dimanche 31 août 2014

Modèle allemand

München, 21sten Jahrhundert.

Culture du risque

« L’homme ne peut pas faire ce qu’il ne croit pas pouvoir faire. » 
(Campanella, De sensu rerum et magia)

Héros libéral contemporain tout près d'embrasser son rêve.


samedi 30 août 2014

Bonne pâte

« La consistance gélatineuse est une grande exception dans le royaume des choses. Elle est malheureusement courante dans celui des hommes. » (Ernst Bloch)



Précision : Le Moine Bleu persistera à attaquer systématiquement le physique de ses ennemis, à proportion exacte de la laideur crasse de leur âme.

vendredi 29 août 2014

La Cantine des Pyrénées

Il y a tant de choses pour lesquelles les socialistes (ailes gauche, droite, solidaire-citoyenne, etc) rôtiront en enfer, après leur passage crapuleux parmi cette Réalité sinistre. 
L'expulsion de nos camarades de la Cantine des Pyrénées, durant cet été, constitue assurément l'une de ces choses.
On vous rappelle l'adresse : 331, rue des Pyrénées, à Paris.
On vous rappelle aussi que leur combat ne fait que commencer.
Lisez donc - ci-dessous - le petit texte de présentation (par eux et elles-mêmes) des Cantinistes en lutte...


 

« Ce lieu de résistance au monde que le système capitaliste en crise structurelle veut nous imposer était devenu en quelques mois (1 an ½) dans le quartier un vrai pôle de rencontres entre les gens, insufflant des dynamiques individuelles et collectives fortes. En cela, il rompait avec une des nuisances les plus insidieuses des «politiques sociales» actuelles : inoculer aux individus isolés les uns des autres par la mise en concurrence dans le système pervers travail-valeur absolue/chômage-fatalité dégradante, la conviction paralysante qu’ils sont la cause de leur impuissance à mener une vie digne de leurs désirs humains, qu’ils « ont besoin d’aide », et que « on » (les milliers d’assos subventionnées pour « les animer » socialement ou « culturellement ») va les aider .
 
À « La Cantine », personne n’était « au service » de personne, il n’y avait pas des « assistés » et des « solidaires », pas de «bénévoles» (c'est-à-dire de «travailleurs» acceptant de toucher un salaire nul (d’ailleurs de plus en plus mis en concurrence avec des «demandeur(euse)s d’emploi», surtout du secteur de « l’aide à la personne), mais seulement des activités directement articulées sur des besoins et une volonté d’y répondre ensemble : manger à un prix acceptable ou gratuitement, échanger ses expériences de vie, apprendre le français, s’orienter dans le labyrinthe des démarches administratives, organiser des actions de résistance aux loyers trop chers, voir des films et en discuter, organiser des soirées d’information et de débats sur des expériences mal vécues surgies dans le quotidien des activités (meurtre sexiste d’une jeune femme du quartier, scènes d’incompréhension et de violence entre des personnes posant la question des limites à la tolérance des comportements «hors-normes», atteintes actuelles aux droits des femmes en regard des luttes pour le droit à l’avortement dans les années 70, question des formes de soutien à des luttes «revendicatives» …)

De nombreux collectifs, comités de lutte, grévistes, se sont appuyés sur ce centre de solidarité vraie.

Aujourd’hui, nous nous devons de participer à la mobilisation pour la reconstruction de cette expérience. Il est impératif qu’elle reprenne au plus vite dans de nouveaux locaux.
 
Tous les samedis, de midi à 14h, sur le trottoir devant La Cantine, au 331 rue des Pyrénées, des tables sont dressées, un repas complet est servi. Chaque semaine nous sommes plus nombreux, et il faut que ce rendez-vous de vienne, pour les « autorités » locales qui nous ont baladés de promesses en mensonges depuis des mois, un véritable abcès de fixation

Des rendez-vous de participation aux activités (récupération de légumes et fruits auprès des vendeurs du marché et des commerçants, collages, d’affiches, diffusion de tracts…) sont donnés. »

Contact : contact.cantine.des.pyrenees@gmail.com








Coup de Je-Nous

Als das Kind Kind war...

« Un matin, tout enfant encore, je me tenais sur le seuil de la maison et je regardais à gauche, vers le bûcher, lorsque soudain me vint du ciel, comme un éclair, cette idée : je suis un moi, qui dès lors ne me quitta plus. Mon moi sétait vu lui-même pour la première fois et pour toujours. » 

(Jean-Paul Richter)  

« Le Je que nous sommes, le Nous que je suis. » 

(Hegel, Phénoménologie de lEsprit)


***

Grandeur inaltérable, vertigineuse - toujours - de la prise de tête alboche. Médiocrité, en comparaison, de la théorie françaouie, dont seuls provoquent la sympathie - certes indéfectible - le matérialisme jamais démenti de l’inspiration et des emportements, le réalisme spontané des colères (cet invincible socialisme tant apprécié de Marx).


Lien efficace établi par Shaw - étudiant  la Tétralogie - entre Réforme et Anarchie (Siegfried protestant).


L’Anarque de Jünger. Un monarque de lui-même, dictateur autarcique de sa propre conscience, régnant sur elle d’une liberté infinie, toute vaine et solitaire soit-elle. Création d’un alboche pourtant catholique formel (tardif, il est vrai, voire carrément final). 


