vendredi 31 janvier 2014

mardi 28 janvier 2014

Information pratique

Nous informons notre aimable lectorat qu'il pourra retrouver, dans les meilleures conditions de lecture, notre ancien article consacré au gauchisme de rue japonais - intitulé La Nostalgie Zenkyoto - en cliquant sur la rubrique Anti-monde vaincra ! (voir le nuage ci-dessous dans la colonne de droite) puis en défilant jusqu'à l'article en question.
Cette précision vaut en particulier pour le dernier tableau de traductions explicatif que les soins du bon M. Blogger rendraient, sans cette fine manoeuvre, presque illisible à tout visiteur (a)normalement constitué.

Hommage à Michel Sapin (suite) : 4 millions voices et quelques...


 

Un trotskiste, un parti. 
Deux trotskistes, une chanson.

lundi 27 janvier 2014

Tube de l'hiver

           Spéciale dédicace à Michel "inverseur de courbe" Sapin... 

I was living in a newtown
I had problems with my parents
So I moved on up to London town
Where they said that things were happening, going down
 
Chorus:

Living in a bedsit
Bunking the tube trains
Sleeping all day long
And you know no one, cos you don't go out,
cos you've got no work
You just watch television
Living with unemployment I, I ain't got a job And, there's no work in the city
They, they always try to blame it on the blacks
But it's really those in power that stab you in the back
 
Chorus

'round our way, we ain't got a lot
and after two years on the dole, I felt I'd been left to rot
but now I've joined the Army and, believe it or not
I'm going to Northern Ireland and, I'm going to get shot !

Chorus

Living with unemployment Oh you get so lonely
Living with unemployment
It gets so frustrating
Living with unemployment
And the Neurotics wanna tell you, what it's like to be
Unemployed, out of work, unemployed, out of work (repeat)

"Try to stay, out of trouble dear..."

It's lonely for you
And it's lonely for me
It's lonely for all of us - can't you see?
 
Chorus
 
Living with unemployment
Oh you get so lonely
Living with unemployment
It gets so frustrating
Living with unemployment - living without

When you're out of work
They treat you like dirt
When you're out of work
They treat you like dirt

It's all part of the plan (8)
We are the scroungers (4)
Living with unemployment

samedi 25 janvier 2014

À l'oreille



« L’oreille, organe de la peur, n’a pu se développer aussi amplement qu’elle l’a fait que dans la nuit ou la pénombre des forêts et des cavernes obscures, selon le mode de vie de l’âge de la peur, c’est-à-dire du plus long de tous les âges humains qu’il y ait jamais eu : à la lumière, l’oreille est moins nécessaire. D’où le caractère de la musique, art de la nuit et de la pénombre. »

(Friedrich Nietzsche, Nuit et musique, dans Aurore).

vendredi 24 janvier 2014

Bernarda Fink, junge Nonne...

La splendide mezzo argentine Bernarda Fink (voir ci-dessous), naguère délicieuse interprète avec Gerold Huber d’un fameux disque de Lieder schubertiens (dont vous pourrez écouter ici le très érotique La Jeune Nonne), sera à Paris, à la Cité de la Musique, pour y chanter (et y faire certainement aussi bien d’autres choses qu’hélas ! nous ne soupçonnerons jamais), ce vendredi 31 janvier. Elle chantera Schumann (Waldszenen op. 82, Eichendorff-Liederkreis op. 39), Debussy (Trois mélodies d’après Verlaine) et Mahler, la Cité de la Musique se préoccupant ces jours-ci, après ceux de la Nuit et des Fleuves, des grands mystères – romantiques – qu’exhale la Forêt : « Dans la nature, dans les rêves de la solitude des forêts, de même que dans le labyrinthe du cœur de l’homme, sommeille, depuis les origines, un chant merveilleux et éternel » (Eichendorff). Jünger eût apprécié. Pour le meilleur (son « recours aux forêts ») et, évidemment, le pire (sa figure du « Grand Forestier »). Quant à Wagner et Siegfried…  

 
            
           

