samedi 31 mars 2018

Bon tuyau du dimanche (2)

Bon tuyau du dimanche


Qui sait ?


« Dans les conditions de vie accablantes qui pèsent sur nous, les gens ne demandent pas la lucidité, ils demandent un opium quelconque, et cela, plus ou moins, dans tous les milieux sociaux. Si on ne veut pas renoncer à penser, on n'a qu'à accepter la solitude. Pour moi, je n'ai d'autre espérance que de rencontrer çà et là, de temps à autre, un être humain, seul comme moi-même, qui de son côté s'obstine à réfléchir, à qui je puisse apporter et auprès de qui je puisse trouver un peu de compréhension. Jusqu'à nouvel ordre de pareilles rencontres restent possibles — la preuve en est que nous nous écrivons — et c'est un bonheur extraordinaire, dont il faut être reconnaissant au destin. Qui sait si un de ces jours un régime "totalitaire" ne viendra pas pour un temps supprimer presque entièrement la possibilité matérielle de telles rencontres ? »

(Simone Weil, lettre à Jacques Lafitte du 14 avril 1936)

Journalisme

Afrin-city, Northern Syria, nowadays. From a « reliable » mainstream Turkish media...

The interviewed guy says in Kurdish : « Free Syrian Army militias are thieves, looters. They stole our belongings. They raped three girls ranging in age from 10 to 15. » But the turkish translation strangely goes : « YPG (kurdish militias) don't belong here. They stole our belongings and seized our houses. They killed our people. »

***
Ci-dessus, la cité d'Afrine, récemment conquise par les troupes turques et leurs alliés djihadistes de l'Armée Syrienne Libre. Étant donné, donc, que la liberté a désormais céans très clairement triomphé du terrorisme mortifère (des YPG), en conséquence l'envoyé spécial d'une grande chaîne de télévision sérieuse-généraliste entreprend de déambuler librement au beau milieu de toute cette zone libérée peuplée de gens libres savourant librement leur liberté retrouvée. L'idée, bien entendu, étant d'interviewer quelques-uns de ceux-ci, sitôt que l'occasion s'en présentera, afin de faire partager au public le plus large possible ne serait-ce qu'un petit rien de cette liesse générale décidément indescriptible. C'est ainsi que notre courageux journaliste, liberté chérie en bandoulière, tombe sur (ou alpague, c'est selon) un habitant kurde lambda, dont il s'empresse de recueillir le témoignage. Papy, te voilà libre ! Libre, tu entends ! Les marxistes athées assoiffés de sang des YPG, du PKK, des FDS et autres vermines éternelles alliées de l'impérialisme américano-sioniste sont loin d'ici : ils ont fui la queue entre les jambes, ces rats, plutôt que de sacrifier virilement à leur cause indigne toute la population civile de la ville assiégée, comme on aurait pu l'attendre de vrais militaires dignes de ce nom. Ils n'iront pas loin. Mais en attendant de les faire pister, retrouver, traquer, exterminer un peu plus tard, un peu plus loin, par nos glorieuses forces de libération couvrant fraternellement les arrières de la très sublime Armée Syrienne Libre, plus rien à craindre, donc. Tu peux enfin clamer ton bonheur d'habitant libéré à la face du monde. Ne nous remercie pas. C'est cadeau. On est comme ça. Vas-y : lâche-toi !

En dépit de tout ce qu'on pourra constater ci-dessous, ce n'est certainement pas une bête et mesquine nuance, quasiment imperceptible, entre ce que déclare alors d'abord réellement le vieil homme dans sa langue natale, et puis ce qu'est devenu ensuite son témoignage prestement traduit en turc, qui pourrait gâcher la fête, tarir nos larmes de joie. Force restera à la loi (antiterroriste) et à la vérité (antiterroriste) comme à la beauté des choses (antiterroriste aussi)...

On vous la fait courte. L'interviewé, en kurde : « Les milices de l'Armée syrienne libre sont des voleurs, des pillards. Ils ont volé nos affaires. Ils ont violé trois filles âgées de 10 à 15 ans. »

Traduction en turc : « Le YPG n'a pas sa place ici. Ils ont volé nos biens, saisi nos maisons et massacré notre peuple. »


Merci de votre fidélité.
À demain, 20 heures.
  

vendredi 30 mars 2018

La volonté délivre (le petit commerce)



(message à fort contenu politique-critique, 
débusqué sur le site de jeunes entrepreneurs nietzschéens innovants 
et chefs de PME/PMI futuristes marseillais, confrontés bientôt, 
on l'espère de tout coeur, 
aux mêmes difficultés que leurs ouvriers et employés, 
mars 2018)

jeudi 29 mars 2018

Alina Sanchez (Lêgerîn Çiya)

Si vous le dites


Les cinq co-auteurs de ce livre sont professeurs d'université ou maîtres de conférence. C'est le cas de Sylvie Tissot, par ailleurs proche d'un groupe — Les Indigènes de la République — essentiellement constitué d'universitaires et actif dans les milieux de la petite-bourgeoisie intellectuelle. L'une des marottes théoriques de ce groupe est l'existence objective des races humaines. En somme, les races existent mais les bobos, eux, n'existent pas. Tu as compris, là : ça y est ? Ou il faut encore développer ? Le problème des idéologies dominantes, en régime de classe, s'est toujours rapporté à cette très efficace expression populaire selon laquelle on n'est jamais si bien servi que par soi-même...   

mercredi 28 mars 2018

Et pourquoi pas demain des neurones !


« Le mariage homosexuel est la porte ouverte à la PMA et la GPA et pourquoi pas demain les bébés éprouvettes ! »

(Jordan Bardella, porte-parole du Front National, mars 2018)

mardi 27 mars 2018

Cultural studies ?

« Culturalisme est un terme 
que je refuse... »
(E. P. Thompson, Misère de la théorie : 
contre Althusser et le marxisme anti-humaniste)

Nouvelles du paradis post-moderne


Linda Brown

lundi 26 mars 2018

Comment des classes sont-elles possibles ?