Marcuse : « La réforme luthérienne avait annoncé un Royaume de beauté, de liberté et de moralité invulnérable aux réalités et aux conflits du monde extérieur ; ce Royaume était retranché d’un état social lamentable, et ancré dans l’âme de l’individu. Ce domaine est devenu la réalité véritable transcendant la médiocrité pitoyable des conditions régnantes ; c’est lasile de la vérité, du bien, de la beauté et du bonheur (...). La culture allemande est donc essentiellement idéaliste, attachée à l’idée des choses plus qu’aux choses elles-mêmes. Elle donne le pas à la liberté de pensée sur la liberté d’action, elle met la moralité avant la justice, la vie intérieure avant la vie en société. Cette culture idéaliste, toutefois, précisément parce qu’elle s’isole d’une réalité intolérable, préserve intacte sa propre intégrité. Elle a servi ainsi, malgré des consolations et des embellissements illusoires, de dépôt aux vérités non encore réalisées dans l’histoire de l’humanité. »

Apparition dans un tel contexte (gratiné) du motif du Double, du Doppelgänger : développement organique à soi-même, en soi-même, de sa propre adversité, et genèse nécessaire - par extraction automatique du donné sensible - de l’Abstraction. Kant et Fichte, autant que les romantiques overdosés de mythes. Nécessité albochément admise et partagée d’une croissance de l’Âme (c’est-à-dire de la Réalité), obéissant à des impératifs de rythme aussi incontestables et impérieux (quoique largement inconnaissables autant qu’ils sont en cours) que ceux gouvernant les étapes de chaque existence humaine déterminée (Aufhebung de l’enfance). Fécondité extrême du thème du Double en psychanalyse. L’angoisse périlleuse qu’elle révèle chez une subjectivité, ces grands conflits qui la minent. Grandeur finale, tout de même - face à Freud - de Hegel, lalboche-françaoui : chez lui, l’inquiétude, l’inquiétante étrangeté du Double n’a, malgré tout, qu’un temps et s’épanouit à la longue en histoire collective, en histoire politique. Sans que ce chemin, jamais, ne cesse d’être celui ni du doute ni du désespoir individuels (du fait de la ruse méchante de la Raison générale). Sans que le procès de Culture, jamais, ne cesse d’être ni déchirement ni souffrance.

Caractère douteux - sans compter qu’elle soit laide - de l’anecdote autobiographique de Heine au sujet de Hegel, rapportée dans l’excellent Freud avec les écrivains, de Pontalis et Gomez Mango : «  Par une belle nuit étoilée nous étions tous deux devant la fenêtre, et moi, jeune homme de vingt-deux ans, qui venait de faire un excellent dîner et de prendre le café, je parlais avec exaltation des étoiles et les appelais le séjour des bienheureux. Mais le maître grogna pour lui-même : Les étoiles, hum, hum, hum, les étoiles ne sont qu’une éruption de furoncles lumineux au ciel. »

mercredi 27 août 2014

L'expression de con de la semaine

 

« Jai envie de dire... »

- Hé ben, dis-le, ducon ! 
 

Reaktionnär für Anfänger (Übung nummer 57)

 

Ein grosser idealistischer Demokrat.



Ein grosser demokratischer Idealist.

 

Ein grosser idealistischer demokratischer mit fortschrittlicher Richtung Republikaner.




Ein dicker Rechnungsführer.



mardi 26 août 2014

Du désespoir considéré comme occasion de pertinence suprême

           Un ami, voilà peu, devisant avec sa femme.

« Les âmes sereines ne connaissent pas le mot d'esprit, le Witz. Cette forme d'esprit indique un trouble de l'équilibre : il est la conséquence de ce trouble mais aussi le moyen d'y remédier. Le Witz se rencontre au plus haut degré dans la passion. La dissolution de tous les liens, le désespoir ou la mort spirituelle sont les états les plus dangereusement riches en esprit de saillie. »

(Novalis, Petits écrits, grains de pollen).

mercredi 20 août 2014

Salomé (la suite)

mardi 19 août 2014

Salomé

lundi 18 août 2014

Philosophes et voyous


Oh Suzy Raymond Q. !

« Une bonne partie de la drôle de guerre, je l'ai passée dans un dépôt avec des rebuts de l'armée française : infirmes, invalides, incapables, communistes, anarchistes, oubliés, cinglés, égarés. On y buvait beaucoup, du vin rouge principalement (...) Que je fusse un intellectuel, cela stupéfiait mes camarades. L'un d'eux me demande un jour ce que je faisais dans la vie ; embarrassé, je lui réponds : professeur (c'était pas vrai). De quoi ? De philosophie (pas vrai, non plus, mais enfin : j'ai un diplôme). Ah ! ah ! Le camarade me toise avec sympathie et, en se souvenant des bons kils de gros rouge que nous avions vidés ensemble, conclut : « C'est vrai, je l'avais toujours pensé que tu étais philosophe. »

(Raymond Queneau, Philosophes et voyous).

