ouahou !!! Pour ça, je te donne un like !!! 
- Découvre la magie cachée des émoticons. Avec Le kit de la princesse influenceuse, monétise tes amis avec plein de produits trop cools. Nouveauté : la perche à Selfie !)

mercredi 27 décembre 2017

Un salut fraternel aux athées arabes !

C'est là qu'on les trouvera : 
quelque part entre un marteau stupide 
et une enclume inerte... 

« Il ne fait pas bon être athée en Egypte. Dans un contexte de dénonciation de la croissance de l’athéisme, particulièrement chez les jeunes, une mère a perdu la garde de ses deux enfants en raison de son absence de foi. Au Caire, une mère a été privée de ses deux enfants parce qu’athée. C’est le tribunal des affaires familiales de la ville qui a prononcé dimanche 24 décembre ce jugement sans précédent. La décision de justice intervient en pleine campagne de chasse à l’athéisme dans le pays. « L’extrémisme et l’athéisme sont les deux faces d’une même pièce. » Une affirmation martelée sur plusieurs chaines de télévisions par des ulémas de l’islam dans ce qui ressemble à une campagne nationale contre l’athéisme. Campagne déclenchée par un rapport de la très officielle direction générale des Fatwas, qui affirme que l’athéisme est un mal qui se répand de manière alarmante au sein de la jeunesse. Avec la bénédiction de la Grande Mosquée d’al-Azhar, la commission des affaires religieuses du Parlement s’est aussitôt saisie de l’affaire. Elle a décidé d’élaborer une loi qui pénalise l’athéisme. Toute personne affirmant publiquement son athéisme ou sa sympathie pour les athées pourrait se retrouver passible d’amende ou de prison. Le projet de loi prévoit une surveillance d’internet et notamment des médias sociaux. Pour les laïcs et les libéraux, cette loi viole la Constitution, qui garantit la liberté de croyance. »
(source : RFI, 25 décembre 2017)

« Bahous aimerait bien ne plus entendre parler de l’islam. Et même ne plus en parler du tout. Mais quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, cet homme de 33 ans, vendeur à Voiron (Isère), y est toujours ramené. Son athéisme intrigue, ou dérange, c’est selon. Lorsque l’on est issu, comme lui, d’une famille et d’une culture musulmanes, le fait de ne pas croire en Dieu – et, surtout, de le dire – ouvre la voie à une vie d’incompréhensions, de renoncements, de ruptures. « Je subis un double regard, explique Bahous. Pour les gens, de par mon apparence, mon nom, la couleur de ma peau, je suis de facto musulman. On ne peut pas concevoir que je sois juste Français. Mais, pour ma famille, je suis le vilain petit canard. Ils me considèrent comme un “ francisé ” : être athée, c’est trahir ses origines, comme si être musulman était une origine. Du coup, je me sens obligé de toujours me justifier, sur tous les fronts ». Bahous avait écrit au Monde en février, en répondant à un appel à témoignages sur les musulmans ayant perdu la foi. Quand nous l’avons à nouveau sollicité, en novembre, rien n’avait changé pour lui : il avait toujours le sentiment de vivre dans cet « étrange entre-deux », où il se sent contraint de préciser sans cesse qu’il n’est « ni islamophobe ni islamophile ». Le comble pour un athée : « Après les attentats, on m’a demandé de me désolidariser…». Sa famille, elle, en particulier son frère aîné, n’a jamais accepté son renoncement à l’islam. Depuis, les deux hommes ne se fréquentent plus. Bahous peut cependant s’estimer chanceux : sa mère, auprès de laquelle il s’est ouvert de ses doutes sur l’existence de Dieu dès l’adolescence, n’approuve pas ce choix mais le tolère. « Dans certaines familles, annoncer son athéisme peut être encore plus compliqué qu’annoncer son homosexualité... »

(extrait de L'athéisme, ce tabou du monde musulman
in Le Monde, 20 / 12 / 17)

mardi 26 décembre 2017

Fond d'oeil



jeudi 21 décembre 2017

Féérie de Noël






Pastel


Émilie Busquant, une passion algérienne

Magie


« Julie admira l'automobile. On avait l'impression d'être en bateau. L'intérieur était garni de vrai cuir et d'acajou. Il y avait toutes sortes d'encastrements dans le dossier des sièges avant. Julie promena sa main sur les fermoirs incrustés dans le cuir.
- Regardez, dit Hartog. 
Il ouvrit les logements. Julie vit un bar, un radiotéléphone, un minuscule écran de télévision, une machine à sténotyper miniature.
- Ce n'est pas une bagnole magique, dit Hartog. C'est fabriqué par des gens, vous savez. »

(J.-P. Manchette, Ô dingos, ô châteaux !)

Miss Peregrine (et les enfants particuliers)


mercredi 20 décembre 2017

Noirs et Blancs

                   
Vente d'esclaves, ces jours-ci.