Il est probable que ce soit là le problème fondamental de toute philosophie, depuis le début. Les idées sont-elles réelles ? c'est-à-dire : existent-elles fondamentalement ailleurs que dans notre tête ? Ce qui nous intéresse ici, en matière d'idée, c'est ce dont elles procèdent invinciblement, à savoir cette tendance immanente chez l'homme à la constitution de classes épistémologiques, au regroupement générique et conceptuel de singularités considérées, quant à elles, comme incontestablement existantes par l'attitude naturelle. Aussi sûr que ce support individuel des idées existe, voire même leur préexiste, l'homme, cependant, ne peut, d'un autre côté, éviter de produire des concepts, de constituer des classes. S'agirait-il, alors, simplement d'illusions nécessaires ? Du reflet (simplement humainement et pathologiquement produit) d'une matière physique formant, elle, dans son agencement singulier, la seule réalité digne de ce nom ? Dans le cas contraire, l'existence réelle des idées signifierait l'existence réelle de ces classes, genres, familles, espèces, bref : toutes ces catégories primant, d'une certaine façon, les individus qui s'y rattachent, et occupant relativement à eux le statut de condition. La classe Homme m'aurait ainsi précédé dans mon apparition singulière sur Terre — à cette apparition succédant une disparition tout également discrète et de peu d'importance en terme de réalité, vis-à-vis de ce regroupement, de cette classe (Homme) seule décisive ou substantielle (aux plans logique et temporel). Pas de classe Homme, cependant, la chose est évidente, sans hommes réels. Pas de classe Blanc sans hommes ou objets blancs réels, dont la classe ne procède, dans cette perspective, que comme abstraction intellectuelle, donc aussi : comme convention, certains humains pouvant, de manière contingente et isolée, attacher à des réalités des catégories ne recouvrant, du point de vue d'autres humains, soumis à d'autres contextes, aucune pertinence ni existence. Les Inuits, par exemple, disposent de centaines de nuances lexicales renvoyant à autant d'états blancs ultra-différenciés de la neige, cette foultitude de catégories pouvant passer, aux yeux du Français ou du Sénégalais lambda, pour une vue arbitraire de l'esprit. Un sociologue libéral, de même, ne s'accordera pas avec un sociologue marxiste sur les critères constitutifs d'éventuelles classes sociales, etc. Pas de famille, en somme, dont l'homogénéité ne pose, au moment de la constituer, quelque redoutable problème, et dont, de fait, la «fabrication» intellectuelle ne paraisse relever du coup de force théorique imposé à la Nature, ainsi que les hésitations de Darwin, par exemple, le montrent clairement, au moment où il s'efforce de rattacher tel ou tel individu biologique à telle famille (dont se trouvera exclu tel autre, au nom de critères morphologiques douteux à force d'instabilité) : 

« Après avoir décrit un ensemble de formes comme des espèces distinctes, je déchire mon manuscrit et j'en fais une seule espèce, puis je déchire cela de nouveau et j'en refais des espèces distinctes, après quoi j'en fais de nouveau une seule espèce ; lorsque cela m'arrivait, je grinçais des dents, je maudissais les espèces et je demandais quel péché j'avais commis pour être puni de la sorte » (Lettre à J. D. Hosker, 25 septembre 1853). 

Comme l'affirme sans ambages Samuel Buker : « C'est l'origine des variations, quelle qu'elle soit, qui est la véritable origine des espèces » (cité in Gertrude Himmelfarb, Darwin and the darwinian evolution). Pour Linné, au contraire, la classification fixiste, la taxinomie, c'était la science elle-même : « Botanica innititur fixis generibus » (in Philosophie botanique). Autrement dit : je ne commence à exister réellement, scientifiquement, qu'affilié à une classe. La science ne faisant là, dans son projet fondamental de mise en ordre rigoureuse de l'univers, que répondre à la providence de Dieu ayant distribué à chaque individu, pour lui donner sa densité d'existence propre, une essence absolument distincte, de toute éternité. Le nom, et par extension la classe, sont consubstantiels à l'être. Ce que l'athée Darwin est, malgré tout, obligé de constater, c'est, à l'inverse, que la variabilité spécifique semble bel et bien fondatrice, sans qu'il puisse l'expliquer au juste, en rendre raison, ni congédier complètement (non plus) la possibilité scientifique de classer, ranger, abstraire, associer par classes et familles. Impuissance relative fournissant ou renforçant l'argument classique du scepticisme empiriste, lequel constate, ou prétend constater avec candeur (prenant le bon sens à témoin, à l'aune d'une matérialité réelle — ou du moins : réellement perçue par le tout-venant) l'incapacité nécessaire de toute science, de toute rationalité organisée, à prouver le bien-fondé de ses présupposés. Ainsi donc, ricane le sceptique « nominaliste », la classe des chiens serait réelle, tout comme celle, au-dessus d'elle, des mammifères ? Montrez-moi donc un chien réel, qui ne soit ni un doberman, ni un berger allemand, ni un caniche... ; un mammifère qui ne soit ni un phoque ni M. Erdogan ni une hyène tachetée, etc. Montrez-moi, enfin, où existerait réellement, dans quel domaine délimité de la matière, les genres suprêmes (forcément peu nombreux) régissant l'être en dernière instance ! Toute science est, en effet, par définition architectonique. Elle veut (ne serait-ce qu'inconsciemment) constituer des systèmes qui soient tendanciellement à la fois toujours plus amples, plus englobants et plus réduits numériquement. Que M. Erdogan, par exemple, appartienne finalement au genre humain, animal ou minéral, c'est en tout cas bien cette appartenance tranchée, l'établissement final de celle-ci en ce qui concerne une individualité donnée (devant toujours venir in fine trouver sa place adéquate au sein d'un système) qui constitue le but immanent de l'attitude scientifique. Celle-ci commence ainsi par rassembler des éléments empiriques suivant des lois (ou, plus prudemment, des régularités statistiques, constatées dans le réel) ; puis, chaque système ayant progressivement défini un corpus de plus en plus exclusif, déterminé des frontières de plus en plus distinctes vis-à-vis d'autres systèmes, la science tend ensuite à effacer lesdites frontières au gré de paradoxes et d'obstacles toujours plus saillants et perturbants, en direction (ne fût-ce, une fois encore, que spontanément et heuristiquement) d'un réductionnisme intégral, quel qu'il puisse être, amalgamant finalement les comportement et structure de tous les éléments du réel. C'est ainsi que les phénomènes de la « vie » se trouveront rattachés aux phénomènes de la «matière vivante», cette dernière n'en venant bientôt plus qu'à constituer un mode de la «matière» en général. Soumis aux mêmes nécessités objectives, physiques et bio-chimiques, M. Erdogan et un rat adulte, par exemple, une bactérie, un bout de poireau seraient ainsi tous justiciables de la même froide considération scientifique abstraite de la singularité, n'accordant aucun avantage épistémologique à quelque espèce que ce soit, à des catégories sinon en quelque sorte coupablement «auto-centrées». La notion même d'émergence systémique caressée par certains biologistes, posant des effets de seuil au-delà desquels — passé un niveau de complexité d'organisation — tel système nouveau constitué par rassemblement cellulaire (l'organe, le muscle, le neurone) fonderait, dans cette émergence et nouvelle échelle macroscopique même, de nouvelles modalités de fonctionnement (bref : une nouvelle identité exclusive), cette notion sera contestée par d'autres, attachés pour leur part au stade microscopique indifférencié, jugé seul décisivement réel. Pour J.-P. Changeux, par exemple, l'homme se réduit à ses neurones, et voilà tout. Pour d'autres, ce pourra être l'ADN. Les adversaires épistémologiques de la conscience, du sujet intelligent, de la raison distincts ont de fait toujours insisté, quels qu'ils soient et depuis des siècles, sur l'antériorité hiérarchique d'un niveau élémentaire de réalité ne constituant qu'imaginairement telle ou telle identité seconde finalement enclose et systématique. De Hume à Deleuze, l'homme n'est ainsi considérable radicalement comme ensemble, comme système identique, qu'à titre illusoire : il se présente en revanche comme prolifération ou différence élémentaire réelle. Je ne pense jamais, ni ne chie ni ne baise, car JE n'existe pas : ça mange, par contre, ça chie, ça baise. À l'intégrité d'un ensemble (celui du corps, de la conscience, du regroupement identitaire émergent de cellules) se substitue une genèse perpétuelle reconfigurant, au gré de forces impersonnelles, une matière d'être univoque. Au point que l'ontogenèse même d'un individu devrait se voir lexicalement et philosophiquement congédiée, pour faire encore trop de cas résiduel de l'identité (le préfixe «onto» renvoyant dangereusement à l'autoritarisme, à l'arbitraire constitutifs d'un système exclusif : d'un système un, impliquant, par exemple, les corps et conscience du seul M. Erdogan, par opposition à ceux de MM. Trump ou Poutine). C'est ainsi la différence qui fonderait seule la genèse (M. Erdogan étant, si l'on peut dire, déjà beaucoup de monde à lui tout seul)et qui la poursuivrait, l'« hétérogenèse » (Guattari) primant toute ontogenèse. Notre problème de départ se trouve donc toujours le même : si l'identité est impossible, que la différence et la singularité, seules, sont réelles, comment souscrire, épistémologiquement, à l'existence de classes ?  

