mardi 30 septembre 2014

Elles sont moqueuses...


« Une femme avisée me disait un jour : les hommes savent toujours très bien ce à quoi ils sont parvenus avec nous ; mais ils n'ont généralement aucune idée de tout ce à quoi ils ne sont pas parvenus. »

(Arthur Schnitzler, Relations et solitudes)

Je m'en fous, j'ai l' i-Phone 6 !


dimanche 28 septembre 2014

Des avantages et inconvénients de la liberté

 
 Prestataire de lien social, Géorgie, 1864.

« Le nouveau système, qui faisait louer par les planteurs les services des nègres, et le montant des salaires à leur payer, en argent ou en nature, réclamaient à présent toute l'attention du commandant... Il était facile de voir qu'une certaine coercition était nécessaire pour obliger les nègres à travailler, et qu'il fallait une coercition encore plus énergique pour empêcher les maîtres d'abuser de leurs anciens esclaves.
Dans certains cas, il y avait un désir sincère de la part du maître de s'adapter au nouvel ordre des choses et de faire honnêtement l'expérience : le travail libre ne pourrait-il pas être même plus avantageux que l'ancien système ? 
Dans d'autres cas, l'entreprise paraissait sans espoir, au point de paralyser tout effort et, des deux côtés, tous étaient renfrognés et mécontents.
Le nègre, ami du changement et interprétant la liberté comme absence de tout travail, ne pouvait pas comprendre son obligation de respecter son contrat et le violait à son gré chaque fois que l'envie lui en prenait. Le maître, de son côté, habitué au règne de l'arbitraire, oubliait parfois que, d'après la loi militaire, le fouet ne pouvait plus être toléré...
Un planteur discutait un jour avec son serviteur sur la façon dont ce dernier pourrait arriver à gagner sa vie, quand l'homme s'exclama avec une bien pardonnable candeur : "Voyons, maître, vous savez bien, je peux charrier du bois et le vendre en ville. - Mais, dit le maître, ce bois, où le prendras-tu ? - Ma foi, sur notre terre." Mais ce n'était plus "notre" terre, aux yeux du maître, et il fallut faire comprendre au pauvre garçon que les intérêts du maître et du serviteur n'étaient plus identiques. Le bois appartenait au maître et il dit à son homme qu'il ne pouvait y trancher qu'à son propre risque.
Dans bien des cas, les esclaves abandonnaient leurs maisons sans prévenir, laissant tout le ménage à faire à des dames délicates, qui n'avaient jamais préparé un repas ou lavé un vêtement...
Un trait de plume avait réduit le propriétaire d'un état de supériorité reconnu à l'égalité politique avec son ancien esclave. L'esclave était soudain élevé au même niveau que son ancien maître. Et il y avait bien des blancs pour leur prêcher en paroles de miel la liberté, l'égalité et la fraternité. Ces théoriciens leur expliquaient qu'il était dégradant de servir leurs anciens maîtres, qu'il leur fallait à chaque occasion affirmer "la dignité de leur nouvelle situation" et ressentir avec indignation toute prétention de supériorité de leurs anciens maîtres. Il fallait bien s'attendre qu'un tel état de choses conduisît à des collisions entre les races... »

(Témoignage d'un ancien planteur - d'origine nordiste - de Caroline du Sud, après la guerre de Sécession, Mc Carter Diary, cité dans Hodgson, Carpetbaggers et Ku-Klux-Klan, 1966).

vendredi 26 septembre 2014

De l'illettrisme (3) tristes journées de Septembre

 
Madame de Lamballe (détail).


« À présent, esprit invisible et imperceptible, 
la maladie s'insinue dans toutes les parties nobles et les pénètre, 
elle s'est bientôt rendue profondément maîtresse de toutes les viscères 
et de tous les membres de l'idole inconsciente 
et un beau matin, elle "donne un coup de coude au camarade 
et patatras, l'idole est à terre". »

(Hegel, citant le Neveu de Rameau in 
Le combat des "Lumières" avec la superstition, 
Section I-a, Phénoménologie de l'Esprit).


