mercredi 30 novembre 2016

Guide de survie en milieu différancialiste (2) Ça a débuté comme ça...


Ça a débuté comme ça, poteau. La French Theory. Après tout, il faut bien que les choses commencent et meurent. Même si, des fois, justement, le temps semble un peu long. Bref. Au sortir de la seconde guerre mondiale, le paysage intellocrâte et philosophique se trouve, en France, profondément bouleversé. Des catégories, des modes de pensée régnant depuis une bonne décennie révèlent soudain leur impuissance à rendre compte, à réfléchir la nouveauté radicale d'expériences telles que la massification belliciste atomisatrice ou l'horreur concentrationnaire. La situation de sidération sociale générale découlant de ces faits trouve son pendant philosophique dans la suspicion dès lors jetée sur des notions comme le Sujet, l'Histoire-avec-une-grande-hâche, et tous autres concepts estimés coupables d'impliquer une référence marquée tant à l'identité qu'à la dotation de sens. Comment, après 1945, devant le retour des déportés cadavériques ayant échappé au massacre, souscrire encore à la thèse d'un but, d'un télos historique, d'un déploiement de ses moments orienté vers quelque résolution unitaire finale, et signifiante, de celui-ci ? L'identité finale du procès historique (à supposer même que ce dernier soit encore possible, puisse relier encore théoriquement ces fragments événementiels censés le composer : ces choses historiques survenant, dieu sait comment ! par grappes simplement absurdes et sanglantes), cette identité finale fût-elle, même, présentée comme libératrice (UN Sujet ramassant peu à peu LES contradictions historiques pour les assumer, dans le marxisme) s'efface progressivement, impitoyablement, devant le nouvel agenda de la Différence. D'abord, cette différence tous azimuts s'oppose, bien entendu, à la dialectique, au «mouvement» de son «négatif» généralement nié comme tel (comme mouvement) par la pensée différencialiste nouvelle, laquelle ne le considère que comme figure imposée, faux mouvement, n'ayant comme fonction esthétique ou rhétorique que de différer, justement, de masquer, d'habiller idéologiquement le retour inéluctable à une synthèse réconciliatrice. La différence authentique est donc ailleurs, elle doit être ailleurs : elle doit reposer - et vivre - à l'opposé de ce faux mouvement de l'identité. En sorte que la dialectique, l'aliénation, et toutes les autres catégories subjectives-critiques (d'origine hégélienne) en vigueur, se trouvent elles-mêmes férocement critiquées, puis progressivement évacuées au fil du temps - par la pensée montante des outsiders universitaires de l'après-guerre - au nom même d'un renouvellement de la critique, d'un ultra-radicalisme mouvementiste. Voilà les bases de l'affaire. La philosophie prétend alors retrouver cette Différence hypostasiée, et la pister, au moyen ce qui n'est pas elle (ou, du moins, dans ce que la philosophie considérait, jusque ici, n'être pas elle) : la littérature. Une dignité inédite se voit accordée aux réflexions touchant le statut du mot, le rapport du signifiant au signifié (leur non-rapport, aussi, souvent, et de fait). Au début des années 1960 (voir nos précédents articles, par exemple, sur Derrida ou Deleuze face à Mallarmé), la philosophie trouve  ainsi cette différence déjà assumée dans l'entrecroisement nouveau de ses sources et références. Très vite, cependant, un problème surgit. Si l'Être se donne structurellement comme Différence, comme pur écart, alors le statut de cet être-écarté (ou écartelé), de cet être-par-définition-autre redouble la difficulté initiale de penser l'Histoire comme activité et perspective, comme trouée au-delà des horreurs indiciblement fixantes ayant jadis précisément permis de condamner la belle fiction du Sujet unitaire, du sens «commun» de l'Histoire. Car à ce premier moment subjectif hégélien jugé illusoire dans sa mobilité, succède en effet, en France, le statisme authentique (parfaitement assumé, lui, et abstrait) d'un «structuralisme» officiel éternisant désormais franchement la Différence : perpétuant sans états d'âme une altérité de position clouant, attachant de manière impérieuse l'individu à telle ou telle situation, telle ou telle structure sociale inextricable. Tout ça pour ça, en quelque sorte. Les germes, si l'on ose dire (on ose, c'est même à ça qu'on nous reconnaît) de la division intra-différancialiste se trouvent ici émis. D'autant que mai 68 survient sur ces entrefaites, les enragés d'alors manifestant, contre toute attente, dans la rue et les usines occupées, certaine réticence théorique et pratique à l'abandon de la dialectique révolutionnaire. Un troisième moment de la French Theory s'impose alors fort opportunément, au tournant des seventies, auquel les doxographes auront assigné diverses appellations (celle de «post-structuralisme», en particulier, qui faisait bruyamment s'esclaffer le très malicieux Michel Foucault, fort disposé à cette époque - bien loin de ses anciennes amours structuralistes orthodoxes - à exposer les différences qui condamnaient, selon lui, de manière nécessaire, le «tronc commun» du structuralisme précédent). Bref. Nous voilà, donc, dans la France de l'après Mai-68, où le gauchisme se porte à merveille, au plan textile. Une Différence dogmatiquement réactualisée s'impose, en mouvement, pour ainsi dire : une Différence de l'altérité comme processus humain face à la norme sociale majoritaire. L'intérêt pour la marge, alors, pour la figure du Fou, surtout, capable de se porter, par son langage déréglé, à la pointe extrême d'une différence toujours reprise, d'une altération (remplaçant la simple, et décidément trop démodée, «altérité») toujours recommencée, cet intérêt se fait explicitement pratique, ou praticien, critique du fait même de son caractère «symptomatologique», de sa «neutralité» formelle de méthode, par delà bien et mal, par delà une quelconque interprétation du sens jusque-là (soi-disant) surajoutée, avec la plus inopportune violence, aux pures et suffisantes forces et matière du monde. L'itinéraire de Gilles Deleuze est évidemment ici exemplaire. Il embrasse - «symptomatiquement» - l'évolution intellectuelle de ce rapport so frenchy à la Différence entendue comme altération, mais dont il apparaît que sa phase préparatoire nécessaire (sa phase d'altérité structuraliste) menace toujours, à ses yeux, d'en instaurer, ou restaurer, le triomphe de position, de vérité sociale établie, et dominante.