(à suivre...)   

lundi 19 mars 2018

Afrin : l'anti-terrorisme victorieux !

(ci-dessus, ci-dessous, et partout ailleurs : les glorieux rebelles islamistes-modérés de l'Armée Syrienne Libre fêtant la victoire des forces du bien et de la démocratie, dans une ambiance bon enfant...)




vendredi 16 mars 2018

L'événement politico-hype de l'année (don't you miss it !)



Intervenant.E.s : Océane-Rose-Machin (auteurE) ; Éric Paztan (comique) ; Aria Nondeudjiou (femme en lutte) ; Ismahane Choubrette (sociologuE) ; Éric Fassine (féministE) ; Marek Taradan (sexologue décolonial, sous réserves)… et beaucoup d'autres… - Show-room exclusif et shopping panafrican-trendy-cheaky-cheaky-style lol, assuré par MOISIeS et son équipe de jeunes créatEurEs en mode PANTHER NWAR - Tables rondes-débats : 18 h : Faut-il attendre la victoire totale du racialisme pour commencer à être raciste ? (modérateur : SOUTH-éducation 93) - 18 h 05 : Comment enfin en finir avec la lutte des classes ? (modératrice : Raketta Dirlo) - Grande Paella anti-sioniste - Buffet campagnard indigène (en non-mixité financière plats et boisson : prévoir impérativement Carte Bleue, Gold ou Racisée) - Tables de presse antiraciste-politiques (ouvrages religieux, maoïstes, etc) - Entrée tarif solidaire militant : 5 euros (réduction sur présentation de cartes de doctorants en philosophie-sociologie Paris VIII et X) - After prévue à la Bourse du Travail de Saint-Denis (tous les détails sur Parisleftinfos.com)... 

mercredi 14 mars 2018

Bilan d'étape


« Une nouvelle polémique animée se déroule dans le pays, sur le front de la philosophie, à propos des concepts "un se divise en deux" et "deux fusionnent en un". Ce débat est une lutte entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre la dialectique matérialiste, une lutte entre deux conceptions du monde : la conception prolétarienne et la conception bourgeoise. Ceux qui soutiennent que "un se divise en deux" est la loi fondamentale des choses se tiennent du côté de la dialectique matérialiste ; ceux qui soutiennent que la loi fondamentale des choses est que "deux fusionnent en un" sont contre la dialectique matérialiste. Les deux côtés ont tiré une nette ligne de démarcation entre eux et leurs arguments sont diamétralement opposés. »

(Le Drapeau rouge de Pékin, 21 septembre 1964)


Tout s'explique !

Là... ! Là... !

lundi 12 mars 2018

Aristote de gauche, Aristote de droite (Bloch vs Gouguenheim)


 
















    D'un combat plus actuel que jamais : à fronts multiples, mais se réduisant néanmoins tendanciellement à la lutte opposant, d'un côté, la Subversion cosmopolite de l'ordre existant et, de l'autre, la masse toujours plus énorme de nos ennemis, paradoxalement, quoique efficacement, coalisés... 

***
« (...) Mais il faut en venir à l’essentiel, aux positions fondamentales qui donnent sens à toutes les prises de position de Sylvain Gouguenheim. L’idée principale, c’est que les Occidentaux sont directement en contact avec les Grecs parce qu’il y a entre eux une continuité intellectuelle et spirituelle, que les Arabes n’ont pas eue avec ces mêmes Grecs. Une version édulcorée de cette thèse est que les Arabes, comme les Occidentaux, ont «filtré» la culture grecque, mais que les Arabes l’ont fait avec « un tamis plus étroit que celui que le christianisme lui imposa » (p. 181). La faute en est à deux facteurs d’importance inégale. Il y a d’abord l’Islam qui, parce qu’il est «expansionniste et centripète», mais aussi parce qu’il est dogmatique (alors que «l’esprit européen est ainsi fait qu’il adopte mais remet en cause aussitôt, sans doute en raison d’une longue habitude de l’exercice de la critique, lié à l’essor de la logique dès la fin du XIe siècle » - sic !, p. 199) et qu’il est ritualiste et ne connaît pas « l’adoration intérieure » (p. 194), ne peut être de plain-pied avec le monde lumineux des Grecs. À l’Ouest, en revanche, « au-delà des profonds changements, religieux, politiques, techniques, à l’œuvre au cours de siècles, un fil directeur part des cités grecques et unit les Européens à travers les âges» (p. 198). Pourquoi donc les Européens sont-ils élus et les Arabes, surtout les Arabes musulmans, réprouvés ? En fait, Renan l’avait déjà dit, repris par des heideggeriens comme Ruprecht Paqué , et l’on tient là le second facteur, fondamental, de la différence entre Européens et Arabes, mais aussi entre chrétiens et musulmans : c’est parce que les langues indo-européennes sont un vecteur naturel de pensée abstraite, alors que les langues sémitiques sont irrémédiablement embourbées dans le particulier et l’utilitaire. C’est là la pierre angulaire de la démonstration de Gouguenheim : « pour une civilisation, hériter de l’univers culturel et scientifique d’une autre civilisation suppose une communauté de langue, ou un immense effort de traduction. Or il ne suffit pas de traduire pour s’approprier une pensée étrangère : il faut encore que la traduction permette la transposition non seulement du sens des mots, mais des structures de la pensée » (p. 136). Comme si l’activité scientifique d’un peuple, qui se fait, en effet, à partir des progrès réalisés par d’autres, se réduisait à un héritage et une conservation.

