mercredi 23 novembre 2011

La plus grosse fleur de ce monde sent encore le cadavre...



Rafflésie de Sumatra. Diamètre : 97 centimètres. Son bouton, de la taille d’un ballon de basket, s’ouvre avec un sifflement strident, l’ensemble reproduisant à la fois l’odeur et la couleur d’une charogne en décomposition, de façon à attirer le type de mouches (Sarcophaga) qui constituent ses pollinisateurs attitrés.

« Je veux dormir tranquille »







En hommage aux habitants du Malandrin (pour les soutenir et populariser leur lutte, voir leur blog ICI), lieu parisien occupé depuis quelque temps déjà et déchaînant la colère unanime des flics, politiciens et vautours de tout poil, le Moine Bleu a le plaisir de vous offrir aujourd’hui le 

Lieu commun numéro cent quarante-huit

« Je veux dormir tranquille »

Tel fut le dernier mot de la propriétaire. Le temps des combats était passé pour elle. À son âge, elle avait besoin de dormir tranquille. Il lui fallait des locataires sûrs, de bonnes garanties.
« Vous avez bien raison, madame, répondit le visiteur qui avait eu le temps d'examiner les êtres, si ça ne tient qu’à moi, vous dormirez. »
Et il s’en alla.
Mme Mouton était une horrible vieille qui se chauffait à son argent, quand il faisait froid. On la disait fort riche et son avarice était un prodige, même dans cette atroce banlieue de petits bourgeois.
Feu Mouton avait gagné ce qu'il avait voulu dans l’exploitation du lait fécondé dont il était l’inventeur et qui était un produit sans rival pour la destruction des petits enfants. Ravi de bonne heure à la tendresse de son épouse, il était allé l’attendre dans un mausolée d’une hideur extraordinaire. C’est là que j’ai lu, non sans effroi, au-dessus d'une entrée bizarre, ces mots incroyablement tirés de l’Évangile : Frappez et l’on vous ouvrira...
Cette inscription n’eût pas été à sa place à la porte de la maison de la veuve. Quand on avait carillonné plusieurs fois, on voyait lentement s’ouvrir un guichet étroit et, dans ce cadre, apparaissait une chose fantastique. Le visage affreux de la vieille à côté de la gueule féroce d’un énorme chien danois appuyé des deux pattes sur les épaules de sa maîtresse. Elle parlait alors au survenant d’une voix de gendarme où il y avait autant de haine que de peur. Si on était un pauvre, le guichet se refermait violemment avec un blasphème. On ne parvenait à franchir le seuil qu’à titre de locataire futur et muni de certaines références. Dans ce cas, on traversait une cour et un morceau de jardin pour arriver à un pavillon sinistre en compagnie de Mme Mouton et de son molosse.
Ce pavillon rongeait la propriétaire. Elle ne pouvait, en aucune façon, l’utiliser, et cette non-valeur la désespérait. D’un autre côté, elle ne pouvait pas davantage se résoudre à prendre un locataire, quelles que fussent les garanties. C’était pour elle aussi grave que le choix d’un amant pour une femme honnête. Jamais elle n'avait pu se décider.
Le vrai, c'est qu’elle avait horriblement peur d’installer si près d’elle un étranger. Elle était l’avare classique, la vraie, celle qui adore le métal, qui le baise avec transport, qui souffre de ne pouvoir le manger comme un chrétien mange son Dieu dans le sacrement de l’Eucharistie. Le soir, on l’entendait verrouiller et cadenasser toutes ses portes, pendant un quart d'heure, et elle ne se couchait, disait-on, qu’après avoir fouillé partout avec son chien.
Ces précautions invoquent tellement les catastrophes que personne ne fut étonné d’apprendre que Mme Mouton avait été trouvée chez elle poignardée et presque décapitée. Ayant habitué son voisinage aux plus étranges lubies et aucun être humain n’étant autorisé à mettre le pied chez elle, on ne s’avisa d'un crime que fort tard et lorsque l'odeur de charogne se faisait déjà sentir. On la découvrit dans une chambre noire, étendue par terre auprès du molosse, l’un et l’autre aux trois quarts pourris.
L’argent avait été intégralement déménagé, et l’assassin, qui était, à coup sûr, un artiste, avait laissé sur la table une belle feuille de papier ministre où se lisaient, écrits d’une main très ferme, ces mots d’un refrain célèbre :

Dormez, dormez, ma belle,
Dormez, dormez toujours. 


Léon Bloy, Exégèse des Lieux Communs.


lundi 14 novembre 2011

L'Art français de la guerre


Il ne suffit pas d’aimer la littérature. Il ne suffit pas d’aimer les livres. Aimer les principaux pourvoyeurs de littérature, rendre hommage, pour une fois, à ceux qui la font exister, c’est-à-dire qui la vendent, qui la transforment en marchandise pour le plus grand profit de tous : voilà aujourd’hui, à nos yeux, l’un des devoirs civiques devenus les plus éminents, sinon le devoir citoyen suprême. Telle est la seule Identité Nationale que nous puissions arborer.

