jeudi 18 juillet 2024

Ain't no love


Aucun amour, au cœur des villes, à attendre des Bourgeois méchants qui les peuplent, protégeant leur argent. Idem de leurs esclaves, lesquels y passent et triment, y croupissent et y meurent, parfois, avant qu'on les en chasse. De joggers connectés soignant leur capital-santé pour rester fonctionnels à défaut d'être vivants. D'enfants insatisfaits hurlants, en poussette, pondus, et perdus, dans la nature, par l'égoïsme de quelque parent anonyme se croyant soudain digne d'immortalité. De Jeux Olympiques, ignobles. De QR codes, stupides, vous fermant le cœur des villes, à coups de cette police technologique formant notre présent et avenir, indépassables. On ne reviendra pas en arrière. C'est fini. Alors, fuyez le coeur des villes. Vite. Dès que l'occasion s'en présente. Et n'oubliez pas, bien entendu, où que vous échouiez, et avant de cracher le dernier râle, de maudire bien fort la campagne.

mercredi 17 juillet 2024

Des idées vulgaires

 (Aleksandr Kosnichyov, Moine, 2006)

1
≪Je vous raconterai, messieurs, une autre anecdote sur Ivan Fiodorovitch lui-même, une anecdote des plus intéressantes et des plus caractéristiques. Voilà cinq jours, pas plus, dans une société de notre ville, essentiellement féminine, il a déclaré solennellement dans un débat qu'il n'y avait absolument rien sur la terre entière qui puisse obliger les gens à s'aimer les uns les autres, que cette loi de la nature selon laquelle l'homme devait aimer l'humanité n'existait pas, et que, si l'amour avait existé sur terre jusqu'à présent, ce n'était pas suite à une loi naturelle, mais uniquement parce que les gens croyaient en leur immortalité. Ivan Fiodorovitch ajoutait à cela entre parenthèses que toute la loi naturelle consistait en ceci qu'il suffisait d'anéantir en l'homme sa foi en son immortalité pour que s'effacent en lui immédiatement non seulement l'amour, mais toute force vitale pour continuer la vie dans le monde. Bien plus : à ce moment-là, il n'y aura plus rien d'immoral, tout sera permis, même l'anthropophagie. Mais, plus encore, il concluait en affirmant que, pour tout individu comme, par exemple, vous et moi, qui ne croit pas en Dieu, ni en son immortalité, la loi morale de la nature devait immédiatement se transformer dans le contraire absolu de la loi précédente, la loi religieuse, et que l'égoïsme et même le crime non seulement devraient être permis, mais être même reconnus comme nécessaires, comme la solution la plus raisonnable, pour ne pas dire la plus noble, de tous les problèmes de l'homme. ≫

2
≪Toute sa théorie, c'est de la crapulerie ! L'humanité se trouvera des forces toute seule pour vivre pour la vertu, même sans croire à l'immortalité de l'âme ! Dans l'amour de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, elle la trouvera...
Rakitine s'était échauffé, il n'arrivait presque pas à se contrôler. Mais, brusquement, comme s'il se souvenait de quelque chose, il s'arrêta.
─ Bon, ça suffit, reprit-il, avec un sourire encore plus torve qu'avant. Pourquoi tu ris ? Tu penses que j'ai des idées vulgaires ? ≫

(Dostoïevski, Les Frères Karamazov, I, 6, 
traduction : André Markowicz)

Bienheureux les Grecs !

(Ci-dessus : petit précis d'≪antiracisme politique≫, 
c'est-à-dire, donc : ≪barbare≫, si on a bien compris).


