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Ainsi qu’il l’a déjà fait deux fois, dans ce lieu où son insécurité se donne libre cours depuis maintenant plus de deux heures (il est venu très tôt) Cavesouin se douche, procède à la toilette de ses oreilles et de sa virilité.
Il sort en grelottant de la salle de bains, sans poser les talons au sol, s’allonge derechef sur le lit, paré de sa seule serviette de coton immaculée.
L’hôtel est silencieux.
Bien qu’effrayé, Cavesouin sourit.
Il sait que désormais, personne n’a plus la capacité de lui voler les deux heures qui s’avancent, celles par lesquelles, de plain-pied, il s’apprête à entrer dans l’état de libertin.
Sa première femme, depuis Martine.
Mais, surtout, la première de son existence à n’attendre de lui qu’une seule certaine chose.
Qu’il la souille tout-à-fait.
Qu’il lui soit pleinement supérieur, sans contrepartie.
C’est entendu comme cela, entre eux, depuis leurs premiers échanges.
Il fera d’elle ce qu’il voudra, elle fera comme il ordonnera.
Cavesouin est le plus fort, le plus grand, le restera tout du long.
C’est l’heure, exactement l’heure.
Cavesouin n’est plus que cette pointe douloureuse dont il se sent devoir les éventrer tous les deux, elle et lui, dans l’action sauvage.
Il sait la violence que ce sera quand les pas, ceux-là même qui lui parviennent déjà du bout du couloir, quand ce claquement de semelle qu’il entend s’éloigner - timide - de la cage d’ascenseur, et hésiter, puis se rapprocher de lui, enfin, quand tout cela se sera changé en silence et en femme aux aguets, derrière la porte.
La sienne.
Cette porte que Cavesouin ouvre à la volée sitôt qu’il l’entend frapper.
Et il la voit, et elle voit son sexe tendu.
Ils sont anéantis.
Ils restent d’abord tous deux incapables de la moindre parole, du moindre mouvement. Seule - entre eux - cette ligne de chair barbare, qui les sépare encore.
Peut-être n’en pleurera-t-il jamais ?
Va savoir.
Elle ne s’appelle pas Blandine, bien sûr.
Pas plus qu’il n’est ancien militaire.
Y a-t-il plus menteur que les femmes …
- Bonjour, dit-elle tout de même la première - il fallait s’y attendre - Bonjour, mon grand …
Il la voit, impuissant, glissée dans sa petite robe noire, tentant de remettre un semblant d’ordre, et de pudeur, parmi ce décolleté plongeant.
- Bonjour, parvient-il à répondre, du fond de son enfer, bonjour maman…
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Alassane Fingerweig, Petites insécurités.