dimanche 30 novembre 2014

samedi 29 novembre 2014

jeudi 27 novembre 2014

Evil

Fall'n Cherube, to be weak is miserable
Doing or Suffering : but of this be sure,
To do ought good never will be our task,
But ever to do ill our sole delight,
As being the contrary to his high will
Whom we resist. If then his Providence
Out of our evil seek to bring forth good
Our labour must be to pervert that end,
And out of good still to find means of evil.

(Milton, Paradise Lost, I, 157)




Ange déchu, tu sais quoi ? 
Etre faible, c'est vraiment trop l'seum !
Soit qu'on agisse soit qu'on subisse, j'vais pas t'réciter l'Te Deum :
Faire le bien, toi-même tu sais, jamais ne s'ra notre 

boulot,
Et faire le mal, toujours, demeur'ra  
not'  kif le plus haut,
Y a pas photo,
Juste le contraire de c'qu'il aurait  pas dû espérer 
trop,
Exact l'inverse de c'qu'il avait misé sur nos os,
et nos cerveaux,
Ouais, poteau :
Notre adversaire, là-haut, 

En bête de rage comme un vieux 
charclo 
T'as qu'à lui dire, s'il veut, de s'accrocher comme un fou :
Celui à qui tu m'verras jamais lâcher
Walou,
Sa Providence, à lui, voudrait peut-être 

Faire un bien de notre mal ?
Wesh, tu crois vraiment que tu vas pouvoir la faire comme ça, 
juste à l'amicale ?
Notre taf à nous, ça sera de faire déraper tout c' beau projet 

Initial,
Et dans le bien, quoi qu'il en coûte, frère,  

Plutôt trouver par tout moyen radical,
Idéal, 
La meilleure et la plus sûre de toutes les routes 
Vers le mal.

