Sachant que les condamnations pour fraude sociale, en France, ont augmenté de 440 % entre 2004 et 2017, et que les condamnations pour fraude fiscale dans le même pays ont diminué, quant à elles, de 40% au cours de la même période, calculez le pourcentage global d'homophobes d'origine catholique ayant récemment quitté, en France, le gouvernement de droite libérale.
« La psychanalyse n’est pas appelée à résoudre le problème de l’homosexualité. Elle doit se contenter de dévoiler les mécanismes psychiques qui ont conduit à la décision dans le choix d’objet.... Elle est sur le même terrain que la biologie en ceci qu’elle prend comme hypothèse une bisexualité originaire de l’individu humain (et animal). Quant à l’essence de ce que, au sens conventionnel ou au sens biologique, on nomme "masculin" et "féminin", la psychanalyse ne peut l’élucider ; elle reprend à son compte les deux concepts et les met à la base de ses travaux. Si l’on tente de les ramener à des principes plus originaires, la masculinité se volatilise en activité et la féminité en passivité, ce qui est trop peu. »
(Freud, La psychogénèse d’un cas d’homosexualité féminine, 1920)
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« La psychanalyse se refuse absolument à admettre que les homosexuels constituent un groupe ayant des caractères particuliers, que l’on pourrait séparer de ceux des autres individus.... Pour la psychanalyse, le choix de l’objet, indépendamment du sexe de l’objet, l’attachement égal à des objets masculins et féminins tels qu’ils se retrouvent dans l’enfance de l’homme, aussi bien que dans celle des peuples, paraît être l’état primitif, et ce n’est que par des limitations subies tantôt dans un sens tantôt dans l’autre, que cet état se développe en sexualité normale ou en inversion.»
(Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905)
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« L’homosexuel ne relève pas du tribunal et j’ai même la ferme conviction que les homosexuels ne doivent pas être traités comme des gens malades, car une orientation sexuelle perverse n’est pas une maladie. Cela ne nous obligerait-il pas, en effet, à caractériser comme malades de nombreux grands penseurs et savants que nous admirons précisément en raison de leur santé mentale ? »
(Freud, réponse au journal die Zeit, qui lui demandait son avis quant aux soucis judiciaires alors rencontrés, pour motifs d'homosexualité, par une haute personnalité viennoise, 1903).
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Last but not least, la lettre reproduite ci-dessous est assez célèbre. Freud y éconduit, en termes polis et bourgeois, comme à son ordinaire, une mère de famille yankee et straight, désespérée que son grand garçon les préfère (les garçons). La malheureuse aurait-elle raté quelque chose dans son éducation ? Sans doute, mais comment en être sûr ? Heureusement, tout étant dans la tête (et réciproquement), la psychanalyse, cette science nouvelle de la tête, surgie depuis peu à la surface de notre Terre, que Dieu fit (et avouez que les choses sont tout de même bien faites) représenterait peut-être ce miracle d'espérance auquel l'adorable maman mériterait de s'abandonner dans les transes : la réponse, en somme, à tous ses problèmes. La gugusse contacte Freud en urgence. Elle a du blé. Elle paiera tout ce que le docteur exigera. Du moment qu'il accepte de soigner son pédé de fils, qu'il accepte de le faire redevenir normal. Voilà la réponse de l'excellent maestro-trichien :
« Vienne IX, Berggasse 19, le 9 avril 1935.
Dear Mrs X,
Je crois comprendre d’après votre lettre que votre fils est homosexuel. J’ai été frappé du fait que vous ne mentionnez pas vous-même ce terme dans les informations que vous me donnez à son sujet. Puis-je vous demander pourquoi vous l’évitez ? L’homosexualité n’est évidemment pas un avantage, mais il n’y a là rien dont on doive avoir honte, ce n’est ni un vice, ni un avilissement et on ne saurait la qualifier de maladie ; nous la considérons comme une variation de la fonction sexuelle, provoquée par un certain arrêt du développement sexuel. Plusieurs individus, hautement respectables, des temps anciens et modernes ont été homosexuels et, parmi eux, on trouve quelques-uns des plus grands hommes (Platon, Michel-Ange, Léonard de Vinci, etc.). C’est une grande injustice de persécuter l’homosexualité comme un crime – et c’est aussi une cruauté. Si vous ne me croyez pas, lisez les livres d’Havelock Ellis.