Qui connaît vraiment, au-delà du remous ordinaire causé par cette bruyante saison de cérémonies éditoriales, laquelle déjà s’achève, l’histoire glorieuse des grands éditeurs de France, ces héros délicats et discrets nommés Gallimard, Grasset ou Denoël, jugés, certes, tellement intimes, proches, ou bien connus (selon le mot de Hegel, philosophe disponible, entre autres, dans la collection « Tel ») pourtant cruellement méprisés, recouverts de ce voile d’obscurité quotidien que nous jetons, par simple confort, sur leur cheminement passé ?
Lequel d’entre nous garde clairs à la conscience les trésors de patience, d’acharnement, et surtout d’amour du Beau que ces anges auront déployés en toute circonstance, dans les aléas historiques parfois les plus difficiles, au prix des plus lourds sacrifices, afin que toujours nous parviennent ces œuvres, leurs œuvres, ce monceau d’œuvres sublimes dont année après année, prix littéraire après prix littéraire, nous nous régalerons, jusqu’à la mort ? Telle est l’urgence intellectuelle (et morale) indiscutable de notre époque.

Car cette époque est troublée. Elle manque de repères. Le désespoir y prolifère. L’insertion de la Jeunesse par le sport, à elle seule, ne saurait suffire à élever complètement l’âme. La Jeunesse a déjà son Prix Goncourt, cela est bien. Cela forme. Il est possible que, bientôt, cette jeunesse ait appris à lire dans de bonnes conditions. Or, qui sait lire saura vivre. Qui sait lire travaillera dans la paix, et l’harmonie, et puis sera un homme (ou une femme, bien sûr). Qui sait lire aura enfin appris à dire « merci ! » dans la  sérénité retrouvée du Vivre-Ensemble.

En attendant, à cette heure, l’ignorance demeure du travail des héros, du travail des pionniers et magiciens donnant chaque seconde forme utile au génie. Alors, jeunes gens, lisez ! Et vous aussi, lecteurs dévorants dans la force de l’âge, vous les prétendus anciens et sages, lisez donc (et d’abord ces quelques lignes ci-dessous), lisez, puis rendez grâce à ces maisons honnêtes, justes et droites, ces maisons de l’Art et de l’humanité ayant toujours œuvré en secret, oui ! mais qui, en secret aussi, feront toujours le sel de votre terre :

« Des maisons d’édition comme Nathan, Calmann-Lévy et Ferenczi, dont les propriétaires étaient juifs, durent ‘donner’ leur entreprise. Les éditeurs Grasset, Denoël et Gallimard ont tenté, dans certains cas avec succès, d’acquérir les fonds de ces maisons reconnues. Dans sa proposition de rachat des éditions Calmann-Lévy, Gaston Gallimard déclare sa maison ‘aryenne à capitaux aryens.’ À la libération, un article de France libre (25 août 1944) dénoncera ces éditeurs pro-Allemands. Gallimard aura chaud mais ne sera pas fusillé. La Commission d’épuration de l’édition compte pour membres Sartre et Camus, écrivains vedettes de la maison qui resteront fidèles à leur éditeur en plaidant en sa faveur. Grasset et Denoël auront moins de chance : l’un sera destitué, l’autre sera assassiné en décembre 1945 dans des circonstances encore nébuleuses. Moins d’un an après l’assassinat de Robert Denoël, Gaston Gallimard acquiert 90% des parts de l’entreprise, qui lui sont vendues par Jeanne Loviton, romancière, intrigante, grande séductrice du milieu littéraire (ses amants les plus connus sont Jean Giraudoux, Saint-John Perse, Malaparte, Paul Valéry, Émile Henriot et surtout Robert Denoël, éditeur de Céline, qui fit d’elle la principale actionnaire de sa maison d’édition). Hormis les appels au scandale de la veuve officielle, l’éditeur, nous le savons, détenait un dossier incriminant d’autres éditeurs, car il devait passer devant le comité d’épuration, et sa valise contenait aussi des lingots d’or… Tout a disparu. »

             Jean-François Poupart, Gallimard chez les nazis (éd. Poètes de Brousse).

jeudi 10 novembre 2011

Caliban





« Cette île est mienne de par ma mère Sycorax, et tu me l’as prise. Aux premiers jours de ton arrivée, tu me caressais, tu faisais cas de moi, tu me donnais de l’eau avec des baies dedans, tu m’apprenais le nom de la grosse et de la petite lumière qui brûlent le jour et la nuit ; si bien que je t’aimai et te montrai toutes les richesses de l’île : les sources fraîches, les salins, les lieux arides, les lieux fertiles… Je veux être maudit pour avoir fait cela ! Que s’ébattent sur vous tous les charmes de Sycorax, crapauds, scarabées, chauves-souris, car je forme tout votre peuple, moi qui naguère étais mon propre roi ; et vous me confinez comme un pourceau en ce dur rocher… »

                                                       
          Shakespeare, La Tempête.


mercredi 9 novembre 2011

L'émancipation des travailleurs





« La révolution pour le moment est rentrée dans son lit ; nous retombons dans la période des évolutions, c’est-à-dire dans celle des révolutions souterraines, invisibles et souvent même insensibles. (...) À mon grand désespoir, j’ai constaté et je constate chaque jour de nouveau, que la pensée, l’espérance et la passions révolutionnaires ne se trouvent pas dans les masses, et quand elles sont absentes, on aura beau se battre les flancs, on ne fera rien. »

                                                                Bakounine à Élisée reclus, 15 février 1875.