Bref. Tout cela nous passionne aussi, vous pensez bien. Et, en principe, nous y serons. C’est 25 euros. Rappelons que le prochain Pouffe Daddy à Bercy-sur-Mort devrait coûter le quadruple, au bas mot. Oui, nous y serons. Deux heure et cinq minutes de notre temps de travail devraient, selon nos calculs, être nécessaires à l’aperception finale de la sublime Bernarda Fink, que, finalement, nous apercevrons. Mais voilà que retentit, et se rapproche, le reproche de certaine bande dite « féministe » trouvant pourtant son plaisir quotidien essentiel à abolir parlementairement les putes et puis aussi les « mademoiselles » dans le code civil, ainsi qu’à promouvoir les femmes-flics, entrepreneuses et huissières de justice, parce qu’elles le vaudraient bien (les femmes). « Bernarda Fink, sublime, dites-vous ? » dit la bande. « Vous n’eussiez point dit « sublime » pour un homme, vous vous fussiez plutôt concentré, avec déférence, sur ses simples compétences organiques de chanteur... » Et la bande a raison. Nous profiterons donc de cette annonce pour annoncer, du même coup, dans la foulée, le récital de l’affreusement dégueulasse Matthias Pintscher (voir ci-dessous), chef de l’Ensemble Intercomporain, amené à diriger la semaine suivante (soit le 7 février), au même endroit, ce terrible Winterreise (« Voyage d’Hiver ») de Schubert que nous chérissons tant.
Non mais.
La barbe.



jeudi 23 janvier 2014

Und kein Ende


 

                           

mardi 21 janvier 2014

Le monde comme il va

Hommage rendu à Gustav Klimt par la maison Nike (source : Le journal du design, 2010).

« Si marcher sur deux jambes n'est pas naturel à l'homme, c'est quand même une invention qui lui fait honneur. »
(Georg Christoph Lichtenberg)

samedi 18 janvier 2014

La nuit veille...