mercredi 26 novembre 2014

Borges sur Villiers de l'Isle-Adam


 Villiers, par Henry de Groux

« Jean Marie Mathieu [sic] Philippe Auguste, comte de Villiers de l'Isle-Adam, naquit en Bretagne le 7 novembre 1838 et mourut à Paris, à l'hôpital des Frères de Saint-Jean-de-Dieu, le 19 août 1889. L'irresponsable et généreuse imagination des Celtes fut l'un des dons que lui conféra le hasard ou le destin, de même que l'illustre naissance - il descendait du premier Grand maître des Chevaliers de Malte, - le sonore dédain de la médiocrité, de la science, du progrès, de son époque, de l'argent et des gens sérieux. Son Ève Future (1886) est l'un des premiers exemples de fiction scientifique qu'enregistre l'histoire de la littérature, et c'est aussi une satire de la science. Le drame Azel [Axël] recrée le thème de la pierre philosophale. La Rébellion [La Révolte], jouée pour la première fois à Paris en 1870, devance la Maison de poupées d'Ibsen. Romantique à la manière rhétorique des Français, il déclare que le genre humain se divisait en romantiques et en imbéciles. Les moeurs de son époque exigeaient qu'un écrivain fût prolixe non seulement en phrases mémorables mais aussi en épigrammes impertinentes. Anatole France rapporte qu'il alla le voir un matin, chez lui, pour lui demander des détails sur ses ancêtres. Villiers lui répondit : «Vous voulez qu'à dix heures et en plein soleil je vous parle du Grand maître et du célèbre Maréchal ?»
Assis à la table de Henri V, aspirant au trône de France, et l'entendant critiquer quelqu'un qui avait tout sacrifié pour lui, il lui dit : «Sire, je bois à la santé de Votre Majesté. Vos titres sont décidément indiscutables. Vous avez l'ingratitude d'un roi». 
Il était grand ami de Wagner. Comme on lui demandait si sa conversation était aimable il répondit durement : «La conversation de l'Etna est-elle aimable par hasard ?» 
Dans sa vie comme dans son oeuvre, il est quelque chose de très bouffon ; le fait d'être aristocrate et très pauvre favorisait, il est vrai, cette attitude. On peut penser aussi que Villiers, par l'image qu'il essaie toujours de projeter face à la société parisienne, se défendait essentiellement. Sa petite taille ne le mortifiait sans doute pas moins que sa pauvreté, laquelle atteignit parfois la misère.
Jusqu'où un poète peut-il, aussi riche soit son imagination, s'évader de sa date dans le temps et de son lieu dans l'espace ? Il est évident que la Vérone de Roméo et Juliette n'est pas précisément située en Italie ; il est évident que les mers magiques de la Ballade du vieux marin de Coleridge sont le rêve magnifique d'un poète méditerranéen de la fin du XVIIIème siècle, non la mer de Conrad, non la mer de L’Odyssée. Écrirai-je moi-même un jour un poème qui ne se situe pas à Buenos Aires ? Il en est de même de l'Espagne et de l'Orient de Villiers ; ils sont aussi français que la laborieuse Salammbô de Flaubert.
Le meilleur récit de notre série est l'un des chefs-d'oeuvre de la nouvelle : La Torture par l’espérance. L'action se passe dans une Espagne très personnelle et la date en est vague. Villiers n'en savait pas beaucoup sur l'Espagne, tout comme Edgar Allan Poe ; pourtant La Torture par l’espérance et Le Puits et le pendule sont pareillement inoubliables, l'un et l'autre connaissant la cruauté que peut atteindre l'âme humaine. Dans Poe, l'horreur est d'ordre physique ; Villiers, plus subtil, nous révèle un enfer d'ordre moral. À l'incroyable Espagne de La Torture par l'espérance succède l'incroyable Chine de L’Aventure de Tsé-i-La. Le récit porte en épigraphe : «Devine ou je te dévore», que Villiers attribue ingénieusement au Sphinx. Cet artifice a pour objet de tromper le lecteur. Tout le récit est basé sur la superbe des deux personnages et sur l'atroce cruauté de l'un d'eux ; la fin nous révèle une générosité insoupçonnée, qui renferme une humiliation. L’Enjeu cache une affirmation de toutes les sectes protestantes ; sa force réside dans le fait que l'homme qui la révèle nous avoue implicitement que son âme est perdue. Le thème de La Reine Ysabeau est, une fois de plus, la cruauté des puissants, enrichie ici par la passion de la jalousie. Le dénouement, inattendu, n'en est pas moins atroce. Le Convive des dernières fêtes commence délibérément de manière frivole ; rien de plus futile que de joyeux fêtards sans soucis décidés à s'amuser jusqu'à l'aube ! L'apparition d'un nouveau participant assombrit l'histoire et la mène jusqu'à une horreur où, incroyablement, convergent la justice et la folie. De même que le parodique Don Quichotte est un livre de chevalerie, Sombre récit, conteur plus sombre est, tout à la fois, un conte cruel et la parodie d'un conte cruel. De toutes les pièces de Villiers, Véra est, sans doute, la plus fantastique et la plus proche du monde onirique de Poe. Pour consoler sa tristesse, le protagoniste crée un monde hallucinatoire ; cette magie reçoit une récompense, un objet minuscule et oublié qui renferme une ultime promesse.
Villiers, à Paris, voulait jouer avec le concept de la cruauté, tout comme Baudelaire jouait avec le mal et le péché. Aujourd'hui, malheureusement, nous nous connaissons trop pour jouer avec eux. Contes Cruels est à présent un titre ingénu ; il ne l'était pas lorsque Villiers de l'Isle-Adam, mi-grandiloquent, mi-ému, le proposa aux cénacles de Paris. Ce grand seigneur presque indigent, qui se sentait le protagoniste endeuillé de duels imaginaires et d'imaginaires fictions, a imposé son image dans l'histoire de la littérature française. Moins qu'à Véra, moins qu'au Juif aragonais, moins qu'à Tsé-i-La, il est vrai, nous pensons et continuerons de penser à Villiers de l'Isle-Adam. »

(Jorge Luis Borges, introduction au recueil de Villiers édité par ses soins pour le compte des éditions FMR-Panama, dans la Bibliothèque de Babel, qu'il dirigeait alors, en 1978).