Dès lors, les Arabes, et surtout les Arabes musulmans qui sont doublement handicapés, sont par nature incapables de recevoir l’héritage grec. Comment, dans ces conditions, pourrait-on penser qu’ils aient pu le transmettre à l’Europe occidentale ? «L’Europe – et l’Europe seule – a créé la science moderne» (p. 23). Et, selon Gouguenheim, le christianisme n’y a pas été pour rien, y compris par «la pratique de la confession, qui favorisa l’introspection [...] et donc les progrès psychologiques et cognitifs dans les domaines du rapport à soi et aux autres» (p. 198) (!). Il n’y a donc de science arabe qu’embryonnaire, enfoncée dans l’intérêt immédiat et irrémédiablement soumise aux exigences de la religion. Il faut donc reconnaître que ces malheureux Arabes sont bien un peu responsables de leur malheur. Ils étaient déjà affublés d’une langue misérable, et voilà qu’ils vont en plus se jeter dans les bras d’une religion obscurantiste, ritualiste et infantile, alors qu’ils en avaient, non pas à leur porte, mais chez eux, une autre qui était critique, éclairée, non dogmatique, directement entée sur le logos grec dont elle est l’héritière directe, respectant d’elle-même la sphère laïque et qui n’a cessé, durant des siècles, d’ouvrir l’esprit des millions de ses fidèles. Même du temps de la colonisation triomphante, le R. P. Placide Tempels, quand il écrivit ce livre historiquement fondamental qu’est la Philosophie bantoue, n’allait pas jusque-là. Il s’opposait même, dans le langage certes paternaliste et ethnocentrique de son époque, à cette idée proprement folle d’une impossibilité définitive de certains humains à dire la pleine rationalité. Finalement je préfère la franchise du bon vieux Renan quand il écrit que « sous le rapport de la vie civile et politique, la race des Sémites se distingue par le même [que dans le domaine littéraire] caractère de simplicité » (Histoire générale et système comparé des langues sémitiques, p. 13).

Que ceux qui défendent le courage du chercheur qui a l’audace de nous dire que dans les sociétés dominées par l’Islam les non musulmans n’ont pas toujours eu un statut enviable et que l’Espagne musulmane, surtout après qu’elle fut tombée sous la domination des Almoravides puis des Almohades, n’était pas le paradis sur terre, que ceux-là, donc, prennent bien la mesure du parti qu’ils embrassent. Je comprends fort bien que c’est la situation actuelle du monde qui à la fois a motivé (de manière consciente ou non, je ne saurais en décider) ce livre et a provoqué, semble-t-il, une avalanche de réactions. Mais on a tout de même l’impression de voir rejouer une vieille pièce. Ce tableau de «civilisations» autocentrées et autonomes, qui ont entre elles les relations qu’ont des boules de billard et au mieux un dialogue qui est celui de la carpe et du lapin, mais qui sont néanmoins hiérarchisées (car qui ne trouverait pas supérieure la civilisation chrétienne telle qu’elle est présentée dans le texte de Sylvain Gouguenheim, par rapport à une civilisation islamique qui lui ressemble comme, disait Aristote, les animaux ressemblent à des nains quand on les compare à l’homme ?), ce tableau beaucoup le trouveront, et l’ont trouvé révoltant. Pour ma part, venant d’un professeur d’histoire médiévale dont je n’ai nulle raison de suspecter l’honnêteté et les bonnes intentions, je le trouve désespérant. Faut-il, donc, sans cesse revenir à la charge contre la pratique de l’idéal type sommaire des sociétés humaines et l’appel à la « nature » de groupes humains qui est si prégnante qu’elle arrache ces groupes à l’histoire ? À quoi ont servi des décennies d’anthropologie sociale, si c’est pour revenir à une approche hiérarchisée des cultures qui n’a finalement rien à envier à celle de Morgan ? Plût au ciel que Sylvain Gouguenheim fut un scélérat pour qu’on puisse lui attribuer de telles positions sans déchirements.


Même si l’on y entend les mêmes noms – Aristote, Avicenne, Averroès, Thomas d’Aquin – et aussi quelques autres, c’est dans un univers intellectuel tout différent que nous plonge le petit livre (93 p.) de Ernst Bloch, Avicenne et la gauche aristotélicienne. Il s’agit de la version augmentée, telle qu’elle a été introduite dans les œuvres de Bloch, d’un article puis d’une plaquette publiés en 1952. « Tout ce qui est intelligent, écrit Bloch, peut bien avoir été déjà pensé sept fois. Mais, repensé chaque fois dans un temps et une situation autres, ce n’est plus la même chose. Non seulement le penseur, mais aussi et surtout la chose à penser a changé entre temps». Quand, donc, Bloch repère des invariants dans l’histoire de la pensée, c’est définitivement juxta modum. La thèse principale de l’ouvrage c’est qu’à partir d’Aristote deux grands courants de pensée, l’un, « de droite » représenté par les grands scolastiques chrétiens au premier rang desquels Thomas d’Aquin, le second « de gauche » qui aboutit finalement au matérialisme dialectique – « le vrai, bien sûr, et non pas celui qui a cours aujourd’hui encore à l’Est, de nouveau immobilisé et même encaserné, avachi, banalisé, dressé à l’obéissance, privé de liberté et d’ouverture » (p. 61) –, mais qui part principalement d’Avicenne. Aristote est donc, pour le dire rapidement, susceptible d’une lecture idéaliste et d’une lecture matérialiste.

C’est évidemment cette dernière que Bloch considère presque exclusivement. D’après le texte aristotélicien lui-même, la matière est potentialité, et cela d’autant plus qu’elle est moins informée. Le coup de force fécond opéré par Avicenne, suivi par Averroès, mais précédé par Straton de Lampsaque, le second successeur d’Aristote à la tête du Lycée, c’est d’accorder une « potentialité active » à la matière, lui évitant ainsi de devoir être mise en branle et informée par une entité spirituelle. Il s’agit là d’une option authentiquement aristotélicienne, puisqu’on trouve chez Aristote, dans sa doctrine de l’hormè (tendance) de la matière aspirant à la forme, une ébauche de l’auto-activité de la matière : « Il est une ligne qui, d’Aristote, conduit non pas à Thomas d’Aquin et à l’esprit de l’au-delà, mais à Giordano Bruno et à la floraison du Tout-Matière » (p. 9). Mais cette tendance n’est pas dominante chez Aristote, lequel en reste principalement à « l’assimilation de la matière à la passivité » (p. 33). Bloch ne nierait sans doute pas que Thomas d’Aquin soit «plus aristotélicien» qu’Avicenne. Mais l’est-il « mieux » ? Les deux «camps», islamique et chrétien, ne sont pas homogènes. Dans le premier le traître Ghazâlî sera à la fin de sa vie l’allié des forces obscurantistes qui tenteront, avec un succès partiel, de faire taire Avicenne et Averroès. Du côté des chrétiens, même pour nous en tenir au début de la scolastique, Alexandre de Halès et surtout David de Dinant, mais aussi les « averroïstes latins » (Bloch ne cite que Siger de Brabant), s’opposent à la lecture spiritualiste d’Aristote par Thomas d’Aquin et ses compagnons. Bloch repère trois fronts principaux sur lesquels s’opposent les deux tendances : les relations du corps et de l’âme, l’intelligence individuelle et la raison universelle, les relations entre la matière et la forme, ce dernier problème étant en quelque sorte englobant. Or « en modifiant le rapport entre matière et forme, l’interprétation gauchisante d’Aristote évolue nettement vers une conception active et non pas seulement mécaniste de la matière » (p. 36).

