jeudi 28 mai 2015

Vous ne suggérez tout de même pas que cet homme, défenseur de la liberté et allié fidèle de l'état français, auquel il achète d'ailleurs régulièrement quantité de Rafale parce qu'il est trop over sympa-cool démocratique, soit en réalité une vermine fasciste au moins aussi vérolée que ces ordures de Frères Musulmans ?


- Sissi !

La Suisse à feu et à sang !

Bon, les gens, ça va faire mal. Ce dimanche 31 mai, les camarades hélvètes underground (hum...) de De Bruit et de Fureur fêtent leurs six ans d'activités radiophoniques (et annexes) à L'usine de G'nève. Tous les détails en-dessous. 
Amène ton casque. 
Lourd.


La marchandise érotique (retour du refoulé)

Du grec


« Quoi ? Monsieur sait du grec ? Ah ! permettez, de grâce,
Que pour l'amour du grec, Monsieur, on vous embrasse. »

(Molière, Les femmes savantes)

Sévère mais (assez) injuste

 
Roger Vailland (1907-1965)

« Lu les ÉCRITS INTIMES  de Roger Vailland. R. V. fut un adolescent. Je déteste les adolescents - sales mômes - comme je déteste mon adolescence. L'adolescent, c'est l'enfant qui a perdu sa puérilité et qui se plie à n'importe quelle structure comme dans l'espoir de trouver sa cohérence, son âge adulte. R. V. a passé son temps à plier et à se vanter consécutivement de sa grande cohérence, qui n'était que niaiserie. Il admire béatement les automobiles, tout ce qui existe, la prostitution, Staline, soi-même. Quel pauvre con. Dangereuse lecture pour un adolescent, c'est le maquereau de la certitude hâtive, crispée et fausse. À l'intérieur de la gauche, il en est le penseur de droite par excellence. Sexualité de collégien. Ordonnateur de fantasmes concrétisés avec toutes sortes de putes. Méticuleusement satisfait. »

(J.-P. Manchette, Journal, 9 janvier 1971)

lundi 25 mai 2015

Maîtrise et servitude (1) ontologie et histoire

 
Gaulois captif (vue de face), bronze, Ier siècle av. J.C.


Faire la part du mobile et de l'immuable, du contingent et du nécessaire...
Ne pas craindre de nourrir l'histoire d'anthropologie, autrement dit d'une certaine fixité dès lors que l'essence de l'homme est reconnue à venir, et que ladite anthropologie - donc - viserait plutôt à rappeler certaine promesse non encore tenue qu'à se cramponner à l'essence. L'essence de l'homme...
L'essence de l'homme comme être générique de travail, pour le Marx des Manuscrits de 1844, ne peut résider ailleurs que dans le développement de ses capacités humaines, pour l'heure contrarié par le capital, qui l'enchaîne. L'essence de l'homme, chez Freud, c'est le conflit - en lui et qui le déchire - d'une somme proliférante de pulsions et de la répression bientôt intériorisée de celles-ci. Quelque différentes, sinon opposées, qu'elles puissent être, ces deux définitions ne sauraient, en tout cas, renvoyer à une nature ayant un jour existé puis ayant été perdue, au fond d'un tourbillon moderniste ou artificialiste (comme diraient les gens de Pièces et Main-d'Oeuvre) quelconque. Il n'y a pas plus de Paradis perdu et d'être naturel de l'homme qu'il n'y a d'état de nature en général. L'homme aliéné contemporain ne présente point, par contraste, d'identité originelle perdue, à la manière d'un animal ne s'étant trouvé brimé, dans son mode d'être, que par quelque accident de parcours, quelque fâcheuse adversité extérieure l'ayant brusquement - et incourtoisement - fait déchoir de sa parfaite autonomie. L'homme, par définition, présente chez Marx une identité à venir, une identité générique de libération. Il ne présente en soi aucune appartenance de genre préétablie. Chez Freud, qui demeure malgré tout un penseur rationaliste, décidé à substituer un Je conscient au Ça immaîtrisable, et ayant ainsi «déclaré la guerre à l'inconscient» (Bloch), une tension se trouve, certes, maintenue entre une histoire (à laquelle, il est vrai, Freud ne s'intéresse pas des masses) actualisant toujours individuellement les archétypes préhistoriques, et la puissance intangible de ces derniers. L'homme « historique » demeure le jeu toujours, disons, diversement répété ou vérifié, de puissances contraires l'installant comme chaos relatif, champ d'une bataille invariablement recommencée opposant pulsions et répression, principes de plaisir et de réalité. En sorte que l'anthropologie freudienne pose à bon droit l'Homme comme être de liberté, autrement dit comme esclave, attendu que la liberté, classiquement, n'est jamais que liberté gagnée sur les instincts, une liberté rationnelle et culturelle, pas sensible. Question de point de vue, nous direz-vous. Freud est, de fait, un penseur de la liberté et de la culture douloureuses, un Aufklärer pessimiste, plutôt que ce vulgaire spécialiste instinctiviste qu'on a souvent coutume de voir en lui. Je demeure libre, dit Freud à la suite de Kant et de toute une tripotée de moralistes bourgeois de l'histoire, vis-à-vis de tel désir, en tant que je puis le réprimer, le mettre à distance en le traitant avec tout le mépris que méritera ce pur produit de l'animalité, de la matière, bref de la nature. La liberté, c'est l'esclavage. Et la civilisation, rendue possible par cet esclavage-même, c'est la répression. Faire la part, alors, quant à cette répression, de l'accessoire et du nécessaire, de la répression constitutive et légitime et de la sur-répression contingente, historiquement déterminée, parasitaire, nuisible, inutile au regard des possibilités contemporaines (automation, réduction du temps de travail, génie social accumulé, etc) de satisfaction du principe de plaisir, c'est remettre Freud en ordre de marche et lier, de manière féconde, histoire (soit mouvement et négativité) et anthropologie. Gérard Raulet, dans son Herbert Marcuse, philosophie de l'émancipation,  a bien montré comment l'évolution philosophique de Marcuse aura, en vérité, toujours témoigné de sa recherche d'une sorte de troisième voie : entre ontologie existentiale et praxis, d'abord (son «heideggero-marxisme» des années 1930) puis entre anthropologie et praxis (avec Freud, cette fois, vingt ans plus tard), cette alliance de négativité historique et d'être-au-monde authentique de l'homme fondant, chaque fois, de la seule manière possible, la légitimité de l'action révolutionnaire, sous forme de projet d'homme nouveau vérifiant - en quelque sorte - sa propre essence humaine libérée, dont Marcuse distingue déjà la présence dans une véritable «ontologie du travail» marxienne (les Manuscrits de 1844 ayant été publiés en Allemagne pour la première fois en 1932, soit au plus fort de l'heideggérianisme de Marcuse, lequel lit alors Marx en conséquence : avec ces lunettes-là). De Heidegger à Freud, Marcuse s'expose alors à la critique d'avoir procédé, çà et là, à une mise sous le boisseau, une évacuation de l'histoire réelle, au bénéfice de cette stabilité d'essence si importante à ses yeux. Une évacuation plus doucettement qualifiée par Gérard Raulet, citant Claus Offe, de « tendance à quitter l'axe horizontal de l'histoire [au profit d'une] ontologie posthistorique ». Et Raulet de préciser : «Il faudra même se demander si cette onto-anthropologie ne finit pas par substituer elle-même à l'histoire un fondement non-historique - biologique -, particulièrement manifeste dans le dernier ouvrage, La dimension esthétique, où l'art et la nature humaine remplacent une histoire devenue impossible. Dans son entretien avec Habermas, Marcuse s'en défend en arguant que " la nature humaine" ou " l'essence humaine " ne sont nullement prédonnées et invariables, et il distingue entre les structures invariantes du psychisme et l'intemporalité d'Éros et de Thanatos d'une part, la dimension historique de la répression et de la surrépression ainsi que l'historicité des formes de l'affrontement entre Éros et Thanatos d'autre part.» (op. cit, PUF, 1992, p.83).