Dans la vie, il y a les illettrés simples (incapables, par exemple,  de se tenir au courant de l'actualité que présente un journal) et les illettrés historiques. Difficile d'établir à laquelle de ces deux catégories appartenait exactement la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison Royale restée à Paris au plus fort des troubles, exécutée semble-t-il par une foule correctement ivre le 3 septembre 1792, lors des fameux massacres du même mois, puis qu'on viola post-mortem, qu'on décapita, dont on découpa le sexe pour s'en faire des moustaches et dont on promena la tête au bout d'une pique, pendant trois heures, avant de la jeter aux chiens au fond d'un trou, quelque part.
Plus près de nous, si l'on peut dire, en ce qui concerne M. Emmanuel Macron, une relative incertitude demeure. Certes, nous considérons probable que M. Macron sache lire, et doive être en mesure de pouvoir exécuter sans difficultés excessives les quatre opérations mathématiques fondamentales. Jusqu'à la dernière heure de son existence, en revanche, M. Macron saura-t-il bien comprendre son époque ? Sera-t-il en capacité de la déchiffrer correctement ?
Nous le lui souhaitons, bien évidemment.
Un illettré ne saurait, sans imposture ni dommage, exercer la profession de M. Macron.

Assez rigolé. Venons-en au fait. La haine de classe, toujours, est homicide, ne serait-ce qu'en intention profonde. Elle l'est d'autant plus qu'elle demeure invisible aux illettrés authentiques la découvrant d'un coup et trop tard, tragiquement, pour eux au pire moment. La colère de l'esclave, toujours, veut la mort de son maître, bien outre son unique et triviale dépossession. La femme de chambre, toujours, rêve à l'endroit du corps de sa maîtresse les supplices les plus raffinés et cruels. Elle désire ceux-ci en leur précision même, elle les voit déjà, à mesure que son imaginaire se sera vu - lui - excité auparavant, des années, des décennies durant, dans le sens d'une fuite, d'une évasion perpétuellement mijotée au tréfonds de chaque détail infime d'une existence domestiquée, soumise à telle oppression diffuse quoique permanente et sans failles, simplement voilée par une légalité inique, le dogme servi quotidiennement de l'humiliation nécessaire, scientifiquement fondée, justifiée par les besoins obscurs de la Civilisation. C'est à cela que servent les curés et les économistes. L'opprimé antédiluvien, soudain rendu, par quelque fâcheux accident de parcours de l'époque, au pouvoir parcellaire momentané : au milieu d'une rue émeutière, d'une région en insurrection, toujours attentera de manière incompréhensible, ineffable pour ses seules victimes apeurées, à la vie charnelle, gorgée de sang et de tripes, de son oppresseur immémorial, à son honneur intime, à  toute la masse de ce qui représente à ses yeux terrifiés le plus suprêmement et chèrement important : sa famille, ses biens, ses animaux de compagnie, ses restaurants et ses automobiles de sport, tout son être organique et décentralisé, au cours d'explosions de barbarie aussi bouleversantes que réputées jusqu'alors inconcevables, étouffées dans leur possibilité même par un mépris de savant prosaïque, et recouvertes d'un vernis adéquat, et rassurant, de tempérance démocratique, clamées absurdes, enfin, de la bouche pourrie, des myriades de bouches uniques, graisseuses, molles et saindouesques, de tous les thuriféraires béats, tous les dominants illettrés de l'Histoire, inaptes à suivre, de celle-ci, le cours souterrain, les emmagasinements gigantesques, de poudre et de salpêtre moraux. Puis survient, malgré tout, le massacre archaïque, inattendu. L'opprimé, l'instant d'avant encore un mouton méprisé, moqué, statufié dans sa soumission cosmologique, se presse désormais de causer le plus de mal à son ennemi, formellement rétabli dans cette vérité d'opposition simple, forte et pure, et de le cerner, de le crever, de l'acculer de billions de souffrances physiques inédites, originales et recherchées, quoique sa jouissance procède, au vrai, d'autant mieux alors des larmes de rage stupéfiées, dont sa complète absence de pitié, son inhumanité pratique dans l'exécution glacée de l'opération vengeresse, auront proprement lessivé son adversaire.
Le retour au calme, le redoux (selon le mot de Villiers de l'Isle-Adam, qui baptise ainsi un de ces bourgeois emblématique, échouant toujours à approcher en compréhension, près d'un siècle après les événements, du phénomène de la Terreur politique) après l'écrasement inévitable de la jacquerie sanglante, se fait, pour la classe dominante, dans l'hébétude, la confusion et la désespérance d'un lendemain de viol, perpétré - comme c'est statistiquement presque toujours le cas - par un proche, un ami de la famille, un familier ex-innocent ex-inoffensif dont la monstruosité étrangère se trouve encore illisible, dans la grisaille froide. En hâte, cependant, comme un animal blessé, on renforce mécaniquement ce qui subsiste, c'est-à-dire hélas ! l'essentiel, on se maintient par les nerfs, on tire un peu plus, avec le dernier fanatisme reflexe, dans le sens même de ce qu'on connaît encore, dans le sens de l'Ordre. On renforce la police, la morale, les répressions diverses. On nie l'immédiat. Puis, le jour d'après, l'on commence à réaliser et à se représenter enfin un ennemi conscient, conscient de son être, c'est-à-dire de ses buts : la destruction sociale de ce qui l'entrave, la poursuite finale de la vengeance définitive. L'apocalypse, en somme. On connaît, désormais, l'harmonie des classes comme une chimère, la seule réelle chimère qui vaille, l'existence de vos dieux n'en constituant qu'un appendice, un prolongement ridicule, grotesque, hideux. On ne mésestime plus, de quelque plaisanterie de ministère ou de banque, les risques pesant, en sous-sol rapproché, dessus sa propre sécurité physique, et celle de tous les représentants de sa classe. On se sait, enfin, haï à un certain point, particulier. On se sait sourdement menacé d'homicide. Voilà que l'illettrisme - O pédagogie ! - vient de prendre fin, jusqu'à l'aube de la prochaine fois.
Jusqu'aux prochaines journées de Septembre.