Les deux camps, tout hétérogènes qu’ils soient, n’en ont pas moins chacun un caractère dominant. « Ibn Sinâ [Avicenne] était médecin, ce n’était pas un moine » (p. 9), remarque Bloch, qui y va lui aussi de ses généralisations : « Dans l’Europe médiévale, les philosophes de tendance scientifique étaient aussi rares que hors norme [...], chez les scolastiques arabes c’est l’inverse. Ce qui prédomine chez eux c’est la science de la nature, non la théologie » (p. 12), d’où une forme « non cléricale » de la pensée chez les grands philosophes arabes qui les prédispose à adopter la voie de gauche en lisant Aristote. En bon marxiste, Bloch rapporte cette différence en dernière instance à des données historico-économiques, à savoir la prédominance du capital commercial, qui fait de la société islamique « à sa manière une société bourgeoise précoce » (p. 10).

On peut discuter l’interprétation que Bloch offre de tous les philosophes qu’il convoque, et notamment d’Avicenne. Il assume nécessairement un certain schématisme dans un ouvrage qui, en 65 pages (le reste est constitué de citations), balaye un champ aussi large. On peut être allergique à l’explication marxiste, bien que Bloch en propose une version si souple qu’il est difficile de la refuser tout à fait. Le point sur lequel je voudrais insister, et qui justifie que je joigne Gouguenheim et Bloch dans cette revue, est le suivant : Bloch n’encourt-il pas le même reproche que j’ai adressé à Sylvain Gouguenheim de construire des types culturels idéaux – L’Orient, l’Occident, Les Européens, les Arabes... – qu’il oppose dans une grande gigantomachie idéologique ? Eh bien non. Il y a une différence fondamentale entre construire des grands sujets de l’histoire comme les Occidentaux ou les Orientaux en expliquant leurs différences par des raisons économiques, culturelles, institutionnelles, c’est-à-dire historiques, et expliquer ces différences par des données biologiques – la race, comme l’ont fait les Gobineau et un peu Renan – ou des invariants quasi biologiques comme le langage. Il faut insister sur ce point dans l’époque de grande confusion intellectuelle dans laquelle nous sommes. Il faudrait faire l’histoire du retour de la « nature » dans les explications des phénomènes psychologiques, culturels et sociaux. Un des grands moments de ce retour a évidemment été la sociobiologie de Wilson. Il me semblait qu’elle avait perdu tout crédit, notamment après les réfutations dont elle avait fait l’objet. Je me souviens, à ce propos, d’un petit livre particulièrement brillant de Marshall Sahlins. Et pourtant... Bloch est peut-être plus schématique que Sylvain Gouguenheim, ne serait-ce que parce qu’il fait plus court, mais il ne prête pas à la nature ou à des structures profondes quasi-naturelles ce qui appartient à la culture. »

(Pierre Pellegrin, « Aristote arabe, Aristote latin, Aristote de droite, Aristote de gauche », in Revue philosophique de la France et de l'étranger, 2009).

Cet article, excellent de bout en bout (d'universalisme, d'ironie et de précision) est à retrouver dans son intégralité ici.

Haukur Hilmarsson


Neutralité axiologique (Wertfreiheit)


dimanche 11 mars 2018

Jacobin, my ass !



« Remember back when Jacobin was promoting Vivek Chibber ? Interviewing Walter Benn Michaels ? Publishing articles by Adolph Reed ? When Bhaskar Sunkara first introduced the journal in 2011, he explained that while “Jacobin is not an organ of a political organization nor captive to a single ideology”, its contributors could all generally be considered “proponents of modernity and the unfulfilled project of the Enlightenment.”

How distant those days seem now. Lately, the semi-quarterly periodical has taken more particularist turn. Today, it published a piece by the “decolonial” critics Houria Bouteldja and Malik Tahar Chaouch, representatives the Party of the Republic’s Natives [le Parti des Indigènes de la République] in France. Bouteldja and Chaouch condemned the “vague humanism, paradoxical universalisms, and the old slogans of those who ‘keep the Marxist faith’,” saying that these fail to grasp the new material reality of race’s intertwinement with religion in the West. Essentializing indigenous difference, and blasting the establishment politics of the so-called “white left,” the authors resuscitated the worst of 1960s Maoist rhetoric regarding not only the Third World — this relic of Cold War geopolitics — but also marginalized peoples of Third World descent living in First World nations (a hyperlink embedded in the article refers readers to a collection of essays by all the usual suspects : liberals and ex-Maoists such as Alain Badiou, Judith Butler, Georges Didi-Huberman, and Jacques Rancière).

Calls for “national unity,” especially of the sort called for by the French state following the Charlie Hebdo massacre, are no doubt reactionary to the core. It is important not to lose sight of this fact when raising criticisms of Bouteldja and Chaouch’s argument. This is not what is at issue. What is at issue here is rather the compatibility or incompatibility of revolutionary Marxism with their decolonial worldview. Framing their activism in terms of a rupture with the status quo, the authors wrote :

Despite its marginalization and relative weakness, political anti-racism has succeeded in giving rise to a significant Palestine solidarity movement, putting Islamophobia at the heart of public debate and building various mobilizations of the descendants of postcolonial immigration. This marked a break with the ruling parties and in particular the white left.

Adolph Reed has already convincingly demonstrated the poverty of anti-racist politics, so I won’t reprise his argument here. More pertinent, at present, is the way Bouteldja and Chaouch characterize their relation to the “white left,” and to the radical Left more broadly. Jacobin, which once saw its mission as bringing about “the next left” (echoing Michael Harrington), presumably provides a platform for leftist discourse and debate — everyone from Marxists to anarchists to left-liberals and market socialists. Do Bouteldja and Chaouch really fall along this end of the political spectrum, however ?

Not if you ask them. To her credit, Bouteldja at least harbors no illusions when it comes to her convictions. (One cannot say the same of Jacobin’s editors, who chose to publish her coauthored piece). She rejects the Left-Right distinction, an inheritance of the French Revolution, as a colonial imposition. “My discourse is not Leftist”, Bouteldja declared in an address last year. “It is not Rightist either. However, it is not from outer space. It is decolonial.”

Politics proposing a “third way” — a supposed alternative to the venerable categories of Left and Right — is nothing new, of course. Third Positionism has flourished for over a century now, from fascism to Peronism and beyond. Nevertheless, there is a certain novelty to Bouteldja’s claim that Left and Right are inapplicable to indigenous politics, as a foreign set of values foisted upon them from outside. Indeed, this is a rhetorical gesture several times, with respect to a number of different political and intellectual traditions.