Rappelons, par ailleurs, toute l'importance accordée par Marcuse (dans Éros et civilisation, en particulier) à cette idée freudienne d'une disposition conservatrice des pulsions, d'un plaisir issu de l'abaissement maximal des tensions, du caractère perturbateur de la nouveauté et de la mobilité de l'excitation, bref d'une collusion nirvanienne (libératrice) des pulsions de mort et de vie freudiennes à l'aune d'un plaisir qui durerait, un plaisir enfin définitif (comme la mort, le grand retour à la félicité intra-utérine) évoquant, justement, l'éternel retour de Nietzsche : alternance pacifiée de la vie et de la mort, dans une société débarrassée de la dictature bourgeoise du Progrès indéfini, synthèse d'ordre, de beauté, et de calme, selon le mot baudelairien, constituant explicitement, pour Marcuse, la victoire finale du principe de plaisir. L'ordre, donc. La réalisation de l'essence humaine par l'ordre découlant du désir érotique accompli, non-réprimé, et le plaisir infini (d'ailleurs dialectiquement de plus en plus intellectualisé et raffiné, comme chez le Platon du Banquet) qui en formerait la conséquence idéale. On est bien loin de l'agitation archaïque, de ce déferlement sexuel anarchique, ce pur retour à la barbarie que Freud lui-même associait sans nul doute à semblable triomphe politique impossible d'Éros. Contentons-nous ici de noter, chez Marcuse, l'étrange fusion du mobile «historique» et de l'immobile instinctuel. Henri Lefebvre eut, lui, autrefois, cette phrase ironique quant à cette sorte de partage de Yalta constitutif de la rencontre «freudo-marxiste» : 
« Dans ces discussions il était admis implicitement ou explicitement que la pensée marxiste (dialectique) saisit le devenir, ce qui change, le mouvant, en un mot l'historique. Et que la recherche psychanalytique vise et prétend atteindre du permanent : une " nature " humaine sous-jacente au changement, immuable, libido et/ou refoulement, désir et joie, prohibition. La plupart des partisans de la psychanalyse, révisionnistes ou non, semblent admettre cette interprétation : à eux le trans-historique, aux marxistes l'Histoire et l'historique, s'ils ne disparaissent pas dans la fin de l'histoire comme réalité et comme connaissance. » (Éros et Logos, in La Nef, 1969).

Comment, dans une telle ambivalence, se représenter correctement l'affrontement hégélien du Maître et de l'Esclave ? Métaphore historique de l'affrontement de classe donnant finalement la victoire à l'esclave contraint d'élaborer le monde ? Image anthropologique de la constitution psychologico-sociale, passant par l'acquisition de culture à laquelle aboutit le report assumé de la jouissance, la renonciation momentanée à celle-ci en vue d'un gain de sécurité durable, et d'une satisfaction certaine, quoique modifiée, civilisée, maturée, en un mot : adulte ? Chez Hegel, l'intériorisation du conflit, la réunion de deux figures se faisant d'abord face comme extériorités se produit comme on le sait sans retard, en les personnes, par exemple, du stoïcien au plan philosophique et du citoyen bourgeois (tous deux maître et esclave) au plan politique, ainsi que d'une multitude d'autres, ce depuis le stade primitif de la certitude sensible, des purs ici et maintenant. En tout état de cause, cette conscience réunifiée-double est toujours malheureuse, inquiétée du fait de cette dualité persistante même. La culture est chez Hegel, explicitement décrite comme le creusement progressif d'un abîme entre soi et soi. Et de même que Freud - le dernier Freud, du moins - se présente comme un penseur fondamentalement social, via tous ces mythes fondateurs installant en même temps l'ensemble de l'humanité dans une vérité collective (fût-elle fictive), ce Je hégélien inquiet, aussitôt à la fois maître-esclave, est également aussitôt un Nous. Sartre s'égare donc peut-être à vouloir (dans L'Être et le Néant) soudain se montrer plus marxiste que Marx dans son interprétation «historique» (la lutte capitaliste-travailleur) de ce duel des (de la) conscience servile-maîtresse. D'autant que cette «historicité», proclamée décisive dans son oeuvre, n'y a au fond, comme chez Heidegger, jamais vraiment que faire de la lutte des classes réelle, d'une définition historique concrète du comportement des différentes classes sociales s'affrontant dans le monde réel. Hegel non plus, bien qu'il la frôle d'extrêmement près, ne bascule pas dans l'histoire concrète. Mais lui ne fait, contrairement à Sartre, de cette abstention dernière de matérialisme historique aucune espèce de mystère : l'Esprit, simplement, se réalise ici pour lui à travers une «histoire» n'étant au fond que simple recollection de figures dépassées par la vie. Cette limite, cette ambiguité hégélienne entre cercle fermé, systématicité et nécessité (plus ou moins abstraite) du mouvement, formellement présentée comme «histoire» (le temps se voyant formellement posé comme «étant-là du Concept») facilite une lecture anthropologique de Hegel très heureusement superposable - quant à la question de l'affrontement pulsions-répression - à celle, tout aussi ambiguë, du Malaise dans la civilisation.

