Le 6 sept. 16 à 03:01,
X a écrit :
Bonsoir,
Un mot rapide,
avant de donner des nouvelles plus complètes, vu le contenu des autres
vidéo de "Xavier-Louis de Izarra" il est à craindre que
l'absurde de surface soit de la grossière propagande racialiste,
vaguement anti impérialiste débile, et en tout cas pro-dieudonné et
antisémite.C'est comme cela
que je comprends les vidéo suivantes en tout cas :
Mon voisin a
écrasé mon vélo juif
https://www.youtube.com/watch?v=d5gy2QmwMeQ
Noirs et Blancs
ont-ils la même couleur ?
https://www.youtube.com/watch?v=BDcOKttAfng
Les fachos comme
toi qui s'ignorent.
https://www.youtube.com/watch?v=lajbT234SJQ
Faut-il gazer les
antisémites?
https://www.youtube.com/watch?v=-_EqwJNmp2U
Dites moi si je me
trompe.
Pour le reste
portez vous bien.
Amitiés.
X
***
Le 7 sept. 16 à 18:00,
Le Moine Bleu a écrit :
Cher camarade,
Hélas ! il semble
que vous ayez en effet parfaitement cerné la chose et le bonhomme.
Que vous dire ? Il peut, d'abord,
paraître évidemment vexant d'avoir ri comme nous avons ri à la
production de cette (donc) très-probable crapule dieudonniste-antisémite. Mais au-delà de la vexation (phénomène subjectif, somme
toute négligeable), l'affaire révèle surtout pour nous une question
philosophique et politique de fond. Pourquoi, et comment, les
fascistes se sont-ils ainsi retrouvés, à l'heure où nous parlons,
dépositaires formels d'un certain fonds d'humour et d'ironie efficace
(se donnant, par ailleurs, l'apparence de la subversion et/ou
du non-conformisme), un fonds dont nous devrions, nous, plutôt être
les principaux utilisateurs et bénéficiaires, en tant
qu'anarchistes ou communistes ? Pourquoi et comment l'humour se fait-il
aujourd'hui - souvent - le vecteur efficace, le cheval de Troie, pour ainsi
dire, de la pseudo-critique fasciste ?
Je pense que là
aussi, nous payons le poids pluri-décennal d'un terrible esprit de
sérieux militant gauchiste, dont le dogmatisme et la rigidité
perpétuels impliquent toujours aussi, subjectivement : lourdeur, ennui,
formalisme désespérant, etc. Rien de bien nouveau sous le soleil.
Rien d'étonnant à ce qu'une fois encore nos "futuristes"
dieudonnistes d'aujourd'hui : apôtres, comme leurs grand-parents
italiens, par exemple (Marinetti et consorts), de la fausse
transgression, de la sensation, de la violence perverse personnelle, de la
domination moqueuse dans les rapports humains, etc, en appellent
invariablement, contre les lourdeurs de la "pensée" gauchiste aux
séductions "légères" de l'évidence humoristique. Ernst Bloch y
voyait déjà la raison du succès nazi sur le "discours" communiste (uniquement basé, lui, sur la rationalité, la sécheresse de
l'analyse, bref la difficulté de la réflexion). Il y a aussi cette
lettre célèbre d'Adorno à Benjamin, en 36, dans laquelle le
premier pointe déjà les dangers "totalitaires" d'un certain humour
cinématographique (celui de Chaplin, je crois) que Benjamin, lui, à
l'inverse, juge spontanément invinciblement critique, humain
et démocratique. Le pessimisme
d'Adorno était-il visionnaire ? Je pense, pour ma
part, qu'il nous faut être férocement drôles, nous aussi, aussi
drôle que critiques, et plus drôles, en l'occurrence, que
les fascistes.
Allons plus loin,
encore : le type dont il est question ici (le dénommé Izarra)
cesse précisément d'être drôle au moment même où l'idéologie
reprend pleinement le dessus, chez lui, sur l'humour pour lui-même
(voir le panel de films sélectionnés par vos soins, dont aucun, vous
en conviendrez, ne soutient la moindre comparaison avec celui que
nous avions sélectionné). C'est que
"l'humour fasciste", au fond, comme toute production idéologique, tend
ainsi en se développant (c'est-à-dire en servant de plus en plus
consciemment et clairement son projet politique) à l'autodestruction
: il meurt comme humour à mesure qu'il se fascise.
Inversement, c'est
quand il est le plus drôle qu'il est alors le moins fasciste (et
même, en l'occurrence, absolument non-fasciste : puisque le sketch
"comment neutraliser un terroriste" renverrait davantage pour
nous, avec beaucoup d'efficacité, c'est-à-dire de drôlerie, à une
critique de l'hystérie sécuritaire actuelle, une satire de
l'impuissance politique et humaine saisissant tout un chacun atomisé, et
débilisé, devant l'émergence massive de la pulsion de mort djihadiste,
etc).