lundi 24 novembre 2014

dimanche 16 novembre 2014

Jean-Luc Mélenchon est un con


Le léopard meurt avec ses taches.
M. Jean-luc Mélenchon, lui, selon toute vraisemblance, ne cessera jamais d'être con.
Il faut l'être, en effet, con, pour voir ainsi que lui : matin, midi et soir - comme le premier Alain Soral venu - dans ce brave maréchal Poutine autre chose qu'un fasciste libéral grand-russe à la solde du clergé orthodoxe, obsédé par l'invasion des pédés, des nègres et de la décadence occidentale. Il faut l'être, con, bien con, presque davantage (ce qui n'est pas rien) que Mme Clémentine Autain réclamant l'autre soir à la télévision la même chose que M. Mélenchon, quoique mezzo vocce (elle qui s'exprime tellement mal), savoir : la livraison immédiate par ce pauvre M. Hollande d'un imbécile navire de guerre à la glorieuse armée «antifasciste»  du maréchal Poutine, dans le noble but d'éviter, entre autres catastrophes, que «la parole de la France ne se ridiculise à l'international» .
Si la France est ridicule, nous ne le devons pas qu'un peu à M. Mélenchon et Mme Autain, sans oublier toutes celles et ceux qui leur ressemblent et qui, voilà quelques années, imposèrent à leurs ouailles masochistes, autant que malheureuses, d'élire dans l'enthousiasme ce pauvre M. Hollande qu'ils conspuent aujourd'hui, allant jusqu'à déchaîner leurs nervis dans les manifestations (nous y étions) contre toutes les Cassandre gauchistes leur promettant déjà, dans l'élection du susdit Hollande, bientôt président de la Ripoublique, une nouveauté étonnamment nulle vis-à-vis des merveilles de la Sarkozie trépassée.
M. Mélenchon ne sait pas lire, voilà tout.
Il n'a aucune mémoire politique, ce qui revient au même.
Il est sans doute la personnalité la moins digne de confiance de ce pays, aux plans intellectuel et politique.
Son nez de tribun bougon ne peut aujourd'hui s'honorer d'avoir senti - jamais ! - aucun parfum historique, quel qu'il soit, porteur d'intérêt notable. Son combat de nain contre Marine le Pen aura tourné pour lui, comme on le sait, au Waterloo picard. Tour à tour trotskiste, socialiste, stalinisant et patriote va-de-la-gueule, M. Mélenchon fut aussi celui, plus anecdotiquement, qui crut fin de dénoncer, lors de la dernière - lointaine - contre-réforme des retraites, et des (trop rares) manifestations offensives ayant émaillé celle-ci (à l'honneur, d'ailleurs, de ceux qui y participèrent) les policiers déguisés en casseurs sabotant, inévitables, les grands mouvements populaires dont M. Mélenchon n'aime rien tant que rêver de prendre la tête, laquelle n'existe jamais, ni le corps, hélas ! Le bougre fit ainsi la preuve de son ineffable génie machiavélien, biberonné au complotisme de pointe, et à la stratégie de la tension journalistique-citoyenne-solidaire, auxquels seul, désormais, l'intuitionnisme d'un autre cador gauche-de-la-gauche, M. Besancenot, serait en mesure de donner la réplique dignement suffisante. Des flics déguisés en casseurs. Bravo. Ou comment inventer l'eau tiède pour nous resservir aussitôt, en guise de banquet idéel, un plein baquet de puante lavasse militante alter-étatique. Le résultat concret de cela, pour la petite histoire, on s'en souvient peut-être, c'est qu'un certain Ninja (ainsi que le baptisèrent les journaux), authentique anarcho-autonome anonyme ayant osé - devant toutes les caméras de l'univers - briser un soir par saine colère une ignoble vitrine de banque, fit rapidement les frais des épanchements complotistes (médiatiques) de M. Mélenchon. Les flics, échaudés par l'affaire et s'étant mis au travail, se firent ainsi un malin plaisir de déjuger notre Kissinger national, en allant serrer chez lui l'infortuné Ninja, un triste matin, avant de l'expédier en prison pour ses odieux forfaits, durant une année entière. Le gars n'était pas plus flic que vous ou moi, ou que M. Mélenchon, vous comprenez. Mais voilà ! allez expliquer ces subtilités à ce dernier, lui qui récidivait encore récemment, près du barrage socialiste-assassin de Sivens, lorsqu'une poignée de ces mêmes anarcho-autonomes déjà dénoncés par lui autrefois comme des flics déguisés lui ayant balancé dans la gueule quelques inoffensifs litres de yaourts périmés pour prix de leur haine politique à son endroit, M. Mélenchon eut, de contre-rage, envers la meute déchaînée, ces paroles historiques : «c'est l'extrême-droite qui est sous les cagoules» .
Il fallait y penser.
Or, M. Mélenchon ne pense guère, ou mal.
Nous pensons, nous, qu'à l'instar du barrage de Sivens, il convient de tirer désormais la chasse, rapidement, sur les diverses opinions, intuitions ou lubies de M. Mélenchon, que celles-ci s'avèrent, au choix, grand-russes, antifascistes, démocrates, citoyennes-solidaires ou non.
Nous pensons que M. Mélenchon peut bien aller se faire voir là où il le désire, avec sa sixième République, du moment que ce soit ailleurs dans ce monde, au point le plus éloigné de notre propre survivance quotidienne.