CORNÉLIUS CASTORIADIS – Le politique est ce qui concerne le pouvoir dans une société. Du pouvoir dans une société, il y en a toujours eu et il y en aura toujours – pouvoir au sens de : décisions concernant la collectivité qui prennent un caractère obligatoire, et dont le non-respect est sanctionné d'une façon ou d'une autre, ne serait-ce que le : «Tu ne tueras point». (...). En revanche, l'apport du monde grec et du monde occidental, c'est la politique. La politique comme activité collective qui se veut lucide et consciente, et qui met en question les institutions existantes de la société. Peut-être le fait-elle pour les reconfirmer, mais elle les met en question ; alors que dans le cadre de l'empire pharaonique, de l'empire maya ou inca, aztèque ou chinois, dans le royaume de Baïbar aux Indes, il peut être question de savoir s'il faut ou non faire telle guerre, s'il faut ou non augmenter les impôts, la corvée des paysans, etc., mais il n'est pas question de mettre en cause l'institution existante de la société. Donc, voilà quel est le privilège, le seul, de la culture, disons – ne parlons plus de culture grecque – occidentale, et c'est ce qui nous importe aujourd'hui. C'est qu'elle se mette en question et qu'elle se reconnaît comme une culture parmi d'autres. Et là, il y a, en effet, une situation paradoxale : nous disons que toutes les cultures sont égales, mais force est de constater dans une première approximation – une première étape, si vous voulez – que parmi toutes ces cultures, une seule reconnaît cette égalité des cultures ; les autres ne la reconnaissent pas. C'est un problème qui pose des questions politiques théoriques et peut arriver à poser des questions pratiques (...). Question subsidiaire sur ce point : dans quelle mesure la culture occidentale moderne est-elle l'héritière légitime de la culture grecque, et aurait-elle droit elle aussi à être «plus égale» que les autres ? J'y ai en partie répondu : je pense que, actuellement, même dans cet effondrement ou ce délabrement, la culture occidentale est quand même à peu près la seule au sein de laquelle on peut exercer une contestation et une remise en question des institutions existantes... Je dirais qu'elle ne vous estampille pas immédiatement comme suppôt de Satan, hérétique, traître à la tribu, à la société, etc. (...). Moi, ce qui m'étonne très souvent dans ces discussions – je ne dis pas cela pour vous – c'est notre provincialisme. On parle comme si, de tout temps, les gens avaient pris des positions politiques, s'étaient donné le droit de discuter et de critiquer leur société. Mais c'est une illusion totale, c'est le provincialisme d'un milieu hypercultivé ! Ces choses n'ont existé que deux siècles dans l'Antiquité et trois siècles dans les temps modernes et encore, pas partout : sur de tout petits promontoires, le promontoire grec ou le promontoire occidental, européen, c'est tout. Ailleurs, cela n'a pas existé. Un Chinois, un Indien traditionnel ne considère pas comme allant de soi le fait de prendre des positions politiques, de juger sa société. Au contraire, cela lui paraîtrait même inconcevable, il ne dispose pas des cadres mentaux pour le faire. 
Alors, à partir du moment où nous nous donnons ce droit, nous nous trouvons aussi dans l'obligation de dire : parmi ces différents types de sociétés, qu'est-ce que nous choisissons ? La société islamique ? L'empire Romain sous les Antonins, époque dorée, du moins pour ceux qui roulaient effectivement sur l'or ? Est-ce qu'on doit restaurer l'empire des Antonins ? Pourquoi pas ? Eh bien, non ! Mais pourquoi ? Au nom de quoi ? Précisément parce que – et c'est encore un paradoxe – la culture dans laquelle nous nous trouvons nous donne les armes et les moyens d'avoir une posture critique moyennant laquelle nous faisons un choix dans... disons, les paradigmes historiques présents, ou dans les projets possibles – et c'est plutôt les projets que les paradigmes puisque comme je le disais tout à l'heure, il n'y a pas de modèle, il y a un projet d'autonomie qui a son germe : en Grèce et en Occident, mais qui sans doute doit aller beaucoup plus loin. À ce moment-là, nous nous situons comme des hommes (des êtres, des anthropoï : pas des mâles) politiques et nous disons : voilà, nous sommes pour... par exemple : les droits de l'homme et l'égalité entre hommes et femmes, et contre... par exemple : l'infibulation vaginale et l'excision. Nous sommes contre. Je suis contre. (...). Je n'ai jamais dit que, au point de vue d'un choix politique, toutes les cultures sont équivalentes, que la culture esclavagiste des États sudistes américains, si idylliquement décrite par Margaret Mitchell dans Autant en emporte le vent, par exemple, vaut n'importe quel autre culture du point de vue politique. Ce n'est tout simplement pas vrai. (...).

CHANTAL MOUFFE – Par rapport à ce que vous venez de dire : quels seraient les conditions d'universalité de ces valeurs, donc d'autocritique de la démocratie, que vous défendez ? Parce que je suppose que cela ne peut pas se généraliser sans qu'une série de conditions culturelles soit données. Donc, comment est-ce que vous voyez ces valeurs d'origine occidentale devenir des valeurs dominantes dans d'autres cultures ? Quelle serait votre position par rapport à ça ?

CORNÉLIUS CASTORIADIS – C'est une question pratique ?

CHANTAL MOUFFE – Pratique et théorique à la fois...

