dimanche 29 avril 2018

Garde ça pour toi


« Le passage de l’État libéral à l’État autoritaire total s'effectue dans le cadre du même système social. On peut dire à propos de cette unicité de la base économique que c'est le libéralisme lui-même qui engendre l’État autoritaire total, lequel apparaît comme du libéralisme à un stade de développement plus avancé. L’État autoritaire total apporte au stade monopoliste du capitalisme une organisation et une théorie de la société adéquates. »

(Herbert Marcuse)

samedi 28 avril 2018

Nécessitarisme


(Europe 1, 28 avril 2018)

Wissenschaft (défense de la science)

John Dewey, american gangster.

John Dewey, nom de dieu ! Un peu d'air frais. Contre tous les obscurantismes, tous les ennemis coalisés de la science, de la rationalité, de la démocratie. Ce sont les mêmes : dès lors, évidemment, que les trois termes précédents sont correctement compris, c'est-à-dire compris d'un point de vue communiste. Le scientisme, par exemple, étant autant à congédier (avec toutes ses centrales nucléaires, ses néonicotinoïdes et ses ignobles continents de plastique totalitaires) que les paradis archaïques, factices et sanglants, de Jésus, d'Allah ou de qui que ce soit d'autre proclamant, absurdement, que ce monde-ci dans lequel nous vivons n'est pas le vrai : que le vrai monde sera, pour nous, au-delà de la mort. Adorno admirait beaucoup John Dewey, dont l'oeuvre reste à découvrir en France, pays de l'obscurantisme foucaldien et différentialiste universitaire (de merde). Ce rappel nous fournit l'occasion, en présentant le texte ci-dessous, d'informer nos lectrices de l'existence des petites éditions Raison & passions (tout est dit), coupables de le publier, pour ainsi dire à l'instant même (mars 2018). Pas de révolution sans homme nouveau, sans femme nouvelle. Oulala. Tu nous traites de fasciste ? Va te faire foutre. Pas de révolution, disions-nous, sans démocratie, sans éducation, sans pédagogie. Telle fut la leçon de Dewey, autant que celle de Rosa Luxemburg. Telle reste la leçon d'un pragmatisme éclairé, faisant la nique aux idéologues bourgeois, pour l'éternité.

***

On vous causait de Dewey 
voilà peu : ICI, et puis ,
ainsi que de ce côté.
Mort à la démocratie, qu'ils disaient.
Mort à la vérité.
À la « commune de Tolbiac » ou ailleurs. 

« Il suffit pour notre propos de noter que le mot «science» a une large portée.
Pour certains, le terme se réduirait aux mathématiques et aux disciplines dans lesquelles des résultats exacts peuvent être déterminés par des méthodes rigoureuses de démonstration. Une telle conception limite les prétentions de la physique et de la chimie elles-mêmes à être des sciences, en ne leur reconnaissant de scientifique que les parties strictement mathématiques. La position de ce que l'on appelle d'ordinaire les sciences biologiques est encore plus équivoque, tandis que les disciplines sociales et la psychologie seraient à peine considérées comme des sciences si on les mesurait à l'aune de cette définition. Nous devons clairement envisager l'idée de science avec une certaine latitude. Nous devons la considérer de manière suffisamment large pour inclure toutes les disciplines qui sont habituellement regardées comme des sciences. L'important est de découvrir les caractéristiques en vertu desquelles des disciplines variées sont dites scientifiques. Poser ainsi la question nous porte à mettre l'accent sur les méthodes qui permettent de s'attaquer à l'objet concerné plutôt que de rechercher des caractéristiques uniformes et objectives dans l'objet lui-même. De ce point de vue, la science signifie, je le prends comme tel, l'existence de méthodes systématiques d'enquête, qui, quand elles sont dirigées sur un ensemble de faits, nous permettent de mieux les comprendre et de les contrôler plus intelligemment, de façon moins hasardeuse et moins routinière.
Personne ne doute du fait que nos pratiques d'hygiène et de médecine sont moins fortuites et moins le fruit d'un mélange de suppositions et de traditions qu'elles ne l'étaient autrefois, ni que cette différence est issue du développement de méthodes d'enquête et de test. Une technique intellectuelle permet à la découverte et à l'organisation des matériaux empiriques de s'accumuler, de telle sorte qu'un chercheur puisse répéter les recherches d'un autre, les confirmer ou les infirmer, et ajouter toujours plus au capital de la connaissance. De plus, ces méthodes, quand elles sont utilisée, tendent à se perfectionner, à suggérer de nouveaux problèmes et de nouvelles recherches, ce qui affine les vieilles procédures et en crée de nouvelles et de meilleures. »

