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lundi 1 décembre 2014

Les luttes des putes

Comme quoi, y a pas que des religieux au grand coeur, des antiféministes ethno-différentialistes ou des anti-impérialistes suprêmement bas de plafond qui publient à La Fabrique. Tout vient à point à qui sait attendre...



Venez rencontrer et discuter avec Thierry Schaffauser, autour de son ouvrage récemment paru : Les luttes des putes, à la librairie Les mots à la bouche (6 rue Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie, 75004 Paris) : mercredi 3 décembre à 19h. 

***
Pénaliser, abolir, verbaliser, réprimer : tel est le bruit de fond commun aux discours sur «les putes», qu'ils émanent de députés, de féministes ou de maniaques de l'ordre moral et urbain. À contre-courant, ce livre défend l'idée de travail du sexe, idée scandaleuse entre toutes car elle implique une alliance entre le combat féministe, le combat ouvrier et celui des pauvres et des exclus. Se fondant sur son savoir historique et sur son expérience personnelle, Schaffauser dénonce les violences, décrypte les sollicitudes hypocrites et raconte l'histoire des luttes, en particulier la création du STRASS (Syndicat du travail sexuel), et ses rapports souvent conflictuels avec une «extrême gauche» confite dans la vertu. Un livre décapant et éclairant sur un sujet qu'il n'est plus possible d'éviter aujourd'hui.
 
Thierry Schaffauser, pédé, drogué, est travailleur du sexe et membre fondateur du STRASS (Syndicat du travail sexuel). 

Extrait : 

« Pourquoi le travail sexuel est-il réprimé ? Il ne s’agit pas uniquement, comme nous l’avons vu, d’une forme de contrôle patriarcal sur les femmes mais également d’une forme de contrôle social sur les plus pauvres qui sont maintenus dans  l’illégalité, en visant leurs moyens de vivre et de survivre. Ces moyens permettent parfois d’échapper au travail salarié, parfois d’en contourner les difficultés d’accès. La criminalisation du travail sexuel est à comprendre dans le prolongement du système carcéral et comme faisant partie d’un continuum de criminalisation des classes opprimées pauvres et tenues comme inférieures. À titre de comparaison, le recel, la mendicité et la vente de drogues sont aussi des métiers criminalisés parce que pratiqués par des pauvres. Ces métiers ne sont plus criminalisés et sont reconnus comme tels quand ils sont pratiqués par des puissants, qui se débrouillent pour que les drogues qu’ils vendent de façon industrielle soient légales (tabac et alcool notamment), pour renommer «fundraising» et «appel au mécénat» leurs collectes d’argent ou pour que leurs vols soient légalisés sous des formes acceptables de transactions et de spéculations financières, lors de crash boursiers ou de guerres, pour accaparer des ressources naturelles comme le pétrole. La prostitution fait partie de cette sphère des illégalismes, que l’on se situe en régime prohibitionniste, abolitionniste ou réglementariste (puisque sous ce dernier régime les formes de travail sexuel échappant au contrôle restent pénalisées). Certes, les prostituées sont, à l’initiative du féminisme d’État, progressivement assimilées à des victimes plutôt qu’à des criminelles. La loi de pénalisation des clients a par ailleurs prévu d’abolir le délit de « racolage passif ». Pourtant, dans la pratique, les arrêtés municipaux et préfectoraux sont encouragés par les mêmes féministes d’État en remplacement de la loi nationale sur le racolage (1). Ce nouveau discours officiel rend par ailleurs totalement invisible cet illégalisme, voire aggrave sa criminalisation. C’est très frappant avec la Suède ou la Norvège, pays défendus comme modèles où officiellement les prostituées ne sont jamais inquiétées par la police, mais où pourtant la police continue de jouer un rôle majeur dans la répression du travail sexuel, et de manière directe sur nombre de travailleuses du sexe, notamment les migrantes et les travailleuses séropositives en Suède. Un rapport de la police suédoise de 2012 déclare :
En février 2011, les autorités de police du comté de Halland ont décidé d’expulser une femme roumaine [...] Les autorités de police ont dit que la femme, qui gagnait sa vie par la prostitution, constituait une menace à l’ordre public et à la sécurité. La femme a fait appel au Bureau suédois de la Migration qui a rendu la même évaluation que l’autorité de police de Halland : nommément que la prostitution est en effet illégale en Suède, puisque l’achat de services sexuels est un délit. Cela signifie en pratique qu’un crime doit être commis selon la loi suédoise pour permettre à une personne engagée dans la prostitution de subvenir à ses besoins (2).
La décision a finalement été rejetée lors du procès car il s’agit d’une violation des directives européennes de liberté de mouvement. Cependant dans le cas d’une autre travailleuse du sexe issue de l’Union européenne la position du Bureau suédois de la Migration a été reprise : 
[...] la prostitution doit être vue comme un moyen malhonnête de subvenir à ses besoins selon la loi. La prostitution – qui ne peut pas avoir lieu sans qu’un crime soit commis – peut aussi être considérée comme une occurrence interdite d’un élément principal. Contrairement à un jugement précédent par le Ombudsman de la Justice, qui avait un lien avec la mendicité, l’expulsion dans cette affaire est considérée comme compatible avec la loi sur les étrangers (3).
L’absence de loi spécifique sur le racolage ne veut donc pas dire qu’aucune loi ne pénalise les travailleuses du sexe. En France, en plus des arrêtés municipaux et préfectoraux, les lois sur le proxénétisme qui, elles aussi, officiellement ne visent pas les prostituées mais les «protègent», sont très souvent, voire majoritairement, un moyen de criminaliser directement les travailleurSEs du sexe. En Norvège, des opérations de police ont été menées spécifiquement dans le but d’empêcher les travailleurSEs du sexe d’exercer dans des hôtels ou en intérieur. En Suède, la police explique qu’elle prévient les propriétaires des logements où vivent les travailleurSEs du sexe pour qu’ils les chassent de leur domicile. En France, il suffit qu’unE travailleurSE du sexe ait son nom sur le bail de l’appartement et en fasse profiter des collègues pour recevoir un client, et celle-ci est arrêtée pour proxénétisme. Concrètement, fin décembre 2013, c’est ce qui est arrivé à des travailleuses du sexe chinoises de Belleville et du XIIIe arrondissement. Celles qui ont un titre de séjour parviennent à louer une chambre qu’elles partagent à plusieurs et avec leurs enfants dans des conditions difficiles et, comme on l’imagine, dans une grande promiscuité. Elles n’utilisent pas ces chambres pour travailler mais pour y dormir puisqu’elles travaillent dans des caves. On ne peut donc pas dire qu’elles facilitent la prostitution d’autrui. Peu importe si aucun proxénète n’est trouvé, les femmes dont le nom est sur le bail des logements sont pourtant considérées comme proxénètes et celles qui sont sans papiers et qui contribuent elles aussi au loyer sont considérées comme victimes. Les «victimes» sont donc souvent embarquées par la police, avec leurs enfants, menottées, et détenues en centre de rétention pour entrave au droit au séjour. L’opération antitraite des êtres humains ne permet pas a priori d’arrestation de proxénète, mais déstructure l’organisation des travailleuses du sexe qui se retrouvent à la rue avec leur logement sous scellés ; cela facilite l’expulsion des migrantes, et satisfait les féministes et la gauche dans leur politique prétendument progressiste contre la prostitution et la traite. L’intérêt économique de cet illégalisme, c’est de maintenir et de reproduire un «salariat bridé», une main-d’œuvre très bon marché et asservie, pas seulement dans l’industrie du sexe, mais pour l’ensemble des métiers de service ou de travail domestique accessibles aux femmes migrantes. En cela, les abolitionnistes n’ont pas tout à fait tort de comparer la prostitution dans ses conditions actuelles d’exercice à de l’esclavage (4). Sauf que les abolitionnistes veulent dire par là que vendre des services sexuels, c’est par essence aliéner son corps à autrui. On peut se saisir autrement de cette comparaison – d’une manière bien plus exacte et efficace pour la lutte. L’esclavage de plantation aux États-Unis était caractérisé par un ensemble de mesures qui contraignaient à l’extrême la force de travail noire : aucune liberté pour choisir son employeur, aucune marge de manœuvre sur le temps de travail, aucun pouvoir de négociation, interdiction du port d’arme, condition héréditaire, etc. Ce sont ces conditions qui ont permis à l’esclavage colonial d’être une aubaine pour le capitalisme naissant. Les mesures de prohibition ou de prétendue «abolition» de la prostitution remplissent, toutes proportions gardées, une fonction similaire : construire un statut d’exception, en marge du salariat conventionnel, pour intensifier l’exploitation et réduire à néant le pouvoir de négociation des travailleurSEs. Les luttes des travailleurSEs du sexe visent, en première instance, à ébranler tout dispositif d’exception qui accentuerait le pouvoir des patrons et des clients. »
________________________________________
  • 1. Par exemple les arrêtés des communes de Lyon, d’Albi ou Toulouse. Najat Vallaud-Belkacem a voté celui de Lyon mais, officiellement, les féministes d’État ne soutiennent pas directement ces communes. Je fais référence à l’exposé des motifs de la proposition de loi Olivier/Coutelle qui rappelle aux maires leur pouvoir d’adopter des arrêtés.
  • 2. Rapport Polisen, Trafficking in Human Beings for Sexual and Other Purposes, 2012
  • 3 Ibid.
  • 4. Par exemple, Catherine Albertini, « Fantine ou la liberté de se prostituer », août 2014.