L’exposition La Renaissance et le rêve, au Musée du Luxembourg, s’achève le 26 janvier prochain. Sans qu’on doive, certes, s’en relever la  nuit, elle nous semble tout de même mériter le détour. Les quelque quatre-vingts œuvres qui y sont présentées se trouvent en effet – un fait suffisamment rare pour être noté – accompagnées d’une présentation et de commentaires rien moins que niais ou pompeux. 
Chaque époque ne se posant jamais que les problèmes qu’elle peut résoudre, la redécouverte, par le monde de la Renaissance, du paganisme et de ses diverses philosophie et mythologie, n’implique pas encore – appliquée aux questions de la nuit, du sommeil, du songe – cette attitude rebelle typique de fuite nyctalope hors du monde bourgeois (diurne) qui caractérisera le romantisme. Point question ici de cette nuit de l’Absolu où toutes les vaches transgéniques sont grises, écrasant les distinctions nées de l’analyse, et à laquelle certains tisseront des « hymnes » enthousiastes. Ni de l’obscurité salutaire, appelée ardemment par des amants illégitimes désireux de s’y dissimuler, et d’y abolir la claire domination des normes sociales. Il s’agit, pour les artistes et penseurs de la Renaissance, d’établir un statut positif du rêve comme « inter-monde », ou occasion d’accès annexe privilégiée aux mêmes réalités supérieures déjà offertes, dans l’état de veille, à la réflexion rationnelle. L’exposition décline ainsi trois thèmes n’en formant qu’un seul, ne posant au vrai qu’une seule gigantesque question : comment atteindre à la vérité par la nuit et le rêve, aux plans religieux, artistique et personnel… ? Cette dernière catégorie, proprement sociale, renvoie à l’interrogation nouvelle que se pose quant à elle-même une humanité peu à peu appelée à se fractionner en corporations, classes et identités sociales distinctes, séparées. Le cas du « prince rêveur » François 1er de Médicis, grand-duc de Toscane, témoigne d’une réaction instinctive à ce nouvel état de fait. Sur ce personnage auquel l’exposition consacre une section autonome, « la nuit a exercé une véritable fascination : elle est l’espace-temps qui lui permet de se projeter, à travers le rêve, dans une autre expérience mentale et existentielle, d’endosser des identités différentes et de réaliser ainsi nombre d’expériences fantastiques. L’idée du rêve comme espace de liberté et de créativité imprègne symboliquement les œuvres, les lieux et les moments qui lui sont particulièrement chers. Tel celui de son mariage avec Jeanne d’Autriche, le 2 février 1566, pour lequel il a conçu une fête nocturne consacrée au monde onirique : la Mascarade ou Triomphe des Rêves » (dixit le catalogue). C’est par le truchement d’un célèbre dessin de Michel-Ange, intitulé Le Rêve ou Allégorie de la vie humaine, ayant beaucoup compté pour François 1er, que l’attention du spectateur se trouve attirée là sur le destin de ce grand-duc. D’autres œuvres postérieures, faisant écho à ce dessin fondateur, reprenant fidèlement, développant ou détournant ses thèmes et motifs, sont également visibles, et c’est ainsi que l’exposition procède (finement), de manière générale. La toute première salle, par exemple, présente ainsi la reprise systématique d’une autre œuvre de Michel-Ange : La Nuit (1530-34), sculpture ornant le tombeau de Julien de Médicis à Florence. « Les « imitateurs » ont diversement réélaboré cette savante composition ; mais tout en modifiant quelque peu les attributs et la pose – celle même de la Léda dessinée par le maître –, ils ont conservé l’essentiel : la Nuit veille. Son regard est tourné vers l’intérieur ; ses yeux sont clos, mais fertiles. Car elle n’est pas simple absence de jour ; elle redistribue les formes, appelle d’autres couleurs et crée une autre lumière » (id.). Une autre lumière dirigée sur un monde régi par des puissances divines, et infernales, avec lesquelles sommeil et rêve permettraient d’entrer en contact immédiat, hors les dogmes ou l’étude. Marsile Ficin avait posé en 1482, dans sa Théologie platonicienne, dans la lignée du Timée, que « l’inspiration surgit dans les moments de dépossession du sujet, caractérisés par la perte de raison. » De là, l’intérêt suprême des créations du sommeil rendant « possible à l’âme, médiatrice entre le corps et le monde, de se libérer temporairement des servitudes de la matière : l’occasion en est fournie par le sommeil et la mélancolie. Détachée plus ou moins complètement du corps, l’âme de certains endormis peut s’élever vers un principe supérieur et divin ; elle accède à l’état prophétique, de même qu’à l’inspiration poétique » (id.). Un tableau saisissant du Greco, un peu plus loin, intitulé le Songe de Philippe II (montré pour la première fois en France), présentant les visions d’enfer pour ainsi dire baconiennes, acidulées et ultra violettes, venant frapper le très-chrétien roi d’Espagne, donne la mesure d’une telle religiosité légitime. Ailleurs, les rapports du Rêve et de l’Art se trouvent évoqués, toujours à cette aune de l’inspiration féconde (« dans l’Apollon endormi, de Lorenzo Lotto, c’est quand le dieu solaire s’assoupit que dansent les Muses. L’espace du sommeil et du rêve apparaît ainsi comme celui de la « fureur poétique »). Mais c’est la cinquième salle de l’exposition, consacrée au cauchemar, qui est sans doute la plus belle et la plus passionnante. Le polyptyque Visions de l'au-delà, de Bosch, y est exceptionnellement admirable, ainsi que des merveilles parfois anonymes : l’ample Vision apocalyptique, entre autres, d’un Monogrammiste avide de tortures expiatoires et mutilations fantaisistes. On y trouve aussi le Songe du docteur, de Dürer et un petit (par les dimensions) colloque nocturne de teinte jaunâtre intense (comme saisi à la caméra thermique) groupant fripons alcoolisés et sorcières, truffé de créatures étranges, à la jambe ou au bras toujours ésotériquement replié, en proie à de mystérieuses crampes (renvoyant probablement, du point de vue de l’auteur – un anonyme allemand, vers 1580 – à la propre crispation musculaire de l’endormi angoissé accouchant ces visions)… Le cauchemar décrit, picturalisé, est information. Il rend le service précieux de désamorcer, par l’incarnation, la charge opaque du mystère menaçant de dissoudre le sujet. Ce qui est mis au jour, fût-il suprêmement terrifiant et sale, perd cependant de sa puissance. Il dresse, à tous les sens du terme. Érotique, il permet un bilan de ce qui nous tient et nous presse. Il nous éduque, par une condamnation précise et nomenclaturée du Mal. Le Songe du docteur, pour revenir à lui, quelque difficulté qu’on éprouve à lui fournir un sens, est ainsi incontestablement une réflexion sur la connaissance : « On a pu se demander si l’artiste représente un rêveur tenté par Vénus, ou bien (comme le pense Panofsky) les dangers de l’acedia, cette peste de l’âme qui menace les paresseux, ou encore Cybèle se moquant d’un alchimiste endormi devant son four ».  
La supériorité du cauchemar, en tout cas, tel que représenté ici, sur le rêve en général, le rêve abstrait, est patente. Le cauchemar pictural, par la sympathie qu’il déclenche, souvent, pourrait-on dire à peu de frais puisqu’il s’agit fréquemment de représenter une scène simple et quotidienne (justement angoissante dans son réalisme, son inquiétant Familier même), impliquant des personnages ordinaires (y compris, chez Bosch, d’ailleurs) résout la difficulté rencontrée par les artistes désireux, à l’époque de la Renaissance, de montrer adéquatement le rêve, dans son essence : fallait-il mieux alors peindre le rêveur rêvant, ou le sujet du rêve ? Le visiteur de l’exposition se fera son avis.
Le cauchemar emporta le nôtre.  
Trois cents ans avant Freud, dans cet « ancien régime du rêve », la raison se connaît déjà certaines éclipses. Loin de les condamner toujours, elle les devine à la fois porteuses d’information et procédant entièrement d’elle-même. Or, c’est justement dans l’oubli de son obscurité génétique nécessaire, en tant qu’idéologie progressiste totalitaire, que la Raison échouera ensuite, pathétique, à comprendre la « barbarie » surgissant de nulle part. Goya, défenseur des « Lumières » témoin des horreurs perpétrées en Espagne par le camp du Bien (c’est-à-dire des « rationalistes » Français) savait aussi, tout « progressiste » qu’il fût,  se mettre à l’école du Rêve et du Cauchemar : à l’école, en bref, et selon le joli mot de Todorov, de cette « ombre des Lumières ». Et ce n’est point, chez lui, l’extinction de la Raison qui « engendre des monstres » (qu’il convient de fréquenter, de connaître, de respecter si l’on entend qu’ils évitent de vous bouffer jusqu’à l’os) mais plutôt son sommeil, son sommeil rêveur (sueño). 
Mais va donc causer de tout ça à un économiste, ou à un constructeur de centrales nucléaires…