« Il est en islam un clivage choquant, que nul n'ose dénoncer, de peur sans doute de soulever le couvercle qui couvre le puits : celui de la couleur de peau des esclaves. Certes, l'islam rappelle aussi clairement que possible à ses adeptes qu'il n'est fait aucune différence entre un arabe et un Barbare (A'jami), si ce n'est sur le degré de foi de chacun. Mais la réalité est plus complexe. Sur le plan des représentations, on doit constater que le regard négatif porté sur le Noir s'est cristallisé depuis l'Antiquité, ce que la tradition arabe, puis la doxa musulmane n'ont fait qu'entériner. Caustique comme à son habitude, Al-Jahiz tourne en ridicule les Arabes : "Les Zandj (les Noirs) disent aux Arabes : Voilà bien un aspect de votre ignorance, au temps du paganisme vous nous estimiez suffisamment pour nous laisser épouser vos femmes, et cependant, lorsque la loi de l'islam fut établie, cela nous fut interdit car vous nous trouviez repoussants ; alors que le désert était plein de nos gens, des gouverneurs et des chefs qui épousèrent nos femmes défendirent votre honneur et vous sauvèrent de vos ennemis" (Rassaîl, p. 130).

Si nombre de musulmans ne voient là qu'une vétille qui ne mérite pas qu'on s'y attarde et la prenne au sérieux, beaucoup d'autres, noirs de peau ceux-là, en souffrent terriblement et commencent à le dire. Ce tabou se dissimule dans les replis d'une fausse certitude selon laquelle, en islam, il n'y aurait ni esclavagisme, ni ostracisme, ni même racisme, hypothèse naïve, à l'évidence, qu'un auteur comme Bernard Lewis, dans Race et couleur en islam, déconstruit avec son habituelle dextérité. Sans être particulièrement raciste, l'islam a développé une culture de la race, au moins pour la condamner aux deux plans novateurs que sont la théologie et la spiritualité. Aux yeux des théologiens, le critère de la peau noire n'est pas pertinent, pas plus devant le juge - dans une affaire privée, par exemple - que devant l'imam au moment de la prière. Mais la société ne l'entend pas de cette oreille, qui cultive une très nette opposition entre croyants blancs, souvent arabes, turcs ou persans, et croyants noirs, souvent africains. Car le Noir est toujours l'esclave. Un esclave déclassé socialement, au service d'autrui comme serviteur, palefrenier ou portefaix, une sorte d'instrument animé, aurait dit Aristote. Il l'est aussi au plan sexuel, puisqu'il est l'étalon que l'on utilise à des fins de pure extase physique, comme c'est le cas dans le conte des Mille et Une Nuits.

Les Noirs les plus connus en Arabie et, partant, dans tout l'Islam, sont les Éthiopiens (Habachis, de Habacha, Éthiopie) et les Zandj (ou Zanj), Noirs originaires de l'Afrique médiane et de la côte orientale du "Continent noir", al-Qarra as-sawda. On ne sait exactement quand les Éthiopiens ont franchi la mer Rouge qui les sépare de la péninsule Arabique : sans doute plusieurs siècles avant l'arrivée de l'islam. Mais l'antique Abyssinie a longuement marqué l'Arabie et le Yémen voisin non seulement grâce à ces "échanges" de populations, mais aussi de par sa forte personnalité culturelle. Aujourd'hui, un fort pourcentage de la population éthiopienne vivant au nord et à l'est du pays est musulmane, en dépit de ce que prétendent les autorités d'Addis-Abeba. Depuis 1993, la province de l'Érythrée, totalement convertie à l'islam, a pris son indépendance avant de se constituer en république. On sait que c'est cette partie de l'Afrique contiguë à la mer Rouge, avec Kordofan, Sennar, ancienne capitale du royaume fundji, l'Érythrée, mais surtout l'Éthiopie, qui a accueilli les premiers musulmans fuyant, au début de la Prédication, La Mecque et ses persécutions.
Venant d'Afrique de l'Est, les Zandj sont plus récents dans cette région du monde. Ils se distinguèrent au IXème siècle dans les marais du bas Irak (bâtayih), lorsqu'ils se soulevèrent pour dénoncer pêle-mêle les conditions inhumaines dans lesquelles ils travaillaient, l'absence de solde et surtout l'image désastreuse qu'ils avaient auprès de leurs employeurs (...). 

Ce qui est certain, c'est que l'opposition Blanc/Noir équivaut en tous points à l'opposition maître/esclave : un classique ! Il n'est nul besoin d'ailleurs de dire 'abd (esclave) : il suffit de dire "Noir". Dans l'inconscient collectif, le Noir est par définition l'esclave, et ce, malgré le très grand nombre de concubines blanches qui ont hanté les palais des sultans et de leurs vassaux. On a du mal à associer le Blanc à la servitude. La chronique arabe a nourri et cultivé cette opposition. Elle fourmille de milliers d'anecdotes où les vocables Noir, Zandj et 'abd sont pris comme synonymes, ou intervertis au gré des effets stylistiques souhaités par l'orateur.
Cette situation est-elle dénoncée ? Bien peu, car beaucoup d'Arabes et de musulmans ne voient pas où est le problème et, à l'image de l'opinion commune, ne considèrent pas que le fait de désigner quelqu'un par la couleur de sa peau soit déshonorant en soi. Approche raciale, mais pas raciste.