Note du MBEn janvier 1951 paraissait dans la revue Les Temps modernes l'article intitulé Philosophes et voyous, auquel devait succéder une seconde partie (jamais publiée, ni même, selon toute vraisemblance, écrite) annoncée dans une note finale de l'auteur et censée opposer ensuite tout ensemble philosophes et voyous à des personnages « sérieux » (sic). Ledit article, en attendant, tissu décousu de fil blanc, ou rouge, comme vous voudrez, bref : une digression bordélique souvent fort drôle et pertinente (mâtinée d'un pénible soupçon de stalinisme ambiant et diffus) à la façon de Sterne, Nodier ou même, va savoir ! - et cela n'engage que notre propre audace herméneutique - de Raymond Queneau, vient d'être réédité sous forme d'une plaquette fort réjouissante accusant un prix de vente extrêmement modique (5 euros) par les éditions Sillage. 
Quant à l'idée de départ de Queneau, l'on peut vraiment parler ici, en l'occurrence, et de départ (sans arrivée bien nette, c'est rien de le dire) et surtout d'idée (au sens d'ἰδέα : la forme visible) puisque philosophes et voyous se voient acoquinés, avoisinés, appariés au motif (chatoyant) d'une commune volonté de (sa)voir leur étant prêtée, bornée par l'argot contemporain (de Queneau), d'une part, l'étymologie, d'autre part, historique, savante et livresque. Nous bénéficions là, en réalité, en toute gaudriole, d'un voyage plus ou moins délirant parmi les élucubrations linguistiques d'un bon semis d'auteurs ou de traducteurs échoués de longue date aux oubliettes béantes du Weltgeist. L'on apprendra ainsi que l'on désignait, à certaine époque héroïque, du nom de philosophes les mateurs opportunistes de dessous féminins installés convenablement à tel endroit stratégique des fêtes foraines type Luna Park. Et que Socrate lui-même, philosophe par excellence, développait, à en croire Queneau, des tendances fortement similaires : « Ayant obtenu une permission [militaire] (...), il s'empresse, dit-il, " d'aller aux endroits où j'étais accoutumé de passer mon temps" (Charmide, 153, A), c'est-à-dire d'aller mater les jeunes éphèbes. » On peut donc questionner ce désir fondamental, qui serait commun aux voyous et aux philosophes, de garder les yeux ouverts sur le monde, de ne « point s'[y] faire prendre pour des caves », et d'y remettre perpétuellement en cause, en conscience (Queneau distinguant, de fait, le jeune voyou - le voyou sur la pente - du voyou endurci ayant, lui, choisi, en pleine responsabilité, ainsi que le philosophe authentique, son mode de vie définitif) l'autorité politique ou scientifique de leur temps. Cela, alors que philosophes et voyous développent, bien sûr, au pouvoir et à ladite autorité, comme d'ailleurs aussi aux fringues, à la mise, au paraître en général (et là, l'auteur va vraiment très vite, et c'est très rigolo, surtout sur Descartes et Spinoza, par exemple) un rapport différent. Peut-être s'agit-il au moins également, d'une certaine façon, de comprendre mieux les choses, et pour cela de les vraiment voir« Voyou, s'interroge Queneau, vient-il de voir ou de voie ? Dauzat donne les indications suivantes : " (1830, Barbier, pop.) dér. probable de voie, c'est-à-dire celui qui court les rues, plutôt que forme dial. de voyeur, curieux (voyeux, XIIè siècle, Saint-Simon). »
Voir dans la rue, en somme ? Ou par la rue, voir, distinguer, et comprendre ? Et puis ce rappel historique-là, n'est-il pas savoureux non plus : « Le bon vieil Elwall [auteur dix-neuviémiste d'un dictionnaire bilingue français-anglais de référencedonne comme traduction du voyou : street-Arab » ? - Eh ouais, mon gars ! Voyou égale arabe de rue. En toute simplicité. Les sauvageons de Chevènement, ce serait pour un peu plus tard. La gauche, la fraternité, la justice sociale, tout ça.  Il est bien naturel que d'un siècle à l'autre, les choses changent extraordinairement. 

Allez, une dernière, de chose, tiens ! justement. Initialement, il était prévu qu'avec cet article Philosophes et voyous, Queneau étudiât prioritairement le rapport des surréalistes au nazisme, et leur fascination particulière pour la violence. Très mystérieusement, l'article finalement publié dans Les Temps Modernes (et republié, donc, récemment aux éditions Sillage) aura été expurgé de cet aspect précis, dont on peut néanmoins, laborieusement, certes, retrouver la trace (en suivant le texte originel de Queneau) dans le numéro 86 de la revue Littérature (1992). 

jeudi 14 août 2014

Gazouillis


« La famille est la cellule de la vie française, cellule indispensable et qui a pour objet, par une natalité accrue, de perpétuer la race française » 
(Philippe Pétain, 25 mai 1941).