CORNÉLIUS CASTORIADIS – Au plan théorique, la réponse ne serait pas très difficile parce qu'on peut tout simplement parler de Tian An Men à Pékin... Contrairement à ce que certains ont dit (ou souhaiteraient), la démocratie ne fait pas partie de la tradition chinoise. Ce n'est pas vrai. Il y a eu des mouvements, il y a eu le taoïsme, etc., mais ce n'est pas ce que nous appelons démocratie. Les Chinois, certains du moins, manifestent à Tian An Men, l'un d'entre eux est là, devant les blindés. Il se fait écraser en revendiquant la démocratie. Qu'est-ce que cela veut dire  ? Cela veut dire qu'il y a quand même un appel de ces valeurs, comme il y en a un – bien que les choses soient là très bâtardes, c'est désagréable mais c'est ainsi – dans les pays de l'Est européens après l'effondrement du communisme. Ce que je veux dire, c'est que, à partir du moment où ces valeurs sont réalisées quelque part – ne serait-ce que de façon très insuffisante et très déformée, comme elles l'ont été ou le sont encore en Occident –, elles exercent une sorte d'appel sur les autres, sans qu'il y ait pour autant une fatalité ou une vocation universelle des gens pour la démocratie. Mais si ce que vous me demandez c'est : qu'est-ce qu'on fait si les autres persistent, parce que c'est ça finalement la question, la réponse est : on ne peut rien faire, sinon prêcher par l'exemple. Robespierre disait : «les peuples n'aiment pas les missionnaires armés». Moi, je ne suis pas pour l'imposition par la force d'une démocratie quelconque, d'une révolution quelconque, dans les pays islamiques ou dans les autres. Je suis pour la défense de ces valeurs, pour leur propagation par l'exemple, et je crois – mais là c'est une autre question – que si actuellement ce... disons, rayonnement a beaucoup perdu de son intensité (les choses sont plus compliquées que ça, d'ailleurs...), c'est en grande partie à cause de cette espèce d'effondrement interne de l'Occident. La renaissance des intégrismes en terre d'Islam ou ailleurs (car en Inde il y a des phénomènes analogues chez les hindouistes) est en grande partie due à ce qu'il faut bel et bien appeler la faillite spirituelle de l'Occident. Actuellement, la culture occidentale apparaît pour ce qu'elle est, hélas  ! de plus en plus : une culture de gadgets. Qu'est-ce qu'ils font, les autres ? Avec une duplicité admirable, ils prennent les gadgets et ils laissent le reste. Ils prennent les Jeep, les mitraillettes, la télévision comme moyen de manipulation – au moins les classes possédantes, qui ont les télévisions couleur, les voitures, etc., mais ils disent que tout le reste, c'est la corruption occidentale, c'est le Grand Satan, etc. Je crois que tout est dû au – et est aussi conditionné par – le fait que l'Occident lui-même a un rayonnement de moins en moins fort parce que précisément, la culture occidentale, et cela en tant que culture démocratique au sens fort du terme, s'affaiblit de plus en plus. 
Mais, pour en revenir à votre question de la condition de l'universalisation de ces valeurs, la condition, c'est que les autres se les approprient – et là, il y a un addendum, qui est tout à fait essentiel dans mon esprit, se les approprier ne veut pas dire s’européaniser. C'est un problème que je ne suis pas en mesure de résoudre : s'il est résolu ce sera par l'Histoire. J'ai toujours pensé qu'il devrait y avoir non pas une synthèse possible – je n'aime pas le mot, trop radical-socialiste –, mais un dépassement commun qui combinerait la culture démocratique de l'Occident (avec des étapes qui doivent venir ou qui devraient, c'est-à-dire une véritable autonomie individuelle et collective dans la société) avec conservation, reprise, développement – sur un autre mode – des valeurs de socialité et de communauté qui subsistent – dans la mesure où elles ont subsisté – dans les pays du tiers monde. Car il y a encore par exemple des valeurs tribales en Afrique, hélas ! elles se manifestent de plus en plus dans les massacres mutuels ; mais elles continuent aussi à se manifester dans des formes de solidarité entre les personnes qui sont pratiquement tout à fait perdues en Occident et misérablement remplacées par la Sécurité Sociale. Alors, je ne dis pas qu'il faut transformer les Africains, les Asiatiques, etc., en Européens. Je dis qu'il faut qu'il y ait quelque chose qui aille au-delà, et qu'il y a encore dans le tiers-monde, ou du moins dans certaines de ses parties, des comportements, des types anthropologiques, des valeurs sociales, des significations imaginaires, comme je les appelle, qui pourraient être, elles aussi, prises dans ce mouvement, le transformer, l'enrichir, le féconder.»

(Cornélius Castoriadis, Démocratie et relativisme, 
Débat avec le MAUSS, décembre 1994)

Alors, on danse ?

Vous votiez ? J'en suis fort aise.
Eh bien : dansez maintenant...

Allez, ci-dessous, à l'attention de notre lectorat progressiste le plus motivé, celui que le souvenir glorieux de l'URSS pousse toujours invariablement dans les transes, depuis des siècles : le vrai, le vintage, l'original (≪Katioucha≫), impeccablement exécuté, comme il se doit, par les flics mélomanes russes du Goulag de la grande époque. La bonne nouvelle, o électeurs et électrices de gauche, c'est que, pour la nostalgie, vous allez avoir tout le temps qu'il faut, maintenant ! 
Musique, Tovaritch !
Et vive le Front Républicain !

jeudi 11 juillet 2024

Le Norman Ajari nouveau est arrivé !

≪N'est pas Michel Foucault qui veut≫ 
une telle proposition ne peut cesser d'être vraie,
≪pas plus dans dix mille ans que n'importe quand 
(lundi matin, par exemple...)

≪Quel que soit son contexte, le discours du complot est envisagé [par ses adversaires "progressistes" (sic) ou "de gauche" (re-sic)] comme une suite d’énoncés faux, auxquels il convient d’abord d’opposer, puis de substituer, un raisonnement vrai. En ce domaine, notre réflexe philosophique est zététique ; nous nous métamorphosons naturellement en correcteurs dès que l’opportunité se présente. Peut-être n’est-ce là que l’expression d’un amour de la vérité, mais alors il faut admettre que l’amour, c’est-à-dire l’éros, y importe au moins autant que la vérité. Avoir raison, au centre comme à gauche, c’est une esthétique, une jouissance de l’argument juste, une extase de statistiques et de notes de bas de page≫.
  
  (Norman Ajari, philosophe racialiste — tendance essentialiste-stratégiquedéfendant le rap complotiste ≪antifasciste≫ intitulé No Pasarán !sur Lundi-Matin, 9 juillet 2024)

«Les choses sont comme elles sont indépendamment de toute affirmation et négation. Ce n'est pas à cause de l'affirmation ou de la négation que ceci sera ou ne sera pas, et pas plus dans dix mille ans que n'importe quand.»

(Aristote, Sur l'interprétation, 18b37) 

« Dire de ce qui est qu’il n’est pas, et dire de ce qui n’est pas qu’il est, voilà le faux ; dire de ce qui est qu’il est, et de ce qui n’est pas qu’il n’est pas, voilà le vrai. »

(Aristote, Métaphysique, θ-10, 1051b6) 

mercredi 10 juillet 2024

On aurait dû se méfier, quand même...