Tout cela doit vous paraître bien nébuleux, encore, non ? Et bien, comme dirait l'autre, c'est pas fait pour s'arranger. C'est que nous ne sommes pas encore rentrés dans le dur (ou dans le mou), voyez-vous. Rassurez-vous : nous sommes là. Au seuil de cette aventure théorique incroyable, nous vous tenons la main. On en a chié, nous aussi. Pas de raison qu'on en chie tout seul.

(à suivre)

mardi 29 novembre 2016

Seigneur de la route

Grand Theft Auto (France, 2016)

« N’en déplaise à ceux qui pensent que le bonheur est de marcher à genoux, c’est la liberté qui est le meilleur carburant des sociétés vivantes. »

(François Fillon, en meeting à Paris, 18/11/16) 

dimanche 27 novembre 2016

Coupure épistémologique

« Dans cinq semaines, j'en aurai fini avec toute cette merde d'économie » 
(Marx, lettre à Engels, 2 avril 1851)


samedi 26 novembre 2016

Camera Silens

Fin de cavale pour Gilles, de Camera Silens.
Fin de cavale, aussi, du coup, pour toute une époque...
Les détails : ICI !
             

mercredi 23 novembre 2016

Guide de survie en milieu différancialiste (1) Approches, drague et ivresse

        