mercredi 15 janvier 2014

Un chant de haine

Trouvée, sur l'excellent site Raum gegen Zement (véritable mine de raretés et pépites esthétiques en tout genre), cette saillie magnifique de celui qui fut probablement l'écrivain allemand le plus radical, en tout cas à l'époque de Wagner et Marx, lesquels comptèrent également l'un et l'autre parmi ses plus fidèles amis. On suppose (Eliza Wille, en particulier) que c'est Herwegh qui fit connaître Schopenhauer à Wagner en 1852 (au moment même, donc, où Wagner écrivait le Ring). Ce qui tend à prouver, s'il en était besoin, que pessimisme et subversion peuvent faire bon ménage, n'en déplaise à certains militants invétérés.


Bonne chan­ce, bonne chan­ce, et fran­chis­sez mon­ta­g­nes et fleu­ves en vous di­ri­ge­ant vers l’au­ro­re! Un der­nier bai­ser à votre femme fidèle, puis sai­sis­sez votre fidèle épée ! Aussi long­temps que notre main ne tom­be­ra pas en pous­sière, il faut qu’elle étreig­ne fer­mement le glai­ve ; nous avons aimé assez long­temps ; nous vou­lons enfin haïr!
Ce n’est pas l’amour qui peut nous aider ; ce n’est pas l’amour qui nous déliv­re­ra. Ô haine! hâte-​toi de rend­re ton der­nier ju­ge­ment ; ô haine ! Hâte-​toi de bri­ser nos chaînes ! Et par­tout où des tyrans respi­rent en­core, fais que nous les sai­sis­si­ons avec au­dace. Nous avons aimé assez long­temps ; nous vou­lons enfin haïr !
Que celui qui possède en­core un cœur, ne le laisse batt­re que de haine ; en tous lieux abonde le bois sec qui doit nourr­ir et gros­sir notre feu. Vous tous qui n‘avez pas déserté la cause de la li­berté, chan­tez à tra­vers les rues de l’Al­le­ma­gne : vous avez aimé assez long­temps ; oh ! app­re­nez enfin à haïr!
Com­bat­tez sans relâche la ty­ran­nie sur la terre, et notre haine fi­ni­ra par être plus sain­te que notre amour. Aussi long­temps que notre main ne tom­be­ra pas en pous­sière, il faut qu’elle étreig­ne fermement le glai­ve : nous avons aimé assez long­temps; nous vou­lons enfin haïr !