samedi 15 novembre 2014

Et surtout un bon dimanche !



« Que la mort soit chose sérieuse, c'est ce qui se conclurait déjà de ce que la vie, comme chacun sait, n'est pas une plaisanterie.»
(Schopenhauer)

vendredi 14 novembre 2014

Non-sulfatée


À utiliser exclusivement avec la gamme d'après-shampooing 
François Rebsamen ®...

mercredi 12 novembre 2014

S'ouvrir à l'autre


« Rance Hendrix, spécialiste en exo-psychologie (psychologie des autres mondes) attaché à la troisième expédition vénusienne, arpentait avec lassitude les sables chauds à la recherche d'un Vénusien ; dès qu'il en aurait rencontré un, il tenterait d'établir des relations amicales : c'était sa cinquième tentative. L'entreprise était décourageante. Les quatre tentatives précédentes avaient abouti à quatre échecs. Les experts attachés aux expéditions précédentes n'avaient, eux aussi, enregistré que des échecs.
Ce n'est pas rencontrer un Vénusien qui était difficile  ; mais tous ceux qu'on avait rencontrés ne s'intéressaient absolument pas aux Terriens, et aucun d'entre eux n'avait manifesté la moindre disposition amicale. Cette absence totale de sociabilité était d'autant plus étrange que les Vénusiens parlaient les langues terriennes : des aptitudes télépathiques inconnues leur permettaient de saisir les moindres nuances de n'importe laquelle des langues parlées chez nous, et de répondre aux questions de façon aussi précisément nuancée... mais avec une hostilité sans nuances. 

Il en venait justement un, la pelle sur l'épaule.
- Salut, Vénusien, dit Hendrix d'une voix enjouée.
- Adieu, Terrien, répondit le Vénusien sans s'arrêter.
C'était aussi vexant qu'ennuyeux pour Hendrix, qui emboîta le pas au Vénusien. Il devait courir pour ne pas se laisser distancier par le Vénusien aux longues jambes.
- Pourquoi vous refusez-vous à parler avec nous ? demanda Hendrix.
- Moi ? Je vous parle, bien que ça ne me plaise guère. Veuillez vous éloigner.
Le Vénusien s'arrêta et se mit à creuser le sol avec sa pelle, à la recherche d'oeufs de korvil, sans davantage s'occuper du Terrien.
Hendrix le dévisagea, l'air frustré. C'était toujours la même chanson, quel que soit le Vénusien. Toutes les méthodes et procédures enseignées en psychologie terrienne comme en exo-psychologie échouaient.
Et ce sable qui brûlait les pieds à travers les semelles ; et cet air qui, respirable, n'en sentait pas moins le formol en n'en corrodait pas moins les poumons, s'ajoutant à la fin de non-recevoir systématique... C'en était trop, Hendrix y renonça, il explosa :
- Eh bien, va te fourrer ta... dans le... !
C'est là une entreprise qui, pour un Terrien, constitue une impossibilité anatomique évidente. Mais les Vénusiens sont bisexués. Le Vénusien se retourna, incrédule, ravi : pour la première fois, un Terrien lui tenait le langage qui, sur Vénus, est la moindre des marques de civilité.
Il répondit par un souhait du même tonneau, avec un grand sourire tout bleu, posa sa pelle sur le sol et s'assit pour engager la conversation avec le Terrien si aimable. Et ce fut le point de départ d'une merveilleuse amitié et d'une compréhension parfaite entre la Terre et Vénus. »


(Fredric Brown, Politesse).

dimanche 9 novembre 2014

Incendiaire

 
« Comment sauverais-je, de tes blonds incendies,
 la forteresse en cire de mon amour ? »

(Sergueï Paradjanov, Sayat Nova).