vendredi 29 novembre 2013

Prostitution choisie



dimanche 10 novembre 2013

L'abolitionnisme, par les putes mêmes !


Grand concours de bêtise, de lâchetés, et de tartufferies éditoriales en tout genre, ces derniers temps, autour de la soi-disant "abolition" programmée de la prostitution en France. Le féminisme traverse assurément une jolie période de misère - la plus critique, peut-être, de son histoire - lorsqu'on ne trouve plus guère pour défendre les putes, défendre leur sécurité et leur vie (qui sera évidemment, quoi qu'on puisse déblatérer, dramatiquement bien plus menacée après le triomphe prévu de la loi socialisto-UMP) que les imbéciles réactionnaires et branchés du torchon Causeur, cependant que se coalisent pour les enfoncer, les réformer, les redresser orthopédiquement, avec un amour et une sollicitude dignes des pires infirmières de bagnes psychiatriques milosformaniens, une coalition effrayante regroupant les rivaux imbéciles de Causeur (les imbéciles du journal Causette), la gauche institutionnelle et comptable, épaulée de toute la canaille gauchisto-religieuse (NPA et consorts) attachée, selon ses termes hypocrites, à la dignité éternelle des femmes. Et que dire du traitement reçu, sur Indymédia, par le droit de réponse de Morgane Merteuil à l'odieux article intitulé Contre le STRASS et son monde
La société civile, elle, comme disent les cons, se cache, se planque, fait la maligne, philosophe avec ou sans qualités. On n'en attendait pas moins de sa part. Elle continuera à aller aux putes, sans se faire gauler, tout cela n'étant point son souci, elle qui daignera nous expliquer, à la rigueur, cyniquement, sans énervement ni courage, que la défense des putes ne saurait être un combat valable. Les intellectuels, en cette affaire, à quelques exceptions près, sont des merdes. Pour la crétine Dominique Simonet, ayant signé récemment une tribune ridicule dans Le Monde (de laquelle il ressort que ses propres fantasmes - élevés - pourraient en somme servir d'exemple massif, d'étalon, à la pratique sexuelle modérée, citoyenne et idéale de demain), son ineptie ne saurait trouver d'équivalence que dans les incroyables propos dont la rapporteuse (cela ne s'invente pas) socialiste du prochain projet abolitionniste (une certaine Maud Ollivier) se rend coupable tous les jours, ou presque. Voilà des féministes qui chient, sans la connaître, bien entendu, le moins du monde, sur la psychanalyse, qui remettent en cause le primat des pulsions, et rêvent d'une bienséance sexuelle imposée à tous par cette société future dont ils/elles indiquent la direction glorieuse. Le féminisme dominant d'aujourd'hui est anti-pute, anti-sexe, normatif jusqu'à la fureur. Il est froussard, ignorant, en un horrible mot : bourgeois. La vile marchandisation des corps qu'il flétrit depuis ses chaires idéologiques pitoyables, croyez-vous donc qu'il l'attaquerait avec la même sainte colère lorsque ses amis gouvernementaux rivent, en un tournemain parlementaire, quelques années de plus les ouvrières de ce pays aux chaînes de leurs métiers puants, leur abîmant les mains, le dos, tout le corps et l'âme ?
Non, évidemment.
Les putes, ici, ne pourront compter, comme tous les prolétaires, que sur leurs propres forces.
Et sur notre affection profonde.
Ce qui leur fera une belle jambe.