En me demandant s’il m’est possible de vous venir en aide, vous voulez sans doute demander si je puis supprimer l’homosexualité et faire qu’une hétérosexualité normale la remplace. La réponse est que, d’une manière générale, nous ne pouvons promettre d’y arriver. Dans un certain nombre de cas, nous parvenons à développer les germes étiolés des tendances hétérosexuelles qui existent chez tout homosexuel ; dans la plupart des cas, la chose n’est plus possible. Tout dépend de la nature et de l’âge du sujet. Le résultat du traitement reste imprévisible.
Ce que la psychanalyse peut faire pour votre fils se situe à un niveau différent. S’il est malheureux, névrosé, déchiré par des conflits, inhibé dans sa vie sociale, alors la psychanalyse peut lui apporter l’harmonie, la paix de l’esprit, une pleine activité, qu’il demeure homosexuel ou qu’il change.
Si vous vous décidez à le faire analyser par moi – et je ne pense pas que vous le voudrez – il serait obligé de venir à Vienne que je n’ai pas l’intention de quitter. Ne négligez pas, de toute façon, de me faire parvenir votre réponse.
Bien sincèrement à vous et avec mes meilleurs vœux.
Freud.
P.-S. – Je n’ai eu aucune difficulté à lire votre écriture. J’espère qu’il ne vous sera pas plus difficile de lire la mienne et mon anglais. »
De bien belles années, en somme. On n'abandonnait alors aux indigènes ni la virilité quotidienne, ni l'intelligence stratégique. Et quant à l'intelligence tout court, disons qu'on la partageait davantage. Le partage, c'est fondamental.
Ci-dessous, entretien avec Mohamed Mbougar Sarr au sujet de son troisième roman, De purs hommes, paru en France aux éditions Philippe Rey. Le thème de ce livre est le suivant : une vidéo virale, au Sénégal, montre une foule hystérique déterrant un cadavre pour le profaner. Ce qu'on reproche à ce corps, longtemps encore après sa mort même, c'est d'avoir été celui d'un homosexuel, d'un «homme-femme», dont le narrateur, bouleversé, va alors entreprendre patiemment de reconstituer l'histoire.
***
«Dans quel état d’esprit avez-vous écrit ce livre ?
Mohamed Mbougar Sarr : C’est le premier texte que je destine à un public en particulier, les Sénégalais, car il parle vraiment de cette société-là. Bien sûr, d’autres le liront, mais j’espère que mes compatriotes aussi. C’est aussi, chronologiquement, le premier roman que j’ai porté en moi. J’étais au lycée quand j’ai vu la vidéo qui ouvre le livre. Elle m’a marqué et a mis en crise ma propre opinion sur l’homosexualité. J’ai commencé à me poser les mêmes questions que le narrateur : qui était cet homme ? Qui est sa famille ? C’est à cet instant que j’ai décidé d’écrire.
Votre roman confronte deux visions de l’homosexualité au Sénégal. L’une dit qu’elle a été importée d’Occident.
MMS : Au Sénégal, beaucoup de personnes font preuve de cécité volontaire, voire d’un oubli tragique, en disant qu’il y a eu un temps pur où il n’y avait pas d’homosexuels dans le pays. Ceux-ci seraient arrivés avec la colonisation et l’homme blanc. Mais comme très souvent lorsqu’on accuse l’autre d’être l’agent de la décadence, on fait preuve de lâcheté et d’hypocrisie. Les homosexuels ont toujours existé dans la société sénégalaise. Il y a un paradoxe dans le fait de dire que nous sommes aussi dans l’humanité, dans l’histoire, et de vouloir s’en extraire sur la question de l’homosexualité. Il n’y a aucune raison pour que des mœurs qui concernent l’humanité n’aient pas eu cours au Sénégal. Ceux qui accusent les Occidentaux d’avoir importé l’homosexualité se trompent.