Beau comme la liberté



vendredi 7 novembre 2014

lundi 3 novembre 2014

Entretien avec André Danet (4) : Finir la révolution et - accessoirement - la commencer...

 
Dynamiteurs de la colonne Durruti.

- LE MOINE BLEU : Dans Finir la révolution, tu étudies le passé, éclairant (peut-être) l'avenir. C'est ainsi que tu passes au crible les projets, réalisations et échecs de trois grands processus révolutionnaires décisifs aux yeux de tout communiste libertaire : la Commune de Paris, la Révolution russe et la Révolution espagnole. À chaque fois, de nouvelles opportunités, de nouvelles intuition d'organisation mais aussi de nouveaux devoirs et de nouvelles impossibilités se font jour. Étrange comment (sans volonté aucune de faire de la téléologie) un lien, un suivi s'installe implicitement dans l'esprit entre ces trois expériences. Penses-tu, toi aussi, pour reprendre une vieille expression dialectique, que chaque époque ne se pose jamais que les questions qu'elle peut résoudre ? Impossible, dans cette perspective, de dépasser l'époque, d'être meilleurs qu'elle, ensemble ?

- ANDRÉ DANET : Si on rejette la conception hégélienne de l’histoire, c’est-à-dire l’idée qu’au travers des actions des hommes se réalise progressivement la volonté de l’Esprit du monde, cette interrogation de Hegel (peut-on être meilleur que son temps ?) a-t-elle encore un sens pour nous ? D’autre part, se demander si chaque époque ne se pose que les questions qu’elle peut résoudre appelle quelques précisions. Poser la question de la fin de la société de classes, c’est admettre la possibilité d’une société sans classe. Et les révolutions passées (du type de celles considérées ici) ont apporté à cette question une réponse qui est à la hauteur des attentes. Elles démentent les critiques des anticommunistes qui affirment qu’une société sans classe apportera non la liberté, mais l’oppression, non la richesse, mais la misère. Mais, pris abstraitement, l’existence du projet d’une société sans classe n’a jamais signifié que les conditions pour le réaliser étaient nécessairement remplies, et que même remplies les rapports de forces sociaux pour sa réalisation seraient suffisants. Au cours du temps, le capitalisme se développe, et les rapports de forces en faveur d’une société sans classe connaissent des hauts et des bas. Mais son concept reste inchangé, ce que signifie sa négation ne change pas, elle épouse logiquement toujours la même forme sociale dominante (une réelle démocratie, un changement de forme de la propriété, un mode de production démocratiquement concerté, l’internationalisme). Par contre, ce qui apparaît comme la manifestation principale des nuisances du capitalisme, comme le point à partir duquel on peut saisir la totalité de la société bourgeoise, peut différer d’une époque à l’autre. Ce point différent ramène toujours à la critique du mode de production marchand, comme à ce qui explique toutes les autres manifestations de ses nuisances, et malgré ce qui a pu en être dit : à Claude Lefort imputant faussement à Guy Debord d’avoir dit «que ce n’est pas au système de production des marchandises qu’on doit la fantasmagorie d’un mouvement qui habiterait les choses, mais que la production de la fantasmagorie commande celle des marchandises», Debord répondait qu’il avait écrit très précisément le contraire, «ce contraire qui est une évidence clairement énoncée dans La Société du Spectacle, notamment dans le deuxième chapitre; le spectacle n’étant défini que comme un moment du développement de la production de la marchandise» (Internationale Situationniste n° 12, p. 48). Depuis un demi-siècle, la critique sociale a ainsi successivement mis l’accent sur la dénonciation de l’opposition entre dirigeants et dirigés, de toutes les hiérarchies, de l’aliénation marchande, du saccage de la planète. Et maintenant, c’est dans tous les domaines que les dérèglements nous paraissent extrêmes, la certitude de vivre la fin d’un monde s’impose à tous, et c’est l’horreur économique qui est clairement identifié comme le mal à combattre. Reste à prendre conscience que la solution n’est pas dans des réformes, dans des contrôles démocratiques efficaces exercés sur des représentants politiques et économiques honnêtes et compétents, mais dans la fin de cette économie.