Autant le préciser tout de suite : nous ne sommes pas des habitués enthousiastes de la maison d’édition La Fabrique, dont les grandes passions politiques de son directeur - M. Hazan - et la ligne éditoriale nous révoltent (souvent) ou nous ennuient (la plupart du temps). Un ouvrage, cependant, publié ces jours-ci par ses soins, a retenu toute l’attention du Moine Bleu : celui de Mathieu Léonard, consacré à l’histoire de la Première Internationale (AIT), et intitulé L’émancipation des travailleurs.

À première vue assez court (moins de 400 pages) au regard de l’ambition d’un tel projet, ce livre - à force d’esprit de synthèse et de discipline - s’avère en réalité extrêmement complet et satisfaisant. Point ici de digressions dogmatiques ni de niaiseries partisanes démesurées. Juste un décor primitif campé avec précision et rigueur : celui de la  nécessité  historique fondant l’apparition d'une grande organisation ouvrière à l’échelle de l’Europe, nécessité comprise - dans l’acception pleinement subjective du terme - comme la conséquence pratique, d’une part des souffrances du prolétariat suite aux terribles défaites démocratiques de 1848-49 (en France, Allemagne, Italie...), mais aussi d’un décalage géopolitique particulier, d’autre part, tournant ici à l’avantage de ce dernier : la puissance objective (hors d’atteinte des répressions continentales) acquise à force d'expérience et de luttes par le trade-unionisme britannique. C’est l’époque (de telles choses semblant évidemment fort étranges aujourd’hui) où la discussion politique représente justement pour les ouvriers conscients un produit de première nécessité, où la culture de classe le dispute à un grand intérêt pour les questions internationales, étant donné l’afflux en Angleterre d’immigrés eux-mêmes politisés et proscrits de partout. Le livre de Léonard restitue ainsi parfaitement cette ambiance de toasts incessamment portés aux ouvriers d’ailleurs, jugés des frères de classe, et symétriquement de tabassages occasionnels d’ennemis de classe étrangers s’étant aventurés, sans méfiance, loin du théâtre de leurs « exploits » nationaux, dans des endroits (des pubs, par exemple) où leur réputation de bourreau du peuple ne pouvait (croyaient-ils) les avoir précédés.
Cet aspect pionnier du syndicalisme anglais, conjugué au fait que le capitalisme britannique, en ses contradictions, c’est-à-dire en son progrès, lui paraissait indépassé, poussera Marx à ne songer que fort tard, comme la dispute avec les « anti-autoritaires » était déjà bien avancée, à doter l’Internationale d’une section anglaise autonome. La Grande-Bretagne offre ainsi à l’Internationale (dont le meeting qui la fonde se tient précisément le 28 septembre 1864 au Saint-Martin's Hall de Londres) autant un siège géographique viable (vu le respect formel ordinaire local des libertés publiques) qu’un modèle initial de fonctionnement alors purement légal et associatif : l’Internationale des débuts non seulement a pignon sur rue mais semblerait presque, à dire vrai, « une société d'études » (Ernest Fribourg, fondateur de la section parisienne), un bureau d’informations « statistiques » (selon l’expression, aujourd'hui comique - à l'époque récurrente - de James Guillaume), Mathieu Léonard évoquant, lui, « une agence (...), un réseau, avec peu d’adhérents et de moyens, fondés sur des principes grandioses et généreux avec lesquels un large éventail de tendances peuvent s’accorder... tant que ne sont pas abordées les questions des modalités de changement de société. »
Les principes en question, figurant dans l’Adresse inaugurale de l'AIT (ou dans ses statuts provisoires) évoquent bien en effet une volonté « d’émancipation des travailleurs » , « la conquête du pouvoir politique (...) devenue le premier devoir de la classe ouvrière » ou même « l’anéantissement de toute domination de classe », mais par le biais de formules tellement vagues, au regard de la violence ouverte - et plus ou moins rhétorique - de nombre d'autres tendances révolutionnaires contemporaines (les blanquistes notamment), que la Maison Poulaga elle-même n’y prête sur le moment que fort peu d’attention.  
Pour les ouvriers européens participant au meeting fondateur de 1864, seul s’impose donc pour l’heure ce désir organisationnel. Le besoin annexe d’une ligne politique distincte ne se fait pas torturant, c’est le moins qu'on puisse dire ! contrairement à la conscience brute de se faire défoncer partout par la bourgeoisie essentiellement du fait de divisions nationales, et de l’absence de solidarité organique entre prolétaires de nations différentes, librement mis en concurrence par l’exploiteur commun. Pour cette raison, Marx (dont l’influence personnelle n’est alors ni ridicule ni écrasante et qui oeuvre en coulisses à la mise en forme finale de l’Adresse fondatrice), s’il s’impatiente à part lui en tant que communiste devant certaines tiédeurs idéologiques du texte, choisit stratégiquement de ne pas trop la ramener et de « jouer le compromis avec les différentes tendances du mouvement ouvrier. »