" A force de nous entendre dire sans arrêt que nous ne sommes que des marchandises, des corps qui se vendent, que nous ne nous respectons pas, que, naturellement, nous aurions été violées dans notre enfance, qu'il faut nous réinsérer, que nous portons atteinte à notre dignité, à notre santé psychique, les personnes abolitionnistes ont fini, par excès de systématisme, par briser des vies. L'abolitionnisme est une forme de maltraitance théorique. 
Nous ne serions donc acceptables que malheureuses afin de confirmer l'image que l'on veut donner de nous.
Mais que l'une d'entre nous se rebelle et revendique la liberté de se prostituer, de disposer librement de son corps, suivant pourtant en ceci une démarche féministe, elle sera de suite étiquetée : non représentative, égoïste, salope nymphomane forcément perturbée, en passe de légitimer les viols et qu'il faut donc punir. Tu n'es pas malheureuse ? Tu ne veux pas te réinsérer ? Contrôle fiscal, retrait de la garde des enfants, amendes et PV, humiliations, harcèlement policier, expulsions. Ni retraite, ni sécu, aucun droit.
Comme si cela ne suffisait pas, les abolitionnistes veulent maintenant la pénalisation de nos clients. Ou comment entraver la liberté sexuelle. Comment faire chier des adultes consentants. Comment décréter à tout prix comme violence ce qui ne l'est pas. Ils devraient pourtant savoir que réprimer les clients revient à pénaliser les prostituées, qui pour protéger une clientèle qu'on n'abolira pas d'un trait de plume seront obligées de se cacher.
Personne n'oblige pourtant les abolitionnistes à nous imiter, si elles ne veulent pas se prostituer. Et ce n'est pas parce qu'elles ne parviennent pas à baiser en dehors du couple, avec des inconnus, nombreux, sans désir, et parfois sans plaisir, juste par intérêt, que nous devrions subir la même vie sexuelle qu'eux."

Maîtresse Nikita et Thierry Schaffauser, Fières d'être putes (L'Altiplano).


jeudi 11 juillet 2013

Bon à savoir


lundi 27 mai 2013

Les rencontres du STRASS




Petite précision d'importance : Ces rencontres ont pour vocation de renforcer toujours davantage l'auto-organisation des travailleurs et travailleuses du sexe. Il s'agit donc essentiellement de rencontres de travail, non-ouvertes aux simples curieux et curieuses. Ceux-ci pourront, en revanche,  venir soutenir sans restriction les putes et leurs amis lors de la manifestation prévue le dimanche 2 juin 2013, au départ de la place Pigalle, à 15 heures.



jeudi 14 mars 2013

Simplement pour elles


« Mon objectif, comme celui du PS, c'est de voir la prostitution disparaître. »
 
Najat Vallaud-Belkacem, ministre socialiste, 24 juin 2012




mardi 6 novembre 2012

Le Moine Bleu va aux travailleurs du sexe


Après qu'il aura correctement massacré la zone défendue ces jours-ci - avec ardeur - par les habitants de Notre-Dame-des-Landes, après qu'il aura transformé cet espace rare et préservé en cauchemar aéroportuaire international, le gouvernement socialiste français, qui ne désire en tout que VOTRE bien, s'apprête (ainsi que nos lecteurs et lectrices fidèles le savent déjà probablement) à en finir une bonne fois pour toutes avec le grand fléau de la prostitution, selon l'expression récente d'un très petit énarque de ce bord-là, lequel n'a - d'évidence - jamais rendu visite, au cours de son existence enthousiasmante, à un(e) quelconque travailleur(se) du sexe. Ou encore à une PUTE, comme les putes choisissent souvent de se désigner elles-mêmes (filles ou garçons), tant cette tartufferie fameuse dont le visage de M. Ayrault suffirait seul à fournir une idée convenable - et qui entend donc aujourd'hui les éliminer de la vie publique - les dégoûte, les agace ou encore les fait rire, selon les tempéraments et les périodes.
Le Moine Bleu, quant à lui, aime aller aux travailleur(SE)s sexuel(le)s, afin de les écouter et de les entendre, afin de leur présenter, également, ses respectueux hommages.
Les témoignages ci-dessous, qui ne représentent évidemment pas l'ensemble des points de vue sur la question, ont été recueillis entre Janvier et Novembre 2012. 
Il s'agit, d'abord, d'une définition spontanée de son activité par une jeune escort, ensuite de l'interview de Morgane, membre et porte-parole du STRASS (le Syndicat du Travail Sexuel).
Qu'elles en soient toutes deux remerciées.