Génération mélenchantée (tube de l'été)

 

Ben non. 
Tu me demandes de faire réélire Darmanin, Borne et Kasbarian. 
Tu remets en selle Macron pour trois ans. 
Et en plus tu me prends pour un con en présentant ça comme ≪une victoire de la gauche≫. 
Donc non.
Toujours pas.

mardi 9 juillet 2024

Allez l'Espagne !

La Picardie n'est jamais finie !


≪Le voyageur intelligent a-t-il sur son chemin de la porte de Calais à la gare d'Amiens distingué quoi que ce fût au bord de la mer ou dans l'intérieur des terres qui paraisse particulièrement favorable à un projet artistique ou à une entreprise commerciale ? Il a vu lieue par lieue se dérouler des dunes sablonneuses. Nous aussi, nous avons nos sables de la Severn, de la Lune, de Solway. Il a vu des plaines de tourbe utile et non sans parfum, un article dont ne sont pas privées non plus nos industries écossaises et irlandaises. Il a vu se dresser des falaises du plus pur calcaire, mais sur la rive opposée la perfide Albion ne luit-elle pas moins blanche au-delà du bleu. Il a vu des eaux pures sourdre du rocher neigeux, mais les nôtres sont-elles moins brillantes à Croydon, à Guildford et à Winchester ? (...). 
Qu'y a-t-il donc dans l'air ou le sol de ce pays, dans la lumière de ses étoiles ou de son soleil qui ait pu mettre cette flamme dans les yeux de la petite Amiénoise en cape blanche au point de la rendre capable de rivaliser elle-même avec Pénélope ? 

L'intelligent voyageur anglais n'a pas, bien entendu, de temps à perdre à aucune de ces questions mais, s'il a acheté son sandwich au jambon et s'il est prêt pour le «En voiture Messieurs !» peut-être pourra t-il condescendre à écouter pour un instant un flâneur qui ne gaspille ni ne compte son temps et qui pourra lui indiquer ce qui vaut la peine d'être regardé tandis que le train s'éloigne lentement de la gare. Il verra d'abord, et sans aucun doute avec l'admiration respectueuse qu'un Anglais est obligé d'accorder à de tels spectacles, les hangars à charbons et les remises pour les wagons de la station elle-même, s'étendant dans leurs cendreuses et huileuses splendeurs pendant à peu près un quart de mille hors de la cité ; et puis, juste au moment où le train reprend toute sa vitesse, sous une cheminée en forme de tour dont il ne peut guère voir que le sommet, mais par l'ombre épaisse de la fumée de laquelle il sera enveloppé, il pourra voir, s'il veut risquer sa tête intelligente hors de la portière et regarder en arrière, cinquante ou cinquante et une (je ne suis pas sûr de mon compte à une unité près) cheminées semblables, toutes fumant de même, toutes pourvues des mêmes ouvrages oblongs, de murs en briques brunes avec d'innombrables embrasures de fenêtres noires et carrées mais, au milieu de ces cinquante choses élevées qui fument, il en verra une un peu plus élevée que toutes, et plus délicate, qui ne fume pas ; et au milieu de ces cinquante amas de murs nus enfermant des «travaux» et sans doute des travaux profitables et honorables pour la France et pour le monde, il verra un amas de murs non pas nus mais étrangement travaillés par les mains d'hommes insensés d'il y a bien longtemps dans le but d'enfermer ou de produire non pas un travail profitable en quoi que ce soit mais un : «Là et l'œuvre de Dieu ; afin que vous croyiez en Celui qu'Il a envoyé»

Laissant maintenant l'intelligent voyageur aller remplir son vœu de pèlerinage à Paris ─ ou n'importe où un autre Dieu peut l'envoyer  je supposerai que un ou deux intelligents garçons d'Eton, ou une jeune Anglaise pensante, peuvent avoir le désir de venir tranquillement avec moi jusqu'à cet endroit d'où l'on domine la ville, et de réfléchir à ce que l'édifice inutilitaire, ─ dirons-nous aussi inutile ?  et son minaret sans fumée peuvent peut-être signifier. 
Je l'ai appelé minaret, faute d'un meilleur mot anglais. Flèche ─ arrow ─ est son nom exact ; s'évanouissant dans l'air vous ne savez à quel moment par sa simple finesse. Elle ne jette pas de flamme, elle ne produit pas de mouvement, elle ne fait pas de mal, la belle flèche ; sans panache, sans poison et sans barbillons ; sans but, dirons-nous aussi, lecteurs vieux et jeunes, de passage ou domiciliés ? Elle et l'édifice d'où elle s'élève, qu'ont-ils signifié un jour ? Quelle signification gardent-ils encore en eux-mêmes pour vous ou pour les habitants d'alentour qui ne lèvent jamais les yeux sur eux, quand ils passent auprès ? ≫
(John Ruskin, La Bible d'Amiens, 1884 
─ 1906 pour la traduction de Marcel Proust)

dimanche 7 juillet 2024

Crépuscule

vendredi 5 juillet 2024

Pratico-inerte


Toute la bourgeoisie blanche indigéniste résumée en quelques secondes, dans ce qu'elle a de plus répugnant, de plus suffisant (et insuffisant), de plus insupportablement cuistre. Après avoir incité son lectorat, qui lui ressemble et le mérite bien, à se ≪méfier de Kafka≫ (sic) dans un essai récent, tant léger qu'indigeste, voilà que Lagasnerie pousse désormais ses aficionados à associer Adorno, Horkheimer et Pierre Bourdieu en un plan à trois ridicule, dont l'obscénité ne pouvait guère triompher positivement que dans la représentation d'un sociologue de gauche d'aujourd'hui. 