Reprenons-en la trame, rapidement, avec Hyppolite.
Extérieur Jour. Fin d'après-midi. Il fait chaud. Une carrière, au fond d'un désert australien, bruissant du seul grouillement répugnant, dans la poussière jaune, de quelque vipère de la mort (une redoutable variété de cobra, en réalité, malgré ce nom trompeur). Un vague grouillement, oui. Et encore : faut tendre l'oreille. Car l'ambiance est lourde et, dans l'ensemble, tout se tait. Tout mate. Les voilà, tiens, nos deux gars qui approchent. Virils. Enfouraillés. Goguenards, pour l'instant. Rigoureusement rictussifiés comme de juste. Sans se presser, ils se mettent maintenant en position. Le combat s'engage. Tiens, dans ta gueule ! Et vlan et pim. Et le combat qui dure. Mais soudain, l'un d'entre eux (appelons-le Arès) parvient à forcer sa fatigue et sa douleur, et à lever la patte suffisamment haut et vite. Un high kick, mon poteau, à la Cro-cop, foudroyant et en pleine mâchoire. L'autre est à terre. Arès est déjà sur lui, il le savate encore bien comme il faut. Puis il lève son épée, juste au-dessus de sa tronche, pile à la verticale de son nez éclaté, et il attend. C'est alors que l'autre (appelons-le Chochotte) impore sa pitié ! Oui : vous avez bien lu. La chose est à peine croyable, nous sommes d'accord, et rudement dégoûtante. C'est la raison pour laquelle Arès moque justement Chochotte, qui pleure et s'effondre - même - en larmes, après avoir, l'instant d'avant, tremblé de tout son être, dessous sa lourde armure de polyuréthane, et s'être force chié et pissé dans le falzar de pure terreur. Arès lui assène, alors, entre deux injures amères et féminisantes, les conditions drastiques aux termes desquelles il consent à abandonner, à cette pauvre Chochotte, le bénéfice minable de conserver sa vie ridicule et abjecte (notez bien ce dernier terme, ça fait penser à objet, comme mot, ce sera utile pour plus tard).

(à suivre...)

vendredi 22 mai 2015

Paradjanov (wedding scene)

                           
                           

Les chevaux de feu, de Paradjanov, est sans doute le plus beau et le plus grand film de tous les temps. Est-ce encore un film, au fait ? Plutôt un déferlement synesthésique de couleurs, de jouissance et de mélancolie. La chose se comprend d'elle-même. Paradjanov, pédé mystique, se trouva pour ces deux raisons persécuté comme personne par un régime stalinien dont (on ne se lassera jamais de le répéter) l'écroulement final sera toujours apprécié par nous comme un événement salutaire, une excellente nouvelle entre mille. Sa suite logique poutiniste sévissant toujours, et exerçant comme hier son charme pourri sur l'esprit de moult mandarins et politicards actuels, connaîtra bientôt le même destin ridicule, aux poubelles de l'histoire de la révolte. La grandeur de Paradjanov, quant à elle, durera toujours. On peut y goûter, cette semaine, dans certain cinéma parisien du quatorzième arrondissement.

mercredi 20 mai 2015

Mauvaise nouvelle, les gars !


« Le programme du principe de plaisir 
(être heureux) n'est pas réalisable. »
(Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation).


... heureusement, il nous reste les livres de Michel Onfray. 
Et les disques des 2 b 3.

Dieu sait les noms des irréductibles.

 
Georges Bernanos

« L'avant-veille deux cents habitants de la petite ville voisine de Manacor, jugés suspects par les Italiens, avaient été tirés de leurs lits, en pleine nuit, conduits par fournées au cimetière, abattus d'une balle dans la tête et brûlés en tas un peu plus loin. Le personnage que les convenances m'obligent à qualifier d'évêque-archevêque avait délégué là-bas un de ses prêtres qui, les souliers dans le sang, distribuait les absolutions entre deux décharges. Je n'insiste pas plus longtemps sur les détails de cette manifestation religieuse et militaire, afin de ménager, autant que possible, la susceptibilité des héroïques contre-révolutionnaires français, évidemment frères de ceux que nous avons vus, ma femme et moi, fuir de l'île à la première menace d'une invasion hypothétique, comme des lâches. J'observe simplement que ce massacre de misérables sans défense ne tira pas un mot de blâme, ni même la plus inoffensive réserve des autorités ecclésiastiques qui se contentèrent d'organiser des processions d'actions de grâces. 

(...)