mercredi 24 septembre 2014

Chevaliers du Nihil

Le Parsifal de Paul von Joukovsky (Bayreuth, 1882).
                        

« La conscience de soi de l'humanité est le nouveau Graal autour duquel les peuples se rassemblent pleins de joie... Telle est notre tâche : devenir les chevaliers de ce Graal, ceindre l'épée pour lui et risquer joyeusement notre vie dans la dernière guerre sainte qui sera suivie du Royaume millénaire de la liberté. »

(Friedrich Engels jeune, cité par Ernst Bloch dans son Principe Espérance)

De l'illettrisme (2)

En avril 1886, alors que l'arrière-arrière-grand-père de M. Emmanuel Macron n'existait sans doute lui-même qu'à l'état de glorieux projet, ou d'ébauche d'accident foutré, ce dont les légendes biographiques intra-familiales s'arrangent toujours identiquement, les sans-dents illettrés de nos campagnes, quant à eux, faisaient parfois déjà - ô merveille ! - d'excellents grévistes, ainsi qu'en témoigne le document ci-dessous. Des bûcherons (écorceurs) du Cher y annoncent officiellement, au moyen d'une lettre timbrée, visée et approuvée par le maire de leur commune, leur intention de débrayer au cas où leurs demandes évidemment mirifiques (il devait déjà y avoir une crise économique générale, à l'époque, ne permettant pas à quelque gouvernement socialiste pourtant vertueusement intentionné de contenter tout le monde, le forçant plutôt  à appeler au serrage de ceinture et à la responsabilité citoyenne universels) ne se trouveraient point immédiatement satisfaites. On notera, en manière de signatures, la présence inférieure de nombreuses croix, attestant l'analphabétisme autant que la motivation énervée de moult de ces écorceurs.


Actualité

  


mardi 23 septembre 2014

Et roule la charrette...


« LCI va supprimer 58 postes en CDI sur les 98 que comptent (sic) la chaîne, a annoncé ce mardi la direction de TF1 aux salariés du groupe, selon Emmanuel Raoul, délégué SNJ-CGT de La Chaîne Info (...) La restructuration de LCI touche l'ensemble du groupe TF1, sa maison mère. Outre les 58 postes supprimés chez LCI, 81 postes seront supprimés à TF1 et 9 (sur 12) dans sa filiale numérique e-TF1, a précisé le groupe, qui emploie au total 2730 personnes. »

(La Dépêche.fr, 23/09/2014)