S’ensuivent les premiers Congrès, laborieux (le premier, celui de septembre 1865, est en réalité une conférence tenue à Londres plutôt qu’à Bruxelles, comme prévu à l’origine, par manque de moyens), les premières campagnes militantes, timides, difficiles, pas couronnées d'un succès flamboyant (400 adhésions péniblement acquises en France à la fin 1865, et puis cette petite phrase de Kautsky concernant les nouvelles recrues anglaises : « Il était encore plus facile de déclencher une émeute que de leur faire payer leurs cotisations.»).
On l’a dit : l’Internationale est alors tolérée par des gouvernements continentaux que son activité n’effraie guère, parfois même étrangement complaisants à son égard. C’est le cas de la France Césariste (celle de Napoléon III) qui avait déjà financé (histoire de draguer le prolétaire pour contrer le républicain) le voyage d’études d’une délégation ouvrière à l’Exposition Universelle de Londres en 1862 (mauvais calcul, comme l’explique Léonard : c’est lors de ce fameux voyage que s’opèrent entre ouvriers anglais et français des rapprochements décisifs).
La question d’un flirt plus ou moins poussé avec « Plon-Plon » est donc posée au point de semer le trouble, voire de discréditer aux yeux de certains la première section parisienne, dite « des Gravilliers » (du nom de la rue où elle s’installe), laquelle fourmille par ailleurs de proudhoniens, qui ne constituent pas un modèle notoire d’insurrectionnalistes. Marx fait pourtant à cette occasion, et par avance, justice du fameux pangermanisme que certains « anti-autoritaires » lui reprocheront ensuite, en prenant vivement (notamment contre sa vieille connaissance Moses Hess et d’autres militants allemands, renvoyés, eux, par le bon docteur à leur «Bismarckisme») la défense de Français considérés par lui comme des « pionniers de la Révolution. »

Viennent aussi les premières discussions : le rapport de l’Internationale à la religion (avec, affrontées à des athées très clairs et intransigeants, les premières compromissions tactiques vis-à-vis des curés, ce dont certains gauchistes se sont hélas ! toujours fait une spécialité tragique), ou aux luttes politiques - en particulier de libération nationale : Pologne, Irlande...
Quelques passages passionnants sont également consacrés à la position de l’Internationale sur les luttes de classe féminines de l’époque, Varlin et Marx se montrant sur ce terrain les adversaires souvent déterminés (malgré quelques grosses vannes lourdingues de ce dernier, sarcastiquement rappelées par l’auteur) de proudhoniens pathétiquement misogynes. Varlin tente ainsi sans succès d’imposer le mot d’ordre : « À travail égal, salaire égal ! » lors du Congrès de Genève (1866). Marx propose, quelques années plus tard, « que la meneuse des ovalistes lyonnaises (lors de la grande grève des travailleuses de la soie de 1869, n. MB) Philomène Rozan, soit déléguée spéciale au congrès de Bâle.»
Sans succès non plus.
Car la suite, Léonard la raconte ici : « les responsables de la section lyonnaise, Palix et Richard, préfèrent garder les mandats de la délégation des ovalistes pour eux-mêmes, ainsi que pour leur ami Bakounine, qui semble croire sincèrement que les demoiselles ovalistes l’ont expressément désigné pour les représenter. Les ovalistes n’iront pas à Bâle et retournent à l’anonymat. » Et Léonard, citant enfin Auzias et Houel, de conclure que le sentiment s’impose d’un «rendez-vous manqué entre le mouvement ouvrier et le mouvement féministe. »
La première Internationale restera un truc de mecs.
Autre question fondamentale : le rapport au vote, aux élections ou à l’action politique, menée sur le terrain de l’adversaire , celui du parlementarisme et de la représentativité bourgeoise. Certains « apolitiques » préfèreraient se concentrer, disent-ils, sur le terrain purement économique. Ce qui leur permettra of course, lors des discussions purement économiques concernant la méthode de la grève elle-même (sans parler de la grève générale, ou « universelle » comme on dit alors) à laquelle les proudhoniens sont viscéralement opposés, de ramener leur intéressant grain de sel contre-révolutionnaire.
Malgré eux, pourtant, les grandes décisions tactiques finissent par tomber : successivement, le soutien à la journée de 8 heures (décidé en 1866), le lancement systématique de caisses de soutien aux conflits, la mise en place de protocoles réguliers obligatoires de lancement des grèves (pour qu’elles soient préparées au mieux, coordonnées, et qu’elles triomphent), celle de cellules d’alerte locales permettant au Conseil Central, lors desdites grèves, une action transnationale rapide, par le biais des diverses sections concernées, le but étant de contrecarrer aussitôt l’importation patronale systématique de « jaunes » étrangers…
Autant d’éléments dont l’ouvrage de Léonard rend compte de manière passionnante. 