On ne peut pas tout savoir sur Deleuze, Foucault et les autres grandes figures de la pensée française contemporaine. C'est vrai, il y a les besoins de la vie : se nourrir, se loger, etc. Le temps manque, il file. C'est ce que vous vous dites avec tristesse en regardant devant vous, dans la pénombre, le corps splendide de cette jeune presque trentenaire évoluer là, sur un air de trip-hop tellement évocateur, les pieds nus, parmi un nuage de fumée de cigarettes roulées. Il est une heure du matin. L'ambiance est chaude, détendue, conviviale. Les invités arrivent par grappes. Des groupes affinitaires de discussion s'improvisent, du canapé à la cuisine. Les gens rient et se sourient, d'un air entendu. Aucun formalisme guindé dans tout cela. Les conversations, sans façon, se trouvent émaillées de formules accessibles, sinon franchement populaires, en sorte que chacun a l'air de bien se sentir à l'aise, avec son verre de vin. Pourtant, vous en êtes parfaitement conscient, il n'y a ici pour ainsi dire que des grosses têtes. Du lourd. L'ami, par exemple, qui vous a proposé de passer ce soir à l'improviste termine une thèse sur la fantasmagorie chez Jean-François Lyotard (à l'université de Paris X). Quand vous l'avez croisé, voilà cinq minutes, il était plongé dans une discussion passionnée (avec un couple de barbus) sur l'hétérogénèse anti-simondonienne après Guattari. Du moins c'est ce que vous avez cru comprendre, entendre. De retour avec votre verre sur la piste, à quelques pas de cette fille adorable qui vous tente décidément tellement, à danser ainsi avec langueur les yeux perdus dans le vide, vous tâchez, en attendant de pouvoir attaquer convenablement, de vous donner une contenance en lui tournant sèchement le dos, afin de feuilleter d'un air pénétré quelques-uns des livres savamment oubliés sur la table du salon, derrière la stéréo. Un titre vous saute littéralement aux yeux. Parfait-présent progressif : essai sur la Différance derridienne, aux éditions de la Fibrouque (2016). Il y a, vous avisez-vous, une faute d'orthographe dramatique dans ce titre. Différence ne s'écrit pas ainsi, observez-vous légitimement, c'est à peine croyable. Vous souriez avec mansuétude. Tous ces jeunes brillants diplômés en sciences humaines ont beau mépriser (c'est ce que vous ressentez) les écoles de commerce du genre de celle vous ayant formé jadis, du moins ces dernières vous auront, vous, correctement préparé aux plans grammatical et lexical. Différance, franchement. Vous passez au titre suivant, et déjà : allons, vous reprenez-vous, j'exagère. Vous en avez bien rencontré de plus ouverts, aussi, de ces mêmes esprits philosophiques compliqués et sophistiqués. Ne soyez pas injuste. Vous revient en mémoire ce Tristan de votre connaissance, par exemple, qui avait fait l'ESSEC et l'EHESS avec un égal bonheur, et qui (vous vous en rappelez à présent), ne jurait déjà, en ses années adolescentes, que par Foucault. On ne comprend pas Foucault, répétait-il, on le réduit en général à un rebelle à dix centimes obsédé par la prison. C'est vrai : alors qu'il pense tout simplement la liberté contemporaine, point barre. Et Quentin, votre pote de dix ans ! Pas suspect de mépriser le marketing, quand même, lui qui désigne l'ergonomie des sites de commerce en ligne, et puis qui bouffe un soir sur deux avec Gaspard Koenig, celui-là même qui l'avait introduit à Deleuze, son idole absolue. Des rapports de force, le monde, mon gars, qu'il vous serine, Quentin (comme bouffé par la fièvre) : des purs rapports de force, tu vois ! Des déplacements, des reconfigurations sans arrêt : la vie, quoi. Vous voyez : vous avez été bien rapide en besogne. C'est juste (peut-être) l'aigreur qui vous faisait voir les choses sous cet angle. La frustration. Le ressentiment. Vous souriez. Vous repensez, là, tout de suite, à ce cours de philo sur le ressentiment, à l'ESSEC, entre deux séminaires sur l'histoire de la publicité. C'était bien, quand même, c'était pratique, faut avouer, cette histoire de ressentiment. Y avait des grèves, à l'époque. Sur les retraites, non ? Et il n'y avait qu'à regarder la tête des cégétistes rougeauds dans la rue, à la télé, pour comprendre que ce ressentiment ne tenait pas de la fable. Que Nietzsche, Deleuze, tous ceux-là l'avaient parfaitement aperçu, le problème de fond. Impressionné, que vous étiez sorti de là. Dans le métro, les visages vous apparaissaient dans la lumière, dans leur mélancolique vérité. Vous en aviez parlé avec votre père, après, qui avait fait Mai 68. L'expression de morale d'esclave, jaillie de votre bouche enthousiaste, avait, semble-t-il, réveillé des passions anciennes, dont l'éclat brillait encore, au fond de ses yeux humides. Ah ! Vincennes, avait-il soupiré. Vous reposez le deuxième livre : un pavé sévèrement annoté (propriété de votre hôte, sans doute) entièrement consacré à la critique du Sujet à travers les âges. C'est au moment de vous emparer du troisième volume, Le féminisme décolonial contre l'Empire Blanc (éditions du Flux Nomade, 2016), que vous sentez, à votre gauche, une présence. Votre ange noir aux pieds nus est là, à côté de vous. Elle a fait mouvement dans votre direction. Et ce n'est pas fini. Elle vous regarde, s'approche. Elle a dans les mains ce fameux livre, le premier que vous aviez empoigné, celui à la faute d'orthographe.
- Tu bosses sur Derrida ? chuchote-t-elle, chatte.
Ne faites pas de conneries.
Attendez.
Réfléchissez.
Ce n'est pas que nous vous aimions (ce serait trop long à expliquer), mais en tout cas on a bon fond (tout le monde vous le dira).
Lisez-nous.
Ne parlez pas immédiatement à cette fille de la faute d'orthographe, elle vous passerait sous le nez (la fille).
On vous briffe rapidement sur la Différance.
Et,  par là même, sur tout ce génie philosophique contemporain assurant, depuis des décennies, le renom de la France aux quatre coins de l'univers...