Marxism ? Enlightenment ? Universalism ? Rationality ? All inventions of the decadent bourgeois West, apparently. Bouteldja situates her own indigenous perspective somewhere in the rarefied epistemic space of radical alterity. Decolonial thought, she contends, “defied the imposed margins : the margins of enlightenment thinking, of western rationalism/rationality, of Marxism, of universalism, of republicanism.” She therefore implores her fellow indigènes to “resist the ideology of White universalism, human rights, and the Enlightenment.” In Bouteldja’s view, “the cold rationality of the Enlightenment leads… to the fanaticism of market and capitalist reason”, and engenders an “outrageous and arrogant narcissism to universalize historical processes (i.e., secularism, the Enlightenment, Cartesianism) that were geographically and historically located in Western Europe.” Karl Marx himself was nothing more than a white, Eurocentric chauvinist when he dismissed religion as the opiate of the masses. “There are societies which don’t need the separation between the Church and the State, and for which religion is not a problem,” Bouteldja has written. “Religion is not the opium of the people.”

Such deeply anti-Marxist, anti-Enlightenment proclamations seem not to bother Jacobin’s editors. Bouteldja can hardly be held to the same standard as other authors, after all, as her way of thinking is so utterly alien to Occidental minds (“inscrutable Orientals,” innit?). For her, decolonial thought is above all a mentalité, “an emancipated state of mind” available only to those of colonial origin. Perhaps this is why white leftists don’t get the French comedian Dieudonné’s hilarious brand of antisemitic humor, she suggests. In a remarkable speech translated for Richard Seymour’s Leninology blog, where she is introduced as “the excellent Houria Bouteldja,” she admits :

I love Dieudonné; I love him as the indigènes love him ; I understand why the indigènes love him. I love him because he has done an important action in terms of dignity, of indigène pride, of Black pride : he refused to be a domestic negro. Even if he doesn’t have the right political program in his head, his attitude is one of resistance. Today, if we were to strictly consider the political offer that Dieudonné and [Alain] Soral embody, it is currently the one that best conforms to the existential malaise of the second and third generations of post-colonial immigrants : it recognizes full and complete citizenship within the Nation-state, it respects the muslim character within the limits and conditions put forth by Soral. It also designates an enemy : the Jew as a Jew, and the Jew as a Zionist, as an embodiment of imperialism, but also because of the Jew’s privileged position.

While Bouteldja has in the past condemned Dieudonné’s rapprochement with the far-right nationalist Alain Soral, it seems to be more on account of the fact that Soral is part of the white establishment than anything having to do with his serial vilification of the Jews. It’s just a decolonial thing, immune to Western criticism, that we as “white leftists” must simply learn to accept. Secularism is a mode of colonial domination, as is homosexuality. Denouncing “gay imperialism”, Bouteldja writes : “The homosexual way of life does not exist in the banlieues, and that’s not entirely a bad thing”. Homosexuality has been “imposed” as an identity in countries where it did not exist [L’homosexualité a été imposée comme identité dans des contrées où elle n’existait pas]. One recalls the infamous remark made back in 2003 by the SWP organizer Lindsey German, leader of the RESPECT antiwar coalition in Britain : “[S]ome Muslims are anti-gay… Now I’m in favor of defending gay rights, but I am not prepared to have it as a shibboleth, [created by] people who… won’t defend George Galloway, and who regard the state of Israel as somehow a viable presence, justified in occupying Palestinian territories.”

Vivek Chibber warned in a Jacobin interview a couple years ago that “[p]ostcolonial theory discounts the enduring value of Enlightenment universalism at its own peril ”. The same might be said of decolonial theory today. Not everyone on the communist left has placated this reactionary pseudo-radicalism, however. Aufheben’s critique of Cliffite accommodationism in “Croissants and Roses : New Labour, Communalism, and the Rise of Muslim Britain,” is as relevant today as in 2006. Same goes with the French left communist website Mondialisme, which besides publishing translations of Loren Goldner and Grandizo Munis has released this scathing polemic against Bouteldja’s indigenous party.

Jacobin would do well to revisit its own founding documents, to see whether these still accurately describe its political project. »

“Decolonial” dead-end: Houria Bouteldja and the new indigenism beyond Left and Right, from The Charnel House, 5/2/2015.


***
Traduction française de l'article ci-dessus, 
par le camarade Schizosophe (merci à lui !)

Nous souvenons-nous que la revue Jacobin promouvait Vivek Chibber, interviewait Walter Benn Michaels ou qu’elle publiait des articles d’Aldolph Reed ? Lorsque Bhaskar Sunkara présentait le journal pour la première fois, en 2011, il expliquait que, bien que « Jacobin ne soit ni l’organe d’une organisation politique ni une publication consacrée à une idéologie particulière », ses contributeurs peuvent être globalement considérés comme « des partisans de la modernité insatisfaits par l’échec des perspectives des Lumières ».

Comme cette époque nous paraît lointaine aujourd’hui ! Désormais, ce semi-trimestriel a opéré un virage des plus particularistes. Maintenant, il publie un élément de la critique « décoloniale » de Houria Bouteldja et Malik Tahar Chaouch, représentants du Parti des indigènes de la République en France. À savoir : Charlie Hebdo, le piège de l’unité nationale. Bouteldja et Chaouch condamnent « des vagues humanismes, les universalismes paradoxaux et de vieux mots d’ordre “de gardiens du temple marxiste” », en prétendant qu’ils empêchent de saisir la nouvelle réalité matérielle que constituerait l’enchevêtrement de la race et de la religion en Occident. En essentialisant la différence indigène et en dynamitant les institutions politiques d’une prétendue « gauche blanche », les auteurs ressuscitent le pire de la rhétorique maoïste des années 1960 non seulement au regard du tiers-mondisme (relique de la géopolitique de la Guerre froide), mais aussi en marginalisant les descendants du Tiers-Monde vivant dans les pays du « Premier monde » – les notes de cet article renvoyant les lecteurs à un ensemble d’essais écrits par les habituels agents sociétaux (et/ou degôches, note du Moine Bleu : « liberal ») et maoïstes de cette rhétorique, tels Alain Badiou, Judith Butler, Georges Didi-Huberman ou Jacques Rancière.

Il est indubitable que les appels de l’État français à « l’unité nationale » qui ont suivi le massacre de Charlie Hebdo étaient portés par des motivations réactionnaires. C’est important de ne pas perdre cela de vue lorsqu’on aborde le contexte d’où émergent les critiques des argumentaires de Bouteldja et de Chaouch. Mais l’enjeu n’est pas où est le thème de leur article, il s’agit plutôt de trancher quant à la compatibilité du marxisme révolutionnaire avec la vision du monde décoloniale. En formalisant leur activisme comme rupture avec le status-quo, ils écrivent ceci : «Malgré sa marginalisation et sa relative faiblesse, l’antiracisme politique est parvenu à engendrer un grand mouvement de soutien à la Palestine, à mettre l’islamophobie au cœur du débat public et à développer des mobilisations diverses parmi les descendants de l’immigration postcoloniale, en rupture avec les partis dominants et notamment de la gauche blanche. »

Je ne vais pas reprendre ici la convaincante démonstration de la pauvreté de la politique antiraciste déjà développée par Adolph Reed. Il est plus pertinent, aujourd’hui, de caractériser les relations de Bouteldja et Chaouch avec la « gauche blanche » et avec la gauche radicale plus généralement. À un moment, Jacobin s’était assigné pour mission de fournir pour « la prochaine gauche », selon l’expression de Michael Harrington, une plate-forme de discours et de débats destinée à la gauche – cette notion impliquant ici tout ce monde, des marxistes aux anarchistes et de la gauche sociétale («liberal left») aux socialistes de marché. Est-ce que l’intervention de Bouteldja et Chaouch s’adresse effectivement à ce spectre politique ?