L’essor individuel, depuis leur propre secteur géographique d’agitation, des grandes figures de l'AIT, tellement diverses sur les plans politiques et humains (Varlin en France, Guillaume en Suisse, César de Paepe en Belgique, Bakounine en Italie puis, à son tour, en Suisse et Marx, enfin, dont le leadership devient incontestable - et problématique - à partir du Congrès de Bruxelles, à la fin 1868, avec la mise au pas définitive des proudhoniens) accompagne la croissance générale de l’organisation, dont la notoriété (sans rapport avec ses capacités d’intervention réelle) se nourrit peu à peu de l’explosion des grèves spontanées et massives de la période 1867-1868 (Paris, Wallonie, Roubaix, Gardanne, Londres, Genève...). Les années 1869 et 1870 représentent le sommet de son influence, tandis que de nouvelles séries de grèves souvent durement réprimées traumatisent la classe ouvrière de Saint-Étienne (massacre de la Ricamarie, 14 morts) d’Aubin (14 morts chez les mineurs, octobre 1869) ou du Creusot (6 morts, janvier 1870).
La paranoïa de la bourgeoisie voyant désormais la main de l’AIT derrière le moindre incident social, lui fait alors colporter via ses relais plumitifs habituels, d’impressionnantes légendes relatives à une immense fortune occulte (et à un fort pouvoir de nuisance, quasi-terroriste) de l’organisation ouvrière. Celle-ci demeure cependant relativement faible sur le plan numérique (le nombre total de ses adhérents est estimé par Jacques Rougerie à quelques dizaines de milliers sur toute la France en 1870, et 10 000 maximum à Paris) et financier.  
Enfin s’annonce, à la veille de la guerre franco-prussienne de 1870, la bataille finale des deux « tendances » majoritaires qui se dégagent. Elle débouchera sur l’expulsion des « bakouninistes » (lors du Congrès de la Haye : 2-7 septembre 1872), la constitution immédiate, face aux « marxistes », d’une Internationale-bis, dite « antiautoritaire » fondée à Saint-Imier à la mi-septembre 1872, puis finalement le sabordage et la disparition (1876), voulus par Marx, de l’AIT, le relais se voyant formellement transmis aux embryons de « partis » nationaux qu’elle aura suscités cà et là, au petit bonheur la chance.

Aucun des moments décrits ci-dessus ne se voit vraiment privilégié. 
Le livre préfère rendre compte d’un processus, d’une évolution se faisant jour concrètement depuis la naissance nécessaire d’un mouvement jusqu’aux oppositions mortelles qui le minent. Ce qu’il présente et parvient à faire éprouver, c’est l’histoire organique d’une entité politique et de ses crises (de croissance ?) successives. Son rythme rapide et la manière alerte dont l’ouvrage pose à chaque étape un regard circulaire et synchronique sur une situation, avant de passer tout aussi nerveusement à l’étape suivante, permettent au lecteur de conserver transparent à l’esprit le souvenir déroulé de l’ensemble, depuis l’origine. La Genèse et le maintien, en dépit des obstacles, d’un désir d'association de classe, d’un désir subversif : tel en est pour nous le sujet essentiel, absolument moderne. Car dans cette successivité hachée et brutale, assumée comme méthode et proche de celle que durent ressentir - dans la douleur, eux, et l’incompréhension maximales - les principaux concernés internationalistes (d’ordinaire scientistes au possible, rappelons-le, c’est-à-dire volontiers équipés d'une philosophie de l’Histoire, de sa marche régulière et invincible, accessible à la raison pour peu qu’on bosse un peu, etc), des contradictions insurmontables, d’inexplicables retours en arrière, des stagnations désespérantes peuvent se voir dépassés ou, disons, apprivoisés. C’est ainsi : en nous renvoyant à notre propre désespoir face aux conditions présentes et à ce ballottement humiliant que nous subissons d’elles, ne comprenant rien et pourtant continuant, pour certains vaille que vaille, toujours animés de cet éternel désir de réappropriation, c’est ainsi, donc, que cette histoire de l’Internationale, loin des thèses et interprétations abstraites collant aux seuls objets morts, peut encore résonner, nous parler aujourd'hui.