(John Dewey, Les sources d'une science de l'éducation)  

Sexe faible (Ronda Rousey)

vendredi 27 avril 2018

Quatre fromages


Nos années de jeunesse, à l'espace Ornano, du côté de Simplon, en sortant de chez le gros Serge. Les Washington Dead Cats y avaient, par exemple, été précédés des Busters + Skarface au début des 90's : bon concert, ça, en l'occurrence (quoique un peu tendu dans les coins, si notre mémoire ne nous trahit) où un hommage avait été rendu par ces derniers aux vieilles tribus d'Angleterre (sic) mythologisées : à savoir les Teds, Skins, Punks et compagnie. Changement de ton, la semaine d'après, donc, dans la même salle, où on avait, comme il se doit, balancé force légumes défraîchis et farine poisseuse à la gueule de l'assistance juvénile réunie et réjouie. Mathias, des Wash, se faisait largement traiter de pédé, à l'époque, parmi cette scène psycho extrêmement conservatrice sinon réactionnaire, que nous fréquentions fort et dont certains très virils « chasseurs de skins antifascistes » (rires dans la salle) se revendiquaient volontiers. Nous n'avions, quant à nous, déjà, aucun problème avec les pédés : plutôt, à l'inverse, un rapport d'étrangeté très marquée, et incrédule, vis-à-vis de ceux (ou celles) que ces questions de désir homosexuel ne venaient jamais effleurer (prétendaient-ils ou elles). Nous en causions facilement. Nous étions bien les seuls (les gays clandestins - premiers concernés - mis à part, bien entendu, mais nous ne les connaîtrions tels, ceux-là, que bien plus tard, trop tard, hélas !). Déjà, en somme, la volonté de savoir absolument innocente, la rationalité froide et chaude et sa sincérité adéquate désarmante, sur ces questions comme sur toute autre, nous paraissaient naturellement salutaires et libératrices. Mais c'était là, faut dire, une tout autre période. Aujourd'hui, du chemin épistémologique a été parcouru, du temps a passé, du progrès a été effectué : la Terre est plate, comme vous savez, et il convient désormais de respecter toutes les « races ». Et, avec elles, tous leurs prophètes de malheur. Rideau. 

mercredi 25 avril 2018

Entente cordiale

mardi 24 avril 2018

Barış Manço

samedi 21 avril 2018

Et inversement


« Le monde de la marchandise, qui était essentiellement inhabitable, l'est devenu visiblement» 

(Guy debord, Thèses sur L'I.S. et son temps) 

« Démythifier la raison »

Revue Agone n° 61 : 
Parution : 14/09/2017 

« Dans beaucoup de milieux intellectuels, y compris à gauche et à l’extrême gauche, la raison est aujourd’hui traitée comme une ennemie. Instrument au service de l’État et du Capital, des polices, des bureaucraties et des technocraties, de la Science qui ne serait que technoscience, de l’Occident et de l’impérialisme, elle signifierait contrôle des corps et des esprits, exclusion et enfermement, écrasement des identités et des différences, ethnocentrisme et colonialisme, productivisme et destruction de la nature et de la Terre... Certes, la raison et l’universel ont servi de paravents à toutes sortes d’horreurs et d’oppressions. Mais les irrationalismes politiques et religieux en ont « justifié » bien d’autres. Et comment dénoncer l’injustice, revendiquer l’égalité et le respect des différences, comprendre la place de l’espèce humaine au milieu des autres et sur la Terre, sans s’appuyer sur la raison ? Pas une Raison supérieure, surplombante et totalisante, censée justifier l’ordre établi ou le cours de l’histoire. Mais la raison commune qui est en chacun, cette capacité de demander pourquoi et comment, de chercher ce qui est vrai et ce qui est mieux. Ce dossier veut ouvrir quelques pistes pour contribuer à l’immense projet de reconstruire la raison, notamment à travers une réévaluation critique de l’idée de «progrès» dans un dialogue avec Jacques Bouveresse, une analyse des modes de pensée irrationnels voire religieux dans l’extrême gauche française, une réflexion sur l’héritage des Lumières à partir de la dichotomie entre Lumières radicales et modérées mise en évidence par les travaux de Jonathan Israel, ou encore une confrontation avec le rationalisme mal connu de Hayek, aussi puissant philosophiquement que discutable dans ses principes et ses conséquences. »