Tout cela s'écrit en noir sur blanc. Il faut voir. Il faut comprendre. Voilà une petite île bien calme, bien coite dans ses amandiers, ses orangers, ses vignes. La capitale n'a guère plus d'importance qu'une vieille ville quelconque de nos provinces françaises. La seconde capitale, Soller, n'est qu'un bourg. Les villages isolés les uns des autres, perchés à flanc de montagne ou disséminés dans la plaine ne communiquent entre eux que par de mauvaises routes, ou de rares pataches, au moteur essoufflé. Chacun de ces villages est un monde fermé, avec ses deux partis, celui des
«Prêtres» et celui des «Intellectuels», auquel s'agrège timidement celui des ouvriers. Il y a encore le châtelain, qu'on ne voit d'ailleurs qu'aux beaux jours, mais qui connaît ses têtes, a noté depuis longtemps les mauvaises, en compagnie du curé son compère. N'importe ! La gentillesse des moeurs espagnoles fait que ce monde-là vit d'accord, danse ensemble les soirs de fête. Du jour au lendemain, ou presque, chaque village a eu son comité d'épuration, un tribunal secret, bénévole, généralement ainsi composé : le bourgeois propriétaire, ou son régisseur, le sacristain, la bonne du curé, quelques paysans bien-pensants et leurs épouses, et enfin les jeunes gens hâtivement recrutés par la nouvelle phalange, trop souvent convertis d'hier, impatients de donner des gages, ivres de l'épouvante qu'inspirent tout à coup, à de pauvres diables, la chemise bleue et le bonnet à pompon rouge.

(...)

Quelques semaines avant Pâques, l'autorité religieuse, d'accord avec l'autorité militaire, procéda au recensement des fidèles. On fit distribuer, à cet effet, à chaque personne en âge d'accomplir le devoir pascal une feuille imprimée. Cette feuille portait au recto :

1937
M., Mme ou Melle...
Domicilié à..., rue..., n°..., étage...., a fait ses Pâques à l'église de...


Au verso :

Il est recommandé d'accomplir le devoir pascal dans sa paroisse. Quiconque l'aurait accompli dans une autre église devra en apporter la justification à son Recteur.

Une souche, facilement détachable grâce à un pointillé, portait l'indication suivante :

Pour la bonne administration, il est prescrit de détacher cette souche et de la faire parvenir dûment remplie au curé de la paroisse. On pourra également la déposer dans la boîte destinée à cet usage.

Est-il besoin d'ajouter que les confessionnaux ne désemplirent plus ? L'affluence des pénitents fut même telle que le curé de Terreno crut devoir procéder à la distribution d'une nouvelle feuille. Après avoir fait cette remarque singulière, mais parfaitement opportune, que la principale difficulté dans l'acte de la confession n'était pas tant d'avouer ses péchés que de savoir quoi dire - en no saber qué confesar o como expresarse - il donnait en quinze lignes la formule d'un examen de conscience extrêmement réduit. La feuille portait encore ce post-scriptum :

N. B. - No olvides colocar tu billete del cumplimiento en el cajón del cancel para poder formar el censo.
 
« N'oublie pas de déposer le certificat dans la boîte pour POUVOIR ÉTABLIR LE CENS. »

Il n'est pas un prêtre majorquin qui oserait nier qu'une telle mesure, prise en pleine Terreur, ne pouvait que multiplier les sacrilèges. Que dire de plus ? Dieu sait les noms des irréductibles, en petit nombre, qui se croyant sans doute ses ennemis, gardaient toutefois, à leur insu, dans les veines, assez de sang chrétien pour ressentir l'injure faite à leur conscience, répondre non ! à ces sommations insolentes. Puissent-ils retrouver le Christ ! Puissent-ils, le jour venu, juger leurs juges !
»

(Bernanos, Les grands cimetières sous la lune)

Indestructible horizon

 Milan, 1er mai 2015.

« Et pourtant, un vaste horizon d'espérance s'ouvre ici, à nous qui sommes plongés dans la souffrance et l'obscurité. L'espérance, si elle reste assez forte, si elle se purifie et se possède sans gauchissement, rend indestructible, - l'espérance nous rend indestructibles. »

(Ernst Bloch, Karl Marx, la mort et l'apocalypse, in L'esprit de l'utopie)

lundi 18 mai 2015

Athènes

Athènes, 7 avril dernier, manifestation de solidarité 
avec les prisonniers en grève de la faim contre les prisons de type C.

La lutte a payé. La lutte paiera. En Grèce, les prisons de type C à régime exceptionnel, réservées aux prisonniers politiques et à cette masse irrésistible d'insurgé.e.s suscitée depuis des années par l'insupportable austérité capitaliste, sont désormais abolies. Le 17 avril dernier, le Parlement a approuvé un projet de loi pénal officialisant cet abandon. Pour en arriver là, il est permis de douter que la seule ligne politique de SYRIZA, le parti au pouvoir, ait pu suffire. Nous plaisantons évidemment, sous forme de cette pauvre litote. Depuis des mois et des semaines, les rebelles grecs, partout : dans la rue, à l'intérieur et à l'extérieur des taules, sous toutes les formes organisationnelles et politiques qu'ils aient pu déterminer (émeutes, incendies, grèves de la faim massives...) n'ont jamais relâché la pression sur ledit pouvoir. 

L'affrontement, bien entendu, ne fait que commencer, selon leurs propres termes. Certains grévistes de la faim grecs se trouvent actuellement en danger de mort, à l'exemple de Spyros Mandylas, qui refuse de s'alimenter depuis deux mois pour protester contre l'iniquité ordinaire du procès qui lui est fait. Les prisons sont toujours en place, extraordinaires ou non. Elles continueront, extraordinaires ou non,  à accueillir toutes celles et ceux qui ne s'accommodent pas de l'aménagement réformiste de politiques inhumaines lesquelles n'ont jamais cessé, tous les jours, en Grèce et ailleurs, d'isoler, d'affamer, de désespérer et de tuer. Les soi-disant lois anti-terroristes 187 et 187A sont toujours en vigueur (on attend que SYRIZA, qui dénonça leur mise en place originelle, leur réserve à présent le même sort parlementaire qu'aux prisons de type C). La loi interdisant le port de cagoule en manifestation se trouve certes, elle, bien entamée, puisque ne concernant plus désormais, comme circonstance aggravante, que les seuls vols à main armée. Il est aussi question d'un expert indépendant, systématiquement consulté au moment d'utiliser le matériel génétique d'un suspect. Dernière victoire significative des prisonniers en lutte - ceux des groupes dits de la Conspiration des Cellules de Feu et du DAK (Réseau des Combattants Emprisonnés) : une loi permettant aux prisonniers condamnés à perpétuité, ayant purgé 10 ans de leur peine et invalides à plus de 80%, de terminer leur peine à domicile avec un bracelet électronique. Cela concerne entre autres Savvas Xiros (ex-membre du groupe anti-impérialiste et anti-colonels 17 novembre), handicapé à 98% et emprisonné depuis 13 ans, qui devrait donc pouvoir quitter la prison très prochainement, au grand dam des gouvernements turcs et américains, lesquels s'en sont déjà bruyamment émus auprès du gouvernement de M. Tsipras. 