L’autre vision dit que les homosexuels avaient autrefois un rôle dans la société sénégalaise.
MMS : En écrivant ce livre, j’ai rencontré des personnes qui m’ont parlé d’une époque où les goor-jigeen (les "hommes-femmes", en wolof) marchaient tranquillement dans la rue. Ce mot désignait un travesti, qui était peut-être homosexuel. Les goor-jigeen aidaient les femmes dans la préparation des cérémonies et des sabar, les fêtes traditionnelles. Ils étaient souvent les seuls à connaître des poèmes ou des paroles amusantes qui faisaient oublier aux gens la dureté de la vie. Les gens les aimaient pour cela et oubliaient qu’ils pouvaient aussi les détester profondément. En somme, un bon homosexuel au Sénégal est soit un homosexuel qui se cache, soit un amuseur public, soit un homosexuel mort. Pourtant, il y a des sortes de carnavals où les hommes se déguisent en femmes, et inversement. Cela pourrait nourrir une réflexion sur les genres, leur influence et leur porosité. Mais les personnes qui pourraient s’intéresser à ces sujets ne le font pas à cause de la pression sociale.
C’est cette pression sociale qui empêche selon vous le débat ?
MMS : Essayer ne serait-ce que de réfléchir à l’homosexualité, c’est s’exposer à un danger. C’est se rendre compte qu’on est moins radical qu’on le voudrait et donc qu’on est dans le péché. Alors les gens se rangent derrière les lieux communs : "Ils sont malades, il faut les soigner", "Ils l’ont choisi et le font par provocation", etc. Ces paroles empêchent de se demander : " Est-ce que je n’ai pas un ami, un fils, un frère dont je sais ou sens qu’il est homosexuel, et dois-je arrêter de lui parler ?" Malheureusement, le pouvoir religieux a une emprise très forte sur les esprits. Même les hommes politiques ou les universitaires doivent avant tout faire allégeance au pouvoir religieux. Si la situation de l’homosexualité au Sénégal doit évoluer, les religieux se défendront très fortement. On ne fera pas l’économie d’un moment extrêmement violent, dans les débats ou dans les actes.
À quelles réactions vous attendez-vous au Sénégal ?
MMS : Mon roman ne circulera vraiment au Sénégal que dans quelques mois. Ce sera l’épreuve de vérité. Je sais que certains se dispenseront de le lire pour se faire leur opinion. D’autres, qui l’ont lu, m’ont dit avoir été choqués et pensent qu’il peut être dangereux et difficile à accepter dans un contexte sénégalais. On verra. Au Sénégal, on s’expose lorsqu’on pense différemment sur certains sujets. L’homosexualité fait partie de ces lignes rouges. »
Nos années de jeunesse, à l'espace Ornano, du côté de Simplon, en sortant de chez le gros Serge. Les Washington Dead Cats y avaient, par exemple, été précédés des Busters +Skarface au début des 90's : bon concert, ça, en l'occurrence (quoique un peu tendu dans les coins, si notre mémoire ne nous trahit) où un hommage avait été rendu par ces derniers aux vieilles tribus d'Angleterre (sic) mythologisées : à savoir les Teds, Skins, Punks et compagnie. Changement de ton, la semaine d'après, donc, dans la même salle, où on avait, comme il se doit, balancé