De l'illettrisme


« Non sans mélancolie, Jonathan en convenait lorsqu'il nous montrait ces signes énigmatiques :
- Impossible, nous disait-il, de déceler leur sens. Hélas ! mes amis, il en est ainsi. Ils se dérobent à notre compréhension et par malheur il en sera sans doute toujours de même. Mais quand je dis ils se dérobent, c'est simplement le contraire de : ils se révèlent. Personne ne me fera jamais croire que la nature a inscrit ces chiffres sur la coquille d'une de ses créatures à seule fin de l'orner. Ornementation et signification ont toujours été de pair, les écritures anciennes servaient à la fois d'ornement et de moyen d'expression. Si l'expression demeure pour nous lettre morte, cette contradiction n'en comporte pas moins une jouissance.
Songeait-il que s'il s'était agi d'un vrai cryptogramme, la nature aurait donc disposé d'une langue propre, organisée ? Car laquelle d'entre celles qu'ont inventées les hommes aurait-elle dû choisir pour s'exprimer ? Déjà alors, enfant, je comprenais très clairement que la nature extrahumaine est illettrée par essence, ce qui à mes yeux lui confère précisément son caractère inquiétant. »

(Thomas Mann, Le Docteur Faustus)

dimanche 21 septembre 2014

samedi 20 septembre 2014

45 tours et 17 cm (de romantisme)

 
« Cette forme de romantisme s’oppose aussi bien au capitalisme industriel qu’à la monarchie et au servage, et aspire à sauver, rétablir ou développer comme altérité sociale les formes de production et de vie communautaire paysannes et artisanales du peuple prémoderne. »

(Michael Löwy, Robert Sayre, Révolte et mélancolie)

jeudi 18 septembre 2014

Gianni (e Marcello)

lundi 15 septembre 2014

Seul contre tous

«L'enfer, c'est les autres...»
(Jean-Sol Partre)

(merci au camarade C., toujours on the brèche...)

samedi 13 septembre 2014

Bonsoir, tristesse.

 
Schultz (1961-2014)

             

jeudi 11 septembre 2014

Lilith, bientôt.


Un prophète


« La société, réorganisant la production sur la base d'une association libre et égalitaire des producteurs, reléguera toute la machine de l'État là où sera dorénavant sa place : au Musée des antiquités, à côté du rouet et de la hache de 
bronze. » 
(Friedrich Engels, 
L'origine de la Famille, de la propriété et de l'État)

mercredi 10 septembre 2014

Un cadavre

    
Les choses se passaient ainsi, à l'époque. Le matin, nous nous engouffrions dans le métro afin de gagner un collège quelconque, puis son lycée adéquat. Rendus devant les portes de l'établissement où notre avenir se jouait aux plans humains et professionnels, nous renoncions, soudain ! avec une gigantesque facilité, quoique dans un malheureux soupir, pour nous rendre au bistrot du bas de la rue, toujours le même. Là, très tôt, environnés de la musique de notre choix, émise par certain juke-box aujourd'hui une antiquité, nous entamions notre interminable séance quotidienne d'éthylisation systématique, seulement interrompue par le devoir physique - absurde - d'ingérer du solide, sur le coup de midi, et, dans ce but, de gagner la seule cantine du lycée, dont nous méprisions, à tort sans doute, le savoir qu'il dispensait, avec toutes ses utilités prévues. Nous buvions infiniment plus que nous ne lisions, un phénomène que nous retrouvâmes ensuite consigné (c'est le cas de le dire) par Guy Debord, dans ses souvenirs. Ce que nous lisions, cependant, était bon, et suffisait à nous exalter en même temps que nous montrer des pistes fécondes, produire des riches trouées vers d'autres lectures opportunes. En sorte que notre culture, pour être extrêmement lacunaire, n'en restait pas moins cohérente, ce qui suffit amplement, à dix-huit ans autant qu'à soixante. 

Le soir, correctement blindés, nous reprenions le métro, croisant parfois sur le chemin quelque punk clochardisé de notre connaissance, dont le grand flou artistique entourant toujours la jeunesse (et autorisant l'illusion de l'harmonie générale, l'absence de ce pourtant très impitoyable déterminisme de classe que le temps qui passe révèle sans retard) permettait alors la fréquentation. 