À les entendre, non. Et, à son crédit, Bouteldja est porteuse de convictions qui n’entretiennent aucune illusion à ce propos (certains pourraient dire qu’il en va de même du comité de rédaction de Jacobin dès lors qu’elle a choisi de publier sa contribution). Elle rejette la distinction gauche-droite en tant qu’héritage de la Révolution française et que figure colonialiste imposée. « Mon propos n’est pas de gauche, expliquait-elle l’an dernier [2014]. Il n’est pas de droite non plus. Mais il n’est pas extra-terrestre. Il est décolonial. »

Bien entendu, cela n’a rien de nouveau que des politiciens proposent une « troisième voie » comme option distincte des vénérables catégories que sont la gauche et la droite. Ce tiers positionnement a fleuri depuis un siècle maintenant, du fascisme au péronisme et plus loin encore. Mais il y a cependant une certaine innovation dans la manière dont Bouteldja annonce que la distinction gauche-droite est inapplicable aux politiques indigènes, parce qu’elle l’envisage comme un assemblage de valeurs imposé de l’extérieur auxdits indigènes. Certes, ce clivage relève bien souvent d’une signalétique rhétorique reliée à certaines traditions intellectuelles et politiques.

Apparemment, le marxisme, les Lumières, l’universalisme, la rationalité seraient tous des inventions de la bourgeoisie occidentale décadente. Bouteldja situe sa propre perspective indigéniste quelque part dans l’espace épistimique raréfié d’une altérité radicale. Elle soutient que la pensée décoloniale « se défiait des cadres imposés : pensée des Lumières, rationalisme occidental, marxisme, universalisme, républicanisme... ». Aussi implore-t-elle ses compagnons indigènes de «résister à l’idéologie de l’universalisme blanc, des droits de l’homme et des Lumières». Selon elle, « la froide rationalité conduit au fanatisme de la raison marchande et capitaliste » et engendre un « narcissisme outrancier et arrogant pour universaliser les processus historiques (la laïcite, les Lumières, le cartésianisme) géographiquement et historiquement situés en Europe de l’ouest ». Karl Marx lui-même n’est qu’un blanc, et un eurocentrique chauvin, quand il rejette la religion comme opium des masses. « Il y a des sociétés qui n’ont pas besoin de la séparation de l’Église et de l’État, et pour lesquelles la religion n’est pas un problème. Je ne suis pas d’accord pour dire que la religion est l’opium du peuple. »

Des assertions si profondément antimarxistes et opposées aux Lumières ne semblent pas déranger le comité de rédaction de Jacobin. Bouteldja peut difficilement être appréhendée selon les mêmes critères que leurs autres auteurs tant sa manière de penser est éloignée des esprits occidentaux (« L’Orient mystérieux », sans doute). Selon elle, la pensée décoloniale est une mentalité avant tout, « un état d’esprit émancipé » disponible pour les seules personnes issues de pays colonisés. Elle suggère que c’est pour cette raison que la gauche blanche ne saisit les hilarants traits d’humour antisémites du comédien français Dieudonné. Lors d’un remarquable discours pour le blog léninologue de Richard Seymour, où on la présenta comme «l’excellente Houria Bouteldja», elle admit ceci : « J’aime Dieudonné. Je l’aime comme l’aiment les indigènes. Je comprends pourquoi les indigènes l’aiment. Je l’aime parce qu’il a initié des actions importantes en termes de dignité, de fierté indigène, de fierté noire. Il refuse d’être un Noir domestiqué. Même s’il n’a pas en tête le programme politique le plus juste, il a une attitude de résistance. Aujourd’hui, si l’on considère strictement l’offre politique que Dieudonné et Soral relaient, elle est le plus souvent la plus conforme au malaise existentiel des immigrants post-coloniaux de deuxième et troisième générations. Elle reconnaît pleinement et complètement la citoyenneté de l’État-nation et respecte le caractère musulman dans les limites et conditions mises en avant par Soral. Et elle désigne aussi un ennemi : le juif comme Juif et le juif comme sioniste, comme impliqué dans l’impérialisme, mais cependant du fait de la position privilégiée des juifs. »

Même si Bouteldja avait, par le passé, condamné Dieudonné pour son rapprochement avec le nationaliste d’extrême-droite Soral, cela semble devoir être mis plutôt sur le fait que Soral participe de la domination blanche que lié à son dénigrement répétitif des juifs. C’est seulement un truc décolonial auquel la critique occidentale est immunisée et que la « gauche blanche » est censée accepter. La laïcité est une modalité de la domination coloniale, comme l’homosexualité. En dénonçant « l’impérialisme homosexuel », Bouteldja écrit : « Le mode de vie homosexuel n’existe pas dans les quartiers populaires. Ce qui n’est pas une tare». L’homosexualité a été imposée comme une identité dans des contrées où elle n’existait pas. Cela rappelle l’infâme remarque énoncée par Lindsey German, cadre du Parti socialiste des travailleur britannique (SWP), et leader de la coalition contre la guerre en Irak, « Respect », en 2003 : « Certains musulmans sont homophobes... Maintenant, je suis pour la défense des droits des homosexuels, mais je ne vais pas m’en servir comme d’un laisser-passer (“shibboleth”), [inventé par] des gens qui (…) ne défendront pas George Galloway et qui voient en Israël un État viable fondé à occuper la Palestine. »

Il y a deux ans, Vivek Chibber avait prévenu dans les colonnes de Jacobin que « les théories post-coloniales refourguent (ou : bradent, n. du Moine Bleu) à bas prix les valeurs des Lumières au risque de leur propre péril ». On pourrait dire la même chose aujourd’hui. Pourtant, l’ensemble de la gauche communiste n’a pas encore refroidi ce pseudo-radicalisme réactionnaire. La critique par Aufheben des accommodements de Cliffite et de son Croissants and Roses : New Labour, Communalisme, and the Rise of Muslim Britain reste aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était en 2006. Il en va de même du site français Mondialisme qui a traduit Loren Godner et Grandizo Munis et conduit de cinglantes polémiques contre le Parti des indigènes de Bouteldja.


Jacobin ferait bien de relire ses documents fondateurs pour vérifier s'ils correspondent toujours à son projet politique.

War on the terraces (and on the field as well)

Well... seems like, here and there, with Spring fast approaching, from London Stadium down to Lille, Hauts-de-France...  



...gentile millionaires honestly owning football clubs (or playing for them) are roughly urged to account for how they use the fan's cash...