Pour rappel : l'essentiel du travail d'Adorno et Horkheimer, relativement à la personnalité autoritaire, repose sur un certain paradoxe voulant que des ≪structures≫ (pour parler comme les cons) en théorie vouées à l'émancipation aboutissent en pratique à la reconduction d'habitudes et de pouvoirs de droite : l'exemple canonique d'un tel phénomène étant le vote pro-hitlérien conséquent, dans l'Allemagne des années 1930, de militants de la gauche soi-disant révolutionnaire, pourtant ≪endurcis≫ (n'est-ce pas là tout le problème ?) et donc, en principe, vaccinés contre de telles errances irrationnelles. 

Or, par contraste, c'est, selon la Théorie Critique (et n'en déplaise au très communiste Geoffroy Daniel de Lagasnerie), précisément une certaine tendance individualiste et libérale, au sens bourgeois du terme, qui constitue après examen le seul ≪négatif≫ authentique de telles habitudes autoritaires irrésistiblement reconduites, en dépit de leurs postures et objectifs conscients, par les structures de gauche dominantes (partis, syndicats). Le fait qu'à cet aspect nécessairement libéral et individualiste, donc, de la vraie personnalité non-autoritaire (Adorno, dans sa fameuse enquête, emploie l'expression genuine liberal pour qualifier ce ≪type idéal≫ s'éloignant le plus du haut ≪potentiel fasciste≫ retrouvé par lui dans l'ensemble de la population des USA : chez les prolétaires et chez les riches, chez les détenus de droit commun comme chez les militants de gauche ou de droite) s'ajoute, certes, comme facteur antifasciste renforcé, la nécessité d'une socialisation, d'une médiatisation des expériences individuelles (dans la rencontre, l'échange libre, la curiosité intellectuelle) ne change rien à cette première découverte fondamentale : c'est bien, en effet, la quête d'intériorisation, le goût de cultiver une certaine sensibilité individuelle, le désir de fuir le groupe, tout groupe (groupe prompt, d'ailleurs, aussitôt et en retour, à condamner cette volonté de solitude, d'indépendance : qu'on pense au mépris typiquement viriliste que le fascisme témoigne au goût de l'introspection, jugé par lui dangereusement féminin) qui témoigne le plus sûrement d'une imperméabilité durable aux tendances fascistes chez l'individu. Cette tendance à la résistance individuelle doit donc être encouragée. 

Qu'on mette cela en rapport avec cette manière lagasnerienne outrecuidante de donner à tout bout de champ (bourdieusien, bien sûr) des leçons d'éthique et de sociologie collectiviste aux prolétaires que ce monsieur fantasme, prêts à tout pour s'échapper de leur cage à poules HLMiste, quitte à succomber, en effet, à ≪l'idéologie pavillonnaire≫. Mais dans n'importe quelle idéologie populaire gît le spectre, toujours actif, d'une certaine utopie, dont le noyau émancipateur ne demande qu'à être identifié, défendu et libéré par des sociologues sérieux (pour ne s'en tenir qu'à cette catégorie d'êtres humains défavorisés par les accidents de la vie). Le rêve pavillonnaire ne renvoie-t-il précisément pas, dans une large mesure inconsciente et aliénée, il est vrai ! à ce besoin individualiste de calme, de sérénité, d'épanouissement personnel que Lagasnerie et ses semblables n'ont évidemment jamais conscience de ressentir, auprès de leur grande bibliothèque bien rangée, à force que ce besoin social ait été, pour ce qui les concerne, satisfait dès leur plus jeune âge ?

Autre contresens majeur concernant les Francfortois, ici atrocement mêlés à l'indépassable penseur positiviste français des Habitus : le rapport d'Adorno et Horkheimer à l'autorité familiale. Attention, tarte à la crème ! Si Lagasnerie avait fait un minimum d'efforts de lecture ou s'il était un tant soit peu honnête intellectuellement, il n'en resterait pas à ces lieux communs transgressifs anti-familialiste et s'empresserait de préciser que le coeur vivant de la Théorie Critique (passé une certaine période optimiste de maturation, moins intéressante, courant, disons, jusqu'au tout début des années 1940) constitue une reprise du désespoir anti-moderne d'un Freud, chez qui l'affrontement œdipien (et sa défaite bien assumée) dans la famille bourgeoise constitue la condition essentielle d'existence d'un ≪moi fort≫, équilibré, et, à ce titre, capable de résister aux séductions inconscientes impersonnelles collectivistes du type de celles que le fascisme propose. Ce que propose Adorno, en particulier, c'est une psychologie de masse d'un fascisme apte à survivre dans le post-fascisme de la démocratie avancée, une psychologie montrant que c'est la disparition tendancielle de l'ancienne famille bourgeoise qui mène précisément à la dépersonnalisation de la construction psychique, donc à la prise en charge funeste, désormais intégrale, par toute la société aliénée, d'une telle construction (d'une telle ≪déconstruction≫, plutôt, comme disent les cons : d'une destruction programmée, pure et simple, de l'ancien individu, dont la liberté, les droits de l'Homme, etc, restaient le programme idéologique transcendantal, non-négociable). Autrement dit : dans une ≪société sans père≫, selon la célèbre expression de Mitscherlich, le fascisme collectiviste tend plutôt à prospérer, surgissant en bout de chaîne d'un pré-façonnage psychique organisé par le ≪collectif≫, la ≪bande≫, les sinistres réseaux sociaux, l'industrie culturelle. Alors : réactionnaires, les Francfortois ? Peut-être. Il y aurait tant à dire sur leur pratique (ou leur absence de pratique). Mais à ce compte, il faudrait tenir aussi le Marcuse de Éros et civilisation comme un réactionnaire, lui dont l'activisme sera resté admirable, et qui propose pourtant des réflexions très proches, relativement à cet effacement contemporain de la famille bourgeoise et à ses (potentiellement terribles) conséquences politiques. 