Un auteur a cependant ouvert une large controverse en éditant une épître dans laquelle il défend de manière provocatrice la race noire par rapport à la race blanche, un peu comme une revanche de la vérité sur le mensonge. Al-Jahiz (v. 776-869), puisque c'est de nouveau de lui qu'il s'agit, est lui-même d'origine serve. Né à Basra - aujourd'hui Bassorah en Irak - de parents noirs, sans doute d'origine habachie ou bantoue, il ne ménage pas ses efforts pour exalter, dans ce texte qu'il consacre à la race noire, la grandeur et la puissance de celle-ci par rapport à la blanche, Fakhr as-sûdane 'ala al-baydâne : le Noir - couleur officielle des 'Abbassides - est plus gratifiant que le Blanc, dit-il, usant d'une assertion qui cache mal le dépit, de même, ajoute-t-il, que la nuit noire est plus mystérieuse que le jour. Suit une tirade sans fin où il est question de chameaux qui sont plus beaux lorsqu'ils sont noirs, de vaches noires qui ont des peaux qui rapportent plus que les autres, car plus utiles et plus solides, de lions noirs auxquels rien ne résiste, de montagnes noires et de pierres noires qui sont dites plus fermes et plus résistantes. Il n'est pas jusqu'à la datte noire qui ne soit plus savoureuse et plus sucrée que l'autre, la brune, et le palmier lui-même, s'il a sa base noire, est assurément plus robuste et vit plus longtemps. Sur plus de quatre-vingt-dix pages, Al-Jahiz passe en revue toutes les caractéristiques qui, selon lui, différencient la race noire, qui a sa préférence, de même que la race turco-persane (Manaqîb at-tûrk), de la race arabe. L'une des perles de ce texte est la suivante : soldat, le cavalier turc a quatre yeux, deux sur le visage et deux dans le dos !  »

(Malek Chebel, Noirs et Blancs, in L'Esclavage en Terre d'Islam, Fayard, 2007)






Haro, la gorge m'ard


Un salut à la reine Catherine


Pour les fêtes

La société autophage 
Capitalisme, démesure et autodestruction
Anselm JAPPE


 Présentation de l'éditeur

Le mythe grec d’Érysichthon nous parle d’un roi qui s’autodévora parce que rien ne pouvait assouvir sa faim – punition divine pour un outrage fait à la nature. Cette anticipation d’une société vouée à une dynamique autodestructrice constitue le point de départ de La Société autophage. Anselm Jappe y poursuit l’enquête commencée dans ses livres précédents, où il montrait – en relisant les théories de Karl Marx au prisme de la « critique de la valeur » – que la société moderne est entièrement fondée sur le travail abstrait et l’argent, la marchandise et la valeur. Mais comment les individus vivent-ils la société marchande ? Quel type de subjectivité le capitalisme produit-il ? Pour le comprendre, il faut rouvrir le dialogue avec la tradition psychanalytique, de Freud à Erich Fromm ou Christopher Lasch. Et renoncer à l’idée, forgée par la Raison moderne, que le « sujet » est un individu libre et autonome. En réalité, ce dernier est le fruit de l’intériorisation des contraintes créées par le capitalisme, et aujourd’hui le réceptacle d’une combinaison létale entre narcissisme et fétichisme de la marchandise. Le sujet fétichiste-narcissique ne tolère plus aucune frustration et conçoit le monde comme un moyen sans fin voué à l’illimitation et la démesure. Cette perte de sens et cette négation des limites débouchent sur ce qu’Anselm Jappe appelle la «pulsion de mort du capitalisme» : un déchaînement de violences extrêmes, de tueries de masse et de meurtres «gratuits» qui précipite le monde des hommes vers sa chute. Dans ce contexte, les tenants de l’émancipation sociale doivent urgemment dépasser la simple indignation contre les tares du présent – qui est souvent le masque d’une nostalgie pour des stades antérieurs du capitalisme – et prendre acte d’une véritable «mutation anthropologique» ayant tous les atours d’une dynamique régressive.


Note du MB

Livre précieux et passionnant, comme c'est souvent le cas chez Anselm Jappe. Ce dernier revient ici, en particulier, sur l'affrontement, au sortir de la seconde guerre mondiale, des freudiens radicaux et «révisionnistes» (suivant le terme employé par Adorno et Marcuse) : que faire, dans une perspective d'émancipation, de concepts interdisant apparemment celle-ci au sein même de la psychanalyse, tels la pulsion de mort et, de manière générale, le dualisme pulsionnel (Éros et Thanatos), bref tout ce qui caractérise le soi-disant pessimisme freudien, largement étayé sur des hypothèses métaphysiques plus que cliniques, d'après Fromm. Le pari d'Adorno et de Marcuse (qui, par ailleurs, ne contestent pas, assument cette dimension métaphysique, ou philosophique, de Freud) est justement que ce pessimisme psychanalytique même, dans son intransigeance appliquée à la société bourgeoise, offre contre elle un levier de critique décisif : cette société ne peut en effet être harmonieuse, elle est minée de l'intérieur, sans rémission réformiste possible...

Comment, cependant, thématiser la dimension subversive de la pulsion de mort ? Marcuse considère, de celle-ci, la dimension rebelle à toute activité, toute agitation, en clair : toute frénésie productiviste et laborieuse caractérisant l'éthique bourgeoise du travail. Il associe à cette critique immanente, installée, donc, au fond de la psyché, les « ordre et beauté », « luxe, calme et volupté » baudelairiens. Mais Fromm, de son côté, n'est-il vraiment que ce fieffé libéral ici soupçonné ? Sa position post-freudienne relève-t-elle à ce point d'un adaptatisme larvé aux conditions capitalistes ? Tels sont (notamment) les termes du débat que Jappe invite à reposer au présent : dans le cadre nihiliste, mortifère, du spectacle contemporain.  