Georg Her­wegh, Le chant de la haine.

lundi 13 janvier 2014

Romantisme

« Il y a les romantiques et les imbéciles.»
(Villiers de l'Isle-Adam)

                              

jeudi 9 janvier 2014

" J'espère qu'il n'y aura pas la révolution. Je le crains." (J.-P. Manchette)


 


Les admirateurs de l’œuvre de Jean-Patrick Manchette furent-ils tous comme nous saisis de malaise, voire d’épouvante, à la lecture de certains passages de son Journal, 1966-1974 (publié en 2008 chez Gallimard) ? Manchette, entre deux compte rendus littéraires de haute volée, y dévoile une compréhension progressive de l’époque, en phase avec l’aiguisement des contradictions minant celle-ci de plus en plus violemment, en particulier en Europe et en France. Il abandonne avec le temps (et la découverte, entre autres influences nouvelles, des situationnistes) l’aveuglement marxiste-léniniste intégriste lui ayant jusqu’ici, et notamment sur le moment, interdit d’entendre comme ils le méritaient les événements de 68. Mais son honnêteté est telle qu’il confesse régulièrement, dans ces pages évidemment destinées par essence à se voir publiées un jour, son ignorance générale sur toutes sortes de sujets, quoique on constate symétriquement chez lui une culture importante, sciemment curieuse et encyclopédique, faisant tout l’intérêt, colossal, de l’ouvrage. Sa position, cependant, relativement à la Révolution, dont Manchette semble considérer inévitable le surgissement à brève ou moyenne échéance, est la source de ce malaise évoqué plus haut. C’est qu’alors, sa lucidité est totale, y compris quant à lui-même, quant à ce que lui-même représente en termes de classe, d’incarnation et de subjectivité de classe, relativement à l’insurrection qui vient. Et s’il appelle de ses vœux abstraitement la Révolution, s’il s’en reconnaît un partisan idéologique, il assume du même coup cette franche vérité concrète qu’objectivement la Révolution lui poserait un problème fatal, qu’elle menacerait sa situation, sa vie, peut-être, ainsi que celle des siens et de ceux qu’il aime : de sa femme, Mélissa, par exemple. Cette peur de Manchette devant la Révolution, en même temps, toujours vis-à-vis d’elle, que son incontestable tendance à la considérer comme le seul horizon non-barbare possible du capitalisme agonisant, est particulièrement remarquable. Trouver aujourd’hui un gauchiste bourgeois capable d’une telle honnêteté applicable à soi-même, et d’exposer le déchirement ordinaire qu’elle provoque dans le cœur, relèverait à notre sens de la gageure. L’époque, là-dessus comme sur tout le reste, est au mensonge et à la confusion. Le substitutisme généralisé, la glorification petite-bourgeoise systématique du Peuple dans ce qu’il a de plus vil, imbécile et soumis, en sont des exemples ordinaires massifs et incontestables.

Vendredi 10 octobre 1969 :

« Tant que le système dure, j’essaierai d’en tirer du pognon. Le problème sera d’en tirer le pognon sans se compromettre irrémédiablement, avec le Vieux Monde. Et c’est d’autant plus compliqué que la fonction lucrative qui me serait la plus accessible est celle de récupérateur de la critique. Pour l’avenir guère lointain, il va se présenter des sacrés problèmes. De notre vivant, à l’époque de l’adolescence de Tristan, le choix de l’Histoire sera entre le pouvoir des Conseils et l’engrenage de la violence et du désordre. On ne peut pas espérer en toute confiance qu’il n’y aura pas, d’ici dix ans, des combats de rue sous nos fenêtres, d’une part – mais ça, c’est un détail, je veux dire que ce n’est guère moins confortable si les combats sont à Billancourt et au Petit-Clamart. De toute façons, ça va tirailler un peu partout, avant que nous ayons quarante ans. Assez conscient que je suis, je crois, de la révolution, et désireux d’elle, je suis écarté, pourtant, de la faire, parce que je bénéficie, extraordinairement, de telle circonstance « remarquablement fortuite » (la présence de Mélissa) qui fait qu’il ne m’est pas impossible d’être heureux. Je cherche donc à me ménager le pur retournement de veste. Avec le système, tant qu’il pourra m’appointer abondamment. Avec la révolution, dès qu’elle sera le seul moyen, ou le seul espoir, de jouir. Je ne m’en inquiète pas d’un point de vue moral ou radical, de cette « contradiction étalée », mais parce que c’est de l’acrobatie. Je ne voudrais pas que ma carrière de d’abord nuise à ma vie d’ensuite. Le triomphe de la réaction me simplifierait bien l’existence. »