O lectorat, pour finir : un bon conseil ! Avant de songer à te méfier de Kafka, méfie-toi d'abord des faussaires puants de la gauche radicale d'aujourd'hui, des compagnons de route bien bourgeois, bien doctes et bien blancs de l'anti-universalisme patenté, gavés à la structure et à la haine de la Raison. Que ceux-là checkent leurs privilèges, s'ils tiennent vraiment à s'occuper. Le labeur ne leur manquera pas. Et le temps est court. Qu'ils économisent le leur (et le nôtre), et s'abstiennent de venir souiller de leurs interprétations ineptes ce qui subsiste de bon et de grand dans tous ces livres inconnus qu'ils ne comprendront jamais, dans toute cette vieille et noble critique de la culture, qui les crucifie en silence sitôt qu'ils tentent de la mettre au travail.              

mercredi 3 juillet 2024

Quand j'entends le mot ≪culture≫...

Ci-dessus : le splendide Combat pour les valeurs du clip ≪antifasciste≫ 
No Pasaran !France, juin 2024 (détail) 

***

≪ Nous n'attendons pas de miracles de la classe ouvrière... ≫
(Des situationnistes, à l'ancienne)

≪ C'est la théorie en tant qu'intelligence de la pratique humaine qui doit être reconnue et vécue par les masses. Elle exige que les ouvriers deviennent dialecticiens et inscrivent leur pensée dans la pratique : ainsi elle demande aux hommes sans qualité bien plus que la révolution bourgeoise ne demandait aux hommes qualifiés qu'elle déléguait à sa mise en œuvre... 
(Guy Debord, La Société du Spectacle)


Il s'agit donc, ces jours-ci, d'aller voter, évidemment ! mais surtout de faire voter certaines foules ordinairement éloignées de tout comportement civique normal, à savoir les ≪jeunes de quartier populaire≫ ― suivant l'expression convenue ― considérés par la gauche mélenchoniste comme un formidable bétail citoyen abstrait, un gigantesque et miraculeux réservoir de voix (c'est ainsi que ces gens s'expriment) susceptible de faire la différence avec le reste du pays, de toute évidence largement acquis, lui, au fascisme. Car le péril fasciste rôde, ce dont nous ne disconvenons pas. Or, pour traîner (il n'est pas d'autre mot) ces potentiels ≪primo-électeurs≫ jusqu'à l'isoloir, il n'existe pas trente-six façons de faire, dès lors qu'on désespère que, dans un espace de temps aussi court, les jeunes-de-quartier-populaire prennent soudain par eux-mêmes conscience dudit péril fasciste, sur la base de quelque indignation spontanée, quelque sentiment de révolte autonome, nés d'un mouvement moral et d'intelligence libertairelui-même dicté par une très saine et atavique haine de classe. Non, ça, désolé ! mais on n'a pas le temps d'attendre, sans parler d'y travailler ni de l'encourager. Ça fait des décennies, en vérité, qu'on n'a pas le temps de prendre ce temps-là, et que, de fait, un tel mouvement ne surgit pas, jamais. Mais bref. À qui la faute, au fond ! Aucune importance. On fera plutôt feu de tout bois. On mobilisera plutôt la culture. Ce sera plus rapide que l'intelligence, la culture. Et, avec un peu de chance, bien plus efficace ce dimanche. Que cette culture relève d'une certaine  industrie, conçue, comme toute industrie, pour produire puis proposer une certaine marchandise bien calibrée, auprès d'un certain coeur de cible soigneusement identifié, consommateur heureux des stéréotypes qu'on aura pris soin de lui fabriquer sur mesure : tout cela ne pose aucune espèce de souci. Que cette culture, en d'autres termes, se détruise tendanciellement comme culture, c'est-à-dire comme mouvement critique permettant d'abandonner ce qu'on était (l'identité figée qu'on assumait) l'instant d'avant, cela n'est plus guère interrogé par personne, et certainement pas par la gauche ≪radicale≫ d'aujourd'hui. Celle-ci a mieux et plus urgent à faire que de s'occuper de toutes ces vieilles questions creuses d'industrie culturelle ou de stéréotypes infusant depuis des lustres dans l'esprit des jeunes-de-quartiers-populaires. Car ce qui compte, vous comprenez ! c'est de lutter contre le fascisme deux ou trois jours d'élection par an et, pour cela, d'aller faire voter by any means necessary des gens qui, autrement, se moqueraient comme d'une guigne du fait que le fascisme est au bord d'accéder au pouvoir parlementaire. Or, loin encore de tout Parlement, de toute Assemblée positive, le fascisme commence par triompher dans les têtes, dans les ≪idées≫ et les valeurs≫ s'imposant aux foules comme légitimes. Certains professionnels reconnus de la culture populaire contemporaine, dont le rap constitue l'avant-garde incontestée, prétendent avoir compris cela. Et c'est pour cette raison, et dans cette perspective, que le clip désormais célèbre intitulé No Pasaran ! (sic) a été très récemment conçu puis réalisé, regroupant l'élite, reconnue par ses consommateurs même,  du hip-hop français d'aujourd'hui, mais également d'hier, puisque Akhénaton (pilier du groupe marseillais IAM) y participe avec fougue. Et comme il le dit lui-même, au beau milieu de ce morceau choral No Pasaran !, il s'agit de combattre les ≪idées≫ du fascisme
On rappellera ici opportunément que, voilà quelques décennies, Akhénaton se présentait comme adversaire résolu du ≪rap de droite≫, comme nous l'évoquions dans un ancien article. Nous renvoyons à la sagacité de notre lectorat le soin de trancher si le ≪rap de droite≫ d'antan a bien été ou non définitivement supplanté par le ≪rap antifasciste≫ d'aujourd'hui. Auprès des jeunes-de-quartier-populaire, s'entend (naturellement). 