...or to leave promptly the area, protected by badly paid «stewards» of them, the most modern aspect of the Spectacle being thus also the most archaic. May be purely seasonal Phenomenon, though.  

samedi 10 mars 2018

Sur la ligne de front



« Le rationaliste est l’ennemi de l’autorité, des préjugés, de ce qui est traditionnel. Il est porté par la croyance en une “raison” commune à toute l’humanité, en un pouvoir commun d’examen rationnel, qui serait le fondement et la force vive de l’argumentation. Au-dessus de sa porte se trouve inscrit le précepte de Parménide : “Juge par argumentation rationnelle.” J’avoue moi aussi garder espoir en la raison. Certes, elle est fragile, nourrie par nos passions et sentiments, et sa flamme prométhéenne doit toujours être entretenue de peur qu’elle ne vacille et s’amenuise. Mais cet espoir est justifié. »

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Présentation de l'éditeur
On entend souvent aujourd’hui qu’au fond, la vérité, les faits objectifs n’existent pas, qu’il n’y a pas de points de vue qui soient réellement plus rationnels que d’autres. La raison passe également pour autoritaire et antidémocratique : elle conduirait à l’intolérance, au dogmatisme, au non-respect de la multiplicité des points de vue. Professeur de philosophie à l’université du Connecticut, Michael Lynch répond aux différents arguments avancés contre la raison – de ceux du scepticisme ancien à ceux du relativisme postmoderne – et soutient qu’elle est précisément ce dont les démocraties ont besoin pour être véritablement démocratiques.

(sortie : 9 mars 2018)

jeudi 8 mars 2018

Aslı Erdoğan


Rencontre avec Aslı Erdoğan
le 10 mars à 18h, 
Maison de Rousseau et de la littérature, 
Grand-Rue 40, Genève.

Réservation obligatoire par téléphone au 022 310 10 28 ou par courriel à l'adresse info@m-r-l.ch. Rencontre co-organisée avec le Festival du film et forum international sur les droits humains (du 9 au 18 mars).

Delila

mercredi 7 mars 2018

Merci Madrid !


C'est sans danger ?



« Il y a des époques où mentir est presque sans danger parce que la vérité n'a plus d'amis (reste une simple hypothèse, et peu sérieuse, semble-t-il, qu'on ne peut ni ne veut vérifier). Presque plus personne ne cohabite avec la vérité. »

(Guy Debord, Abat-faim

mardi 6 mars 2018

L'universel, cet invariant

Jean-François Lyotard au travail (Électrophorèse bidimensionnelle)

« Même la pensée la plus abstraite, comme les mathématiques ou la géométrie, dépend de l'unité corporelle — ce que soulignaient déjà Poincaré et Einstein, selon lesquels des corps différents des nôtres produiraient nécessairement d'autres mathématiques, d'autres géométries. De même, quand nous articulons à nos systèmes perceptifs les artefacts permettant une autre perception du monde (microscope, télescope, IRM ou simple loupe), nous entrons dans une autre géométrie, dans d'autres espaces. Cela ne signifie pas que nos connaissances soient absolument "relatives", et encore moins subjectives, ou que "à chacun sa vérité", comme le proclame l'idéologie post-moderne dominante. Bien au contraire, c'est à travers des invariants et des rapports objectifs que les champs de connaissance se construisent. L'affirmation "tout est question d'opinion" se fonde sur une interprétation abusive des travaux scientifiques qui mettent en cause les limites de la rationalité linéaire et prédictive. Les connaissances dites relatives le sont par rapport aux systèmes étudiés, mais elles sont universelles au regard des invariants qui garantissent notre rationalité dans des contextes différents, comme le disent autrement Giuseppe Longo et Francis Bailly : "L'universel est posé en rapport à l'expérience humaine et ne veut pas dire absolu ; il est lui-même un invariant culturel, entre cultures qui se façonnent dans l'intrication" (in Mathématiques et sciences de la nature. La singularité physique du vivant). L'absolu voudrait être transsituationnel, alors que l'universel, pensé comme un "universel concret", se manifeste à partir d'invariants pour et par chaque situation concrète. »

(Miguel Benasayag, Organismes et artefacts)

lundi 5 mars 2018

De formes en formes, sur un même fond (dynamique)


« Ce qui a échappé aux psychologues dans l'analyse de l'imagination inventive, ce sont non pas les schèmes ou les formes, ou les opérations, qui sont des éléments spontanément saillants et en relief, mais le fond dynamique sur lequel ces schèmes s'affrontent, se combinent, et auxquels ils participent. La psychologie de la Forme, tout en voyant bien la fonction des totalités, a attribué la force à la forme ; une analyse plus profonde du processus imaginatif montrerait sans doute que ce qui est déterminant et joue un rôle énergétique, ce ne sont pas les formes mais ce qui porte les formes, à savoir le fond ; perpétuellement marginal par rapport à l'attention, le fond est ce qui recèle les dynamismes ; il est ce qui fait exister le système des formes ; les formes participent non pas à des formes, mais au fond, qui est le système de toutes les formes ou plutôt le réservoir commun des tendances des formes, avant même qu'elles n'existent à titre séparé et ne se soient constituées en système explicite. La relation de participation qui relie les formes au fond est une relation qui enjambe le présent et diffuse une influence de l'avenir sur le présent, du virtuel sur l'actuel. Car le fond est le système des virtualités, des potentiels, des forces qui cheminent, tandis que les formes sont le système de l'actualité. L'invention est une prise en charge du système de l'actualité par le système des virtualités, la création d'un système unique à partir de ces deux systèmes. Les formes sont passives dans la mesure où elles représentent l'actualité ; elles deviennent actives quand elles s'organisent par rapport au fond, amenant ainsi à l'actualité les virtualités antérieures. »

(Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques)

Psychiatrie

Évolution

Défilé de drones Dolce & GabbanaMilan, 25 février 2018.

« La beauté de l'adaptation des parties 
me semble sans pareille. »
(The Autobiography of Charles Darwin)

jeudi 1 mars 2018

Le point d'explosion de l'irrationalité en France


« Cependant une telle science, servante du mode de production et des apories de la pensée qu'il a produite, ne peut concevoir un véritable renversement du cours des choses. Elle ne sait pas penser stratégiquement, ce que d'ailleurs personne ne lui demande ; et elle ne détient pas davantage les moyens pratiques d'y intervenir. Elle peut donc discuter seulement de l'échéance, et des meilleurs palliatifs qui, s'ils étaient appliqués fermement, reculeraient cette échéance. Cette science montre ainsi, au degré le plus caricatural, l'inutilité de la connaissance sans emploi et le néant de la pensée non dialectique dans une époque emportée par le mouvement du temps historique. Ainsi le vieux slogan, "la révolution ou la mort", n'est plus l'expression lyrique de la conscience révoltée, c'est le dernier mot de la pensée scientifique de notre siècle. Mais ce mot ne peut être dit que par d'autres ; et non par cette vieille pensée scientifique de la marchandise, qui révèle les bases insuffisamment rationnelles de son développement au moment où toutes les applications s'en déploient dans la puissance de la pratique sociale pleinement irrationnelle.»   

(Guy Debord, Thèses sur l'I.S. et son temps

Visitez Bure

              (© Office du tourisme de Moselle, 2018)

Son terroir de caractère...
 Ses douceurs d'autrefois... 
Sa nature en fête !


Le jeu des différences (niveau : moyens à confirmés)