(à suivre)


Paris est magique

  " Deux quataries braquées sur l'A1 :
au moins 5 millions d'euros volés ! "
         (L'Obs, 22/11/16)

mardi 22 novembre 2016

lundi 21 novembre 2016

police oppression

Humour

En Grèce, Barack Obama 

appelle l’Europe à ne pas 

succomber à un 

« capitalisme sans âme »


(Le Monde, 20 / 11 / 2016)

mercredi 16 novembre 2016

De la réaction transcendantale


Les réactionnaires et pudibonds gauchistes d'aujourd'hui méditeront la chute niaisement moraliste de l'air ci-dessus, titre d'Ann Sorel ayant commis son petit effet de scandale au début des années 1970 (et ici repris par une certaine Schérazade de rencontre, un peu paumée, semble-t-il, dans sa cuisine, sa salle de bains et toutes autres pièces ringardes de son loft bellevillois).
Bref : faire l'amour à plusieurs, en tout cas, comme toute autre pratique soi-disant perverse, visant en réalité à libérer le principe de plaisir, ça ne peut donc forcément que se terminer mal, qu'être au final mauvais pour le coeur...
Et c'était - donc - déjà le cas au plus fort de cette fameuse révolution sexuelle que les fines mouches critiques contemporaines n'assimilent pourtant plus guère (comme un seul Alain Soral-Clouscard-Zemmour) qu'à LA condition fondamentale, LA modalité essentielle de crise de croissance désirante nécessaire du capitalisme contemporain.
On opposera à cette ignoble dégoulinerie de curé, à cette vieillerie antédiluvienne insupportable, à ce rien-de-nouveau-sous-le-soleil impuissant, le propos autrement sain et vigoureux de Larry Clark, dans son admirable Ken Park (2002). Se voyait, là, plutôt rappelée cette banalité de base selon laquelle le désir physique, épuisé, peut déboucher, enfin, peut se sublimer, enfin, à l'occasion, dans une culture, une civilité, une civilisation érotique supérieure.
Le problème n'est jamais du côté du désir authentique.
Le problème est toujours du côté de ses ennemis.
             