Comment expliquer la fascination absolue exercée sur l’époque par l’Enfant, et même chaque enfant concret, pourvu de membres perpétuellement agités, de poumons constamment, et sans relâche, gonflés puis déchargés en cris hideux au creux de l’oreille malheureuse – et de fait misanthrope – contrainte de le subir, dans les transes ? Comment expliquer le pouvoir définitif, inquestionnable, tabou en somme, de cet atroce petit être braillard, et tyran miniature, sur les impuissants – désormais, du moins, apparaissent-ils tels – l’ayant un jour conçu, à grands renforts d’amour et de prévenances génétiques ? Serait-ce la nostalgie des possibles ? Sans doute. Tel papa construit un château de sable à la mer, secondé de son bambin, hurlant à la manoeuvre (il est vrai que la tâche s’avère exaltante). Vient à surgir la maman de cette famille, charmante, dans la force de l’âge et de sa liberté de femme, laquelle les prend tous deux, en photo. Pourquoi, au fait, ces photos ? En cette époque, ni présent ni futur, ni aucun autre temps, mais baste ! comment le sauraient-ils, encore ? Il faudrait, pour cela, que papa et maman fussent communistes, ce qui impliquerait de leur part (successivement ou non) lucidité, désespoir et, fatalement, autodestruction, ce que nous ne saurions souhaiter à personne. Certainement qu’à son âge, papa, lui aussi, nourrissait de grands projets humains – comparables à ce château de sable – de construction immobilière et/ou architecturale, entre autres philosophies de l’existence. À moins que ses propres géniteurs ne les aient nourris pour lui ? Toujours est-il qu’aujourd’hui, papa et maman se trouvant bien fixés dans l’existence, ce petit homme-là cristallise assurément le souvenir tragique de leurs ambitions les meilleures, suivies de leurs échecs adéquats, autrement dit grandioses. D’accord, mais les enfants qui hurlent, nous sussure le Tartuffe avec sa bonhomie coutumière, et perfide, c’est la vie ! Et le bruit, c’est la vie ! Les hurlements dictatoriaux à deux pas de ta gueule, c’est la vie ! C’est aussi l’innocence, poursuit d’ailleurs notre Tartuffe, très en train et désormais inaccessible (tu t’es cru dans l’éducation nationale ou quoi ? Va jouer plus loin avec tes ABC de l’égalité) à quelque théorie que ce soit concernant une éventuelle cruauté originaire de son chiard approprié, une soupçonnable autocratie spontanée, à caractère polymorphe et ultra-sexuée, chez le produit de ses anciens errements spermatiques. Un pas de plus dans cette direction et vous voilà étiqueté pédophile par les mauvais temps qui courent, en plus d’être un monstre ordinaire simplement hostile à l’innocence bruitiste de nos chères têtes blondes, brunes ou autrement diversement insupportables. Les esgourdes de Tartuffe seraient cependant, aux dernières nouvelles, structurées comme les nôtres. Ces bruits horribles, alors, ne les ouïrait-il point ? Les souffrirait-il davantage ? Mais en vertu de quel miracle ? Vous ne comprenez pas : cet enfant innocent qui hurle, eh bien, c’est le sien ! Voilà pourquoi la merde que vous sentez, pour un autre fleurera bon la rose, pourquoi aussi un glapissement strident, passé au prisme de la propriété génétique, se voit, à l’égal d’une sonate de Beethoven (célèbre sourd demeuré sans enfants), couvert d’éloges par la moutonnière parentalité. L’innocence. Je t’en foutrais, moi, de l’innocence. Et quant à la vie, non ! elle ne saurait se réduire au bruit. Francis Hallé fait, quelque part dans son oeuvre, la justice qu’il mérite à ce lieu commun insondable. Les arbres, plus vieux êtres vivants de l’univers, seraient-ils moins vivants que les mammifères (sans parler de leurs petits) au motif qu’eux ne se déplacent pas (à l’exception notable de certains palétuviers de mangroves), ni n’occasionnent jamais d’autres sons que celui, au reste fort délicat, d’un vague bruissement de feuillage ? La vie nous paraît – ailleurs – ce qui tient encore pour quelques instants le proche cadavre de ce chat parti mourir à l’ombre, dans la chaleur étouffante d’un été infernal (car tel est l’enfer, en vérité : perclus de simplicité chaude et rigide), ce chat qui ne se défend plus, atteint, par exemple, de la dernière leucose, ou blessé mortellement au terme d’un mauvais duel, et posé simplement, agonisant, accueillant en lui-même, alors, précisément, la vie, soit ce résidu sublime ne se définissant autrement que par l’approche flagrante des décompositions et transmutations finales prévues pour lui succéder, environné, déjà, d’une ébauche d’escouade d’insectes nécrophages bloqués dans leur attente vorace. Ce chat-là, ce corps-là, meurt et vit à plein en silence. La plus grande monstration qu’il donne étant que du début à la fin de son existence, certes, si peu aura changé, si peu aura bougé, si peu aura passé d’ici à là, ainsi que pour nous tous.

mercredi 6 août 2014

En France

                                    