La Commune de Paris, malgré son caractère mythique, n’occupe ainsi qu’un chapitre, conséquent bien sûr : à la mesure de cette sorte de piège dans lequel les internationalistes se retrouvèrent tous (au-delà même de leurs divisions) également embringués, comme tragiquement embarrassés (pour nombre d’entre eux jusqu'au massacre) par ce mauvais cadeau révolutionnaire dont ils ne surent que faire. 
De même, l’opposition particulière des deux géants de l'organisation - Marx et Bakounine - querelle spectaculaire dont les spécialistes « révolutionnaires » actuels achèvent tout juste de nous rebattre les oreilles (et encore !) faute de combattants, est relativisée. Chaque camp en présence mobilise des individualités fortes (la servilité supérieure des « marxistes » vis-à-vis de leur gourou demeurant cependant indéniable). Mais surtout, au-delà de ça, toute explication historique de fond se doublant immédiatement ici d'une redescente concrète au coeur des situations, la complexité de celle-ci apparaît alors, hiatus fréquent entre des dogmes assumés par les diverses fractions et la pratique des individus. L’esquisse de tel ou tel conflit entre des positions politiques d’aspect antagonistes, certes, s’accompagne vite d'une précision subjective, parfois ironique, parfois clairement scandalisée ou amusée, témoignant toujours en tout cas de la profonde empathie de l’auteur, de son intérêt pour ces échanges, ces paradoxes, ces séquences de « mauvaise foi » (Léonard emploie le terme à propos de Marx) de figures révolutionnaires toujours furieusement évocatrices. Varlin, christique, sérieux et irréprochable, et qui plaît également beaucoup aux filles. Marx, esprit aux prétentions universelles, se vexant comme un gamin de ne pas recevoir son remerciement de Bakounine, à qui il a envoyé le Capital dédicacé, etc. 
Les choses ont-elles vraiment changé ?
Se fait-on toujours vraiment la gueule aujourd’hui chez les radicaux, et quoi qu’on prétende, pour des raisons politiques valables et avouables ?
On peine, à la lecture de certains détails du livre de Léonard, à définir clairement cette fameuse fracture (sans parler de choisir son camp) entre « centralistes » et « anti-autoritaires » : fut-elle une béance théorique irrémédiable ? Plutôt une suite d’embrouilles subjectives qui seraient restées très longtemps rattrapables au prix d’un peu plus de souplesse (surtout de la part des « marxistes ») ? 
Après les retrouvailles de Marx et Bakounine à Londres en 1864 (ils s’étaient fréquentés à Paris quelque vingt ans plus tôt), Marx semblait, pour sa part, enchanté : « Bakounine t’envoie le bonjour, écrit-il à Engels, au lendemain de leur entrevue. Je dois avouer qu’il m’a beaucoup plu, plus qu’autrefois. (…) C’est, en résumé, un des rares hommes chez qui, après seize ans, je constate du progrès et non pas du recul. »
« La première phase du conflit, explique Léonard, que l’on peut voir comme une guerre de positions, avait été alimentée par des jalousies larvées, des inimitiés de mouvance, des rumeurs, des malentendus et des incompréhensions réciproques. »
« Je fréquente tous les partis, écrit Benoît Malon dans une lettre de 1869, démocrates, radicaux, proudhoniens, collectivistes, communistes, coopérateurs, etc, tout en restant moi-même un des plus énergiques communistes. Mais je vois partout des gens de bonne foi et cela m'apprend à être tolérant. »
Et James Guillaume jure, lui : « Je suis persuadé que s’il (Marx, n.MB) avait séjourné quelques semaines parmi nous, ses préventions injustes se seraient dissipées ; malgré les divergences théoriques, malgré les vues opposées sur la tactique, il aurait reconnu en nous les véritables propagateurs du socialisme ouvrier ; il aurait rougi de s’allier avec nos adversaires, des Coullery, des Grosselin, des Henri Perret, des Outine, lorsqu’il les aurait vus à l’oeuvre sur leur terrain d’opérations ; et les scandales du congrès de La Haye auraient peut-être été évités. »
On ne parle pas de la sorte, certes, d’un ennemi mortel, du moins inconciliable. Or, précisément, les fameuses questions du pouvoir, de l’État, du « parti révolutionnaire » opposaient-elles à ce point les deux bandes ? L’Internationale était-elle pour Marx cet embryon d’État oppressif dénoncé par les « anti-autoritaires » : un « Parti-État » ? « Ceci, déclare-t-il à un journaliste américain venu l’interviewer en 1871, impliquerait une forme centralisée de gouvernement pour l’Internationale, alors que sa forme véritable est expressément celle qui, par l’initiative locale, accorde le plus de champ d’action à l’énergie et l’à l’esprit d’indépendance. De fait, l’Internationale n’est nullement le gouvernement de la classe ouvrière, c’est un lien, ce n’est pas un pouvoir. »
Peut-on lui faire entière confiance sur ce point ? Difficile, bien que sa conception habituelle du « parti » (Marx prenant parti au sens où il assume sa préférence pour le camp des travailleurs, dans le cadre d’une guerre) demeure encore, en théorie, bien éloignée de celle de Lénine.
Au fond, les seules différences certaines entre les deux hommes résident dans la part de volontarisme devant idéalement, chez l’un et l’autre, féconder l’action : « Là où beaucoup, écrit Léonard, ont cru déceler les faiblesses théoriques d’un « Mahomet sans Coran », selon une formule de Marx, il y a chez Bakounine une analyse inédite et intuitive des rapports de domination. C’est par un rejet global de toute forme de domination, familiale, religieuse ou sexuelle, qu’il poursuit une idée directrice de liberté et de justice. » Il annonce, assurément, certaines tendances futures du mouvement communiste, pour lesquelles ce mouvement lui-même n’aurait ni sens ni existence coupé de cette primitive impulsion de révolte, de cette subjectivité ouvrière (ou « lumpeniste » comme le montre notamment l’intérêt bakouninien pour les lazzaroni napolitains) l’irriguant en permanence.