*** 

1°) Pour les lecteurs et lectrices germanophones, le débat Fromm-Marcuse a fait l'objet d'un article contextualisant, et éclairant, signé de John Rickert à la fin des années 1980, traduit sous le titre Die Fromm-Marcuse-Debatte im Rückblick et disponible sur le net ICI.

2°) Pour les anglophones, ce sera ICI !

3°) Les francophones, arabophones, sinophones et autres parias racisé. e. s de l'univers seront, quant à eux, invités à aller se faire foutre, à se mettre à l'anglais ou à l'allemand, ou encore à se procurer diligemment le dernier ouvrage de M. Anselm Jappe (qui a déjà une jolie couverture, non ?)

La psychanalyse n'est pas que ce truc réservé aux bourgeois névrosés à problème, en mal ponctuel de performance économique. La psychanalyse n'est pas que cette méthode de flics visant à nous priver de nos folies productives. La psychanalyse sera ce que nous ferons d'elle, qui s'offre, et qui nous offre un matériel critique inestimable contre le capital. Le temps de sa relégation post-moderne prend fin, décidément. Il est urgent de la redécouvrir, et de se la réapproprier, avec plaisir, en vue de soumettre la totalité du monde à son prisme rongeur. 

Poliorcétique


Make it to the end.
C'était là.  

lundi 18 décembre 2017

War on drugs (just say no)


        

Herbert still on top


« Wittgenstein’s assurance that philosophy "leaves everything as it is" — such statements exhibit, to my mind, academic sado-masochism, self-humiliation, and self-denunciation of the intellectual whose labour does not issue in scientific, technical or like achievements. »

(Contre-révolution et révolte, 1972)

De la révolution conçue comme dynamique éducative



« À la différence du syndicaliste qui traduit ses revendications en objectifs techniques, utilitaires, sobres et précis, limités dans le temps, l'anarchiste subordonne et estompe ces réclamations, ou plutôt il les fait exploser au bénéfice d'exigences plus universelles. Car l'Amérique lui apparaît toujours comme un gigantesque camp de travail, où sont réduits en esclavage les besoins, les conduites et les esprits humains. Cette prospérité dont s'enorgueillit le pays est édifiée par des hommes et des femmes qui sacrifient trente années de leur vie à creuser des tunnels, pelleter du charbon ou répéter inlassablement d'autres tâches tout aussi hideuses, et sur le corps des cinquante mille morts et des cent mille handicapés que causent chaque année les accidents du travail. À l'utopie ouvriériste, on adresse des reproches d'autant plus amers qu'on y a jadis cru ; bien sûr, Emma Goldman ou Alexandre Berkman se sentent à l'aise dans les rangs du prolétariat, auquel ils appartiennent et dont ils souhaitent sincèrement le triomphe ; mais ils n'ont plus la foi. La masse apparaît à Emma comme une multitude inerte, léthargique, corrompue jusqu'à la stupidité : "Ce n'est pas la poignée de parasites, mais la masse elle-même qui est responsable de cet horrible état des choses. Elle s'agrippe à ses maîtres, aime le fouet, et quand s'élève une voix de protestation contre le caractère sacro-saint de l'autorité capitaliste et de toute autre institution décadente, elle est la première à crier Crucifiez-le ! Combien de temps l'autorité et la propriété privée tiendraient-elles pourtant sans l'empressement des peuples à devenir soldats, policiers, geôliers et bourreaux ? "

À ce pessimisme désabusé, l'anarchiste va surimprimer son projet éthique : il combat pour un idéal plus encore que pour des opprimés. L'aliénation religieuse, politique et sociale place chaque individu dans la contradiction entre ses intérêts individuels et ses désirs communautaires ; il n'en sortira que par le retour à la spontanéité et à la flexibilité des lois de sa nature : nos besoins de nourriture, de satisfaction sexuelle, d'air, de lumière, de prendre des décisions au plus bas niveau possible, de choisir librement nos travaux et nos activités. Les intérêts des êtres humains sont solidaires quand ils sont fondés sur la nature.

Est-ce le retour à Jean-Jacques Rousseau ou plutôt à Thoreau ? Emma Goldman ne cherche pas à trancher la question de savoir si la nature est en soi bonne ou mauvaise ; elle affirme qu'il est impossible de décrire ses potentialités, car tant que l'homme reste en cage, on ne sait rien sur lui ; seule la liberté peut dévoiler ses aptitudes. Sur le plan militant, l'action directe reste le chemin privilégié vers une révolution d'ailleurs lointaine ; l'apparition de la liberté a demandé des milliers d'années, sa réalisation sera donc encore très longue à venir. Mais cette révolution, appropriation et réorganisation de l'économie, est avant tout un acte mental ; il consiste à vaincre les idées erronées, à faire entrevoir à tous les objectifs de la révolution, à aider chacun à savoir ce qu'il veut et comment l'obtenir. Rien ne s'harmonise mécaniquement, rien ne se résout inconsciemment et surtout pas les relations humaines. Ainsi l'anarchisme américain modifie insensiblement l'accentuation de ses objectifs ; le changement social n'est plus fondé sur la lutte armée prolétarienne et sur l'action directe violente, que Johann Most préconisait jadis ; la révolution est une dynamique éducative. »

(Ronald Creagh, Utopies américaines)



Culture

(Patrimoine estimé : 4, 6 millions d'euros)

« Il faut combattre la ségrégation culturelle »
(Françoise Nyssen, Le Monde, 18 décembre 2017)

dimanche 17 décembre 2017

Optimiser son teamworking

                                                                

Compris, Glaucon ?