samedi 12 novembre 2016

vendredi 11 novembre 2016

Marcuse, pénétrant


« La régression impliquée dans un tel développement de la libido se manifesterait d'abord par une activation de toutes les zones érotiques et donc par la renaissance de la sexualité polymorphe prégénitale et par le déclin de la suprématie génitale. Tout le corps deviendrait un objet de cathexis, une chose pour jouir, un instrument de plaisir. Cette transformation de la valeur et de l'étendue des relations libidinales conduirait à la désintégration des institutions dans lesquelles les relations privées interpersonnelles ont été organisées, et particulièrement de la famille monogamique patriarcale.
Ces perspectives semblent confirmer la prévision selon laquelle la libération instinctuelle conduirait à une société de maniaques sexuels, c'est-à-dire à l'absence de toute société. Cependant, ce processus qui n'a été qu'ébauché, n'implique pas seulement une libération, mais aussi une transformation de la libido ; transformation qui conduirait la sexualité tenue sous la contrainte de la suprématie génitale à l'érotisation de toute la personnalité. C'est une expansion plutôt qu'une explosion de la libido, une expansion couvrant les relations privées et sociales, comblant le gouffre qu'un principe de réalité répressif maintient entre elles.»

(Herbert Marcuse, La transformation de la sexualité en Éros, in Éros et civilisation)

mercredi 9 novembre 2016

Discussion : y aurait-il un humour fasciste ?


                              Discussion entamée, plaisir assuré...

Suite à un billet récemment publié ici en toute innocence, c'est-à-dire toute insuffisance, nous avons reçu le message d'un camarade nous signalant les très douteuses appartenances dogmatiques (pour ne pas dire plus), de l'histrion que nous avions naïvement présenté, et au délire duquel, il faut le dire, nous avions spontanément bien ri. Or, l'individu en question, un certain « Izarra », souscrirait, selon notre camarade, aux thèses fondamentales de Dieudonné, qu'il relaierait d'ordinaire, sans préjuger d'une éventuelle participation plus organique de sa part aux entreprises du fasciste susmentionné.
S'ensuivit un nouvel échange de courriels, que nous reproduisons ci-dessous, au cours duquel, au-delà de l'évocation de notre boulette initiale, certaines interrogations plus importantes se virent également formulées.
Nous saluons, une fois encore, notre interlocuteur avec fraternité.

***
Le 6 sept. 16 à 03:01, X a écrit :

Bonsoir,
Un mot rapide, avant de donner des nouvelles plus complètes, vu le contenu des autres vidéo de "Xavier-Louis de Izarra" il est à craindre que l'absurde de surface soit de la grossière propagande racialiste, vaguement anti impérialiste débile, et en tout cas pro-dieudonné et antisémite.C'est comme cela que je comprends les vidéo suivantes en tout cas :

Mon voisin a écrasé mon vélo juif
https://www.youtube.com/watch?v=d5gy2QmwMeQ

Noirs et Blancs ont-ils la même couleur ?
https://www.youtube.com/watch?v=BDcOKttAfng

Les fachos comme toi qui s'ignorent.
https://www.youtube.com/watch?v=lajbT234SJQ

Faut-il gazer les antisémites?
https://www.youtube.com/watch?v=-_EqwJNmp2U

Dites moi si je me trompe.
Pour le reste portez vous bien.
Amitiés.

X

***

Le 7 sept. 16 à 18:00, Le Moine Bleu a écrit :