Nous qui haïssons la France, serait-ce trop demander qu'on la haït pour de bonnes raisons - toute négation étant négation déterminée - et non parce qu'en France, les femmes se comportent comme des putes, les putes comme des femmes, les grévistes comme des princes, les syndicalistes comme des rois, les ouvriers comme des feignasses, les feignasses comme des merdes ?
Les Français ne sont pas des merdes. Du moins pas à proprement parler (ce qui est un comble, en l'occurrence). Car si d'aventure ils l'étaient - ce que nous croyons possible - ils ne le seraient guère plus, en tant que pures créatures de fiction aprioristes, que les Belges, les Allemands ou les Algériens considérés en tant que tels. Les Français ne peuvent être des merdes car les Français sont une idée, une abstraction. Rien d'autre. Les Français n'existent pas. Il paraît, ces temps-ci (c'est ce que nous assènent certains théoriciens gauchistes ethno-différentialistes de pointe défendant, entre autres Graals, le voile islamique et la religiosité anti-impérialiste), qu'on pécherait encore trop, à gôche, par essentialisation des musulmans. Que les musulmans (ou plutôt, mais c'est là un détail, sans doute, les divers peuples susceptibles de mahométisme) choisissent ou non eux-même d'être ce qu'ils pourraient être est une question fort intéressante que nous ne règlerons point ici. Ce qui est certain, pour l'heure, c'est qu'essentialisation ou non, on dira des bêtises chaque fois qu'on dira Les Français, chaque fois qu'on dira la France, car à chacun, à chacune, et à toi et à lui (qui peut y être né ou pas, et y avoir, ou non, dispensé sa jeunesse folle, comme Taï-luc qui le beugle dans la cantilène ci-dessus) sa France. Shlomo Sand se fait encore caillasser à l'occasion, par certains massacreurs intellectuels (et pratiques) dans le coin où il habite, pour avoir, voila peu, parlé d'invention du Peuple Juif. Que n'avait-il pas dit là, le pauvre homme ! L'invention du peuple français, en l'occurrence, lui servit de prototype : il décrit, de l'invention en question, les sinuosités historiques précises. And so on. Les vietnamiens, les mexicains, les iraniens (et les iraniennes), les grecs (et les grecques)... England belongs to me, dit une chanson populaire moderne. La même, ici ou là-bas. Haïr la France, aimer la France... Haïr, aimer une idée... Haïr la police, voulez-vous dire ? Mais alors toutes les polices, les polices du monde ne formant qu'une seule et même chose, non ? Depuis la Tunisie "libérée" jusqu'à Clichy-sous-bois. 
Haïr, via la France, l'idée de révolution ? Laquelle, de révolution ? Celle qui fit le tour de l'Europe, puis le tour du monde, dans le sillage de généraux de vingt ans, qui perdirent en convulsions, et en terreurs, toutes les sales races de tyrans couronnés d'Europe ? Haïr, donc, cette France-Révolution, pour laquelle les potes Schelling, Hegel et Hölderlin plantèrent un jour, pleins d'enthousiasme, de niaiserie et d'amour, l'arbre de la Liberté à Tübingen, dans leur Stift ? Haïr, de même, la France libertine ? La France athée, irreligieuse ? Haïr Fernand Iveton, simple Français et Algérien, décapité par Mitterrand, un autre Français - pour terrorisme FLN ? Haïr le très-typique communisme français ? Ce n'est que lorsqu'ils étaient français sur ordre du Parti, précisément, en service commandé idéologique et nationaliste-bourgeois, que les staliniens de base - nous ne parlons pas là de leurs raclures de proxénètes, irrécupérables messerschmidtiens - étaient  haïssables. Parce que quand ils étaient français à leur idée propre, cette idée-là, si l'on peut dire, ne se voyait guère. Elle avait passé dans la vie quotidienne. Elle ne la ramenait pas. Ils étaient juste communistes. Et ces "communistes français"-là (nous en connûmes tant) étaient simplement les plus doux, les plus malins et courageux, les plus tenaces des hommes, et surtout des femmes, d'ailleurs, dont cette salope de Vermeersch (une islamiste française anti-avortement d'il y a bien longtemps, et justement oubliée aujourd'hui) n'aima rien tant que compliquer l'existence. Haïr le drapeau français ? La France, encore une fois, est une idée et, comme tous les idées, donc, a son histoire, c'est-à-dire ses limites : ici, son drapeau. La limite n'est pas un gros mot.  Elle informe. L'ignorance d'une information ne saurait être un argument. Le drapeau bleu-blanc-rouge est ainsi celui de la France bourgeoise, l'une des myriades de France actualisées, existantes. Lamartine défendit ce drapeau-là, le drapeau tricolore, contre le drapeau rouge, au moment de Février 1848.  Certains souhaitaient en effet que le drapeau de la France, alors, fût le drapeau rouge. Avaient-ils leurs raisons ? Imaginons, en tous les cas, que le rouge, en ce début 48, l'eût emporté. Serait-ce le drapeau rouge qui aujourd'hui-même se trouverait vomi, mangé, étreint, souillé avec la dernière rage, par certains imbéciles que l'Idée même (toute idée : l'universel, dehors les impulsions simples, seules entendues légitimes) révolte rythmiquement, comme une dernière violence impérialiste, colonialiste ou quoi que ce soit d'autre faite à leur suffisante sensibilité ? Et quant au peuple français, vile abstraction avant que d'être un vil bétail (ce dont il remplit ponctuellement, certes, en tous points, les conditions concrètes, ainsi que nous aurons pu le noter, une fois de plus, au cours de la dernière coupe du monde de football, et lors de tant d'autres occasions politiques ineptes) ? Faudrait-il le haïr alors qu'il n'existe pas et se partage, rigoureusement, en classes sociales : bourgeois, petits-bourgeois, ouvriers professionnels, vacataires, chômeurs riches, chômeurs pauvres, propriétaires, locataires expulsables, ou exploiteurs, et tout ce que vous voudrez d'autres situations complexes ? Autant dire que celui qui nique la France devrait venir s'expliquer, auprès de nous, de ce qu'il (ou elle mais c'est plus souvent il) entend par là au juste, à moins que par là, précisément, il n'entende pas grand-chose, ainsi que tout un chacun. À nous que les démonstrations de virilité n'impressionnent pas, et rebutent plutôt à vrai dire comme un reste de monstruosité primordiale, on ne parlera pas impunément (au risque, précisons-nous conséquemment, que celui exhibant semblable prétention passe à nos yeux pour un con, ou pour une bite) de niquer la France. Niquer la France ? Nous n'avons jamais niqué personne, nous. Mais peut-être n'avons-nous pas compris. Peut-être nous y sommes-nous mal pris, au cours de notre existence, dès lors que niquer les gens serait reconnu comme un des buts valables de l'existence. On veut beaucoup niquer, faut avouer, à l'adolescence. Niquer tel ou tel, telle ou telle. Et puis l'on s'aperçoit que le personnage que l'on projetait de niquer constituait en réalité une masse beaucoup plus dense, et subtile, que la créature d'imagination qu'on avait jusque-là là en tête (et ailleurs, sans contredit). Et que cette créature-là, eh bien, au fond, on ne l'a pas niqué(e). Jamais. Et qu'on n'eût pu le faire, qu'une telle chose se fût révélée impossible. Cette leçon-là, pour causer en phénoménologue vulgaire, comme à notre habitude, est une leçon de l'adolescence de l'esprit. Ceux qui entendent aujourd'hui niquer la France sont ainsi à l'âge bête de l'esprit. Ils grandiront, un jour, dans le but et l'expression. 
Ou pas. 
Confesserons-nous qu'aujourd'hui, plus que toujours, nous nous en foutons ?




dimanche 3 août 2014

Munich

 
Max Beckmann et Otto Dix (par eux-mêmes).