Au passage, d’ailleurs, après que Léonard eut présenté le credo d’une vie bakouninienne réussie : « En premier lieu, comme bonheur suprême, mourir en combattant pour la liberté ; en second lieu, l’amour et l’amitié ; en troisième lieu, la science et l’art ; quatrièmement, fumer ; cinquièmement, boire ; sixièmement, manger ; septièmement, dormir », on eût apprécié, par esprit de justice, qu’un hommage parallèle fût rendu aux capacités socialisantes de Marx déclarant volontiers apprécier les discussions d’ouvriers socialistes pour elles-mêmes, et que ces réunions de travailleurs occupés à fumer en palabrant constituaient non un simple moyen mais l’un des buts du socialisme. On eût aimé aussi quelques références à la bonne descente légendaire de Friedrich Engels, qui disait « avoir fréquenté tant les clubs que les pubs, donc pouvoir causer des deux » et dont les frasques de jeunesse sont encore connues de quelques-uns, de Tristram Hunt par exemple, qui dans son ouvrage Engels, le gentleman révolutionnaire présente les choses ainsi : « Engels passait son temps à refaire le monde philosophique en compagnie des jeunes hégéliens autour d'un verre de bière blanche fortement alcoolisée, spécialité berlinoise... Le cénacle accueillait à plusieurs reprises, entre autres, Bruno Bauer et son frère Edgar, le philosophe de l’ « Unique » Max Stirner, ainsi que Karl Köppen, historien et spécialiste du bouddhisme et Arnold Ruge, professeur dissident à l'université de Halle... Connue sous le nom de Die Freien (« les Affranchis ») - ou de « littérateurs à bière », selon le mot de Bauer-, cette bande d’intellectuels arrogants et provocateurs bravait ostensiblement la morale, la religion et la propriété bourgeoise. Dans ses Mémoires, Stephane Born, communiste avant la lettre et typographe apprenti, évoqua ce petit monde: « Bruno Bauer, Max Stirner et le cercle d’individus tapageurs qui les entouraient, et s’étaient fait remarquer en affichant leurs liaisons avec des femmes de mœurs légères… »
On trouve un ultime écho, fort comique à cette renommée particulière de Engels, dans l’Anti-Dühring lorsque est moquée la fameuse transition conceptuelle du professeur allemand « du statique au dynamique » : le contre-exemple d’un ivrogne, pressé, lui, de passer du « dynamique au statique » (c’est-à-dire de retrouver le chemin de sa piaule pour pouvoir enfin s’écrouler) est alors convoqué, et le passage est assez rigolo. Nul doute, donc, que ces deux-là devaient assurément constituer, autant que Bakounine, des compagnons de biture - entre autres choses - tout à fait acceptables, dès lors bien entendu qu’ils renonçaient à pontifier, et à donner des leçons de socialisme à tout le monde.