Cher camarade,


 Hélas ! il semble que vous ayez en effet parfaitement cerné la chose et le bonhomme. Que vous dire ? Il peut, d'abord, paraître évidemment vexant d'avoir ri comme nous avons ri à la production de cette (donc) très-probable crapule dieudonniste-antisémite. Mais au-delà de la vexation (phénomène subjectif, somme toute négligeable), l'affaire révèle surtout pour nous une question philosophique et politique de fond. Pourquoi, et comment, les fascistes se sont-ils ainsi retrouvés, à l'heure où nous parlons, dépositaires formels d'un certain fonds d'humour et d'ironie efficace (se donnant, par ailleurs, l'apparence de la subversion et/ou du non-conformisme), un fonds dont nous devrions, nous, plutôt être les principaux utilisateurs et bénéficiaires, en tant qu'anarchistes ou communistes ? Pourquoi et comment l'humour se fait-il aujourd'hui - souvent - le vecteur efficace, le cheval de Troie, pour ainsi dire, de la pseudo-critique fasciste ?
Je pense que là aussi, nous payons le poids pluri-décennal d'un terrible esprit de sérieux militant gauchiste, dont le dogmatisme et la rigidité perpétuels impliquent toujours aussi, subjectivement : lourdeur, ennui, formalisme désespérant, etc. Rien de bien nouveau sous le soleil. Rien d'étonnant à ce qu'une fois encore nos "futuristes" dieudonnistes d'aujourd'hui : apôtres, comme leurs grand-parents italiens, par exemple (Marinetti et consorts), de la fausse transgression, de la sensation, de la violence perverse personnelle, de la domination moqueuse dans les rapports humains, etc, en appellent invariablement, contre les lourdeurs de la "pensée" gauchiste aux séductions "légères" de l'évidence humoristique. Ernst Bloch y voyait déjà la raison du succès nazi sur le "discours" communiste (uniquement basé, lui, sur la rationalité, la sécheresse de l'analyse, bref la difficulté de la réflexion). Il y a aussi cette lettre célèbre d'Adorno à Benjamin, en 36, dans laquelle le premier pointe déjà les dangers "totalitaires" d'un certain humour cinématographique (celui de Chaplin, je crois) que Benjamin, lui, à l'inverse, juge spontanément invinciblement critique, humain et démocratique. Le pessimisme d'Adorno était-il visionnaire ? Je pense, pour ma part, qu'il nous faut être férocement drôles, nous aussi, aussi drôle que critiques, et plus drôles, en l'occurrence, que les fascistes.
Allons plus loin, encore : le type dont il est question ici (le dénommé Izarra) cesse précisément d'être drôle au moment même où l'idéologie reprend pleinement le dessus, chez lui, sur l'humour pour lui-même (voir le panel de films sélectionnés par vos soins, dont aucun, vous en conviendrez, ne soutient la moindre comparaison avec celui que nous avions sélectionné). C'est que "l'humour fasciste", au fond, comme toute production idéologique, tend ainsi en se développant (c'est-à-dire en servant de plus en plus consciemment et clairement son projet politique) à l'autodestruction : il meurt comme humour à mesure qu'il se fascise.
Inversement, c'est quand il est le plus drôle qu'il est alors le moins fasciste (et même, en l'occurrence, absolument non-fasciste : puisque le sketch "comment neutraliser un terroriste" renverrait davantage pour nous, avec beaucoup d'efficacité, c'est-à-dire de drôlerie, à une critique de l'hystérie sécuritaire actuelle, une satire de l'impuissance politique et humaine saisissant tout un chacun atomisé, et débilisé, devant l'émergence massive de la pulsion de mort djihadiste, etc).
Le débat est ancien : quand un réactionnaire - suffisamment "honnête", en quelque sorte, et pourvu de talent, expose - contre son idéologie consciente même - la réalité de tel aspect de la société, est-il encore réactionnaire sur ce point précis ? Balzac (royaliste militant) ne se montrerait-il pas, dans moult de ses ouvrages, très marxiste dans sa présentation (par exemple) de la dépossession moderne des paysans par les usuriers banquiers des villes ? L'insupportable et nauséeux du style célinien ne commencerait-il pas à poindre seulement lorsque l'honnêteté sociale objective (pour ainsi dire : son côté visionnaire) que Céline manifeste ailleurs s'est complètement effondrée, au profit de ses obsessions racistes habituelles ? Quand Léon Bloy, Villiers de l'Isle-Adam, Huysmans, Barbey d'Aurevilly (fieffés réactionnaires, et ultra-catholiques par-dessus le marché) critiquent la bourgeoisie voltairienne, n'y pouvons-nous point malgré tout, nous, nous y reconnaître un tant soit peu ? Serait-ce alors que la crapule cesse, à l'occasion, d'être crapule lorsqu'elle perd de vue l'idéologie qui la meut le reste du temps ? Après tout, comme dit Marx, "en tout capitaliste, l'homme et le capitaliste se combattent jusqu'à un certain point"...
Voilà les quelques réflexions que votre courrier suscite en moi.
Nos idées, je pense, la critique que nous portons, devraient pouvoir - en théorie - s'imposer dans la majorité de la population, loin d'un quelconque avant-gardisme sectaire. Le sketch "comment neutraliser un terroriste" me paraît relever, dans sa capacité drolatique, d'une telle position critique de masse. Le problème étant donc, bien entendu, qu'il émane d'un personnage par ailleurs aussi suspect.
La chose mérite de plus amples développements. On se fendra certainement, là-dessus, prochainement, d'un billet à part entière.
Merci en tout cas d'avoir attiré notre attention sur tout ça.
N'hésitez pas à me proposer vos propres réflexions, en retour.