Les punks, de fait, le Punk, étaient partout dans notre existence. Le matin, à l'aller, une fois sur quinze, disons, nous tombions ainsi sur Vérole, le chanteur des Cadavres, dont nous écouterions avec passion la musique, sitôt rentrés chez nous. Vérole montait à la gare de l'Est. Il était étrangement accoutré, portait cravate rouge sur costume noir, ou bleu, arborait une éternelle Spike de cheveux noir-de-corbeau, à la Sid Vicious, laquelle relançait d'une certaine vigueur pointue un visage empâté, dont les stigmates, par ailleurs, d'une forte acnée passée, avaient valu son impayable surnom au personnage. Vérole s'en allait aux aurores perpétrer quelque sordide besogne salariale, à caractère commercial-tertiaire. Nous discutions. Il moquait avec rage le destin pitoyable de tous ces employés - passés, actuels, futurs - qui nous entouraient dans la rame, et dont il faisait partie. Son humour était efficace. Il appréciait, à notre impression, ces brefs moments d'échanges décousus au cours desquels nous causions, chose étonnante, à peu près de tout sauf de l'actualité de son groupe. Il faut dire que nous la connaissions sur le bout des doigts et qu'à cette époque, nous nous déplacions à peu près partout, d'Ivry à Juvisy, Saint-Denis ou Pontoise pour suivre ces Cadavres-là, en bons fans dévergognés que nous étions. Vérole le sentait, ce qui nous permettait de parler d'autre chose, notamment de philosophie et de Schopenhauer. Vérole était un grand admirateur de Schopenhauer. Nous aussi. Lors d'un de leurs plus mémorables concerts, donné en 1993 au Bataclan, à Paris, devant quelque deux mille spectateurs (les Damned jouant en première partie), il avait tenu à citer la phrase du vieil hindou allemand à tête de singe, professant que la vie oscille, telle un pendule obscène, entre souffrance et ennui. Ce qui ne l'empêchait point de se considérer vaguement anarchiste. Dans sa chanson L'Ennemi, par exemple, il mêlait de manière singulière et pénétrante, en vérité proprement décadente, l'individualisme pessimiste, le refus unitaire du monde et l'Anarchie, clamant que tout autour de lui, il ne voyait jamais qu'un ennemi (un seul), tout en conservant, en son âme, certain idéal, rouge comme le sang, noir comme la nuit. Vérole était d'une grande délicatesse, d'une très appréciable douceur (sa voix même). Il paraissait d'ordinaire embarrassé par les démonstrations les plus grossières et standardisées de punkitude, dont la beauferie parfaitement authentique et la stricte parodie de celle-ci sont souvent difficiles à distinguer, chez les adeptes. 

Quant à la division du travail thématique, elle était optimale dans ce milieu, Ludwig von 88 traitant le créneau infantiliste et régressif, les Bérurier Noir (alors déjà disparus) le besoin de révolte collectiviste, La Souris Déglinguée (dont nous ne découvririons l'importance réelle que plus tard) évoquant des mondes, à la manière des grands récits de voyage, d'exploration, d'Histoire. Nous rencontrions aussi l'ours Schultz, des Parabellum, dans le métro (et toujours à la gare de l'Est). Sa voix rauque, son humour plein de dédain et de morgue, le son lourd des Parabellum renvoyaient à des postures plus viriles et cyniques n'étant pas forcémént pour nous déplaire, mais tellement éloignées, néanmoins, de cette finesse distanciée, et élégante, qui nous séduisait chez les Cadavres. Rappelons une fois encore que nous n'avions pas vingt ans.  

Quand on écoute, aujourd'hui, leur morceau Existence Saine (ci-desus), critique assez tranquille de la marchandisation ininterrompue de l'univers, des goûts, du langage, on mesure à la fois ce qui, depuis lors, aura perduré et changé. La publicité ne prétend plus désormais croire ou souscrire à ses propres inepties, même si ses expressions stéréotypées façonnent, totalitaires et incontestées, l'entièreté de la racine du monde. Les publicitaires eux-mêmes lisent et vantent Schopenhauer, de longue date. Sans parler de Karl Marx, pour les plus critiques. La réclame et son esclave se perdent en clins d'oeil à notre endroit : je vends de la merde, c'est vrai, et il est vrai aussi que cette activité stupide, cette débauche complète de l'intelligence, de l'imagination et des mots constitue toute ma vie, mais que veux-tu ! cette merde-là, c'est aussi ton besoin, tu la produis aussi indirectement, tu l'achèteras. Quant à moi, il me faut bien vivre. J'ai une famille. Et j'ai des besoins. Humains.