L'Allemagne est le pays de la philosophie spéculative et des trains qui arrivent à l'heure, quelle que soit la nature particulière de leur chargement. Une simple expédition ferroviaire à vocation culturelle permet de prendre conscience d'une telle - double - détermination. Le visiteur français en route, par exemple, pour Munich, à fin de jouir dans cette localité d'un certain nombre d'installations artistiques plus ou moins éphémères (nous ne parlons pas ici du château de Nymphenburg, quoi que...) se trouve ainsi stupéfié d'apprendre, dès son irruption dans telle voiture n°117 - d'allure pourtant extrêmement prosaïque - de la très efficace et ponctuelle Deutsche Bahn que : l'«Aufhebung der Türblockierung nur im Notfall benutzen», autrement dit que le déblocage des portes n'est à utiliser qu'en cas d'urgence. L'Aufhebung, dépassement universel dans la conservation, étant désigné, chez Marcuse, pour ne citer que lui, comme «le mouvement dissolvant de la Raison» (dans Raison et Révolution), s'ensuivrait-il de là que l'attaque des trains allemands à l'acide serait légitime ? C'est sans doute à l'encontre de telle menace philosophique fleurant bon son terrorisme anarcho-autonome que patrouillent régulièrement des unités de police dans les engins de la Deutsche Bahn, les sympathiques agents de celle-ci allant jusqu'à vous réveiller parfois, au beau milieu de la nuit, à coups de lampe-torches dans la gueule, histoire de vérifier que Alles ist in Ordnung. De même, pour dissuader les fraudeurs et trimardeurs éventuels, le nombre des lits se trouve savamment  pré-agencé dans les compartiments. Au moyen d'une clé spéciale dont ne disposent que les contrôleurs, la couchette du milieu est ainsi rapprochée selon les cas de la couchette supérieure, jusqu'à interdire à quiconque de s'y coucher et reposer. Nonobstant le risque de mécontenter un bourgeois possesseur parfaitement régulier de ticket mais oublié par l'informatique (et alors, branle-bas de combat interminable secouant tout le convoi), tout cela est parfaitement sérieux et étudié. Et comme on le constate aisément, l'Aufhebung de déblocage ne constitue donc point ici le procès interne d'une situation ni même d'un objet : elle appelle une intervention extérieure, celle du contrôleur, en l'espèce. Cela, Hegel ne l'avait sans doute pas conçu de manière aussi précise. Ni aussi détaillée. Admirable pays.
L'arrivée à Munich provoque bien d'autres surprises. La ville est calme, paisible. Des jardins, immenses, s'y succèdent. Pas trace de stress,  de pollution ni de conflictualité sociale. Les riches y pullulent, dans la quiétude bienheureuse des élus. Villiers de l'Isle-Adam, de passage wagnérolâtre en 1869 et 1870, s'enthousiasmait bruyamment de l'absence notable d'uniformes de police : Il n'y a pas de sergents de ville à Munich, écrit-il à l'époque, et l'on peut y crier tant qu'on veut
Voire. Les états staliniens efficaces exhibent fort peu leur soldatesque spectaculaire, de sorte que quand on la voit vraiment surgir, le choc de la nouveauté joue à plein, dans le sens d'une terreur accrue. Voir les flics débouler signifie que vous êtes vraiment mal. Le pauvre Villiers ajoutait, se voulant ironique, et en substance, qu'on constatait dans cette métropole une absence de crimes, de viols et de délits très inquiétante pour son avenir civilisé. Le caractère «psychogéographique dans l'agonie» aperçu chez lui par Debord et ses amis, se trouve ici pleinement vérifié : mais s'agirait-il de l'agonie chez Villiers de ses propres conscience et intelligence des situations, ou de l'agonie de la ville elle-même - Munich, en l'occurrence - capable d'entraîner à son sujet semblable impression et commentaire ?
Que Munich soit une ville reposante, que nous ayons nous-mêmes parfois besoin de repos est indéniable. Que ces états et besoins annoncent cependant l'encéphalogramme plat et la mort clinique l'est hélas ! tout autant. C'est ce caractère funèbre et hypocrite du calme munichois - et bourgeois - que fustigeait, bien après Villiers, Grisélidis Réal, laquelle se prostitua longtemps dans cette ville (désormais paradis bio, équitable et solidaire), qu'elle apprit à haïr très convenablement. Paix entre nous, guerre aux tyrans ! dit une chanson révolutionnaire. Disons simplement qu'à Munich, ils sont en paix entre eux, et voilà tout. Comment demeurer ici autre chose que des étrangers, certes momentanément détendus et charmés... ?