Sommaire : Éditorial : Quelle raison garder ? – 1. Constellations : radicalités irrationnelles. Des jeunes révolutionnaires aux anciens réactionnaires (Jean-Luc Chappey) – 2. Quand les Lumières radicales appelaient à la révolte anticoloniale. Diderot et l’Histoire des deux Indes (Jean-Jacques Rosat) – 3. Pour une rationalité écologique. Entretien avec Jacques Bouveresse autour de son livre Le Mythe moderne du progrès – 4. Lire Hayek sérieusement. Le néo-libéralisme, entre rationalisme modéré et conservatisme (Jean-Matthias Fleury) – 5. Hypothèses pour une raison sobre (Jean-Jacques Rosat) – Rubrique “Entretiens” : “On leur fait savoir qu’on les observe, nous aussi” : l’observation juridique aux États-Unis. Entretien avec Jessica Woods (François Buton, Clémence Fourton et Clément Petitjean) – Rubrique “Histoire radicale” : “Ose être comme Daniel ! Le syndicat des cuisiniers français”, par Wilf McCartney (présenté par Boris Mellow)

vendredi 20 avril 2018

jeudi 19 avril 2018

Emmanuel Thatcher, get out !


« Commune libre de Tolbiac » : et mon cul, c'est du (blanc de) poulet ?


(Ci-dessus, extrait du programme officiel des conférences organisées par la soi-disant Commune libre de Tolbiac, ces jours-ci). Racialistes, gauchistes ou fascistes : hors de nos vies et hors des luttes !

mercredi 18 avril 2018

Dédicace à Sylvie Tissot (les mots sont importants)

  Merci à l'amie A., toujours vigilante en ses promenades...

Bon. Il paraît que les bobos sont un mythe. C'est Sylvie Tissot, prof de fac et militante de base aux Indigènes de la République, qui l'assure, dans un bouquin choral récemment sorti, épaulée de quelques collègues sociologues. Pourquoi pas, après tout. On ne demande qu'à apprendre. Notre question sera simple : si les bobos n'existent pas, comment qualifier, au juste, le type sociologique du proprio de restaurant parisien capable de produire la publicité ci-dessus ? Oublions, si vous le voulez, la notion de mépris de classe, il est vrai un brin surannée, vous avez raison (et certes, les mots sont importants). Il faut bien, cependant, et malgré tout, que ledit proprio, s'occupant un peu de marketing, s'adresse en toute conscience à une certaine niche, à un certain coeur de cible intéressant la prospérité de son affaire. En d'autres termes, il faut bien qu'il y ait, à cela, une certaine utilité, que cela attire du monde : le monde, précisément, capable de rigoler uniment à cette publicité, le monde déterminé, par un certain nombre d'habitudes sociales, ou de réflexes homogènes du même acabit, à se trouver séduit par elle, au point de vouloir soudain, irrésistiblement, se déplacer comme un seul homme, comme une seul femme, le dimanche, jusqu'à l'endroit concerné, pour y manger vegan et se retrouver plaisamment entre soi, histoire de tuer l'après-midi du dimanche. Il est vrai que même au plan logique, et dialectique, la notion de classe, ou d'ensemble, fera toujours problème. Regrouper des individus en classes (socio-économiques, en l'occurrence : telle que cette notion de bobo l'implique) ne serait-ce pas faire grandement violence à la différence, à la singularité irréductible de modes de subjectivations décidément inassignables ? Pas bête, ce que vous dites. Bref, nous voilà plongés, tels que vous nous voyez là, dans la plus douloureusement inextinguible des perplexités épistémologiques. Vous savez quoi ? Pour obtenir réponse à nos questions lancinantes, le mieux est encore d'aller à la source, de s'imprégner de l'ambiance. Alors, au gré d'une de vos balades de ces jours prochains, camarades parisiens et parisiennes, pourquoi ne pas tout simplement vous déplacer jusqu'à l'adresse indiquée ci-dessus ou, à défaut, contacter massivement les principaux intéressés, par tous moyens disponibles et nécessaires, à fin d'éclaircissements salutaires ? Bobo ou pas, faut dire, un brunch de prolo à 17 euros, c'est tentant.

mardi 17 avril 2018

Ne pas confondre


« Vous n'avez donc pas la moindre notion des styles ? 
On doit pourtant distinguer le Chippendale du Louis-Quatorze ! »

(Bertolt Brecht, L'Opéra de quat'sous)

lundi 16 avril 2018

dimanche 15 avril 2018

Hi, there !