  


« - Ils sont tout à fait beaux, Socrate, s'écria-t-il, les gouvernants que tu viens de façonner comme un sculpteur !
- Et les gouvernantes aussi, Glaucon, ajoutai-je ; car ne crois pas que ce que j'ai dit s'applique aux hommes plutôt qu'aux femmes (j'entends celles qui auront des aptitudes naturelles suffisantes).
- Tu as raison, avoua-t-il, si tout doit être égal et commun entre elles et les hommes, comme nous l'avons établi. »

(Platon, La République)




La ministre du Travail posséderait un patrimoine de 7, 5 millions d'euros !


On s'en fout (OSEF)


Titu­laire d’une maîtrise de droit inter­na­tio­nal et euro­péen (2000), Rokhaya Diallo pour­suit ses études avec un master en marke­ting et distri­bu­tion dans l’in­dus­trie audio­vi­suelle à l’Uni­ver­sité Panthéon-Sorbonne (2003). En 2009, elle devient chro­niqueuse pour La Mati­nale sur Canal +. À la radio, elle rejoint la station RTL (On refait le monde) en 2009, et anime Fresh Cultures sur Le Mouv’ depuis 2011. En janvier 2012, elle reçoit le Prix de la lutte contre le racisme et la discri­mi­na­tion, décerné par le Conseil pour la Justice, l’Éga­lité et la Paix (COJEP). En septembre 2017, elle rejoint la nouvelle équipe de chro­niqueurs de l’émis­sion de Cyril Hanouna, Touche pas à mon poste, sur C8. 

(source : Gala)

vendredi 15 décembre 2017

« Leurs philosophies se complétaient »


« J'étais ce que les flics appellent un "incorrigible ». J'avais passé deux semaines peinard avec les autres, et puis je m'étais fait piquer à me servir un supplément de steak, au dîner, où on avait chacun son petit bout de viande.
Le jour où on m'avait renvoyé au Trou, les Musulmans [Black Muslims] avaient tenu congrès dans la cour annexe. Ils vous assenaient leur salade raciste, et se débinaient dès qu'il y avait de la bagarre. Ils vous expliquaient cet assez lâche comportement en prétendant que le diable blanc voulait les pousser à se battre, et qu'ils ne tomberaient pas dans le panneau.
Les Nazis [détenus blancs racisteset les Musulmans s'entendaient généralement assez bien. Leurs philosophies se complétaient ; chacun de ces deux groupes était certain de sa propre supériorité raciale, aucun des deux ne se montrait exagérément agressif. Ils se laissaient réciproquement tranquilles ; chacun avait son terrain. Cette fois-là, cependant, il s'était trouvé quelques Nazis dans les parages lorsqu'un des Musulmans avait commencé son discours sur les hommes blancs, incarnations du démon. Les Nazis, sous peine de perdre la face, étaient forcés d'intervenir.
Les matons, de la passerelle, observaient la scène. Leur stratégie, en l'occurrence, avait consisté à ne pas s'en mêler, jusqu'à ce que les Musulmans aient l'air d'avoir le dessus, sur quoi les matons étaient intervenus, avaient emballé les Noirs, et conduit tout le monde au Trou. Je m'y étais donc retrouvé entouré de Musulmans s'excitant mutuellement, comme des prédicateurs de bas quartier. Ce que je ne savais pas, c'était que tous ces sermons étaient à mon bénéfice : ils essayaient de me convertir.
Leur dénonciation de la race blanche m'ayant laissé froid, leur chef, Lamar Rivers, m'avait appelé, et m'avait demandé mon nom. Rivers connaissait sa doctrine comme pas un. Il avait la langue bien pendue et pouvait rester debout toute la nuit à vous débiter les analyses d'Elijah Muhammad.
Il ressemblait au type qu'on voit sur les boîtes de café Hill Brothers : il était grand et d'autant plus maigre qu'il jeûnait tout le temps. Le mec s'imaginait qu'il avait un don de prophétie - tout ce qu'il vous disait sortait de la bouche du Messager d'Allah. Il m'avait posé un tas de questions sur moi-même, comme mon âge et d'où je venais. Quand je lui avais dit que j'avais dix-sept ans, il était devenu des plus sérieux, tout à coup. Quelqu'un, au-dehors, devait me trouver un avocat, disait-il ; je devais déposer une plainte contre l'Etat pour incarcération illégale dans ce pénitencier. Je pourrais être dans les rues, et riche, disait-il, si j'introduisais une action judiciaire. Mais je me foutais pas mal de toute cette salade juridique ; les seuls avocats que je connaissais étaient des escrocs. Je restais sourd à ses conseils.
Il m'avait demandé si je mangeais du porc. Je lui avais répondu que j'en mangeais chaque fois que j'en avais l'occasion, que c'était ma viande préférée. 
Lamar était très énervé, soudain.
- Tu ne sais donc pas que Mahomet nous interdit de manger du porc ?
(Je l'ignorais, à l'époque, mais Red Nelson, le directeur adjoint, essayait de détruire leur organisation. Il avait tous les Musulmans sous la main, au Trou, et les affamait, en ne leur faisant servir que du porc, trois fois par jour. Lamar avait ordonné à ses disciples de jeûner, et aucun d'eux n'avait mangé pendant près de quinze jours.)
Je restais là, assis, à observer, et à engraisser d'autant mieux que les gardes me donnaient toute la viande que les Musulmans refusaient. Rivers insistait quotidiennement pour que je renonce au cochon. Je ne l'écoutais même pas. Ça me faisait rigoler, de penser qu'on m'avait fourré au Trou parce que je mangeais trop, et que j'étais là à me bourrer, en guise de punition. »

(James Carr, Crève !)