1- Elsa

Me présenter...
Je suis une étudiante de 22 ans en littérature. Je ne suis pas entrée dans le métier par nécessité. Quand je suis allée à la fac, je suis entrée dans une association féministe qui avait à cœur de défendre la prostitution de choix et la distinguait de la traite des êtres humains. C'était très différent de ce qu'on m'avait toujours dit au sujet de la prostitution, de sa violence supposée, de l’avilissement que c'était supposé engendrer. J'ai écouté ces autres voix qui parlaient de choix, de respect, et rencontré des putes, hommes et femmes, qui se disaient heureuxSES. Très vite, j'ai pris conscience qu'il me fallait aller plus loin, que je ne pourrais être sûre de mon discours que s'il faisait partie d'une expérience vécue. Je ne dis pas qu'il faille obligatoirement se prostituer pour défendre la prostitution de choix, je dis que moi, j'en avais besoin.
J'ai commencé mon travail en Mars 2009 par petite annonce internet. Mon premier rendez vous consista à aller déjeuner avec un charmant jeune homme qui avait besoin de faire quelque chose de transgressif. Pour lui aller déjeuner avec une pute était le summum du transgressif, pour moi l'aider à faire quelque chose qui lui faisait du bien était lumineux.
Puis il y eut le premier client à payer pour un service sexuel. J'avais une peur bleue, je suis sortie au matin avec un sentiment de puissance, de joie et de calme assez impressionnant. Je me sentais bien, on m'avait bien traitée, on m'avait parlé avec douceur, offert à dîner, un petit déjeuner, abordé des thèmes de société et parlé de théâtre élisabéthain.
Je suis restée occasionnelle 6 mois. J'avais envie de vacances, je bossais. J'avais envie d'un truc, je bossais. Mes parents payaient mon loyer, et officiellement je vivais sur ce que la CAF me versait, ça suffisait pour manger et même sortir, de temps à autre, au théâtre, mais je pensais depuis un moment à trouver un job d'appoint.
Ensuite j'ai arrêté : c'était chronophage. Les mails et les demandes arrivaient à tout moment, par dizaines. Je m'emmêlais dans les rendez-vous, je répondais deux semaines en retard, c'était pas sérieux, pas professionnel, j'ai stoppé. Il y a un slogan de la lutte des putes qui commence par « prostituéE, c'est un métier » et il n'y a rien de plus juste. Pour moi, il faut être professionnel, et pour ça il faut s'y investir.
Je suis allée bosser au Mac Do, avec des horaires définis, un salaire fixe, c'était autre chose, c'était beaucoup moins d'implication, je pouvais le dire aux gens, et je pouvais me plaindre de mes clients, il n'y a pas de jugement moral particulier pour les travailleurs de la restauration rapide, on me plaignait.
Cette année j'ai emménagé avec un ami, je n'ai plus envie de dépendre de mes parents, alors j'ai repris de manière régulière. J'ai conscience d'avoir des conditions de travail agréables qui ne sont pas celles de toutes les putes. Ma vie, mon parcours sont les miens. J'ai des amiEs ouvertEs, qui ne dévalorisent pas mon travail, qui le comprennent, à qui il ne viendrait pas à l'esprit de répondre à « J'ai eu un client désagréable » par  : « ça prouve que ton activité est mauvaise et qu'il faut arrêter de faire ça.»
Tout le monde n'est pas capable d'exercer ce métier, tout le monde n'est pas non plus capable d’être contrôleurSEs aérien, avec les responsabilités que ça implique, ou ouvrierEs à la chaîne, qui est un travail très dur et qui n'est pas assez valorisé, ou autre chose.
J'ai rencontré des gens qui vivaient mal notre métier. Bien souvent, le problème de fond c'était le regard des gens, les jugements de valeur des gens qui bloquaient. Les putes étudiantes qui ont vu leurs photos affichées sur les murs de leurs facs, les gens qui ont pensé pouvoir le dire aux personnes qui partageaient leurs vies, amiEs, amantEs, proches et qui se sont pris en pleine face des mots très durs. C'est aussi le cas des acteurs pornos, des modèles érotiques et de tout ce qui à un rapport avec le travail sexuel. Bien sur, je ne dis pas que c'est la seule raison pour laquelle on peut mal vivre la prostitution, il y a de la violence, mais je ne vois pas en quoi empêcher par tous les moyens la prostitution de s'exercer va réduire cette violence.
Quand j'ai rouvert ma messagerie professionnelle en 2011, j'ai trouvé des mails de plus d'un an, de clients inquiets, qui voulaient juste savoir si j'allais bien. J'ai eu une bouffée de tendresse pour ces gens. Dans mon métier il y a cet aspect, très rare, de ces gens qui, après une rencontre, vérifient qu'on est bien rentrée, qu'on va bien. Qui s'inquiètent de notre plaisir, de notre bien-être. Des gens ont pleuré dans mes bras, ils ont joui, ils ont ri, discuté, soufflé. Parfois, le service sexuel, c'est une excuse, les raisons sont plus profondes, ce n'est pas la majorité des clients, mais preuve en est que ça existe.
Prendre dans mes bras un corps fatigué, usé, hésitant, un corps qui ne cherche qu'un corps ami, sur lequel se reposer en confiance. Lisser ce corps, le bercer, le rendre plus léger. C'est ce qu'il y a de beau pour moi, dans mon métier.
C'est pas toujours ainsi, mais ça compense de beaucoup mes clients plus désagréables, la peur de tomber sur un plaisantin, un agresseur ou la police.
J'ai rencontré le STRASS (Syndicat du Travail Sexuel) le jour de sa naissance, mon association était invitée aux Assises de la Prostitution du 20 mars 2009. J'y suis allée, c'était hallucinant. On a annoncé la création dans la grande salle, j'ai vu une prostituée qui avait 40 ans de métier pleurer, elle m'a dit à quel point elle attendait ça, à quel point elle avait de l'espoir, là tout de suite. C'était le lendemain de la sortie télé d'un grand reportage qui laissait parler des prostituées libre de leur choix.
Certaine étaient là, je me suis approchée de l'une d'elles, et je lui ai dit : « Vous êtes formidable, merci de parler pour nous » et elle m'a dit : « Je n'ai pas le choix, il faut lutter. Et un jour, c'est toi qui parlera. » J'ai pas osé prendre mon adhésion ce jour la, j'étais une occasionnelle qui avait bossé trois fois, je ne me sentais pas légitime.
J'ai suivi le STRASS de loin, un peu lâchement, jusqu’à ce que la situation soit trop insupportable pour que je puisse ne pas donner ma goutte d'eau au mouvement.
Je suis allée manifester devant l'Assemblée un matin, les activistes du STRASS prenaient un café juste avant d'y aller, on a donné un tract à la patronne du lieu, elle nous a dit : « C'est très bien ce que vous faites... » 
J'étais en lutte, la boucle était bouclée. 
Aujourd'hui c'est moi qui parle.