La lutte a payé. La lutte paiera. 
Nous ne pouvons ici à nouveau exprimer, vis-à-vis de la détermination, du courage et de la lucidité inébranlables dont font preuve les résistants grecs, que notre très modeste, et très inoffensive admiration
On se renseignera utilement, quant à la suite de ces événements qui sont l'Histoire, sur l'incontournable site d'informations partisanes Non Fides, dont nous saluons le travail infatigable.

samedi 16 mai 2015

Notes sur Bloch, Freud et le passé qui ne passe pas

 
Chez Bloch, présence de l'avenir dans le passé comme non-advenu perpétuel. Facteurs intérieurs et extérieurs, subjectifs et objectifs, de la conditionnalité, de la possibilité. Pour que du Nouveau apparaisse, il ne peut y avoir déséquilibre trop important, ni surcompensation de l'un par l'autre, desdits facteurs (misères équivalentes de l'économisme automatiste et du gauchisme volontariste coupé de la société). Le Nouveau peut faire l'objet d'une science des latences et des tendances sur la base de l'analyse du rapport entre de telles tendances internes et externes. 

Chez Freud, cristallisation de la lutte au point de rencontre d'une poussée interne et d'une stimulation mondaine. Défaite de la satisfaction intégrale sous l'égide du Moi, instance répressive-protectrice parfaitement au fait de la supériorité écrasante objective du monde vis-à-vis du sujet du désir pulsionnel profond, et protégeant donc ce sujet de la mort rapide, de son massacre par un monde extérieur qui ne tolérerait pas longtemps ses prétentions au plaisir intégral, ses prétentions contre lui. Défaite, donc, mais lutte reconduite jusqu'à la fin du sujet, défaite toujours recommencée. Lutte toujours recommencée entre principes de réalité et principe de plaisir, ce dernier se réfugiant dans son sanctuaire de l'imagination d'où il ne sera jamais expulsé. Statuts voisins, à l'aune de l'imaginaire, de la perversité sexuelle et de l'Art, tous deux rebelles inexpugnables (et sympathiques aux yeux du communiste) au principe de réalité, au principe de séparation. L'imaginaire : réceptacle de toute cette subversion de désir, laquelle est parfaitement aperçue par Freud mais jugée par lui impossible objectivement, consciemment nécessairement inopérante, état esthético-rationnel sans queue ni tête (ou justement monstrueusement constitué d'elles, queue et tête confondues) précédant, comme fiction mythologique, l'individuation civilisée. Bref, un glorieux, mystérieux et absolument insociable archaïsme, un hors-histoire sur lequel il serait vain de rien vouloir bâtir en termes de civilisation. 

Satisfaction intégrale impossible chez Freud. Règne pour lui impossible d'une civilisation basée sur le genre de sensibilité cognitive décrit plus haut, demeurant une hypothèse régulatrice purement négative. Statut freudien de la fantaisie artistique, du rêve diurne comme repli uniquement. Chez Bloch, le rêve diurne, à l'inverse : l'annonce par excellence de la révolte objectivement fondée. Comme empêchement fondamental, néanmoins (contrainte de répétition), la névrose freudienne témoigne toujours d'une lutte entre deux tendances, et de la reconduite perpétuelle de cette lutte. Principe de plaisir jamais soumis. Car ses revendications, au fond : légitimes et valables. La névrose ne dit jamais rien de stupide (Freud). Chez Bloch, permanence du possible sous formes de rêves, d'utopies dans l'histoire. Permanence du conflit chez Freud MAIS, bien sûr, chez lui le passé (l'enfance) triomphe toujours de l'avenir, détermine invinciblement le présent. Chez Bloch, tension également maintenue des exigences de l'enfance non-satisfaites, lesquelles recouvrent cependant celles de l'essence par définition à-venir de l'homme. Incertitude cette fois proclamée et défendue, contrairement à ce qui se produit chez Freud, de l'issue de la lutte. 

Malgré tout, le pessimisme freudien ne s'abstient pas tant de prospective qu'il refuse de parler de celle-ci. De fait, fortune révolutionnaire de Freud plus importante après son renversement (par Marcuse, surtout) que celle des adaptatistes de gauche néo-freudiens divers, figés dans le présent, congédiant également fièrement le passé et l'utopie. En somme, il y a aussi du non-advenu chez Freud, mais qui durera toujours. Tel est son principe-désespérance, son passé-qui-ne-passe-pas. Pas sûr (si la pratique peut jamais sanctionner la validité d'une théorie) que ce passé-là diffère au fond beaucoup de celui de Bloch, penseur optimiste.

Eh ouais, c'est raide mais c'est comme ça.

vendredi 15 mai 2015

De l'évolution spontanément juridico-pénale du crime de sang dans le monde réellement renversé (deux points de vue)

Jean Delville, Le crime (1897).

« Au début d'ailleurs, longtemps avant, il avait été occupé par une question : pourquoi presque tous les crimes sont-ils si facilement découverts et trahis et pourquoi les traces de presque tous les criminels sont-elles si clairement marquées ? Il était arrivé peu à peu à des conclusions multiples et curieuses et, à son avis, la cause principale était moins dans l'impossibilité matérielle de cacher le crime que dans le criminel ; c'était le criminel, presque chaque criminel, qui était sujet, au moment du crime, à une certaine chute de la volonté et de la raison, remplacées par une légèreté phénoménale, enfantine, précisément à l'instant où étaient plus nécessaires que jamais le raisonnement et la prudence. Selon sa conviction, cette éclipse de la raison et cette chute de la volonté s'emparaient de l'homme tout comme une maladie, se développaient progressivement et atteignaient leur maximum peu avant l'accomplissement du crime ; elles continuaient sous la même forme à l'instant même du crime et quelque temps encore après, selon les individus ; ensuite elles passaient, tout comme passe n'importe quelle maladie. Quant à savoir si c'était la maladie qui engendrait le crime, ou bien si le crime en vertu de sa nature particulière était toujours accompagné de cette espèce de maladie, il ne se sentait pas encore la force de le décider. »

(Dostoïevski, Crime et châtiment, chapitre 6).