Nous ignorons ce qu'est devenu Vérole, s'il est même, à cette heure, mort ou vivant. N'était-il pas, de toute façon, dès l'origine, un Cadavre, mort à cette vie, aux ambitions et gloires particulières qu'elle préconise ? Du fond de notre adolescence, nous qui cherchions, dans le noir, des vivants, nous flairions, là, chez cette bande de décomposés, le commencement très appétissant des choses.

mardi 9 septembre 2014

Répression du vice, promotion de la police

United colors of Poulagas

« Revêtus de vestes oranges portant la mention « police de la charia », quelques salafistes radicaux ont patrouillé à plusieurs reprises dans les rues de Wuppertal, enjoignant aux clients de discothèques de ne pas boire d'alcool ou de ne pas écouter de la musique, et à ceux des salles de jeux de ne pas jouer pour de l'argent, et incitant les femmes à se voiler. Dans une vidéo, Sven Lau, salafiste allemand converti, affirme être l'une des têtes pensantes de cette action, qui a eu un très large écho médiatique en Allemagne. «La charia ne sera pas tolérée sur le sol allemand. Personne ne peut s'arroger le droit  d'abuser du nom de la police allemande », avait réagi le ministre allemand de l'intérieur, Thomas de Maizière, ce week-end dans le quotidien Bild. »

(Le Monde, 8 septembre 2014)

John King of the baston

Bon. Les uns et les autres s'accusant volontiers, sur les forums ordinaires, d'être soit de grosses pédales soit des sans-couilles, nous nous contenterons sobrement d'évoquer, quant aux images ci-dessous, un affrontement testostéroné ayant récemment opposé, à Paris, des futuristes de gauche (à gauche de l'image) et de droite (à droite). Comme on peut le constater, la fortune des uns et des autres sur le terrain va fluctuant. Le seul élément de stabilité demeurant comme toujours l'immobilité profonde des clochards et des badauds de la capitale, pour des raisons d'impuissance humaine fondamentale à peine nuancées : les badauds filment, la cloche non. Tout cela est sans doute bien politique. Une interprétation de notre crû de l'événement - saisissante et glacée, comme de juste - devrait intervenir sous peu, post festum, hélas ! comme dirait l'autre alboche dialectique qui nous tient ici-bas.


On en profite quand même, puisqu'on cause houliganes, pour signaler la rare présence, le 20 septembre prochain, de John King (auteur de ce Football factory récemment cité ici-même) au festival En Première Ligne à Ivry : les détails ICI ! 

 John King

lundi 8 septembre 2014

Blues

vendredi 5 septembre 2014

Dix ans déjà (et toutes ses dents !)

 

« Certes, les données scientifiques (psychiatriques) concernant l'antisocialisme obsessionnel (ASO) sont encore rares et parcellaires.
La meilleure preuve en est qu'on ne connaît pas encore à ce jour d'antisocialiste obsessionnel qui ait été guéri de son mal ! 
Néanmoins, la façon dont les ASO s'associent, se regroupent souvent en d'éphémères structures de solidarité destinées à faire face ensemble, ne peut laisser de nous interroger et de nous faire espérer.
Car, c'est un fait.
La communauté ASO existe.
Les ASO ont leurs clubs, leurs hôpitaux, leur presse.
Ils s'échangent fréquemment femmes et maris, favorisent activement leurs carrières respectives, ne lisent souvent, mangent et boivent qu'antisocialiste obsessionnel.
Ils constituent pour ainsi dire une minorité souffrante devenue agissante, et s'efforcent habituellement d'influencer la politique de l'État par l'entremise de sympathisants placés à des postes stratégiques - que ces derniers soient eux-mêmes ou non atteints du même mal.
Je puis pour ma part certifier qu'on trouve, à l'heure où j'écris cela, des groupes d'ASO oeuvrant dans toutes les classes et tous les partis de France, noyautant ceux-ci à des fins souvent mystérieuses, voire troubles.
Autant dire que si l'on n'y prenait garde, le risque serait important de se trouver très vite devant un énorme problème de santé publique, pouvant consister - concrètement - en une phase d'insécurité généralisée, inédite et donc difficilement maîtrisable par les autorités. »

(Alassane Fingerweig, L'offensive du Traître, Éditions de L'insomniaque, 2004).