2- Morgane

LE MOINE BLEU :  Peux-tu, pour commencer, rappeler les nouvelles menaces concrètes planant sur les putes du fait du projet de loi déposé en décembre dernier par les députés Bousquet (PS) et Geoffroy (UMP), et du vote unanime par l'Assemblée d'une résolution rappelant la « position abolitionniste de la France en matière de prostitution » ?

MORGANE : Le vote de cette résolution a permis à Madame Bousquet d'aller dès le lendemain déposer son projet de loi sur la pénalisation des clients. Cela a donc marqué le franchissement d'une étape dans la mise en place d'une politique qui vise à nous faire disparaître. Aujourd'hui d'ailleurs, lorsque l'on demande à Mme Vallaud-Belkacem quand le délit de racolage sera enfin abrogé, elle nous répond qu'il ne pourra l'être que dans le cadre du vote d'une nouvelle loi.... La « menace » est donc que l'abrogation du délit de racolage soit conditionnée à la mise en place d'un délit de pénalisation des clients, ce qui reviendrait sur le terrain exactement à la même chose en termes de dégradation des conditions de travail des travailleurSEs du sexe... 

LE MOINE BLEU : « Prostituée », « Pute »... Quelle est, de ces deux appellations, celle qui a ta préférence pour définir ton activité, et pourquoi ?

MORGANE : Je préfère « pute ». Le mot « prostituée » est construit sur une forme passive et est difficilement séparable de toutes les connotations négatives dont il est imprégné. Lorsque j'emploie le mot « pute », au contraire, l'accent est mis sur la dimension active du travail, voire, au-delà, d'une certaine identité, puisque ce mot est, comme on le sait, également une insulte destinée à stigmatiser les femmes. En faire une identité est donc une manière de s'en servir comme bouclier face aux attaques de celles et ceux qui peuvent me mépriser en raison de mon comportement sexuel. J'emploie également le terme de travailleuse du sexe, pour insister sur la dimension de « travail », et donc de droits qui devraient en découler.

LE MOINE BLEU : Que réponds-tu à l'argument (qu'on vous oppose ad nauseam) selon lequel la prostitution que vous défendez, activité choisie, ne représenterait qu'une fraction ultra-minoritaire de la prostitution ?

MORGANE : On oppose sans cesse prostitution « choisie » et prostitution « contrainte ». En réalité, il y a tout une continuité de situations entre les travailleuses du sexe les plus « libres » et celles les plus « contraintes ». La contrainte économique peut être plus ou moins forte ; il n'y a pas d'un côté celles qui font ça « juste pour le plaisir », et de l'autre celles victimes à la fois de contraintes économiques et de violence de la part de proxénètes mafieux. À moins que la contrainte vienne d'un tiers qui use de violence, le travail sexuel est toujours, dans une certaine mesure, un choix, même si les conditions de ce choix laissent peu de marge de manœuvre. Mais quoi qu'il en soit, retirer ce choix à des personnes qui peuvent en avoir déjà très peu ne va certainement pas les aider. C'est sur l'extension des choix possibles qu'il faut agir, pas sur ces choix en eux-mêmes. Ensuite, quand bien même nous serions minoritaires, nous considérons que ce n'est pas une raison pour ne pas nous donner nos droits, d'autant que c'est justement le moyen le plus efficace de lutter contre l'exploitation, et donc d'aider également cette majorité supposée de personnes exploitées au nom de laquelle tout le monde prétend agir... 

LE MOINE BLEU : La prostitution est-elle pour toi un métier, une simple fonction alimentaire, bref selon l'expression ouvrière, un chagrin qu'on abandonnerait, dans l'idéal, avec le plus grand plaisir, ou la charges-tu, toi, d'une signification plus universelle, plus affective ? En clair, est-ce un métier comme un autre, c'est-à-dire aussi désagréable qu'un autre ?

MORGANE : C'est un métier, bien évidemment ; un métier qui demande des qualités, des aptitudes particulières ; il ne suffit pas d'écarter les cuisses ; c'est avant tout un métier très humain, et c'est pour cela que ce n'est pas un métier comme un autre, car souvent on donne en effet beaucoup de soi, comme dans la plupart des métiers qui relèvent du « Care », des métiers du domaine médical, psychologique, social, etc... En cela il est particulièrement riche mais peut aussi être éprouvant, épuisant. Il est donc aussi « désagréable » qu'un autre, et il est évident que si on était pas obligéEs de travailler pour vivre, on préférerait souvent se consacrer à autre chose, mais cette question n'est pas spécifique au travail sexuel....

LE MOINE BLEU : L'exploitation capitaliste est une exploitation du corps et du temps du travailleur. Poses-tu, à titre personnel, une équivalence stricte entre l'exploitation du corps de la pute et celle d'un exploité à l'usine, par exemple, ou d'une caissière de supermarché ? Cette équivalence implique-t-elle à tes yeux un rapport particulier au corps, une plus grande facilité d'en user, un plus grand détachement vis-à-vis de lui ? En termes clairs, au-delà des parcours forcément individuels, quelle influence penses-tu que la prostitution puisse avoir sur la sensibilité de celles et ceux se livrant à cette activité ?