« Cet aspect du concept, c'est justement cette liaison nécessaire qui fait que le crime comme volonté en soi négative, implique sa négation même, qui apparaît comme peine. »

(Hegel, Fondements de la philosophie du Droit, § 101)

jeudi 14 mai 2015

Un ennemi


« La catégorie de totalité est la catégorie révolutionnaire en philosophie. »
(Lukács, Histoire et conscience de classe)

«... Et tout autour de moi, 
je ne vois
qu'un ennemi... »
(Les Cadavres)

Sehnsucht (à la demande générale !)

mardi 12 mai 2015

Coup dur


Le Moine Bleu apprend aujourd'hui la disparition tragique de

Monsieur Albert DARTOIS
Ancien huissier de justice

survenue jeudi 7 mai 2015, à Lille, dans sa 82ème année (de M. Dartois, pas de Lille. Lille aurait, quant à elle, été fondée, selon des sources concordantes, autour de 640 après Jésus-Christ. Comme quoi ça remonte, en fait. Même si on n'est pas sûr, vraiment. Plus moyen d'être sûr de rien, faut avouer, dans ce monde où l'exactitude se révèle une chimère, alliage dialectique de raison et de mythe, en quelque sorte). Tout de même, la célébration des funérailles de M. Dartois a normalement eu lieu (on n'est jamais à l'abri, c'est vrai, d'un aléa quelconque) ce mardi 12 mai 2015 à 14 heures 03, en l'église Notre-Dame de l'Assomption à Orchies. Et elle a, selon toute vraisemblance, été suivie de son inhumation (à  M. Dartois) dans le caveau de famille au cimetière de Neuvilly, une assemblée à l'église ayant au préalable (une fois de plus : normalement) été organisée, pour la bénédiction du corps, aux alentours de 13 h 45. Le Moine Bleu s'associe évidemment, le cas échéant, à la douleur normalement hautement probable de la famille et des proches.  


Car celui qui doute est semblable au flot de la mer, 
agité par le vent et poussé de côté et d'autre. 
(Jacques 1.6)
 

Information importante

Chers amis, chères soeurs et camarades, 

Nous vous annonçons que tous les articles de cette tribune numérique consacrés à Wagner se trouvent désormais restaurés dans leur intégrité musicale. Cela aura été long, pénible, bref technique, mais que ne méritez-vous point ? On se le demande. Profitez-en donc, jouissez-en autant que nécessaire. C'est à nous, ainsi, que vous ferez plaisir. En attendant, une belle journée, pleine de soleil. Et de lumière.

                              

Marre de Huysmans ?


lundi 11 mai 2015

Dialectique des Lumières


« La sphère de la liberté et la sphère de l'absence de liberté ne sont pas simplement juxtaposées ou superposées mais se trouvent dans un rapport qui les fonde mutuellement. »

(Herbert Marcuse, Autorité et Famille)

Propositions sur la psychanalyse

 
Au bout de la clope : J.-P. Manchette.

« 1 - La psychanalyse a été, dans le cadre de la culture bourgeoise, la découverte de l'importance absolue du désir et de sa répression dans la formation de la personne humaine - ainsi que, notamment, la création d'une technique de cure tendant à l'actualisation des désirs réprimés, après transformation.

2 - La psychanalyse a été marquée à plus d'un titre par son origine bourgeoise. Pour les freudiens, le désir est demeuré une chose mauvaise tant qu'il faisait obstacle au principe de rendement. La connaissance du désir n'a d'autre part pas dépassé le cadre de la psychologie, fût-elle de masse. Enfin, le freudisme n'a pas recherché de façon conséquente une technique curative autre que celle convenant au petit nombre des riches.

3 - Dans la période de contre-révolution triomphante qui a suivi la Première Guerre mondiale, la psychanalyse a été incapable de surmonter ses tares de jeunesse. La connaissance séparée du désir séparé est devenue de plus en plus un pessimisme. D'autre part, la société spectaculaire marchande s'est emparée de cette connaissance. L'acquit révolutionnaire du freudisme s'est mué en pure inquiétude. La connaissance du désir a donné lieu à une technique pour leurrer le désir, à une science des satisfactions illusoires.

4 - La psychanalyse, de par ses origines et ses conditions d'exercice, appartenait à la bourgeoisie, et personne n'était en mesure de la lui prendre, à cause du mauvais état du mouvement réel.
En conséquence -
a) La théorie psychanalytique s'est bloquée absolument à l'intérieur d'elle-même. Elle n'a su qu'accumuler des archives et se permettre des fantaisies. Incapable de désirer le changement, elle ne peut que constater son incapacité à changer le désir. À ses yeux, l'homme heureux n'existe pas, mais elle n'y peut rien. Elle confond base sexuelle de la personnalité et étiologie sexuelle des névroses. Elle ne veut connaître que le principe de réalité, qu'on ne peut changer, mais non la réalité que l'on peut changer. La différence entre l'Oedipe d'un pauvre et l'Oedipe d'un riche tombe en dehors de ses vues.
b) La pratique de la psychanalyse s'est généralement limitée aux entretiens individuels coûteux, et son efficacité ne dépend jamais que de la personnalité de l'analyste.

5 - Pour le patient, la psychanalyse pratiquée est demeurée une technique pragmatique pour connaître son désir.

6 - L'enseignement freudien demeure pour nous une source de connaissances critiques à condition que nous prenions en dehors de lui les moyens d'en modifier la fonction. Notamment, le tri doit être fait entre le nécessaire qui cause la personnalité et le contingent qui cause la névrose. La connaissance de ce contingent est la connaissance de la répression sociale au niveau le plus profond auquel elle s'exerce.»