Toujours est-il que certaine exposition par nous céans visitée, baptisée Mythos Welt, et sise à la Kunsthalle du 8, Theatinerstrasse jusqu'au 10 août prochain vaut le passage, sans pour autant rien révolutionner, certes. Comment néanmoins bouder son horreur devant l'assaut, pris sur le vif pour l'éternité (ci-dessus), des commandos dixiens sous les gaz, déjà aperçu voilà quelques mois au cours de l'exposition controversée De l'Allemagne, à Paris, et devant tant d'autres dessins, croquis, eaux-fortes... semblablement émanés de l'Enfer.
Il y a du Jünger dans l'approche esthétique de Dix. Ce fils d'ouvrier fondeur, venu à l'Art par le compagnonnage, se jette en effet en 1914 dans la guerre comme ce dernier, avec une sensation de libération, la sensation d'enfin, hors la pression du conformisme bourgeois ambiant, respirer à son aise dans les vapeurs de chlore ou d'hypérite : «C'est pour ça que je suis parti à la guerre... déclarera-t-il en 1963. Je voulais voir par moi-même comment un homme peut s'écrouler tout à coup à mes côtés, et mourir, avec une balle qui le frappe en plein milieu. J'ai vécu tout cela, et c'est ce que je voulais. On ne peut donc pas dire que je suis un pacifiste, n'est-ce pas ? Peut-être était-ce de la curiosité... Voyez-vous, je suis si réaliste que je dois voir tout de mes propres yeux, afin de me convaincre de cette réalité... C'est la raison pour laquelle je suis parti pour la guerre en me portant volontaire...» (dans Le Disque Dix, aux éditions Erker, St Gallen). Il précisera ailleurs, décrivant le champ de bataille en des termes que n'eût pas reniés l'auteur des Orages d'Acier : « Les trous d'obus dans les villages expriment une rage élémentaire. Tout ce qui est à proximité semble subir la dynamique de ces trous symétriques et formidables. Ce sont les orbites de la terre, où rampent des lignes douloureuses. Plus personne ne peut prétendre qu'il s'agit encore de maisons. Ce sont des  êtres vivants d'un genre particulier, avec des lois et des modes de vie qui leur sont propres. Ce sont des trous avec des pierres qui gisent et des squelettes. La beauté qui s'exprime ici est rare, unique même» (Otto Dix, cartes postales du front, début 1916, Kunstgalerie Gera).
Le rapprochement entre le prolétaire Dix et le bourgeois Beckmann  (objet formel de cette exposition) à l'occasion de ce premier conflit mondial et - pour le présenter, une fois encore, en termes jüngeriens - de l'expérience intérieure (Innere Erlebnis) que l'ignoble boucherie constitua communément pour eux, n'est évidemment pas que graphique. La section, toutefois, consacrée à l'immédiat après-guerre de 14, qui est la plus impressionnante, réunit étonnamment leurs manières, montrant les chairs retournées et boursouflées des gueules cassées (l'épouvantable Transplantation de Dix, l'Enfant aux allumettes de Beckmann, la série cauchemardesque de ce dernier incluant Les idéologues, La nuit, Le martyre, etc, ou le très sarcastique Erinnerung an die grosse Zeit de Dix : «Souvenir des temps glorieux»...), des cannes d'aveugles et d'infirmes, des détails sanguinolents et grotesques tirés de morgue de campagne (Beckmann, voir ci-dessous) ou de scènes de crimes sexuels (les divers Meurtres sadiques dixiens de 1922, dont il est rappelé que l'un d'eux orna longtemps les murs de sa propre cuisine, avec des cabots galeux s'y enfilant volontiers au bas d'un lit où pourrit lentement quelque corps de femme précautionneusement éviscéré). L'Allemagne d'après 1918 se trouve peuplée de monstres, de mendiants, d'infirmes, de gosses tenaillés par la faim autant que la violence bestiale des survivants amputés et rieurs qui les martyrisent. Une barricade dantesque exhibe son chapelet d'intestins de cadavres. La folie règne, la folie des femmes, en particulier (La folie, de 1925, terrifiante mais moins éprouvante que La folle de Sainte Marie-à-Py de 1924, commençant de se masturber le visage tordu d'un rictus, agenouillée devant son bébé qui répand, lui, sur le sol d'une maison ravagée, sa cervelle, après un bombardement... Celle-là, l'exposition de Munich ne la présente pas, nous l'avions vue ailleurs, au temps lointain de notre adolescence). Le désordre, cependant, du désir n'est pas incriminé. Dix ne fait pas de procès en moralité. C'est là, peut-être, une nuance séparant les deux artistes : le désir libidinal, tel que croqué chez les outlaws dont il s'occupe - les marins, notamment - semble chez Dix davantage relever d'une humanité maintenue en dépit de tout, que chez Beckmann, lequel n'en use plutôt, à notre impression, que comme énième ressort comique ou désespérant.  Les chiens se reproduisent malgré tout,  on l'a dit, les hommes dixiens cherchent instinctivement le corps des femmes parmi les ruines. Les grossesses absurdes et laides des femmes (sa Schwangeres Weib de 1919, sa Schwangerschaft de 1922 : le ventre rond d'une vieille dominant les restes noircis et décomposés de son mari) n'en sont pas moins symboliques autant qu'émouvantes (L'Annonciation, de 1921). La continuité du désir renvoie à celui - le désir -  que les cycles humains se perpétuent, plutôt - chez Dix - à la constatation étrangement satisfaite qu'ils le font, en quoi s'annonce déjà son christianisme, bientôt de plus en plus précisé. Quoique le besoin sous l'empire duquel il crée soit formellement dénué de morale, sans phrases ni révolte (en quoi Dix se distingue évidemment tout autant de Grosz,  rencontré vers 1920), il n'est pas sans classe, et la nécessité qu'apparaisse l'horrible demeure chez lui essentiellement collective et massive. Cette violence d'apparaître le triture. Elle le concerne. Il la sert donc et se sert donc soi-même ainsi que ses modèles et figures, sans justification mais avec une visible empathie :  «Aucun homme ne veut voir cela. Qu'est-ce que tout ceci veut dire, ces vieilles putains, ces vieilles femmes flétries et tous les soucis de l'existence... Aucun homme n'en éprouve du plaisir. Aucune galerie ne veut l'accrocher. Pourquoi peins-tu surtout cela ? Désolé. Je suis précisément un prolétaire souverain, n'est-ce pas et j'ai le droit de dire : voilà ce que je vais faire ! Je ne sais pas moi-même à quoi cela sert. Mais je le fais. Parce que je sais que ça s'est passé comme ça» (Disque Dix, op. cit., 1963). 
L'évolution ultérieure est encore rigoureusement jüngerienne. Mis à l'écart, notamment de ses fonctions universitaires (comme Beckmann) par le Troisième Reich, pour décadence et défaitisme, Dix gagne peu à peu, dans les années trente, un exil intérieur picturalement nourri de ces paysages et grandes natures autrefois présentés par l'exposition De l'Allemagne (déjà citée) comme témoignant d'une forme de dissidence symbolique (ses Falaises de marbre à lui, en quelque sorte). Difficile à admettre ou à contester franchement. Reste que sa manière, alors, nous touche beaucoup moins, et il en sera de même pour la période approchant la seconde guerre (Les filles de Loth  semblant préfigurer, dès 1939, les bombardements de Dresde) ou suivant immédiatement la catastrophe finale. Les références bibliques se font là - comme chez Jünger -  incessantes, la boucle eschatologique se bouclant sur des tableaux célébrant comme vingt ans auparavant, de façon plus brute et abstraite, la persistance de la vie trouvant, fût-ce à l'aune de la prostitution et des trafics abjects qu'elle accompagne, son chemin sur les sols de l'enfer (Und neues Leben blüht auf den Ruinen, 1946). Par contraste, la légèreté relative de Beckmann, son humour plus laïque et distancié - il avait quitté l'Allemagne pour les Pays-Bas, et gagnera ensuite définitivement les USA - nous séduit alors davantage (son Spaziergang ou Traum, de 1946, son Café dévêtu, de 1944, dans lequel un Richard Wagner jeune officie comme serveur cependant qu'une femme à poil arborant le faciès de Hegel - oui ! - s'y baguenaude sans penser à mal).