Colorblind


Émeutes à Bouira

                                                                       

« Des affrontements entre étudiants de l’université Akli Mohand Oulhadj de Bouira et les services de police ont éclaté ce lundi à proximité du campus, a-t-on constaté sur place. 

Les étudiants empêchés par un diapositif (sic) impressionnant des forces antiémeutes de sortir dans la rue pour marcher contre la marginalisation de la langue Amazighe, ont été bousculés et repoussés de force par des policiers. Quelques jets de pierres ont été lancés (sic) en direction des policiers qui ont répliqué avec des pierres aussi. 

Par ailleurs,  la grève enclenchée par les lycéens dénonçant la marginalisation de la langue Amazighe se poursuit dans la wilaya de Bouira. Plusieurs établissements scolaires implantés dans des communes berbérophones de la wilaya ont été paralysés ce lundi par la grève décidée par les élèves. 

A M’Chedallah, 45 km à l’est de Bouira, les lycéens et même des élèves du cycle moyen, n’ont pas rejoint leurs établissements, a-t-on appris de sources locales. Des renforts de forces antiémeutes ont été déployés à travers plusieurs quartiers, a-t-on constaté. Un autre dispositif policier a été mis en place visant la sécurisation des édifices publics et autres sièges d’administrations. »

(El Watan, 11/12/2017)

jeudi 14 décembre 2017

To strike purifies (a call for support this saturday in London)


In order to get themselves clearly heard and understood by their filthy bosses, the Holiday Inn's strikers are intent on demonstrating on Saturday, December 16th, in front of the Intercontinental Hotel Group's (IHG) registered office in London (this very group owning the Holiday Inn company). International pressure put on those usual hostelry's slave-holders could be decisive here, as much as concrete solidarity expressed to the parisian suburb's workers on strike, who have been fighting for their rights for nearly two months (57 days, to be exact).  So, to the London comrades : come and support them !

***

« We're forced to clean seventeen rooms a day, sometimes twenty or twenty-two rooms a day... But it can take one hour just to clean a single one ! The worst is for those working women placed under the four hours a day contract. Those ones are even less paid, although still doing their seven or eight hours a day. That's just slavery.

(...)

The hardest point is that one always has to lay claim, if he wants to be paid, Sibidé, a 55 years old striker says, sitting on a plastic crate, with a cap on his head. His own job is to clean the hotel's floor. If we do extra hours, they don't pay for it. And if we claim for additionnal payment, they just wait till we get tired of it, till we give up asking. Then, they don't have to pay.
He makes 1100 to 1200 € per month, including week-ends and public holidays. His salary never increased in ten years of work. With a sour look in his face, he can't stand staring bitterly to the Holiday Inn's table of fees, behind him : until 450 € a night. The girls working here clean three of these rooms per hour, he protests angrily, raising already more than their salary... » 

(Le Monde, 11 / 12 / 2017)





L'enfant

L'enfant au hibou
(William Degouve de Nuncques, 1892)

So far so good ?


So far so good ? *

“10 years ago, in the same kind of meeting as today, if you’d said «white» [1], people would have broken the furniture. Today, thanks to the Indigenous of the Republic, thanks to Houria [2] one can say « the whites ».” 

Eric Hazan [3]

Unfortunately we are still unable to prove wrong what Eric Hazan has said above. He is the publisher, classified as extreme left, of the latest explicitly anti-semitic pamphlet by Houria Bouteldja Whites, Jews and us, whose enormously repulsive character has not caused as many reactions as it would deserve. The categories and vocabulary of the ideology of racialisation, which for some time has been taken up in political organizations and milieus that range from the extreme left to the libertarians, are now becoming the norm and are establishing their hegemony. This vocabulary is being imposed insidiously, without being either discussed or argued. Moreover, many people are unable to politically support these untenable positions, except through affirming tautological assertions and false evidence. A semantic shift is already, for the most part, being operated : the terms “race”, “white”, “non-white”, “racialized,” “racialization”, “decolonial” have overnight become analytical categories considered relevant, necessary, and are even promoted as tools with a perspective for emancipation, whereas we see this as a catastrophic failure.

We live in an epoch of generalized crisis conducive to confusion, which thrives in counter-revolutionary currents, currents which are threatening or even murderous like the red-fascists, such as racist shopkeepers like [Alain] Soral and Dieudonné [M’bala M’bala] or variants of political Islam. So some find nothing better to do than to resurrect race theory by rehabilitating cultural, social and religious attributes in line with the ethno-differentialism of the Nouvelle Droite [4]. The turnaround has gone to the point that the mere questioning of the ideology of racialisation has become impossible, both in public meetings and on the websites of activist circles, who operate a real censorship in these places. All this thrives and takes hold particularly by using the blackmail of guilt through which the proponents of this ideology manipulate the situation. Ironically, today, to refuse the terms of “Race” or “Islamophobia [5]” gets you exposed to the infamous accusation of racism, aimed at stifling any possibility of debate, of critique or of refusal. Some anarchists manage to outlaw the slogan “neither God nor master” under the pretext of “Islamophobia” and some Marxists believe that to be antiracist it is vital to add “race” to class. In fact the term “race”, which was until recently the preserve of the far right, finds itself today added to all sauces. Promoting identities and cultural or religious communitarianism have never had any other function than the maintenance of social peace.