Le débat est
ancien : quand un réactionnaire - suffisamment "honnête", en quelque sorte, et pourvu de talent, expose - contre son idéologie
consciente même - la réalité de tel aspect de la société, est-il
encore réactionnaire sur ce point précis ? Balzac (royaliste
militant) ne se montrerait-il pas, dans moult de ses ouvrages, très
marxiste dans sa présentation (par exemple) de la dépossession
moderne des paysans par les usuriers banquiers des villes ? L'insupportable et
nauséeux du style célinien ne commencerait-il pas à poindre
seulement lorsque l'honnêteté sociale objective (pour ainsi dire : son
côté visionnaire) que Céline manifeste ailleurs s'est complètement
effondrée, au profit de ses obsessions racistes habituelles ? Quand Léon Bloy,
Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans, Barbey d'Aurevilly
(fieffés réactionnaires, et ultra-catholiques par-dessus le marché)
critiquent la bourgeoisie voltairienne, n'y pouvons-nous point malgré tout,
nous, nous y reconnaître un tant soit peu ? Serait-ce alors
que la crapule cesse, à l'occasion, d'être crapule lorsqu'elle perd
de vue l'idéologie qui la meut le reste du temps ? Après tout, comme
dit Marx, "en tout capitaliste, l'homme et le capitaliste se
combattent jusqu'à un certain point"...
Voilà les quelques
réflexions que votre courrier suscite en moi.
Nos idées, je
pense, la critique que nous portons, devraient pouvoir - en théorie -
s'imposer dans la majorité de la population, loin d'un quelconque
avant-gardisme sectaire. Le sketch "comment neutraliser un
terroriste" me paraît relever, dans sa capacité drolatique, d'une
telle position critique de masse. Le problème étant donc, bien
entendu, qu'il émane d'un personnage par ailleurs aussi suspect.
La chose mérite de
plus amples développements. On se fendra certainement,
là-dessus, prochainement, d'un billet à part entière.
Merci en tout cas
d'avoir attiré notre attention sur tout ça.
N'hésitez pas à me
proposer vos propres réflexions, en retour.
salut, et amitiés
LMB
***
Le 7 nov, X a écrit :
Cher Moine,
Désolé d'avoir tant
tardé à répondre, je pensais initialement que la réponse pourrait être de
meilleure qualité, plus réfléchie en tout cas, en répondant plus tard, mais il
se trouve que les circonstances changent mais ne s'améliorent pas, au
contraire, une certaine faille s'étant même depuis ouverte, alors malgré tout
le bancal je vous réponds, en ayant déjà trop tardé, quitte à ce que cette
réponse soit bien insuffisante. Par ailleurs il est certain que je ne suis pas
un bon correspondant, ne serait-ce que pour des raisons assez triviales parmi
lesquelles le fait qu'écrire n'est pas simple pour moi et que le temps passé
devant un ordinateur est souvent trop important, et fini par être difficile et
pénible etc. Discuter m'est souvent plus facile même si je reconnais que la
mise par écrit permet un raffinage que la parole ne permet pas forcément, même
si pour moi le lieu de l'élaboration reste, à priori, et en tout cas pour
commencer, la discussion. Je ne parle pas pour cette histoire en particulier,
pour laquelle un échange par mail va très bien. Vous nous avez déjà fait état
d'une partie de votre fonctionnement à cet endroit, je n'y reviens pas là.
Trêve de méta-discours.
Concernant cette vidéo,
son auteur, et ce que vous soulevez à cette occasion, je vais tâcher de
répondre aux arguments que vous soulevez par ordre d'arrivé dans votre message.
Pour commencer je ne
crois pas qu'il faille s'en vouloir ou se vexer d'avoir ri. C'était drôle
d'absurde, jouant sur la possibilité du sérieux, de la « bonne
idée », sur le modèle du tutoriel version homme de bon sens et homme
providentiel, cela a un certain pouvoir comique, là n'est pas, je crois, la
question. Pour entrer plus précisément dans les enjeux que vous proposez à la
discussion, je dois reconnaître que je ne perçois pas très clairement pourquoi
vous considérez que ce sont les fascistes qui oeuvrent par l'humour
aujourd'hui, il est certain que c'est un sujet que je connaît fort mal, mais à
part Dieudonné (ce qui est loin d'être une petite affaire) il ne m'est pas
apparu que cela soit un phénomène massivement répandu et avec de nombreux
protagonistes fascistes à la manœuvre (il se peut que je me trompe). Il me
semble, qu'effectivement l'humour, le rire, l'ironie, possède une certaine
puissance subversive. Mais cela fait tout de même un moment que la figure de
l'humoriste, sa place, son positionnement, les typologie de rire qu'il
convoque, jusqu'à des phénomènes plus récents mais qui datent un peu
maintenant, comme autour du djamel comedy club, sont vecteurs de valeurs et de
représentations très formatés, un rapport aux identités bétonnés et
assignatoires. Il y a beaucoup eu, au niveau du comique français de production
d'un second degré de pacotille, un humour qui ne renvoi à rien d'autre qu'à sa
bêtise sans fonds. Je dirais qu'il s'est aussi passé quelque chose avec
internet et les vidéos et que les vidéos sont devenus un vecteur important de
propagande, de mesure d'audience et même de rétributions financières. Cette
manière de présenter des contenus, avec l'humour en plus, s'adresse
particulièrement, ou fonctionne particulièrement, avec un public (comme ils
disent) assez jeune, et c'est un appât, une mise en forme, assez commercial ou
marqueté de contenu, cela paraît anodin, innocent ou « drôle » mais c'est
parce que cela permet de justifier ou d'avancer un peu masqué que cela prend
cet aspect là.