(J.-P. Manchette, Propositions sur la psychanalyse in Journal, 31 janvier 1971).

samedi 9 mai 2015

Aujourd'hui et pas demain !


Sauvagerie

Quand on n'a que la haine... (OTH)

Le beauf intégral ne tourne jamais désespéré. 
Telle est sa marque absolument distinctive.
C'est que l'individu en question - le beauf intégral - panse avec son estomac et avec sa tripaille, et que l'appel de ceux-ci : récurrent, inéluctable, toujours renaissant, le préserve de cette calamité qui n'épargne point, en revanche, les rebelles authentiques, marqués sans retard au front du pessimisme le plus sombre, de son sceau incomparé de souffrance amusée, ironique et moqueuse. 

Il y avait, certes, beaucoup de beaufitude chez OTH, dans les invites régulières, en particulier, du sieur Poisson, lancées aux punks de l'Hexagone à visiter leur sud montpelliérain où les filles étaient, à l'en croire, aussi "chaudes" que "disponibles" : de véritables "chiennes en chaleur", en somme, que les désormais ex-rock'n'roll heroes d'OTH seraient, à cette heure (entre nous et soit dit en passant) sans doute bien en peine de contenter orgasmiquement, du bout de leur bout décomposé, de ce ticket obsolète misérable, non-valable (ainsi que le stigmatisait courageusement l'écrivain Romain Gary, qui, lui, ne fut jamais beauf) au-delà de telle limite rapidement impérieuse... 

Il nous souvient, là-dessus, ce dessin issu d'un fanzine au titre oublié. Un gros punk à crête, viril, s'y adresse à l'élue de son coeur, une jeune fille en cuir noir qu'il entend vraisemblablement séduire, lors d'un concert propice, par l'exhibition du discours idéologique adéquat, en ces termes précis : Eh ben, moi, je te dis qu'un mec qu'est sexiste, c'est qu'un enculé de pédé de lopette !
Le gars semble fier de lui. 
La punkette, elle, en son for intérieur, une goutte de sueur lui perlant au front : Y a du boulot... 
Du boulot ? Diable. Qu'était-ce à dire ? Déjà, à l'époque, nous apparaissaient ces deux évidences redoutables que les filles bandaient souvent pour les machos, sans parler des demeurés, à mesure même, souvent, de leur bêtise crasse désinhibée (offrant moult avantages pratiques), et que les militant.e.s, secondement, usaient volontiers du sexe comme d'un praticable champ de bataille, par où faire progresser valablement leurs pions idéologiques crasseux. Remettre quelqu'un.e dans la ligne plutôt que le remettre tout court, et sans raison particulière autre que pulsionnelle, la chose, à force d'allure sacrificielle, vous prend illico un air des plus moraux et convenables, n'est-il pas vrai ?

Dans tout beauf, donc, l'homme véritable - l'homme à venir - et le bourgeois stomacal se combattent jusqu'à un certain point. C'était le cas, comme partout, chez les gens d'OTH, que nous écoutions attentivement. Mais ici - à force - la mélancolie, autrement dit la spiritualité, l'inquiétude et l'intelligence l'avaient finalement emporté. L'inquiétude se sentait d'abord à cette voix malhabile, haut perchée et tremblotante, tranchant comiquement sur des prétentions affranchies. L'adolescence, donc. Et de cette idée, de cet état d'adolescence qui était momentanément le nôtre, saillait évidemment la haine, uniquement la haine, en partage. Les Warrior Kids, de Marseille, ne disaient pas autre chose à l'époque, quoique avec un accent bizarre, du genre : Quand t'es eingh adolesceingh, t'as beaucoup de haineux dans ton âme... Bref. Précisons que nous n'avons rien contre Marseille et contre les marseillais, les gens à Marseille doivent être à peu près aussi cons qu'à Paris, où il existe également des années européennes de la culture et même des clubs de football professionnel, à ce qu'il paraît.

Le gars Poisson d'OTH (revenons à lui), tout prolo - et révolté du bloc B - qu'il disait être, avait eu des lectures, et même d'indéniables amours de lecture, de poésie notamment, lesquelles nous concernaient aussi. Celles-ci avaient nourri sa haine d'adolescent, l'avaient portée à un point d'incandescence tel qu'elle déferlait à présent sur nous, étonnait à leur tour nos pulsions disponibles. Bizarrerie, étrangeté, violence. Tiens donc. Et avec ce trio de phénomènes, cette découverte, en sus, qu'il était possible d'en extraire la beauté simple, élémentaire. Le titre à écouter ci-dessus (Quand on n'a que la haine...), repris, voire parfois carrément pillé - avec un bonheur selon nous inégalé - de Rimbaud et Lautréamont en témoigne. Il voisinait, dans nos préférences d'alors (ce tandis même que notre optimisme formel et militant d'adolescent (in)conscient atteignait son zénith) avec une chanson intitulée À mourir de rire (écouter ci-dessous), disant assez, quant à elle, la vanité de prétendre changer quoi que ce soit à ce gros tas de boue sanglant qu'on appelle (on ne l'appelle plus comme ça, d'ailleurs, ni d'aucun autre nom) la société bourgeoise

Comment peut-on supporter (disait la chanson) cette inhumanité ? 
Comment peut-on supprimer tant de laideur et d'hypocrisie... ?

Puis la chanson disait encore :

Du haut de chez moi, je vois les fuminées d'usine,
Là où tous les jours, les esclaves travaillent à la chaîne...

Avant d'expirer ainsi :

C'est à mourir de rire
C'est à mourir de rire
Et on s'en donne à coeur joie...


Les OTH morts de rire...

vendredi 8 mai 2015

Du bon usage de Karl Marx et de l'opium (du peuple)


« L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger que le peuple renonce aux illusions sur sa situation, c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc - en germe - la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. » 

(Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel).

jeudi 7 mai 2015

Bien fait pour ta gueule ! (si si la famille)


« Je préfère ma fille - ou ma famille - à mes amis. »
(Jean-Marie Le Pen, 9 décembre 2006).