- LE MOINE BLEU : Tu définis aussi avec assez de justesse les freins, voire les obstacles divers qui se mettront (qui se mettent toujours) en travers du procès révolutionnaire, qui bloquent en particulier les processus décisionnaires dans un cadre autogestionnaire, de démocratie directe intégrale : les petits pinaillages, les incompréhensions, les temporisations stériles éternisant des débats creux, le formalisme de discussion... Combien de milliers de fois avons-nous nous-mêmes pu haïr ces lamentables spectacles d'A.G. faisant respecter d'ineptes tours de paroles, paralysant l'action au lieu de la déchaîner, dégoûtant d'elle la majorité d'une assemblée, et dressant le ressentiment réciproque, pour consacrer les oppositions subjectives au lieu de vider celles-ci comme on viderait l'intérieur pourri d'une truite. Mais une chose nous semble manquer dans ton ouvrage, c'est la question de la répression. Elle n'est presque jamais posée chez les libertaires, prompts à lancer - en guise de stimulus perpétuel - qu'ils brûleront les prisons et autres camps de rétention, pas de soucis ! quand le pouvoir basculera. Mais la racaille réactionnaire motivée : celle qui sabotera, qui démotivera, qui combattra, la vraie, la sûre d'elle-même et de l'importance de ses privilèges perdus, celle qui ne lâchera rien, comment la traiter au juste ?

- ANDRÉ DANET : Je partage ton avis sur ceux qui pensent qu'au cours de la révolution, et dès son lendemain, on pourra abandonner tout moyen de répression sans mettre en danger la survie de la nouvelle société. Et dans mon livre cette question n’est pas totalement absente. Dans les dernières pages, après avoir rappelé qu’aujourd’hui un mouvement révolutionnaire devra ouvrir la porte des prisons pour tous les détenus, droits communs compris, j’ajoutai que «ceci ne signifie pas que les prisons devront être définitivement fermées : tant que dureront les guerres civiles et extérieures, elles resteront nécessaires». La force de la révolution n’est bien sûr pas dans ses moyens de répression, elle est dans la valeur objective de la cause soutenue par le mouvement révolutionnaire, et dans l'ampleur de ce mouvement. Mais tant qu’il restera des pays capitalistes, il y aura des tentatives politiques de sabotage de la révolution. Supprimer les prisons ne laisserait alors comme moyen d’y faire obstacle que l’exécution des contre-révolutionnaires, ou l'échange avec des révolutionnaires emprisonnés à l'étranger. Dans Premières mesures révolutionnaires, Eric Hazan et Kamo posent au contraire comme principe que, pour s’opposer aux contre-révolutionnaires qui feront tout «pour tenter de rétablir le capitalisme», il faudra trouver d’autres moyens que de rouvrir «les portes des prisons que l’on viendra d’abattre», de bannir ou d’exécuter les ennemis de la révolution. «Faisons confiance à l’imagination collective», notent-ils, «dans le brouillard répandu par le capitalisme démocratique, c’est ce qui manque le plus cruellement» (p. 92). Mais en dehors d’une rééducation par la joie et la fraternité qui règne dans la société qu’ils appellent de leurs voeux, je ne vois pas trop ce qui pourra les sortir de ce brouillard !
De plus, sauf à penser que tout citoyen de pays encore capitalistes tombera sous le charme des zones libérées, en l’absence de moyen de répression, c’est sous le charme d’un pillage facile que certains d’entre eux tomberont. Quant aux litiges au sein de la nouvelle société (entre révolutionnaires d’obédiences diverses ou entre particuliers), ce sont les instances démocratiques qui doivent permettre de les régler, et de décider de ce qu’il y a lieu de faire lorsque aucune conciliation n’est possible. Les luttes entre les diverses conceptions révolutionnaires ne peuvent être réglées que par des moyens démocratiques, c’est le projet même d’une organisation sociale permettant à chacun d’exercer pleinement sa liberté qui l’impose. Au-delà de la violence des oppositions entre partisans de telle ou telle stratégie, c’est sur le maintien de cette base démocratique qu’il faut s’entendre, c’est cela qu’il faut imposer. Ceci nous ramène à la première partie de ta question, lorsque tu évoques les écueils de la démocratie. La critique des défauts des procédures démocratiques de prises de décisions, et des obstacles à une réelle participation de tous, n’est pas nouvelle, et ces dernières années, tant chez les écologistes que dans les divers courants de l'extrême gauche, ainsi qu’à l’occasion des mouvements sociaux de quelques importances, de nombreuses expériences ont été tentées pour y pallier. Mais cette critique, lorsqu’elle rejoint le rejet de toute forme de démocratie (et pas simplement celle de la démocratie libérale), certes conjointement avec le rejet de tout pouvoir séparé, atteint l’inverse de ce qu’elle vise. Les problèmes que soulèvent le fonctionnement d’une nouvelle société, et ceci dès la phase insurrectionnelle, sont d’un autre ordre que ceux de la seule négation en acte du capitalisme telle qu’ont pu l’expérimenter les black blocs lors des grandes manifestations internationales, ou que ceux de collectivités libertaires se développant dans les marges de la société capitaliste. Il y a, dès la phase insurrectionnelle, des décisions collectives à prendre concernant la défense des zones libérées, l’obligation de remettre en marche certains secteurs de l’économie sous le contrôle des travailleurs, les problèmes de ravitaillement, la gestion des ressources (énergie, matières premières, produits finis) et leur répartition entre les particuliers et les entreprises, toutes les questions concernant les activités productives et l’organisation concertée de la production. Il ne s’agit pas ici de défendre l’idée que ces problèmes appellent à un centralisme qui ne pourrait que signifier le retour d’un pouvoir séparé : lors des révolutions prolétariennes passées, l’espace conquis par le mouvement social faisait place à une floraison de comités de toutes sortes. Mais la défiance exprimée par une partie des courants les plus radicaux envers tout ce qui pourrait ressembler à un parlement, ainsi qu’envers les procédures démocratiques de contrôles, conduit à des positions intenables : je pense à la solution avancée par Hazan et Kamo pour traiter des problèmes d’échelle nationale, la mise en place de groupes de travail constitués non sur la base d’élection ou de tirage au sort, mais sur «l’envie d’y participer», le volontariat, et sur l’application des décisions de ces groupes sans contrôle populaire, celui-ci étant selon eux «toujours manipulable» (Premières mesures révolutionnaires, pp. 75-78). Le mode de constitution de ces groupes ne leur donne aucune légitimité. Mais quand bien même ils en auraient une, pourquoi devrions-nous accepter sans discussions leurs décisions ? Lors du choix de l’implantation de telle ou telle entreprise d’importance régionale, de la construction ou de l’entretien de tel axe de communication, pourquoi devrais-je considérer que ces groupes ne visent que l’intérêt de tous, que leurs solutions n’avantagent pas telle ou telle partie de la population ? Pourquoi ne devrait-on pas craindre que la possibilité de manipulation soit justement renforcée par ce mode de constitution de ces groupes ? La discussion qui s'engage aujourd’hui sur les procédures démocratiques est d'autant plus importante que le succès du mouvement révolutionnaire en a toujours
dépendu.