The task of a break around these issues must be clarified and worked at thoughtfully. There´s good reason to believe that, in the current situation, racialisation ideology can only lead to the war of all against all. This political offensive is fraught with consequences for everybody, and from a revolutionary point of view it’s a point of rupture. Where will we be if, after a bit of time, it should prove victorious ? Sooner or later we will have to choose sides and the sooner the better.

Summer 2016,
Assembly of mixed revolutionaries, non-mixed in class
tuttovabene@riseup.net
https://tuttovabene.noblogs.org

We call for this text to be circulated as widely as necessary, and it can be used to stimulate discussion, debate and confrontation.

* Reference to the quote in the movie La Haine (1995) : “Heard about the guy who fell off a skyscraper? On his way down past each floor, he kept saying to reassure himself: “So far so good..” “So far so good…”. How you fall doesn’t matter. It’s how you land!”. (Tn.)

__________________
Footnotes

[1] In France, up until a few years ago, any discourse containing the word “race” or any assumption about people based on the color of their skin would have been deemed as racist, extreme right politics. A certain part of the extreme left has embraced all the concepts related to “race” originating from American Universities. Organised non-mixed „racial“ groups are now a common thing. (Tn.)

[2] Houria Bouteldja is the leader of the PIR (Indigenous of the Republic Party) who is constantly in the media and the writer of the anti-semitic pamphlet Whites, Jews and us. She declares herself against mixed marriages and against “state philo-semitism”, a supposedly republican state ideology dominated by or pushed for by Jews. (Tn.)

[3] Eric Hazan is a famous French editor who advocates alliances with the police during social struggles. Close to the “Invisible Committee”, he is now a fierce defender of “racialisation” and of Houria Bouteldja whose book Whites, Jews and us he edited. (Tn.)

[4] The “New Right” is a school of thought following Alain de Benoist and the GRECE (Research and Study Group on European Civilization). Nouvelle Droite arguments can be found in the rhetoric of many major radical right and far-right parties in Europe such as the National Front in France, the Freedom Party in Austria and Vlaams Belang in Flanders (Belgium). (Tn.)

[5] A term that was recently exhumed by religious leaders to defend their religion, with the trick of being able to assimilate any critics of islam as a religion to racism. Affirming atheism is presumed to be a racist threat to people who are defined as Muslim, people who are of many colours and types. This term is now proliferating amongst a certain part of the extreme left, even marxists or anarchists. (Tn.)

Romantisme (1959)

mercredi 13 décembre 2017

Alexis Grigoropoulos

                         
                                                                      Thessalonique

Voilà presque dix ans, maintenant, que Alexis Grigoropoulos, 15 ans, était assassiné froidement, d'une balle tirée à bout portant, par un policier à Athènes. L'adolescent est mort dans les bras de son ami, Nikos Romanos, lequel est actuellement incarcéré en Grèce pour une durée prévue de 15 ans. L'exécution d'Alexis Grigoropoulos entraîna, de manière immédiate, un soulèvement de toute la jeunesse grecque révoltée, que celle-ci se présente formellement ou non comme anarchiste. Les émeutes qui suivirent se trouvèrent bien entendu pleinement justifiées, en outre, par le traitement inhumain réservé, par la barbarie libérale européenne, à toute une population frappée d'austérité. En sorte que les prisons de la gauche de gouvernement (SYRIZA) sont, aujourd'hui, remplies de rebelles essentiellement coupables (quoi qu'on puisse penser, par ailleurs, des idées et programmes étant les leurs) de ne s'être point résigné à ce lamentable état de fait. Les 6 décembre fournissent ainsi, depuis 2008, pour cette Grèce rebelle, l'occasion de soutenir les luttes carcérales de ceux et celles-ci, et de se souvenir vigoureusement de la mort de leur compagnon, dont le spectre furieux revient alors hanter les jours (et les nuits) des collègues stipendiés de l'assassin.    