force légumes défraîchis et farine poisseuse à la gueule de l'assistance juvénile réunie et réjouie. Mathias, des Wash, se faisait largement traiter de pédé, à l'époque, parmi cette scène psycho extrêmement conservatrice sinon réactionnaire, que nous fréquentions fort et dont certains très virils « chasseurs de skins antifascistes » (rires dans la salle) se revendiquaient volontiers. Nous n'avions, quant à nous, déjà, aucun problème avec les pédés : plutôt, à l'inverse, un rapport d'étrangeté très marquée, et incrédule, vis-à-vis de ceux (ou celles) que ces questions de désir homosexuel ne venaient jamais effleurer (prétendaient-ils ou elles). Nous en causions facilement. Nous étions bien les seuls (les gays clandestins - premiers concernés - mis à part, bien entendu, mais nous ne les connaîtrions tels, ceux-là, que bien plus tard, trop tard, hélas !). Déjà, en somme, la volonté de savoir absolument innocente, la rationalité froide et chaude et sa sincérité adéquate désarmante, sur ces questions comme sur toute autre, nous paraissaient naturellement salutaires et libératrices. Mais c'était là, faut dire, une tout autre période. Aujourd'hui, du chemin épistémologique a été parcouru, du temps a passé, du progrès a été effectué : la Terre est plate, comme vous savez, et il convient désormais de respecter toutes les « races ». Et, avec elles, tous leurs prophètes de malheur. Rideau.
Ci-dessus : fantasme impossible décidant sans prévenir - comme ça, d'un coup - de questionner l'impossibilité de son possibilisme (New York City, 1969).
« Le pouvoir ne peut faire l'objet ni d'une résistance ni d'un refus, il peut seulement être redéployé. À vrai dire, selon moi, ce que devrait viser la pratique gay et lesbienne, c'est le redéploiement subversif et parodique du pouvoir, plutôt que le fantasme impossible de son dépassement radical. »
«Quand ils voient la structure du corps humain, ils sont frappés d'un étonnement imbécile et, de ce qu'ils ignorent les causes d'un si bel arrangement, concluent qu'il n'est point formé mécaniquement, mais par un art divin et surnaturel de telle façon qu'aucune partie ne nuise à l'autre.»
« Dans
la folie divine, nous avons distingué quatre parties. Nous avons rapporté à
Apollon l’inspiration divinatoire ; à Dionysos, l’inspiration
initiatique ; aux Muses, l’inspiration poétique ; la quatrième,
enfin, la folie amoureuse, nous
l’avons rapportée à Aphrodite et à Éros. Et nous avons déclaré que la folie
amoureuse était la meilleure. Et puis, je ne sais comment, alors que nous
dépeignions la passion amoureuse, nous avons probablement atteint d’un côté
quelque vérité, tout en nous fourvoyant de l’autre peut-être : composant
avec ce mélange un discours qui n’était pas totalement dépourvu de force
persuasive, nous avons fabriqué, par manière de jeu, un hymne qui racontait un
mythe, plein de convenance et de retenue, en l’honneur de ton maître et du
mien, Phèdre : Éros, qui veille sur les beaux garçons.
PHÈDRE
Pour ma part, il ne m’a pas déplu de
l’entendre. »
Ray Chenez, Juan Sancho, Max Emanuel Cencic et Vince Yi dans Catone in Utica.