MORGANE : En ce qui concerne l'exploitation, ça dépend vraiment des conditions dans lesquelles on exerce … Entre une pute indépendante et une qui travaille dans un bordel, le rapport à l'exploitation se pose dans des termes différents... Dans le cas d'une pute qui bosse pour un patron/proxo, il n'y a en effet pas de différence avec les autres salariéEs dont un exploiteur va s'approprier la force de travail. C'est d'ailleurs souvent pour échapper à ce rapport d'exploitation que des personnes qui ont pu être salariées deviennent ensuite putes, et c'est à ce titre que nous ne voulons pas des maisons closes, puisqu'il s'agit justement d'un modèle qui repose sur une telle exploitation. En ce qui concerne le rapport au corps, exercer le travail sexuel nécessite en effet un rapport « particulier » ; mais nous avons touTEs un rapport « particulier » au corps, même si seul un d'entre eux est reconnu comme « normal » ; je veux dire que le fait que je puisse offrir des services sexuels ne signifie pas que je suis plus « détachée » de mon corps ; au contraire même, puisque celui-ci est mon principal outil de travail. Enfin, je ne pense pas que ce soit la prostitution qui ait une influence sur notre sensibilité ; selon moi c'est plutôt, au contraire, la sensibilité que l'on a au départ qui va conditionner le fait d'entrer ou pas dans cette activité.

LE MOINE BLEU : Le STRASS se présente comme un syndicat. Outre la difficulté qu'il y a à syndiquer une activité  au sens strict « non-salariée » telle que la prostitution, ressens-tu l'existence malgré tout, au sein du STRASS, d'un point de vue général sur le salariat, sur son abolition éventuelle ? Tout syndicat libertaire entendant (au moins statutairement) en finir à terme avec l'exploitation, la mainmise du travail sur nos existences, de ce point de vue le STRASS peut-il être, d'après toi, considéré comme une organisation libertaire (ou même simplement politique) ou se contente-t-il d'une défense pragmatique (d'ailleurs fort honorable) de ses membres ?

MORGANE : La défense des droits des travailleurSEs du sexe participe d'une lutte sociale et politique plus générale évidemment. D'une part, parce que nous nous opposons en effet à toute mainmise des « patrons » sur notre travail et promouvons plutôt des modèles d’organisation autogestionnaire du travail ; dans ce cadre, ce sont moins « nos membres » que nous défendons que la possibilité pour touTE travailleur(se) d'avoir accès à ses droits. J'en profite pour rappeler que ne peuvent adhérer que les travailleurSEs eux/elles-mêmes, et non les différents patrons, etc de l'industrie du sexe. D'autre part, la défense de notre existence en tant que travailleur(SE)s du sexe participe de la défense d'idées féministes (et libertaires) selon lesquelles l'Etat n'a pas à s'arroger le droit de contrôler la sexualité des personnes, notamment des femmes. Il faut bien garder en tête que les lois répressives à l'égard du travail sexuel sont utilisées comme outils de contrôle sur l'ensemble de la population en général, et notamment sur les personnes migrantEs. C'est également à ce titre que nous les combattons.

LE MOINE BLEU : Le STRASS est souvent accusé par ses détracteurs de vouloir « rouvrir les maisons closes ». Peux-tu préciser votre position sur ce point ?

MORGANE : Depuis sa création, le STRASS ne cesse de réaffirmer son opposition à tout réglementarisme strict, et donc aux système de maisons closes (voir par exemple ICI !). Nos détracteurs pointent sans cesse du doigt des États réglementaristes (comme les Pays-Bas) pour illégitimer nos revendications. Sauf que nous ne demandons absolument pas ce genre de système. Tout réglementarisme, dans la mesure où il ne vise qu'à autoriser une seule manière de travailler, déclarée et contrôlée par l'État, continue donc de laissser dans la clandestinité les travailleurSEs qui ne veulent (ou ne peuvent) pas se plier à ce système. Il en découle des conditions de travail dégradées pour les manières d'exercer « clandestines », et une augmentation du proxénétisme et de l'exploitation. C'est pourquoi nous demandons non pas une réglementation particulière mais l'application du droit commun : que chaque travailleurSE du sexe puisse exercer selon ce qu'elle estime préférable pour elle.

LE MOINE BLEU : Certains membres du STRASS ont des responsabilités politiques au sein de formations de la gauche parlementaire (chez les Verts, notamment). Cela ne pose-t-il pas problème au vu des décisions dramatiques que s'apprête à prendre ladite gauche parlementaire à votre encontre ? Au sein du STRASS, grossièrement, une sensibilité politique majoritaire existe-t-elle, ou bien les positions sont-elles là-dessus plus diffuses ?

MORGANE : Les positions sont diffuses ; en tant que syndicat, nous ne sommes pas partisans d'un quelconque parti, mais luttons pour nous faire entendre et défendre nos droits auprès de celles et ceux qui ont le pouvoir de changer les lois. Ensuite, il est évident que nos revendications sur la régularisation des sans-papiers et notre opposition à une réglementation qui ne permettrait que de nous faire exploiter légalement par le biais d'un strict réglementarisme, par exemple, ont peu de chances d'être entendues par les partis de droite ou défendant des idées néo-libérales.

LE MOINE BLEU : Les rapports entre le STRASS et le centre LGBT (Lesbien Gay Bi Trans) de Paris sont parfois extrêmement tendus. On se souvient des propos franchement hostiles tenus, contre vous et Act-up, par la présidente Christine Le Doaré en décembre dernier, ainsi que de certaines agressions verbales, voire physiques, que vous avez eu à subir de la part de militant(e)s LGBT durant une récente « Manif des Femmes ». La situation s'est-elle calmée ? Comment expliquer une telle violence à votre endroit ? Penses-tu, comme Didier Lestrade ou d'autres, qu'une part importante de la communauté homosexuelle pense désormais « à droite » ?