Je crois,
qu'effectivement, il y a quelque chose de l'ironie (un autre terme serait peut
être meilleur) à employer, réemployer, mettre en jeu, en particulier dans des
perspectives révolutionnaires. Malheureusement il n'y a pas que ça qui manque,
les « perspectives », et le « révolutionnaire » se font
rare et timide en ces époques pénibles. Ceci étant dit et même si cela peut
paraître, en apparence, paradoxal je suis partisan du sérieux, pas dans le sens
ou il s'opposerait à ce qui provoque le rire (et la réflexion d'ailleurs) qui
est tout de même, à mes yeux, un des intérêts de la vie. Plus dans une certaine
rigueur (pas un rigorisme) intellectuelle et des sentiments. En effet comme
vous le soulignez, le dogmatisme, le formalisme coute cher encore aujourd'hui
alors même que ces formes ont perdu de leur ampleur et du superbe que certains
pouvaient leur trouver.
Sans se lancer dans des
typologies hasardeuses, on peut tout de même faire l'hypothèse, c'est ainsi que
je comprend une partie de ce que vous proposez, qu'il y a deux sortes d'humour,
un qui, corrosif, attaquerait la normalité et son pouvoir, un autre qui au
contraire, renforce et bétonne la situation présente, un qui ouvrirait des
horizons et qui renverserait quelque chose des évidences et un autre qui les
conforterait.
Je suis désolé je n'ai
rien lu d'Ernst Bloch, ni d'Adorno et que quelques lignes de Benjamin, mais
dans la situation tel que vous en dressez le tableau je serais plutôt partisan
de l'humour, et je me retrouve dans ce que vous proposez, « être
férocement drôles », « aussi drôle que critiques, et plus drôles, en
l'occurrence, que les fascistes. » Qu'encore une fois je ne trouve pas, pour
ce que j'ai pu en voir très comique. D'ailleurs comme vous le souligner quand
le « Izarra » rend plus explicite ses positions, quand il politise
plus ouvertement son propos, quand il fait place à une idéologie plus forte
c'est nul et ce n'est pas drôle du tout, je partage aussi votre avis la dessus.
Je ne peux
malheureusement pas vous suivre, pour critiquer ou abonder dans votre sens à
l'endroit des exemples littéraires précis que vous proposez, ce sont les aléas
d'une formation tardive et en grande partie auto-didacte (ce qui ne veux pas
dire que je suis un self made man intellectuel...). Je crois que la figure de
l'auteur n'est pas tout, mais dans notre régime de réception, sa figure
d'autorité n'est pas rien non plus. Je dirais que pour moi il s'agit plutôt de
question qui concerne la réception, quand il ne s'agit pas de subversion sur
les formes et les manières (de raconter, de fictionnaliser etc), de tout il
peut être fait un usage subversif ou réactionnaire. Mais s'agissant du
subversif, encore faut-il y arriver et que quelque chose prenne.
Je trouve intéressant,
mais je ne suis pas encore convaincu par ce que vous citez de Marx à propos de
l'homme et du capitaliste, il y aurait comme une force, une puissance, une
pulsion de vie qui lutterait contre la loi du profit, mais malheureusement la
loi du profit, le capitalisme, c'est aussi profondément affaire d'homme. Peut
être que je comprends mal cette citation.
S'agissant de
l'isolement et de la pauvreté de circulation et d'émulation des propositions,
lectures, points de vues à prétention révolutionnaire, il est certain qu'un
certain enfermement, que l'atomisation actuelle est étrange et détestable et
que rien ne me semble la justifier. Ceci dit et sans négliger la place
nécessaire de la réflexion, du fait de penser, critiquer, et de mener, de même
avec une ampleur réduite la bataille des représentations, de partager et mettre
en forme cela, d'éviter l'écueil de l'anti-intellectualisme, je crains que ce
ne soit pas tant une bataille des idées, que celles de questions plus pratiques,
beaucoup plus du côté des propositions, des formes et des possibles concrets et
matériels.
Je suis encore désolé
de cette réponse, si tardive, au moins en partie décousue et pas assez
fouillée, j'espère tout de même avoir apporté un peu d'eau au moulin commun de
la réflexion (cette métaphore n'est pas très heureuse).
Au plaisir de vous
lire, à ce propos ou à un autre.
Portez vous bien.
Amitiés.
Salutations
révolutionnaires.
X