- LE MOINE BLEU : Au fond, ce qui nous sépare des points de vue développés dans ton livre tient sans doute, une fois de plus, à notre pessimisme énorme. Dans cette période qui est la nôtre, de bêtise crasse organisée et triomphante, de mort des idées de commun et d'histoire, de fractionnement atomisé généralisé des intérêts, bref de disparition de toute perspective de classe, comment croire encore à la possibilité d'un surgissement révolutionnaire, et autogestionnaire ? Dans La légende du grand Inquisiteur, Dostoïevski imagine un archiprêtre tenant au Christ revenu sur la Terre, en substance, le discours suivant : j'ai donné aux hommes la version tronquée de ton message (la liberté), car les hommes, quoi qu'ils puissent prétendre, ne veulent pas être libres. Ils se trouvent toujours embarrassés de la liberté, pour ne savoir qu'en faire au juste. La liberté demande du temps et de la réflexion, de l'appétence. Se trouver un chef qui nous brime, nous exploite, et ne nous donne (tout au moins nous garantit) que du pain nous libère au moins de ce poids de pensée. Rubel, qui a passionnément aimé ce texte, y voyait une métaphore des  succès du totalitarisme du XXème siècle. Comment espérer encore commencer une révolution, dans un tel cadre humain, parmi un tel nihilisme de la théorie et de la pratique ?