Derniers jours


Exposition des collages d'Adonis, poète syrien.
Jusqu'au 10 mai 2015 (tous les jours : 11h-19 h) 
à la Galerie Azzedine Alaïa
18, rue de la Verrerie, 75004 Paris.

***

« Avec la disparition du Palestinien Mahmoud Darwich, il est la dernière grande voix de la poésie arabe et, au-delà, l’un des grands poètes contemporains. Adonis vit en poésie depuis l’âge de 13 ans, lorsqu’il n’était encore qu’un gosse haillonneux mais déjà fort ambitieux. Une poésie qu’il considère comme «tragique par essence» et qu’il a toujours reliée à la philosophie. Il y parle de Dieu, de la guerre et de la paix, de sexe, d’ivresse, de folie. Né en 1930 dans un modeste village alaouite, il quitte très tôt la Syrie, jugeant que vivre dans ce pays «lui fermait l’horizon», pour s’installer à Beyrouth, puis en France, en 1985. A 17 ans, il prend le pseudonyme d’Adonis : «Ce nom m’a libéré de mon nom, Ali, et d’une appartenance sociale refermée sur la fermeture de la religion.» Depuis, il n’a cessé de braver les interdits. Pour avoir déclaré que «les Juifs sont une composante de l’histoire du Moyen-Orient», il est exclu de l’Union des écrivains arabes. La Syrie est devenue pour lui une plaie ouverte : «Du destin d’Alep, j’arrache mes pas. Voici mes chemins et voici la fin du pays. Je vais m’enfoncer dans ma blessure et dans ma langue comme si mon cœur était aplati sous le poids de ma maison.»

La suite de cette récente interview d'Adonis : ICI !



mercredi 6 mai 2015

dimanche 3 mai 2015

La scuola è finita

Traduction récente - et pertinente - de l'italien, disponible sur le site Non-Fides...

Portrait d' Averroës, par Andrea di Bonaiuto.

Lecce (Italie) : Une université islamique en ville ?

(lundi 27 avril 2015)


« L’ouverture des frontières, les flux d’immigration, la dite mondialisation ont transformé en quelques années notre vie quotidienne, en changeant profondément le visage de nos villes. Parmi de nombreux aspects positifs, inutile de le cacher, il faut compter aussi plusieurs aspects dus à une vie en commun parfois difficile entre civilisations différentes. Les diatribes qui surgissent chaque fois qu’est évoquée l’hypothèse de la construction d’une institution islamique dans la région en sont un exemple. Les polémiques qui ont déjà surgi ailleurs quant à la construction d’une mosquée se déchaînent maintenant à Lecce après la nouvelle qu’un entrepreneur local qui a des gros intérêts au Moyen Orient voudrait fonder une Université Islamique. 
Que faire ? Rejeter le projet au nom de la lutte contre le fondamentalisme religieux ou bien l’approuver au nom de l’universalité du savoir ? 
De droite arrivent des mots de condamnation. L’université islamique est inacceptable, parce que, derrière le paravent de la culture, sont cachés des intérêts troubles. Elle va devenir un repaire de fanatisme, un avant-poste de l’intolérance, un foyer de haine, une école de soumission. En tant que telle, sa construction ne doit pas être encouragée, mais contestée, bloquée, boycottée, combattue. En dépit de notre hostilité pour le raffut réactionnaire, nous sommes ici obligés de le reconnaître : LA DROITE A RAISON !
De gauche arrivent des mots d’approbation. Un cours de licence islamique est un cours de licence, qui mérite d’être considéré comme tous les autres cours de licence. On ne peut pas faire des divisions odieuses entre des étudiants de série A (ceux qui croient seulement en l’État, ou aussi en Dieu) et des étudiants de série B (ceux qui croient et en Allah et en l’État), parce que cela serait une politique raciste. En dépit de notre hostilité envers la racaille progressiste, nous sommes ici obligés de le reconnaître : LA GAUCHE A RAISON !
Bref, sur ce problème qui divise les esprits à ce point, droite et gauche ont raison toutes les deux. Les universités islamiques sont en effet des lieux nuisibles pour le bonheur, la liberté et la dignité humaine, mais elles ne doivent pas être considérées différemment des universités catholiques ou laïques, publiques ou privées. Il y a donc une seule possibilité. TOUTES LES INSTITUTIONS CULTURELLES - ÉCOLES DE DOMESTICATION – QU’ELLES SOIENT SACRÉES OU PROFANES, DOIVENT ÊTRE FERMÉES.
Laïques, chrétiens, musulmans, juifs… ne doivent plus disposer de lieux publics ou privés où transmettre les germes de l’autoritarisme et de l’obéissance, qui au fil de l’histoire se sont révélés capables de légitimer l’exploitation matérielle et l’abrutissement spirituel, périodiquement renforcés par des épidémies de guerres saintes et croisades. La culture, si elle n’est pas synonyme de libre pensée, une conquête individuelle, une condition d’autonomie, est une soumission à une raison d’État ou à une foi en Dieu. Un être humain penché sur un banc d’école, en train d’apprendre comment occuper une place importante dans ce monde de marchandises et de lois, de prostitution sociale et de résignation, est une aberration qui ne doit pas nous blesser les yeux, nous brouiller l’esprit, nous souiller le cœur. Nous voulons donc affirmer ici notre refus de la construction de toute institution (politique, religieuse, culturelle…), tout en précisant que ce refus doit nécessairement s’accompagner de la démolition de celles qui existent déjà. C’est seulement de cette manière qu’on n’attisera pas d’obscurantismes cruels, seulement de cette manière qu’on ne tombera pas dans des discriminations racistes ! »
[Traduit de l’italien par les soins du site NON-FIDES, Brecce, n°2, avril 2015, Lecce, Italie.]
http://non-fides.fr/

vendredi 1 mai 2015

À jamais


Louis Lingg (1864-1887)

Vers l'insertion : réapprendre les gestes simples...


( journal Hara-Kiri, mars 1975).