Voilà qui s'avère décidément prometteur. La culture sauvera le monde, c'est sûr. Surtout la populaire. Mais venons-en au fait. Ces idées fascistes qu'il s'agit de combattre, quelles sont-elles, au juste ? Nous les montrera-t-on enfin ? Et quelles idées antifascistes leur opposer, à en croire les cadors du rap français ? En vérité, comme vous allez le constater, les choses sont assez simples. Voici un petit florilège, établi par nos soins, de la meilleure culture anti-RN ≪de rue≫ du moment. Mettez-vous ça dans le crâne d'ici dimanche, et le tour est joué. Ils ne passeront pas ! 

(Bon, ça, c'est la base. C'est connu. Un peu comme la terre plate, si tu veux)

(Là aussi, banalité antifasciste de base. Mais ça peut ramener des voix, dimanche.)

(De la merde dans le cerveau, passe encore, mais une puce dans le sang ! Là, mon antifascisme culturel ne fait qu'un tour...)

(Faut dire qu'y en a, ils abusent aussi, de boire du sang de bébé ou de vierge pour augmenter leur puissance. Et puis, se nourrir d'un truc qu'on consomme, c'est indécent, de base. )

(Ça sent la dénazification antifasciste à la russe. Ils l'auront bien cherché, au nom de Dieu...)

(Ça, c'est pour la mère Le Pen et sa nièce ! Qu'elles arrêtent immédiatement ou je ne réponds pas du féministe radical qui sommeille en moi...)


On a décidé de s'arrêter là pour aujourd'hui. Que celles et ceux désireux d'aller au bout en profitent jusqu'à la (jeune) garde. Non que ce morceau de rap, clairement inspiré en tous points de l'anarchisme espagnol des années 1936, ne soit pas autrement passionnant (il regorge, par exemple, de beaux moments de mysticité et de rappels réguliers à une pratique religieuse monothéiste rigoureuse, saine et exigeante) mais, le truc, là, c'est qu'on a encore beaucoup de travail. Il nous reste en effet à convaincre (en usant, notamment, de ce genre d'outils de propagande admirable) une multitude de jeunes-des-quartiers-populaires d'aller faire le bon choix ce week-end. Le fascisme menace. En France comme en Ukraine. Et là-bas comme ici, pour conjurer le péril, n'oubliez jamais, o estimés camarades, que tous les moyens sont bons. Et les mauvais aussi...

Vive la Culture, 
Mort au Fascisme !  

samedi 22 juin 2024

vendredi 21 juin 2024

≪Nous allons vous laisser une chance≫

 

≪Le vieux système de la culture, depuis la métaphysique abstraite jusqu'aux institutions de la religion et de l'éducation, a eu pour résultat d'imprégner l'humanité de l'idée que seul un comportement rationnel, qui comprend le respect des droits, des revendications et des besoins d'autrui, pouvait assurer sa survie. Sous la terreur, un tel comportement pourrait être équivalent à une auto-annihilation. Le terrorisme efface la relation causale entre la conduite sociale et la survie, et oppose l'individu à la force brute de la nature - en fait une nature dénaturée - sous la forme d'une machine terroriste toute-puissante. Ce que la terreur vise à provoquer, et qu'elle impose par la torture, c'est la mise à l'unisson du  comportement des gens avec sa propre loi, c'est-à-dire que tous leurs projets n'aient qu'un seul but : la perpétuation de soi. Plus les gens se livrent à la quête impitoyable de leur propre survie, plus ils deviennent les pions psychologiques et les pantins d'un système qui ne connaît pas d'autre objectif que de se maintenir au pouvoir. D'anciens détenus des camps de concentration nazis attestent cette régression vers le darwinisme pur et simple - ou peut-être, devrait-on dire : vers l'infantilisme... ≫

(Léo Löwenthal, L'atomisation de l'homme par la terreur, 1946)

***
≪J'estime que c'est là l'origine (à savoir : la ressemblance avec les animaux irrationnels) qui fait aussi jaillir chacune des passions comme d'une source dans la vie humaine. La parenté des passions qui se manifeste à la fois en nous et dans les animaux irrationnels confirme cette origine. Car il n'est pas juste d'attribuer à la nature humaine formée à l'image de Dieu l'origine de ces affects passibles. Car la ressemblance de l'homme avec Dieu ne peut pas consister dans la colère, et la nature supérieure ne peut pas non plus consister dans le plaisir. La peur et la férocité, le désir de posséder davantage, la haine éprouvée pour ce qui est moindre, et toutes les propriétés analogues sont loin de comporter le caractère de la Beauté divine. La nature humaine a donc tiré ces propriétés de la nature irrationnelle. La vie irrationnelle a été pourvue de ces propriétés pour sa conservation, et, transposées à la vie humaine, celles-ci sont devenues des passions.≫
(Grégoire de Nysse, vers 380)