Les fascistes sont des gens qui aiment les grosses voitures et aussi les femmes (qui aiment les grosses voitures), mais surtout les voitures (grosses).


Une affiche de la Fiat (période Benito), 1934.

« Nous déclarons que la splendeur du monde s'est enrichie d'une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse. Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l'haleine explosive... une automobile rugissante, qui a l'air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace.

Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde, - le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent, et le mépris de la femme.

Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires. »

F. T. Marinetti, extraits (points 4, 9 et 10) du Manifeste du Futurisme (1909).

jeudi 4 septembre 2014

La femme sans-dents

Léon Bloy par Félix Vallotton

« Leur mariage avait été un poème bizarre et mélancolique. Dès le lendemain de la mort de son protecteur, Clotilde était retombée dans la misère.
(...) les douleurs des pauvres ne sauraient entrer en comparaison avec les douleurs des riches, dont l'âme est plus fine et qui, par conséquent,  souffrent beaucoup plus.
L'importance de cette appréciation de valet de chambre est indiscutable. Il saute aux yeux que l'âme grossière d'un homme sans le sou qui vient de perdre sa femme est amplement réconfortée, tranchons le mot, providentiellement secourue par la nécessité de chercher, sans perdre une heure, un expédient pour les funérailles. Il n'est pas moins évident qu'une mère sans finesse est vigoureusement consolée par la certitude qu'elle ne pourra pas donner un linceul à son enfant mort, après avoir eu l'encouragement si efficace d'assister, en crevant de faim, aux diverses phases d'une maladie que des soins coûteux eussent enrayée.
On pourrait multiplier ces exemples à l'infini, et il est malheureusement trop certain que les subtiles banquières ou les dogaresses quintessenciées du haut négoce qui s'emplissent de gigot d'agneau et s'infiltrent de précieux vins, en lisant les analyses de Paul Bourget, n'ont pas la ressource de cet éperon.
Clotilde, qui ne savait pas un mot de psychologie et qu'une longue pratique de la pauvreté parfaite aurait dû blinder contre l'affliction du coeur - exclusivement dévolue à l'élégance -, eut, cependant, l'inconcevable guignon de souffrir autant que si elle avait possédé plusieurs meutes et plusieurs châteaux. Il y eut même, dans son cas, cette anomalie monstrueuse que les affres du dénuement, loin d'atténuer son chagrin, l'aggravèrent d'une manière atroce. »

(Léon Bloy, La femme pauvre)

Merci pour ce moment !


« La position est ridicule, le plaisir est surfait, 
et la fatigue, énorme. » (Lord Chesterfield)

mercredi 3 septembre 2014

Amer n°6


La nouvelle de l'extinction d'Amer, revue finissante - annoncée par elle-même à la fin de son numéro cinq - était, pour nous, une très mauvaise nouvelle.
Amer, revue finissante, est la meilleure revue littéraire de France. 
Elle n'est, d'ailleurs, pas une revue littéraire. 
Ce doit être pour ça.
Ces jours-ci sort le numéro six d'Amer.
Nous n'avons pas le plaisir, encore, d'avoir le monstre en main.
Nous vous suggérons déjà de vous le procurer - par tous moyens - attendu qu'il n'y en aura sans doute pas pour tout le monde. 
Ou du moins : pas longtemps.

Un salut fraternel, lads.