Samedi 1er novembre 1969 :

« C’est une curieuse manière que j’ai de faire de la critique. Même si Mélissa n’existait pas, je me vois mal combattant dans la rue. Les cassages de gueule, pourtant restreints, dont j’ai été témoin ou, plus imperceptiblement, victime, m’ont dissuadé profondément d’aller offrir ma personne aux coups de l’ennemi. Reste alors une conscience égoïste, consciente de son égoïsme, repliée sur des satisfactions qu’elles sait restreintes et inhumaines et qui connaît pourtant, vaguement et passionnément, ce qui est en question dans le travail actuel du négatif. L’observateur extérieur pourrait se contenter de noter que la petite abondance de biens à quoi je suis parvenu et dans quoi je me maintiens, plus l’espérance d’une plus grande abondance, me jette, m’a jeté dans la petite bourgeoisie. Ne suis-je pas souvent en train d’attendre et d’imaginer le temps où je vais avoir en réserve des sommes un peu consistantes, et où je vais les investir dans une société immobilière ou autre ? Dire cela suffirait bien à l’observateur extérieur. Tout au plus peut-il noter avec moi, s’il est bienveillant, l’étrange passion critique que je garde, au lieu de tomber dans la bovinerie ordinaire aux petits bourgeois. Et donc, rebuté à force de peur des coups, j’ai replié mon négatif dans la sphère de la vie privée. Seuls projets appartenant à la sphère de ma vie sociale : mes livres, mes films. Il est bien douteux, pourtant, que, même en eux, j’ose de sitôt passer du mauvais côté. Sans parler des Danseurs, tout au plus godardien avec de l’intelligence en plus ; sans parler de N’Gustro, tout au plus divertissant avec de la pointe en plus ; sans parler de ça, la suite – films critiques radicaux, livres de même, je sais d’avance que je serai tenté de ramener ma propre activité en deçà d’elle-même, de prêter le cul aux récupérateurs ; car à tout moment, je pense à ces ouvrages non seulement comme à des critiques, mais tout de suite comme à des choses lucratives, admissibles par le système, propres à me rapporter de l’argent, de la considération de la part d’un certain secteur du patronat culturel. Je ne veux vraiment rejoindre le mouvement du négatif que si je suis sûr de sa victoire et assuré de n’avoir rien à sacrifier dans l’affaire. C’est choisir d’être à la traîne dans l’état harmonieux de l’Histoire. Eh bien, tant pis. »

19 janvier 1971 :

« Objectif : 10 briques en janvier 74. Achat d’un appartement à 25. Paiement en moins de cinq ans grâce à l’économie de loyer et aux développements de ma carrer. Fin des emmerdements et great life avant 40 ans. C’est tard. Mais combien n’arrivent même pas à ça à 80 ans ? Tristan est celui qui profitera le plus de ce que nous pouvons faire, et ça me fait bien plaisir, même si j’aurais voulu en profiter davantage, plus tôt. J’espère qu’il n’y aura pas la révolution. Je le crains. »

Jeudi 11 février 1971 :