L'entrée de l'expo Mythos Welt est chère : 12 euros. 
C'est moitié moins le Lundi. Mais il reste peu de lundis...

 
Beckman, Morgue (1922).

                                       
                                                                  Dix, La folie (1925).

À la Lenbachhaus, au 33 Luisenstrasse, une autre exposition consacrée à la Nouvelle-Objectivité a elle commencé depuis le 22 juillet dernier. Nous n'avons pu la voir, mais elle ne nous est  d'entrée guère sympathique, sa mise en place nous ayant privés, lors de notre passage, de moult pièces qui nous mettaient en appétit parmi la collection permanente de l'établissement, notamment une des Salomé de Franz Stuck, laquelle de fait resta invisible. Quelques macaques de Gabriel von Max aidèrent à faire passer la pilule (ses hilarants Singes critiques d'art, interprètes moqueurs d'une énième version de Tristan und Isolde, étant par ailleurs visibles à la Neue Pinakothek), ainsi - davantage que Lovis Corinth, décidément trop inégal et indécis, à notre goût - qu'une belle série de Kandinsky et de certain trouble aguicheur de ses amis, au sein du Cavalier Bleu.

 
 Alexis von Jawlensky, Portrait de danseur (1909).

Et quant au très roublard, très malin, très talentueux et très opportuniste Franz Stuck, que nous venons d'évoquer, qui épousa la veuve de ce Lenbach dont le modeste domicile constitue aujourd'hui la Lenbachaus, et se considérait lui aussi, à l'exemple de son devancier, et en toute modestie, comme Prince des peintres, sachez que nous vous en reparlerons très prochainement. Pour l'heure, la Villa - son logement-atelier - que Stuck conçut et décora à sa façon, efficace, est toujours arpentable, et présente ces temps-ci, outre un splendide Orphée, un Samson admirable (effectuant un round-and-pound délicat sur un lion déchaîné), d'autres beautés agréablement disséminées (voir ci-dessous) dont, à l'étage, jusqu'au 5 octobre 2014, voisinant avec une version assez laide du Péché, un Hercule affrontant l'Hydre (1915), nouvelle acquisition, que l'on rapprochera opportunément de certaine affiche révolutionnaire à peine plus tardive, et témoignant ainsi du poids étonnant (inconscient ?) à l'époque de ce motif précis, autant que de l'influence forte, pour ne pas dire écrasante, dudit M. von Stuck sur l'esprit du temps. Les munichois de passage désirant en tous cas admirer son Péché authentique et sublime (celui de 1893)  se rendront, une fois encore, à la Neue Pinakothek, où le Péché les attend à la même rigoureuse place qu'il occupa toujours, c'est-à-dire dans la dernière salle, où se ruaient avidement ses premiers laudateurs, déboulant là de manière absurde sans un traître regard pour le reste. Pour nous, I lock the door upon myself de Khnopff, et Les chevaux de Neptune, de Walter Crane (également vus pour la première fois, dans l'émotion) nous retinrent auparavant avec la facilité que vous imaginez. 

Puis l'Allemagne remporta la finale de la coupe du monde de football, et alors nous rentrâmes chez nous.
Le train était à l'heure.


Orpheus (1891)



Franz von Stuck, Le gardien du Paradis (1889).



Franz von Stuck, Dissonance (1910).



Hercules und Hydra (1915).

 

Affiche du KPD, 1919.