MORGANE : Christine Le Doaré a enfin quitté son poste de Présidente du CLGBT suite aux dernières élections, nous nous en réjouissons. En ce qui concerne plus généralement les tensions à l'intérieur du mouvement LGBT et féministe sur la question du travail sexuel, la situation est assez tendue, en effet. D'un côté, les féministes abolitionnistes semblent de plus en plus violentes à notre égard : nous avons encore récemment été victimes d'exclusions et de violences lors du rassemblement contre le verdict de Créteil (dans le procès des viols collectifs perpétrés à Fontenay-sous-Bois, note du MB). D'un autre côté, de plus en plus de personnes ne se reconnaissent justement pas dans ce féminisme hégémonique ; ainsi, lors du 8 mars dernier, nous avons réussi à créer une alliance au sein du collectif « 8 mars pour toutes » qui regroupe des militantEs féministes, LGBT, anti-racistes, à l'intérieur duquel nous continuons à travailler (nous avons ainsi organisé récemment une conférence débat : « Des féministes contre la pénalisation des clients ») ; Enfin, je ne pense pas que les féministes ou LGBT soient « passé(e)s à droite » mais qu'une part d'entre elles et eux y a certainement toujours été, et si personnellement j'ai du mal à concevoir comment on peut être de droite, d'autant plus quand on appartient à une minorité (ce qui induit souvent un parcours de vie peut-être plus difficile, qui incite en principe à réfléchir sur les idéologies dominantes), il faut croire que les minorités elles-mêmes n'échappent pas à l'influence des discours de plus en plus (extrême)-droitiers de ces dernières années... 

LE MOINE BLEU : De manière générale, comment expliquer la sorte de fracture séparant aujourd'hui LES féminismes sur cette question de la prostitution ? En 1975, les féministes soutenaient majoritairement Grisélidis Réal et les mouvements d'occupation d'églises. Au fond, d'après toi, que s'est-il passé ?

MORGANE : En fait, si à l'époque les féministes soutenaient les putes face à la répression, c'était quand même avec un fond profondément abolitionniste... Depuis, ce qui s'est passé, je crois, c'est que les putes sont de plus en plus devenues elles-mêmes sujets des discours les concernant, et sont donc en train de remettre profondément en cause les arguments des abolitionnistes/prohibitionnistes, ce qui a mené et mène encore à des débats vraiment très virulents, dont il est impossible pour le moment d'anticiper l'issue, voire même d'être certaine qu'il y en aura une un jour... 

jeudi 2 août 2012

Grisélidis et offensive


Nous avons déjà évoqué ici l’œuvre de Grisélidis Réal, du moins le traitement spécial qui lui fut réservé naguère, en un vague lieu de théâtre. Cette œuvre dépasse de beaucoup le littéraire simple, le simple anecdotique compost stylistique. De même que Jünger, soldat contrarié d’une certaine puissance inique contemporaine, comprend idéalement la guerre et son sens final, savoir : son seul développement technique, la grande Grisélidis, ayant vécu de son corps, entre enfin avec lui en un rapport - presque amical - de connaissance parfaite, nostalgique, arasée d’illusions, sans doute, point de sympathie. Sa vie durant, elle conserve à ce corps - pure idée de son être - une entière confiance. Ce n’est pas lui, jamais, qui vint trahir en elle l’humanité mais bien les autres : le corps, les mensonges et la violence des autres. 
L’existence de la pute, figure libre quoique suprêmement menacée, est tissée de danger. Toujours elle se trouve poursuivie, avec haine, par les plus faibles, les plus misérables des hommes, ou bien ces femmes dérisoires qui les servent, et qui rouleront pour eux jusqu’au gouffre. Toujours le danger vient de ce Bourgeois assailli de pulsions, qu’il réprime, enfouit, enterre, recouvre du sable gris qui lui constitue l’âme. 
Mme Najat Vallaud-Belkacem, porte-parole du gouvernement socialiste, qui fourbit à cette heure, pendant ces congés payés-ci, son projet de loi future abolissant la prostitution - pénalisant notamment les clients des putes - roula auparavant des années entières pour ce type de personnage auquel elle emprunte désormais, plongée dans le rayonnement politique le plus intense, la ridicule incarnation, l'expression inepte. M. Gérard Collomb fut ce noble mentor dont nous parlons, digne Maire de grande ville, fréquentant peut-être les putes, peut-être cela lui arriva-t-il, peut-être non, n’entendant en tous cas pas les apercevoir en bas de chez lui, à proximité d’écoles, à proximité d’enfants. Ceux-ci, face à M. Collomb, doivent rester sans questions. La télévision, seule, plus tard, se chargera des réponses. Elle montrera alors, auxdits enfants devant pour l'heure être épargnés, des putes tout à fait comme il faut, c'est-à-dire postées, en attente, parmi l'ailleurs lointain. Les putes, surtout, ne sauraient apparaître devant ces cafés reluisant d’élégance où M. Collomb aime, depuis les premiers élans fiévreux de l'engagement, à causer politique, culture et entreprises d’insertion avec ses collègues de gauche. 

La loi, donc, et les élus du Peuple, devraient bientôt rendre encore plus dangereuse la vie déjà compliquée des putes, de ces femmes enchaînées, comme les autres, à l’économie (dont le maquereautage ne fournit qu’un secteur de pointe, temporairement innovant et illégal), de ces femmes libres, pourtant, dispensant leurs cul, chatte et bouche dans un bruit de scandale, cependant qu’une caissière salariée soulève, de ce même corps de femme, près d’une tonne quotidienne de marchandises dégueulasses. En déchaînant l’immense plaisir de M. Collomb et Mme Vallaud-Belkacem, lesquels, c'est bien connu (ils nous le font bien connaître) se coulent dans des torrents de jouissance chaque fois que de l’emploi, par ici, vient à jaillir du néant.
« Marchandisation des corps », disent-ils. Et aussi « Barbarie de l’exploitation ». Ces gens n’ont, en vérité, jamais dit sans le savoir qu’une seule, unique et même petite chose.
« Un jour viendra où nous paierons. »
 