salut, et amitiés

LMB

***


Le 7 nov, X a écrit :


Cher Moine,
Désolé d'avoir tant tardé à répondre, je pensais initialement que la réponse pourrait être de meilleure qualité, plus réfléchie en tout cas, en répondant plus tard, mais il se trouve que les circonstances changent mais ne s'améliorent pas, au contraire, une certaine faille s'étant même depuis ouverte, alors malgré tout le bancal je vous réponds, en ayant déjà trop tardé, quitte à ce que cette réponse soit bien insuffisante. Par ailleurs il est certain que je ne suis pas un bon correspondant, ne serait-ce que pour des raisons assez triviales parmi lesquelles le fait qu'écrire n'est pas simple pour moi et que le temps passé devant un ordinateur est souvent trop important, et fini par être difficile et pénible etc. Discuter m'est souvent plus facile même si je reconnais que la mise par écrit permet un raffinage que la parole ne permet pas forcément, même si pour moi le lieu de l'élaboration reste, à priori, et en tout cas pour commencer, la discussion. Je ne parle pas pour cette histoire en particulier, pour laquelle un échange par mail va très bien. Vous nous avez déjà fait état d'une partie de votre fonctionnement à cet endroit, je n'y reviens pas là.

Trêve de méta-discours.
Concernant cette vidéo, son auteur, et ce que vous soulevez à cette occasion, je vais tâcher de répondre aux arguments que vous soulevez par ordre d'arrivé dans votre message.
Pour commencer je ne crois pas qu'il faille s'en vouloir ou se vexer d'avoir ri. C'était drôle d'absurde, jouant sur la possibilité du sérieux, de la « bonne idée », sur le modèle du tutoriel version homme de bon sens et homme providentiel, cela a un certain pouvoir comique, là n'est pas, je crois, la question. Pour entrer plus précisément dans les enjeux que vous proposez à la discussion, je dois reconnaître que je ne perçois pas très clairement pourquoi vous considérez que ce sont les fascistes qui oeuvrent par l'humour aujourd'hui, il est certain que c'est un sujet que je connaît fort mal, mais à part Dieudonné (ce qui est loin d'être une petite affaire) il ne m'est pas apparu que cela soit un phénomène massivement répandu et avec de nombreux protagonistes fascistes à la manœuvre (il se peut que je me trompe). Il me semble, qu'effectivement l'humour, le rire, l'ironie, possède une certaine puissance subversive. Mais cela fait tout de même un moment que la figure de l'humoriste, sa place, son positionnement, les typologie de rire qu'il convoque, jusqu'à des phénomènes plus récents mais qui datent un peu maintenant, comme autour du djamel comedy club, sont vecteurs de valeurs et de représentations très formatés, un rapport aux identités bétonnés et assignatoires. Il y a beaucoup eu, au niveau du comique français de production d'un second degré de pacotille, un humour qui ne renvoi à rien d'autre qu'à sa bêtise sans fonds. Je dirais qu'il s'est aussi passé quelque chose avec internet et les vidéos et que les vidéos sont devenus un vecteur important de propagande, de mesure d'audience et même de rétributions financières. Cette manière de présenter des contenus, avec l'humour en plus, s'adresse particulièrement, ou fonctionne particulièrement, avec un public (comme ils disent) assez jeune, et c'est un appât, une mise en forme, assez commercial ou marqueté de contenu, cela paraît anodin, innocent ou « drôle » mais c'est parce que cela permet de justifier ou d'avancer un peu masqué que cela prend cet aspect là.