Ce soir, dans une poignée de
minutes à peine, à l'occasion de la très sordide défaite de la musique, aura lieu à l'Opéra Royal de Versailles l'ultime
représentation du Catone in Utica
de Leonardo Vinci (1690-1730), compositeur bien oublié quoiqu'il eût été
considéré, en son temps, comme l'un des grands maîtres de l'opéra napolitain,
rival de Porpora et formateur de Pergolèse. Malgré de rares incursions dans le
registre comique, son oeuvre est constituée, pour l'essentiel, de pièces sérieuses antiquisantes à dominante historico-politique : tel
ce Catone in Utica, narrant
l'affrontement - en 46 av. J.C - de Jules César et du républicain Marcius
Porcius Cato, dit Caton, dans le cadre des guerres civiles opposant César et
Pompée. Leonardo Vinci personnifie, via ses deux protagonistes, les principes
de gouvernement romain républicain
(ceux, collégiaux, des cités-états comme Venise ou Gênes) et dictatorial-impérialiste - en se démarquant prudemment et subtilement - de l'un et de l'autre pour minimiser,
évidemment, les risques de persécution politique. À Caton, l'inflexible
puritain, replié sur ses valeurs et sur sa rigidité familiale, se voit donc
opposé un César, certes dominateur et ambitieux mais d'autant plus coulant et
disposé au compromis avec Caton qu'il aime en secret la fille de ce dernier, et
qu'une capitulation honorable assumée par Caton se verrait ainsi davantage
présentée par César comme une espèce d'alliance familiale, destinée à empêcher
que la guerre ne se déchaîne entre deux braves, que le sang ne coule
inutilement, etc. Tout cela ira se déroulant à force de moult intrigues,
trahisons, retournements et poignardages en tous sens dont nous vous passerons
le détail. Le livret est de Métastase, autrement dit proliférant. Et si le show se révèle à ce point éblouissant, ce n'est bien
entendu pas de son fait. On jugera même souvent à bon droit le texte de ce Catone
in Utica carrément insignifiant, d'autant
qu'il est, suivant la norme, régulièrement - hypnotiquement - répété à satiété, afin de permettre l'étalage de ces seules
variations lyriques de toutes sortes faisant l'extraordinaire de l'oeuvre :
l'accent est évidemment mis ici sur la performance technique, vocale, induite par la présence sur scène
d'une majorité de contre-ténors interprétant des rôles de femme, le caractère
éminemment et plaisamment homo-érotique d'un tel renversement trouvant sa
vérification logique dans la présence massive, à l'Opéra de Versailles, d'un
public gay et lesbien (correctement pourvu en numéraires, tout de même) ayant parfaitement aperçu dans le baroque de ce Catone
in Utica l'exemple absolu de son foyer
joyeux, de sa Terre natale protectrice, et rassérénante, dont l'Histoire
cruelle, en dépit de ponctuels coups de pression et de fouets sanglants, ne
devrait jamais perdre le souvenir.
Il est singulièrement ironique - et
ladite ironie a été maintes fois relevée - que ce soit à l'initiative de
l'Église, soit le corps positif d'une Chrétienté hostile par principe à
l'indifférenciation de genre (menant droit,
comme chacun sait, si l'on n'y prend bonne garde, à la fin de la perpétuation
des races par abandon de la génitalité hétérosexuelle) que l'art des castrats, ceux-là
mêmes dont la nostalgie universelle appelle aujourd'hui le succès,
considérable, de leurs substituts haute-contre ou contre-ténors, autrement dit falsetti, ait atteint voilà quelques siècles son apogée. Cette
ruse de la raison tient évidemment à la haine particulière connexe
dans laquelle le christianisme a toujours tenu la Femme, ce vil " sac de fiente" comme disait
Tertullien, sorte de militant de l'État Islamique-Chrétien des tout premiers âges héroïques."
Mulieres in ecclesiis taceant (Laissons les femmes à l'église dans le silence)
", préconisait quant à lui Saint Paul,
à l'unisson, là, d'un monothéisme juif tenant lui aussi en immense suspicion
l'art féminin du chant, jugé fort influent sur le désir sexuel mâle, et donc
infiniment dangereux. En d'autres termes : Dehors les gonzesses !nous trouverons bien de quoi vous remplacer
avantageusement pour ce qui est des voluptés musicales! Ou plutôt, cela va de soi
: des voluptés célébrant la seule grâce de Dieu. Un décret de Sixtus Vinterdit opportunément, en 1588, la présence des
femmes sur la scène romaine.