Note du Moine Bleu  
L'≪assurance≫, dont le personnage de L'Armée des ombres joué par Lino Ventura dit ci-dessus admirablement qu'elle ≪l'enchaîne encore mieux que ses fers≫, c'est la foi ─ cynique, moqueuse et réductionniste ─ de toute pensée totalitaire en la prééminence ultime, au sein de l'être humain, de l'instinct naturel de conservation, l'instinct de survie. La liberté, la dignité de l'individu ne revêtent, chez les nazis, les staliniens, et autres businessmen efficaces de toutes obédiences, aucune espèce d'importance. Seuls comptent à leurs yeux le Projet, la Collectivité, la Masse, bref, pour le dire en termes biologiques : l'espèce, à laquelle on sacrifie tout (et dont, seules, la liberté et la dignité comptent vraiment, pour le coup). La raison, elle-même essentiellement conçue comme instrumentale et calculatrice (calculer ses chances) n'est jamais considérée par le fascisme comme dépassement de la nature (refus de courir, de jouer le jeu, refus de penser à sauver sa peau), comme trouée impossible et suicidaire produite par la nature au sein de son propre règne absolu. Le pire, c'est que le totalitarisme a raison sur ce point. La raison, d'extraction naturelle (compétitive, et adaptative) tend en effet irrésistiblement à vérifier cette origine naturelle terrible, quand bien même elle la nierait à toute force, dans sa culture et sa métaphysique. On notera ainsi ce qui distingue et rassemble à la fois les deux passages cités ci-dessus : pour des raisons évidemment différentes, nature et raison n'y sont jamais comprises comme les modalités d'un même processus, éventuellement désignable sous le nom d'humanité.     

jeudi 20 juin 2024

≪ Le bien est le bien lorsqu'il résiste à la victoire ≫ (Horkheimer)

(Dans la salle d'attente de la CPI, planète Terre, 2035)...
***
≪Durant des millénaires, les Juifs ont fait corps dans les persécutions subies pour la justice. Leurs rites, le mariage et la circoncision, les règles alimentaires et les fêtes furent des facteurs de cohésion, de continuité. Pas d'État puissant, mais l'espoir de la justice à la fin du monde, voilà ce qu'était le judaïsme. Ils formaient un peuple et le contraire d'un peuple, vivant reproche à tous les peuples. Désormais il y a un État qui revendique de parler pour le judaïsme, d'être à lui seul le judaïsme. Le peuple juif dont le cas dénonçait l'injustice de tous les peuples, ces individus dont les paroles et les gestes réfléchissaient le négatif de la réalité existante sont désormais positifs à leur tour, une nation parmi d'autres, des soldats, des chefs, des money-raisers pour leur compte personnel. Le judaïsme doit voir dans l'État d'Israël son objectif premier, comme autrefois le christianisme le voyait dans l'Église catholique, avec toutefois moins de perspectives que ce dernier ; mais combien ne s'est-il pas résigné en triomphant ainsi dans l'ordre temporel ! Il paye sa continuation par un tribut à la loi du monde tel qu'il est. Si sa langue est l'hébreu, c'est la langue de la réussite, non pas celle des prophètes. Il s'est assimilé à l'état du monde. Que celui qui se sait sans faute lui jette la première pierre. Seulement, c'est bien dommage, car une telle renonciation chasse justement du monde ce qu'elle devait y maintenir, comme ce fut le cas avec la victoire du christianisme. ― Le bien est le bien non lorsqu'il est victorieux, mais lorsqu'il résiste à la victoire. Puisse la soumission nationale à la loi de l'existence ne pas connaître une fin aussi radicale que celle des individus dans l'Europe de Hitler, de Staline, de Franco, avec leurs successeurs à venir.≫

(Max Horkheimer, ≪L'État d'Israël ≫, 
in Notes critiques, 1961-1962)

Ippon Seoi Nage

(Épinay-sous-Sénart, France, ces jours-ci)

On notera la fluidité exemplaire de l'enchaînement (et la grande qualité technique, en particulier, de la  finalisation au sol). Et l'on regrettera, comme trop souvent, l'empressement zélé de l'arbitrage, frustrant tout un public désireux d'apprendre et de communier dans les valeurs du sport, source avérée (on ne se lassera jamais de la rappeler en ces temps pré-olympiques) d'un vivre-ensemble de bon aloi. 

jeudi 13 juin 2024

dimanche 2 juin 2024

Hiroshima

mardi 14 mai 2024

Du Nominalisme en Amérique


La bise au camarade Lionel D. !

mardi 30 avril 2024

≪L'exploitation est la force de tout changer≫ (trois hypothèses)

(Une sortie de métro, Paris, fin mars 2024)

De trois choses, l'une. 
Soit il existe, chez la France soi-disant insoumise, de très mauvais colleurs d'affiches. 
Soit, il existe, chez la France soi-disant insoumise, des saboteurs internes d'origine situationniste, à tendance désespérée-cynique et haut potentiel comique-subversif.
Soit il existe vraiment une dialectique de la nature (c'est pas une blague !)

Trois hypothèses. 
Pas une de plus.