«  Ma situation et mon background me mettent en mesure précisément de comprendre et de déceler ce qu’il y a de piégé dans ma situation. Je dis piégé sans me placer à un autre point de vue que le mien – je parle précisément de divers empêchements à jouir dont je suis la proie, qui sont des empêchements intrinsèques à mon mode de vie. Je suis frappé par le tiraillement qu’il y a entre les jouissances comme dépense d’argent et mon vif désir de penser à des jouissances futures plus intenses, basées sur l’économie (au sens ménager). Les jouissances accessibles actuellement me paraissent pour la plupart viciées, ne me tentent pas. C’est le cas notamment du cinéma. Les jouissances futures sont basées dans mes projets sur les valeurs de tranquillité. Je ne vise qu’à jouir de moi-même au plan le plus primaire – confort, oisiveté, développement du rapport d’amour que j’entretiens, plaisir d’apporter le plaisir aux miens, le confort et les services de la technique et du savoir contemporains. Concrètement, il s’agit de créer d’un coup, une fois l’accumulation d’argent nécessaire faite, un cadre de vie satisfaisant et abrité. D’une manière qui semble diamétralement contradictoire, j’attache le plus grand intérêt à la décomposition de l’ordre tranquille des états, aux progrès du négatif. Mon idéal serait peut-être la philosophie ; étant donné toutefois qu’il n’y a plus de philosophie possible, mon idéal s’exprime plutôt comme étant la contemplation abritée du travail du négatif, et la jouissance de comprendre ce travail. »

Samedi 17 juin 1972 :

« J’appartiens à la couche des cadres intellectuels. Je jouis d’un revenu supérieur à celui des prolétaires et de certains autres. Dans cette mesure ma conscience demande la conservation de l’ordre établi, d’autant que les dangers physiques transitoires du désordre révolutionnaire m’effraient.
Intellectuellement, puisque je subis comme insupportable l’état des choses, je suis enchanté d’en posséder la critique abstraite, et de connaître la prédiction rationnelle de sa destruction. Mais intellectuellement seulement, car matériellement cette destruction m’effraie.
Je suis donc pro-situ. Je m’enchante de la prédiction de l’effondrement de l’ordre car je hais l’ordre ; je m’inquiète de cette prédiction, car je ne sais rien faire d’autre que vivre dans cet ordre. La prédiction de destruction, que je trouve rationnelle et qui satisfait certains de mes désirs, d’autre part menace mon confort.
Je ne désire véritablement rien d’autre que la certitude abstraite de la destruction de l’ordre, car cela me venge de lui, mais je crains la réalisation de cette destruction, qui ne m’apporterait rien puisque mon plaisir est trouvé dans la simple idée de la destruction. »

mercredi 8 janvier 2014

Vorspiel

« Il fait nuit… Les premières mesures solennelles sont à peine distinctes. Le Rhin immense, l’ancien des fleuves, roule silencieusement ses flots, premiers-nés du monde, et les brumes des Eddas, les visions des vieilles cosmogonies, plus lointaines que les traditions des hommes, s’éveillent. Et toujours des flots sur des flots… Puis les larges montagnes humides s’écroulent et se mêlent, et les cercles des vagues, confondus avec l’espace, s’étendent, se prolongent, se perdent, poussés par de nouveaux flots qui montent, grossissent et disparaissent, dans le tumulte de l’eau surnaturelle… L’eau, comme un poids harmonieux, oppresse les sens subjugués, le murmure initial est devenu tonnerre, car les ondes sacrées baignent maintenant les pieds de la montagne des dieux. La toile s’enlève brusquement sur l’intérieur même du fleuve, et parmi les flots crépusculaires, des voix de cristal se répondent. »

(Villiers de l’Isle-Adam, L’Or du Rhin, dans L’Universel du 21 septembre 1869).  
                      

Claude-Louis Combet

 

    Ce soir, ou plutôt  
         du jour au lendemain, 
             à minuit, sur France-Culture.

lundi 6 janvier 2014

Quenelles sans qualités (suite)

 

« Le sorcier n’agissait pas autrement, qui retirait du corps du malade le fétiche soigneusement préparé, ni le bon chrétien qui transfère ses défauts sur le bon Juif et prétend que c’est la faute de celui-ci s’il a découvert la publicité, l’usure, les journaux et autres monstruosités. »
(Robert Musil, L’homme sans qualités) 

dimanche 5 janvier 2014

Quenelles sans qualités

« – Et Gerda, à sa manière libertaire, blonde et germanique, ne veut pas admettre le problème ?
– Elle est en cela telle que je fus dans ma jeunesse. Croyez-vous d’ailleurs que Hans Sepp soit un garçon d’avenir ?
– Gerda est-elle fiancée avec lui ? demanda prudemment Ulrich.
– Mais ce garçon ne pourra jamais entretenir un foyer ! soupira Clémentine. »

(Robert Musil, L’Homme sans qualités).

samedi 4 janvier 2014