La présence, cependant, et
l'importance chorales des castrats sont avérées bien antérieurement, par des
textes byzantins notamment : dès la fin du quatrième siècle. Ce qui fut toujours
visé à travers eux, c'est explicitement la production en série de voix
d'anges destinées à évoquer, le plus
fidèlement possible, l'ambigu séduisant
des légions célestes. Mais là où se produisit, comme dirait l'autre, quelque
part un raté, c'est que dans
cette recherche de l'asexué,
autrement dit dans le retranchement
- à tous les sens du terme - d'un organe, mâle, surgit au bout du compte (et de
la soustraction) quelque chose en plus, et de plus érogène. Ce plus n'est autre que la conjonction, imprévue ou non-aperçue au départ, chez le castrat,
des qualités féminines ET viriles,
le castrat se trouvant irrésistiblement paré du charme sulfureux des deux
sexes, et d'une capacité - inédite, diabolique - au passage
progressif, insensible quoique sensible, de l'un à l'autre. En voulant bannir le féminin du théâtre, les curés
n'auront, somme toute, réussi qu'à réinstaller sa puissance de
trouble, encore augmentée de la très-érotique virilité phallique. Car il convient de rappeler ici que la "
castration " subie par les castrats ne les empêche ensuite, quand elle ne
les a pas tués purement et
simplement, ni de bander ni de jouir.
André Brousselle et Vanda Tabery présentent ainsi l'opération physiologique -
ses tenants et aboutissants - pour ce qui concerne l'Italie du XVIIIème siècle
(où la castration était alors désormais formellement, tartuffement proscrite), dans
leur magnifique article Entre sexe et genre, la voie de l'opéra (Topique
n° 128, Entendre Wagner,
septembre 2014) :
" Presque tous [les
futurs castrats] venaient du sud de l'Italie, de familles
extrêmement pauvres (ex : Farinelli, issu d'une fratrie où quatre de ses frères
ont subi le même sort). Les garçons étaient d'abord auditionnés par un
pédagogue afin d'apprécier les qualités nécessaires requises avant la
castration. Celle-ci était passible de peine de mort, y compris pour ceux qui
en étaient informés avant. La règle était que le jeune garçon lui-même demande
l'intervention à son père, et que les familles prétextaient par la suite "
un accident ", le plus souvent la chute de cheval ou une morsure de chien
ou de sanglier. La castration, effectuée jamais avant l'âge de 7 ans et après
12 ans, avait pour objectif d'empêcher la mue, c'est-à-dire l'abaissement
naturel de la voix d'une octave ; ainsi le larynx gardait ses proportions de
larynx d'enfant. Elle consistait à faire une incision à l'aine, suivie d'une
extraction et ablation des testicules ; elle pouvait encore consister en
ligature des canaux spermatiques. La qualité de la voix à venir n'était pas
garantie et le taux de mortalité oscillait autour de 20 %. Après la castration,
l'apprenti chanteur travaillait intensément sa technique vocale entre 10 et 15
ans afin d'obtenir les résultats nécessaires pour débuter sa carrière. Son
larynx avait gardé la souplesse et la taille du larynx d'un enfant et d'une
plasticité exceptionnelle des cordes vocales, obtenues par la castration, cela
rendait possible un entraînement vocal d'une dureté et d'une durée légendaires.
La voix des castrats était décrite comme plus légère que la voix masculine,
plus brillante et d'une qualité supérieure à celle d'un enfant. Son timbre
était intense et largement supérieur sur le plan sonore-acoustique à la voix
féminine ou à celle des falsetti. " (op.