- ANDRÉ DANET : Pour ma part, je ne pense pas que le manque d’appétence pour la liberté soit une caractéristique importante de notre époque. Bien au contraire, depuis le développement de mouvements autogestionnaires dans les années 60-70 jusqu’à aujourd’hui, partout dans le monde, les luttes pour plus de liberté, plus de démocratie, n’ont jamais cessé. Par contre, ce que je trouve désespérant, c’est le recours par ces mouvements à des théories politiques et économiques qui nourrissent leurs illusions et les conduisent aux échecs. Dans sa version réformiste, le projet d’autogestion généralisée, à réaliser par une extension progressive des pouvoirs démocratiques dans l’économie et dans la société, a échoué non à cause de la trahison des chefs, mais parce qu’il reposait sur l’idée que l’économie de marché pouvait être mise au service des besoins, qu’elle pouvait être maîtrisée, que, par des moyens purement politiques, on pouvait éviter les crises majeures : et dès la survenue de la crise dans les années 70, le mouvement social pour la réalisation de ce projet par des moyens réformistes s'est évanoui. Mais, sur un champ nécessairement plus restreint, la CFDT n’en continue pas moins à porter des revendications de démocratisation de l’économie. Ceux qui défendaient la version révolutionnaire de ce projet n’avaient pas de doutes sur le caractère autonome de l’économie marchande, sur la nécessité de mettre fin au marché. Mais ainsi compris, les difficultés de ce projet sont évidentes, et on comprend que peu aient envisagé de courir les risques liés à sa réalisation, de s’arracher aux mérites de l’économie de marché. Le fétichisme des catégories de l’économie de marché est le plus gros obstacle à une révolution, mais il ne dénote pas un manque d’appétence pour la liberté, car, d’une part, ceux qui luttent pour plus de démocratie sans remettre en cause les fondements de cette économie contestent l’idée qu’elle domine les hommes, qu’on ne puisse pas la contrôler ; ils croient que sa malfaisance n’est que la malfaisance de quelques puissants, qu’ils sauront mettre en oeuvre un capitalisme (appelé par eux anti-capitalisme) débarrassé des nuisances du capitalisme. D’autre part, l’attachement au marché n’est pas seulement dû aux difficultés pour y mettre fin, il est aussi lié au sentiment de liberté qu’il procure, «au rêve qu’il entretient d’un monde soumis aux individus isolés et irresponsables, pourvu qu’ils détiennent le fétiche suprême, l’argent», pour reprendre ce que j'en dis dans mon livre. Enfin, l’idéal de liberté dont se réclame la bourgeoisie n’est pas un vain mot, la société déterminée par la marchandise a libéré l’individu des «rapports personnels de domination, d’obligation et de dépendance, [c’est] un être qui n’est plus ouvertement enchâssé dans une position sociale fixée de façon quasi-naturelle [l’esclave, le serf, …] et qui est ainsi, en un sens, autodéterminant. Mais cet individu “libre” est confronté à un universel social de contraintes objectives abstraites qui fonctionnent comme des lois» (M. Postone).
Je ne partage pas ce pessimisme de Dostoïevski et de Rubel. Je rappelle dans mon livre ce qu’il en a été du soutien populaire aux régimes «communistes». Quant aux rapports entre délégation de pouvoir dans les démocraties occidentales et acceptation de la domination, je dis aussi ce que j’en pense dans le premier chapitre de la quatrième partie. À mon sens, la seule question qui se pose est de savoir si un mouvement puissant pourra faire sien le projet d’abandonner les catégories économiques bourgeoises, ceci pas nécessairement de façon abrupte et immédiate, mais comme objectif clairement fixé ; non dans un futur mythique, mais comme tâche dont on a immédiatement à s’occuper. Et ce qui joue en faveur de cela, c’est l’impuissance avérée de tous les pouvoirs à résoudre les problèmes qui se posent à eux depuis plus de quarante ans.

dimanche 2 novembre 2014

Le message, plein de dignité, du gouvernement socialiste à la mémoire de Rémi Fraisse


Un salopard (et il y a d'autres mots...)

« Des salopards. Il n'y a pas d'autre mot. »

Gérard Onesta, politicien professionnel (vice-président écologiste du Conseil régional de Midi-Pyrénées), membre d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), à propos des manifestants s'étant affrontés avec la police, suite au meurtre de Rémi Fraisse par la police, 1er novembre 2014.