Félicien Rops, Mors Syphilitica

Les faire payer, justement (à tous points de vue, certes), c’est bien ainsi que Grisélidis l’entend. Et cet instrument de vengeance, voilà que la sublime le découvre un beau jour, un jour laid, plutôt, et terrible de plus qu’elle se prostitue en Allemagne, auprès de soldats noirs (elle a toujours eu pour les Noirs, leur liberté et leur sexe, dit-elle, un amour sans limites) casernés en ce pays vaincu, et retors, dans les années soixante. 
Les pires violences physiques lui sont alors imposées. Elle sauve sa vie, plusieurs fois, d’extrême justesse. Souvent, elle manque mourir du fait de cette clandestinité déjà imposée à l’époque, par la morale et ses amis glorieux, aux putes.
Et puis, soudain, dans son malheur, voilà qu’est dénichée l’arme suprême, le Fléau, la maladie ignominieuse dont elle se voit frappée, qu’elle entend bien retourner, dès lors, ivre de haine, contre tous les monstres, tous les tartuffes l’ayant outragée à divers degrés.
La leçon porte, aujourd’hui encore. Et ces derniers, qui n'ont guère changé, gagneraient fort à la méditer.
Grisélidis devait certainement ignorer, quoique l’appliquant parfaitement d’instinct, cette divine consigne du camarade Panizza, dans son Concile d’Amour : va donc et baise, et les frappe tous, prêtres de base, curés, archevêques et puis, enfin, papes.
« Va, descends, et surtout n’oublie pas ! de bien respecter la hiérarchie… »



George Grosz, Les funérailles d'Oskar Panizza

« Il me vient une blessure à la lèvre, un bouton matelassé de blanc, hideux, douloureux. Qu’est-ce que c’est encore ? Non, je ne veux pas y penser. Je ne veux pas savoir. Je ne veux pas. Il y a aussi d’étranges taches rouges, violacées, sur mon ventre. Ce n’est rien, n’est-ce pas ? Quelques veines qui ont sauté, voilà tout. Il ne faut pas s’affoler. Pas de faiblesse, hein ! Ne rien croire ! Je n’ai pas peur. Il ne pourra rien m’arriver. N’est-ce pas, Seigneur ? Réponds, hypocrite, comédien ! Et l’analyse négative, alors c’est quoi, ça ?
J’ai mal, j’ai si mal au fond de la gorge. C’est une angine, voilà tout, une énorme angine carabinée. L’hiver est dur.
Ces blessures blanches, maintenant, il y en a plusieurs qui se relaient, qui s’avancent au bord de ma bouche. Le rouge à lèvres sur elles ne prend pas. Elles restent là, obstinément, luisantes, poreuses, blanchâtres. Je ne peux presque plus rien avaler. C’est terrible, cette infection des amygdales qui refuse de céder aux pastilles habituelles.
Je vais étouffer si ça continue ! Ne pas penser ! Suce des pastilles, gargarise-toi, tais-toi !
Deux mois, avait dit la doctoresse. Si c’était ça ! Je n’embrasse plus personne. Ça fait trop mal. Au moindre attouchement, c’est à hurler. Ces blessures, elles sont vivantes. Elles bougent, elles voyagent sur mes lèvres. Comme de petites bouches qui bouffent la mienne.
Je me cramponne, je ne veux pas encore m’avouer vaincue. Et pourtant, si je transportais maintenant cette pourriture ? Si elle était incrustée en moi, dans ces blessures qui remuent et qui souffrent ? Si j’allais en donner aux autres ? Aux Noirs, aux Allemands ? Eh bien, mais qu’ils en crèvent ! Le sang noir est plus fort. Qu’il résiste ! Les autres, je m’en fous. Chacun son tour !
Un matin, plus aucun doute n’est possible : toute la paume de mes mains, et la plante des pieds, sont piquetées de petites pointes rouges-violettes comme des épines du rosier. Je fleuris, je pourris ! J’ai la syphilis ! (…)


Suivent les soins et les devoirs imposés par cette royale décoration. On est contagieux jusqu’à la deuxième piqûre. Il me reste deux nuits pour foutre la syphilis à toute l’Allemagne comme on incendie de vieilles hardes ! Et de ce vitriol ils engrosseront leurs épouses !
Si je les tenais tous ! Celui qui m’a promenée en voiture toute une nuit, dans la forêt, dans le brouillard, pour dix marks ! Celui qui m’a parlé d’amour pendant des heures pour me voler deux marks dans mon porte-monnaie à cinq heures du matin !
Si je tenais celui qui m’a emmenée dans un quartier désert, loin de tout, et m’a jeté vingt marks à la figure en menaçant de me laisser sur place si je refusais ! Et les deux chancres de cinéma et leurs promesses de rôle dans un film, venus à deux dans notre chambre un matin ! Et celui qui voulait lâcher sur moi ses chiens !
Oui tous ! Tous ! Une grande giclée de pus dans leur bouche ! Pardon, Noirs. Pardon à trois de mes Noirs, à trois frères en syphilis. Pardon à Roy Blaine Miller, qui l’a cuvée dans sa cellule solitaire. Pardon au soldat en uniforme, venu l’après-midi du deuxième jour, pardon à son sourire. Pardon au grand brutal de la caserne aux barbelés. Elle vous a eus, la rose à l’écume rouge. Elle vous a mordus.
Mais les autres, inconnus et mouchetés de bave écarlate ! Paix, Syphilis ! Baise et prolifère ! Bouffe les Judas ! Empuantis les Frohe Weihnachten ! Ô Tannenbaum couvert de pustules, aux verges allumées, enrubannées de pus, chantant la gloire du petit Jésus ! Faveurs roses et ficelles dorées, chocolats et truffes à la gangrène !
Gloria, Syphilis, Amen !
Avant que la pénicilline ne t’emporte, mes cheveux tombés par poignées, mes dents pulvérisées, cassées, je te les abandonne. Fais-en des bijoux pour tes amants.
Louée sois-tu Syphilis. Louée dans les ventres et dans les amygdales trouées. Dans les ulcères des sexes et des lèvres brûlées ! Louée au plus haut des yeux et sous la plante des pieds. »

Grisélidis Réal, Le noir est une couleur.