mardi 2 septembre 2014

Headhunter style


« Coventry égale de la merde. Une équipe de merde, des supporters de merde. Hitler a eu bien raison de raser cette zone. La seule chose intéressante qui soit jamais sortie de Coventry, c'étaient les Specials, et il y a des années de cela. À présent, ce sont les FA (1), autant dire rien, et jamais nous n'avons pu avoir une baston correcte avec Coventry. La meilleure, c'était encore il y a deux ans, à Hammersmith, avec une bande de lutins des Midlands qui cherchaient un endroit où boire un verre dans la rue principale. Une quinzaine de petits connards avec des coupes de cheveux débiles et des bacchantes. Des cannes comme des moignons et des ventres à bière. On aurait dit des personnages d'Emmerdale Farm, qui baisent des chèvres pour survivre. Quand ils nous ont vus arriver, ils ont filé, et ça sentait la merde plus fort que les gaz d'échappement, ce qui, à Hammersmith, n'est pas peu dire. 
C'était mal joué de leur part. Ils auraient dû entrer dans le premier pub venu et se faire tout petits. Nous, on ne les cherchait pas. On sait qu'il n'y a rien à attendre de Coventry. Nous allions sur King's Cross, pour cueillir Tottenham qui revenait de Leeds. C'était samedi soir, le soir où l'on dérouille les feujs (2). Mais les nains se sont mis à courir sous notre nez, et quand tu vois quelque chose qui court, tu suis. Question d'instinct. Ils allaient aussi vite que leurs petites jambes pouvaient les porter. Avec leurs têtes toutes rouges qui se reflétaient dans les vitrines, au milieu du matériel hi-fi et des conserves en promo. Nous étions juste derrière eux quand le premier de la bande les a guidés dans le parking. Comme ces moutons qui mènent tout le troupeau à l'abattoir. Tu pourrais croire qu'ils vont sentir l'odeur du sang, entendre les lames qu'on affûte. Pas eux. Droit dans le parking, et les derniers passants du samedi soir se garaient pour nous laisser passer. On les a coincés là, et ils ont eu droit à une branlée, mais rapide, parce que quelqu'un pouvait prévenir les flics. Nous étions en nombre, ça a été un massacre. Harris était là, il a ouvert la gueule d'un de ces connards avec son couteau de chasse (3). Plus tard, il a dit qu'il aurait dû signer de son nom, comme ça, si le gars réussissait un beau jour à tirer sa crampe, ses gosses sauraient que leur vieux avait visité Londres. Que ce n'était pas seulement un enculeur de chèvres. Il plaisantait, bien sûr. Ça, c'est typiquement l'humour de Harris. Ce n'est pas un de ces sadiques dont on parle dans les journaux, qui torturent les gosses et leur filent de la drogue pour leur détendre le cul. »

(John King, Football factory)


[1] Référence possible (?) au groupe post-punk (de Coventry) Furious Apples, ou à tel comportement sportif ponctuel de léquipe de Coventry City en Coupe dAngleterre (la FA cup), remportée, par exemple, face aux Tottenham Hot Spurs en 1987 (?) Bref, nous sommes dans le flou. Écrire au journal.
[2] Les supporters  de Tottenham sont souvent réputés être juifs, ce qui n’arrange évidemment guère leurs affaires – déjà mauvaises par définition – vis-à-vis de plus d'un hooligan des équipes anglaises rivales. Ici, en l'occurrence : Chelsea, dont on rappelle que le leader des redoutables Headhunters (probablement le groupe de hools britanniques le plus violent des années 1970-80) n’était autre que le skinhead fascisant Chris « Chubby » Anderson, chanteur du groupe Combat 84 (auquel Téléphone déroba en son temps, pour fourbir son Autre monde – et avec moins de talent musical, il convient bien de le reconnaître – l’excellente ligne de basse de la mélodie Rapist, guillerette apologie de la peine de mort appliquée aux violeurs récidivistes). Certains membres des Headhunters frayèrent avec le groupe néo-nazi clandestin Combat 18, relativement  auquel le caractère politiquement ouvert et follement queer de M. Alain Soral, par exemple, certes déjà aisément décelable, apparaîtrait immédiatement dans toute sa splendeur. Chris « Chubby » Anderson, devenu sur le tard patron de bar à Pattaya, au Sabaïland (comme dirait l’autre), est décédé en novembre 2013, ce qui ne devrait point nous empêcher de reprendre des nouilles, ce soir. Et quant – enfin – à cette hypothétique judéité génétique des supporters de Tottenham, une vanne émise par le personnage de Trevor (joué par Tim Roth) la stigmatise de manière caractéristique dans l’extraordinaire Made in Britain (1982).
[3] Divers groupes, de par le monde, et à différentes époques, ont revendiqué la paternité – subtile – de ce que les  Headhunters (et quantité, sans doute, d’autres casuals locaux) qualifiaient néanmoins avec fierté de Chelsea Smile : horrible balafre (appliquée aux commissures des lèvres) infligée à leurs victimes, au couteau. Une sorte de sourire kabyle londonien, si l’on veut. Et même si l'on ne veut pas, d'ailleurs.