Mais pour en revenir à la « pure théorie » (attendu que du point de vue de Bakounine lui-même, le subjectivisme que l’on vient de lui reconnaître comme qualité suprême n’eût pas suffi à lui composer un corps de doctrine honorable), Léonard rappelle qu’au moment de solliciter (en décembre 1868) l’adhésion de sa fraction à l’Internationale, le russe s’était reconnu auprès de Marx - bien flagorneusement, d'ailleurs - un adepte intégral de l’ensemble de ses thèses : « Mieux que jamais je suis arrivé à comprendre combien tu avais raison en suivant et en nous invitant tous à marcher sur la grande route de la révolution économique, et en dénigrant ceux d’entre nous qui allaient se perdre dans les sentiments des entreprises soit nationales, soit exclusivement politiques (...) Ma patrie maintenant, c’est l’Internationale, dont tu es l’un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l’être. »
Dernier exemple significatif : Carlo Cafiero, alors qu’il purge une peine de prison pour insurrection dans la région de Naples (une « insurrection qui ne vainc pas » ainsi que la nomme Léonard avec malice) et que les ponts sont en principe coupés entre les deux fractions, enverra à Marx son Capital en abrégé, ce pour quoi l’autre le remerciera, jugeant publiquement qu’il s’agissait là d’une excellente synthèse populaire de ses idées.
C’est donc le comportement personnel de Marx qui semble en cause : autoritaire, effectivement, cassant, jaloux de son pouvoir, enfermé dans sa bulle théorique londonienne, nourri par l’héritage du bon copain Engels… Le fait que l’Internationale se trouve aux mains d’un tel personnage avait, certes, de quoi inquiéter. L’attaque de Bakounine (texte inédit de 1872) contre « l’État populaire de M. Marx » paraît significative : « Ce sera le règne de l’Intelligence scientifique, le plus aristocratique, le plus despote, le plus arrogant et le plus méprisant de tous les régimes. Cette suite d’épithètes ne serait-elle pas une manière, plus ou moins consciente, de désigner l’individu Marx lui-même, qu’on déteste autant qu’on l’admire ?
Si l’on s’en tient aux strictes professions de foi, aux divers « catéchismes révolutionnaires », Bakounine reste infiniment plus proche de lui que des proudhoniens, que des blanquistes mêmes (ceci bien que leur mode de fonctionnement : conspirateur, clandestin, favorisant les secrets de chapelle et donc les explosions autoritaires, paraisse les rapprocher du russe).
Pour le reste, les différences peuvent paraître subtiles. On en donne quelques-unes ci-dessous. Et puis chacun tranchera. Les leçons de guerre civile et les brevets de meilleur abolitionniste de l’État décernés depuis un comptoir de bistrot, ou au bas d’une chronique de blog littéraire, ça va cinq minutes.
Quand Bakounine, donc, prétendant adhérer avec les membres de son Alliance révolutionnaire à l’Internationale, fait parvenir à celle-ci les statuts de sa fraction, Marx tique sur des termes tels qu’« égalisation des classes », rappelant que lui prône plutôt « l’abolition des classes » et protestant que le terme bakouninien risque d’entraîner des confusions, qu’en penser au juste ? Du simple pinaillage ? Quand la nouvelle « Internationale anti-autoritaire » bakouninienne, issue de l’affrontement final, stipule que «la destruction de tout pouvoir politique est le premier devoir du prolétariat », la chose, au-delà du slogan, doit-elle être jugée pertinente, compatible avec le désir d’organisation ayant initialement présidé à la création de l’Internationale, complètement stupide, ou tout cela à la fois ?

Sur certains points, Marx apparaît plus pertinent, plus fiable. Le nationalisme, par exemple, lui est complètement étranger. Son analyse de la question irlandaise n’en est qu’un exemple parmi d’autres. En face, le racisme de Bakounine et de certains de ses proches (un antisémitisme obsessionnel doublé de germanophobie) est proprement hallucinant. Il choque Herzen qui tentera de le dissuader de publier son « Étude sur les Juifs allemands » laquelle, s’il l’eût achevée, se fût sans aucun doute révélée dévastatrice pour sa jolie postérité libertaire.
Marx et Engels cèdent parfois aussi, dans le discours, à des considérations apparemment nationales, jugeant au détour d'une moquerie ou d'une remarque purement conjoncturelle tel peuple dépositaire de telle ou telle fonction universelle, à l’ancienne (à la hégélienne). Mais il ne semble s’agir justement chez eux que d’un niveau de discours, certes réactionnaire : celui, encore imprégné de romantisme, auquel tout le monde (les internationalistes ne faisant pas exception) a volontiers recours à l’époque dès qu’il s’agit d'appuyer rhétoriquement une idée. Bref, une sorte de déchet oratoire écrit. Mais rien n’est certain. On retrouve là une ambiguïté comparable à celle recouvrant leur façon, tantôt brillante tantôt inepte, d’aborder la question féministe. Une réelle erreur de jugement est incontestable sur l’Espagne (une sottise d’ailleurs bien incrustée chez Marx et Engels, remontant à leur possible incompréhension ancienne de la réaction populaire espagnole – dialectique : à la fois conservatrice et grosse de subversion - à la poussée moderniste napoléonienne de 1808-1813). Elle privera durablement leur secte d’une implantation durable dans ce pays, dont le prolétariat, du coup, prendra très tôt l’Anarchie en sympathie.
Comment oublier aussi hélas ! l’attitude finale de nombre d’« anti-autoritaires » qui, à l’approche de la grande boucherie de 14, et après leur belle activité prolétarienne libertaire, s’en iront défendre, tels James Guillaume ou Kropotkine, la République française « des Droits de l’Homme et de la Civilisation » ?



jeudi 3 novembre 2011

Au bout du compte, l'artiste




« Tout ce qui est d’un même temps se ressemble ; les artistes qui illustrent les poèmes d’une époque sont les mêmes que font travailler pour elles les sociétés financières. Et rien ne fait mieux penser à certaines livraisons de Notre-Dame de Paris et d’autres œuvres de Gérard de Nerval, telles qu’elles étaient accrochées à la devanture de l’épicerie de Combray, que, dans son encadrement rectangulaire et fleuri que supportaient des divinités fluviales, une action nominative de la Compagnie des Eaux. »

               Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles en fleurs.