Je crois, qu'effectivement, il y a quelque chose de l'ironie (un autre terme serait peut être meilleur) à employer, réemployer, mettre en jeu, en particulier dans des perspectives révolutionnaires. Malheureusement il n'y a pas que ça qui manque, les « perspectives », et le « révolutionnaire » se font rare et timide en ces époques pénibles. Ceci étant dit et même si cela peut paraître, en apparence, paradoxal je suis partisan du sérieux, pas dans le sens ou il s'opposerait à ce qui provoque le rire (et la réflexion d'ailleurs) qui est tout de même, à mes yeux, un des intérêts de la vie. Plus dans une certaine rigueur (pas un rigorisme) intellectuelle et des sentiments. En effet comme vous le soulignez, le dogmatisme, le formalisme coute cher encore aujourd'hui alors même que ces formes ont perdu de leur ampleur et du superbe que certains pouvaient leur trouver.
Sans se lancer dans des typologies hasardeuses, on peut tout de même faire l'hypothèse, c'est ainsi que je comprend une partie de ce que vous proposez, qu'il y a deux sortes d'humour, un qui, corrosif, attaquerait la normalité et son pouvoir, un autre qui au contraire, renforce et bétonne la situation présente, un qui ouvrirait des horizons et qui renverserait quelque chose des évidences et un autre qui les conforterait.
Je suis désolé je n'ai rien lu d'Ernst Bloch, ni d'Adorno et que quelques lignes de Benjamin, mais dans la situation tel que vous en dressez le tableau je serais plutôt partisan de l'humour, et je me retrouve dans ce que vous proposez, « être férocement drôles », « aussi drôle que critiques, et plus drôles, en l'occurrence, que les fascistes. » Qu'encore une fois je ne trouve pas, pour ce que j'ai pu en voir très comique. D'ailleurs comme vous le souligner quand le « Izarra » rend plus explicite ses positions, quand il politise plus ouvertement son propos, quand il fait place à une idéologie plus forte c'est nul et ce n'est pas drôle du tout, je partage aussi votre avis la dessus.
Je ne peux malheureusement pas vous suivre, pour critiquer ou abonder dans votre sens à l'endroit des exemples littéraires précis que vous proposez, ce sont les aléas d'une formation tardive et en grande partie auto-didacte (ce qui ne veux pas dire que je suis un self made man intellectuel...). Je crois que la figure de l'auteur n'est pas tout, mais dans notre régime de réception, sa figure d'autorité n'est pas rien non plus. Je dirais que pour moi il s'agit plutôt de question qui concerne la réception, quand il ne s'agit pas de subversion sur les formes et les manières (de raconter, de fictionnaliser etc), de tout il peut être fait un usage subversif ou réactionnaire. Mais s'agissant du subversif, encore faut-il y arriver et que quelque chose prenne.
Je trouve intéressant, mais je ne suis pas encore convaincu par ce que vous citez de Marx à propos de l'homme et du capitaliste, il y aurait comme une force, une puissance, une pulsion de vie qui lutterait contre la loi du profit, mais malheureusement la loi du profit, le capitalisme, c'est aussi profondément affaire d'homme. Peut être que je comprends mal cette citation.
S'agissant de l'isolement et de la pauvreté de circulation et d'émulation des propositions, lectures, points de vues à prétention révolutionnaire, il est certain qu'un certain enfermement, que l'atomisation actuelle est étrange et détestable et que rien ne me semble la justifier. Ceci dit et sans négliger la place nécessaire de la réflexion, du fait de penser, critiquer, et de mener, de même avec une ampleur réduite la bataille des représentations, de partager et mettre en forme cela, d'éviter l'écueil de l'anti-intellectualisme, je crains que ce ne soit pas tant une bataille des idées, que celles de questions plus pratiques, beaucoup plus du côté des propositions, des formes et des possibles concrets et matériels.

Je suis encore désolé de cette réponse, si tardive, au moins en partie décousue et pas assez fouillée, j'espère tout de même avoir apporté un peu d'eau au moulin commun de la réflexion (cette métaphore n'est pas très heureuse).

Au plaisir de vous lire, à ce propos ou à un autre.

Portez vous bien.

Amitiés.

Salutations révolutionnaires.

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