                      
                                                                       Athènes

mardi 12 décembre 2017

Durkheim, un centenaire


Que l'homme ne puisse jamais être compris que comme être social, aucun doute. Que l'individu, inversement, ne puisse jamais se trouver simplement réduit à la société dont il participe (se contentant juste, dans cette hypothèse, de l'exprimer comme porteur, comme mode inessentiel), aucun doute non plus. Les statistiques d'une société donnée (le taux de suicide moyen, par exemple, affectant chaque année ses membres, en fonction de paramètres objectifs divers) présentent donc bien un intérêt de connaissance, permettant d'en finir avec l'explication abstraite (purement individuelle) de faits sociaux : explication par la liberté, explication métaphysique, c'est-à-dire, finalement, non-explication. Voilà l'idée, libératrice. On peut comprendre rationnellement la société. La prétention épistémologique fondamentale à édifier des typologies sociales est recevable. Elle est même spontanément critique, sinon franchement révolutionnaire : briseuse de théologie. Mais telle est aussi l'ambiguité de ce positivisme sociologique d'origine française (dont Durkheim fut le représentant éminent à la suite de Comte) que ladite louable ambition de dresser des types, de dépasser l'individuel dans le général, pèche aussitôt par idéalisme dès qu'elle en vient, emportée par son enthousiasme, à nier désormais toute valeur théorique à l'expérience individuelle, toute valeur épistémologique au monde vécu, considéré maintenant avec mépris, comme simple expression pauvre (simple matériau pré-scientifique) d'une vérité accessible uniquement dans sa systématicité sociale (et la reproduction autonome, automatique de celle-ci). Une sociologie pertinente serait donc celle capable de se situer dans un aller-retour dialectique permanent entre système social et expérience, sans privilège accordé à l'un ou l'autre  et même - surtout - en assumant le caractère moteur de leur interaction. Une société ne s'expliquant dans son fonctionnement que par les lois impénétrables de sa structure propre, sans intervention réelle des individus qui la composent, serait un mythe idéaliste, l'idéal du cybernéticien, de l'ingénieur-système totalitaire. Reconnaître (bien obligé) la réification contemporaine généralisée, admettre que chacun se trouve réduit sous le capitalisme au statut de marchandise (de l'ouvrier jusqu'à l'intellectuel de gauche soi-disant le plus critique et affranchi) n'équivaut pas à se satisfaire d'un tel état, ni même à ne pas voir qu'il se trouve déjà objectivement rongé par le négatif historique. Reconnaître la force réifiante, et organiciste, du système marchand, c'est seulement faire preuve de lucidité dans le diagnostic, sans préjuger d'une réplique possible. La société de classe, la société capitaliste est en effet une société essentiellement contradictoire : on ne peut, de fait, la comprendre (et la combattre) qu'avec des instruments et selon une optique générale eux-mêmes contradictoires. La vérité sociologique ne saurait donc présenter, sur le plan de la méthode, les mêmes critères cartésiens de clarté et distinction (de positivité) que les vérités biologiques ou physiques. La société n'est point ce gigantesque organisme dont les individus ne seraient ainsi que les cellules par elles-mêmes insignifiantes. C'est pour cette raison que le recours à Durkheim dont se revendiquent aujourd'hui des théoriciens soi-disant critiques (comme Axel Honneth, en premier lieu) suffit à situer, dans l'instant, la teneur réelle de cette critique. C'est en cela que la rigueur absolue des distinctions bourdieusiennes apparaît juste insupportable. Car le déterminisme incontestable des structures sociales ne saurait conférer à celles-ci ni une prééminence a priori sur l'expérience des individus, lesquels demeurent, en dépit de tout, les auteurs réels (contrariés, certes, aliénés et tout ce que vous voudrez) de leur propre histoire, ni - métaphysiquement, anhistoriquement - une forme de vie autonome : ce ne peut être les structures qui vivent selon leur propres lois, telles des sujets géants simplement substitués aux sujets individuels. Ce remplacement structural du sujet, tour de passe-passe idéologique consistant, au fond, sous couvert d'anti-idéalisme, à élever la structure elle-même (l'organisme social) au rang de Sujet historique (au reste, dans l'opération et pour parler clair, l'histoire disparaît) est exactement ce que reprochait lucidement (mais hélas ! sans plus de conséquence) Canguilhem à Foucault, notamment lors de sa soutenance de thèse. C'est exactement ce qu'Adorno, quant à lui, méditant sur Durkheim, identifie, à sa manière psychanalytique, comme pur retour du refoulé idéaliste. Expulsé brutalement de sa propre expérience individuelle, le sujet revient dans la théorie durkheimienne comme sujet collectif absolument dominant. 

lundi 11 décembre 2017

La question à mille balles


« Pour que l'on puisse parler d'extériorisation et d'aliénation, ne faut-il pas que l'on présuppose un être ou une réalité "précédant" l'extériorisation et l'aliénation ? Pour qu'il puisse y avoir dépassement de l'aliénation, réconciliation totale, ne faut-il pas qu'il y ait une "réalité" qui soit devenue étrangère - à travers l'aliénation - et avec laquelle il y aura ré-conciliation ? Mais ce qui s'extériorise et s'aliène, ce dont l'histoire tout entière n'est qu'histoire de déssaisissement, peut-il n'avoir jamais encore existé dans toute la vérité de sa réalité ? »

(Kostas Axelos, Marx penseur de la technique

Connecter, dans les ruines


« Seule est visible la signification anarchiste de ces rencontres, de ces émotions : on collecte, on fouille dans les ruines, on sauve, mais sans ajustement substantiel. Le regard qui désagrège, qui fait tomber en ruines, gèle en même temps le fleuve multiple, le fige (en gardant sa direction), immobilise même à la manière éléatique l'imagination et ses entrelacs très divers. Cela fait également de cette pensée philosophique une tête de méduse, selon la définition que donne Gottfried Keller de la Méduse : "l'image figée de l'agitation". Mais la "revue" impétueuse, en traversant la philosophie surréaliste, met au jour un autre "kaléidoscope" au milieu des significations sauvées des ruines. »

(Ernst Bloch, Surréalismes pensants, in Héritage de ce temps)

« Une trace ne cesse d'être muette, n'en vient à parler, que si elle entre en connexion avec d'autres (ce n'est pas le souvenir qui est refoulé, mais ce sont les connexions). »

(J.-B. Pontalis, Avant)

dimanche 10 décembre 2017

Trump joue l'apaisement