cit. p. 22)
Or, ce sont aujourd'hui ces falsetti, ces voix de fausset, qui permettent, seules, d'approcher la réalité
irrémédiablement éteinte de ce qui fut la voix de castrats. Aussi doués et
stupéfiants soient-ils, les professionnels spécialistes de ce genre de
performance n'en recourent pas moins à une forme d'artifice vocal (basé sur l'ouverture
relative de la glotte) pour produire des sons de cette étrange qualité, sans
rapport avec leur tessiture et capacité ordinaire, parfois médiocre. Le castrat
avait une voix authentiquement mixte,
son chant " de poitrine " portait en lui-même, à chaque
instant, l'ambiguité de son état
physiologique. Le falsetto, lui -
ou le contre-ténor - contemporain s'ampute ponctuellement de la part masculine
de son timbre pour atteindre, à tel moment crucial, la hauteur d'émission
voulue : " La raison de ce qui semble comme une plus grande
virtuosité est la suivante : la production de ce type de sons n'exige pas un
véritable travail d'égalisation des registres (...) presque tous les musiciens
de sexe masculin auront plus de facilité à exécuter des passages rapides et à
produire un pianissimo en falsetto que dans le registre de pleine voix de tête.
L'auditeur non-informé des réalités vocales reste stupéfait devant "
l'aisance ". (R. Miller, La
structure du chant). C'est cet aspect
faussé, " faux " (falsetto)
de la performance haute-contre, au regard de l'authentique mixité
structurale des voix de castrats, qui,
selon Brodnitz, la faisait quelque peu mépriser - comme inauthentique - des
Maîtres italiens du bel canto. Brousselle et Tabery, eux, écrivent : "
Les haute-contre "évitent" ainsi le travail pénible mais crucial de
la voix mixte où se décide la négociation entre les différents registres de la
voix masculine et qui permet un équilibre dans le mécanisme fonctionnel des
muscles (thyro-aryténoïdiens et crico-thyroïdiens) et qui assure la possibilité d'une transition progressive du
timbre (souligné par nous, op. cit.,
p. 30)."
Au plan psychanalytique et
dialectique, on comprend que l'insistance religieuse à accentuer l'appartenance
à un genre jusque dans l'intervention chirurgicale pratiquée sur les organes
génitaux enfantins - déjà suspects d'accuser quelque évocation du genre opposé
- et donc jusqu'à la mutilation rituelle (excision, circoncision) puisse
déboucher sur le retour de ce qu'elle entendait nier. Ici, donc, ces curetons
n'en pouvant plus, ces temps-ci, de manif-pour-tous etd'anti-théorie-du-genre-à-l'école, furent indéniablement les promoteurs de
l'ambivalence, les précurseurs de ces gender studies qui les terrifient tant,
et qui postulent un simple apprentissage du sexe, par domination historique
hétérosexuelle, contrastant avec une indifférenciation générique originaire. La
psychanalyse, quant à elle, posant à la fois l'ambivalence irréductible de
genre mais l'appartenance de sexe comme un " destin " anatomique, ne
connaissait pas encore, à l'époque de Freud, la possibilité d'un recours
chirurgical (la libération par la
castration) à une modification de ce type de destin, opération chirurgicale
simplement conçue par les transsexuels comme mise en conformité des états psychique et physiologique. Il est
notable, dans les deux cas, que la castration réelle, ou le souvenir de la
castration réelle à ce point massive dans l'histoire esthétique, l'histoire de
la sublimation, ait mené (au regard de l'angoisse
hypothétique de celle-ci, décisive
dans la construction de la psyché) aujourd'hui les auditeurs amateurs de
contre-ténors et substituts " castrés " de ce genre vers le plaisir trouble de l'indistinction de genre. Souvenirs
souvenirs, je vous garde dans mon coeur (et
ailleurs). D'autant qu'en castrant les jeunes gens pour en faire des chanteurs,
l'Église, outre la masculinité, abolissait aussi en eux le cours du temps (voir plus haut, l'arrêt de l'évolution
physiologique, notamment du larynx, provoqué sur le mutilé), perpétuant, d'une
certaine manière, l'importance d'un organe au sujet duquel il revient en
principe, seul, à l'enfance de mener son enquête. Une enquête contrariée,
certes : une enquête qui dure, dans son échec et sa frustration mêmes. Serait-ce
ainsi que les curetons entendaient sans le savoir, de toute éternité, ainsi que
nous l'enseigne L'Avenir d'une illusion, nous assujettir au Père sévère ?