Did you miss me ?
—You bet.

jeudi 12 avril 2018

Éloge de la vérité


Quiconque d'un tant soit peu honnête, et point trop diminué intellectuellement, se sera intéressé, ces dix dernières années, à la soi-disant Affaire de Tarnac, conviendra aisément que toute l'affaire en question reposait sur une complète reconstruction factuelle, mensongère, des services « anti-terroristes » de l'État français : un tissage — maladroitement fourbi — de pseudo-preuves et témoignages de commande chaque fois censés, au fil du temps, confondre implacablement M. Coupat et ses camarades mais témoignant plutôt, de manière désormais avérée, de l'amateurisme impressionnant de la sécurité intérieure, comme l'on dit, exposée en l'espèce à la risée de l'univers. Sans reprendre le détail fastidieux de cette suite interminable de déboires policiers et juridiques d'exception (on se reportera, par exemple, ci-dessus à l'interview accordée récemment par MM. Coupat et Burnel à la deuxième chaîne de télévision), l'innocence — en termes juridiques — du groupe de Tarnac n'aura ainsi jamais soulevé aucun doute sérieux, que ce soit chez les ennemis ou les amis dudit « groupe », dont l'existence régulière même relevait (nous dit, ce matin du 12 avril, le tribunal correctionnel de Paris) de l'échafaudage policier. La relaxe judiciaire, intervenue ce jour, de la quasi-totalité de ses membres, apparaît donc, du point de vue de l'institution même, parfaitement logique. Ajoutons, par ailleurs, que cette humiliation publique de l'État et de ses sbires est une excellente nouvelle.

C'est moins cela qui nous importe et suscite ici nos réflexions que, justement, cette question plus générale de l'innocence juridique, que l'affaire de Tarnac et le système de défense particulier adopté par ses divers « mis en cause » auront permis de poser. Il n'aura, en effet, échappé à personne que M. Coupat et ses proches, depuis le début des persécutions ourdies contre eux, s'en seront globalement tenus (nous n'évoquerons pas ici le comportement plus nuancé de leurs comités de soutien), soit directement soit par l'intermédiaire de leurs conseils, à une double ligne de conduite consistant à contester, d'une part (et ce, de manière très efficace), la solidité des accusations portées à leur encontre mais également, d'autre part, à ne pas se présenter pour autant comme formellement innocents de ce dont l'État les accusait. Les motifs justifiant ce choix sont, revendiquèrent les prévenus, des motifs politiques. Il se serait agi là, pour eux, de ne pas se dissocier — du fait même de cette innocence revendiquée — d'autres camarades également engagés dans la guerre sociale ; eux et elles aussi, à ce titre, emprisonnés, persécutés ou menacés de l'être. Le but aurait été, en outre, de ne pas reconnaître à l'État la validité discursive de son intervention, de le considérer, pour ainsi dire, comme fondamentalement muet ou ne parlant à tout le moins en aucun cas la même langue que les accusés, cet État ne pouvant imposer, en sus de ses opérations de pure force déjà regrettables, une forme de conversation dont il aurait d'entrée choisi pour tout le monde l'élément textuel. En sorte que M. Coupat et ses camarades semblent avoir considéré la vérité elle-même (celle, en l'espèce, évidente, de leur innocence) à l'aune d'un enjeu a priori : directement politique, à l'exclusion de toute autre préoccupation, dépouillant ainsi cette vérité (dont la manifestation progressive leur donnait pourtant tendanciellement raison) de la moindre valeur objective. Notre analyse est singulièrement différente. La vérité revêtait à nos yeux, ici comme ailleurs, un intérêt en soi, par elle-même, en regard du mensonge perpétuel dont l'État procède, de ce mensonge sur lequel, par essence, il repose tout entier.

Ceux qui nous connaissent savent déjà où nous voulons en venir. À l'attention des autres, nous poserons une première très innocente question. Par quelle nécessité logique au juste le fait de clamer — arguments convaincants à l'appui — que l'on se trouve innocent de tel fait délictueux dont vous accuse l'État vous obligerait-il analytiquement à vous désolidariser d'autres individus, estimés par vous des camarades intéressés aux mêmes buts révolutionnaires, quoique jetés en prison dans le cadre d'affaires complètement différentes et ayant éventuellement adopté d'autres modes de défense ? Pour nous, la force d'une telle nécessité nous aura toujours échappé. La connotation normative archaïque du mot innocence serait-elle seule en cause, un communiste, un anarchiste ne pouvant décemment assumer un état d'innocence évoquant celui d'Adam, ni l'impeccabilité chrétienne garantie par l'État patriarcal, que ce mot suggérerait immanquablement ? Auxquels cas, le recours à tout autre terme plus adéquat, restant à déterminer, trancherait la question et basta. On s'adresserait plutôt, par exemple, à l'avenir, de la manière suivante au procureur anti-terroriste chargé par profession de vous expédier au gnouf pour conspiration terroriste : « Or, donc, ainsi que nous l'avons rationnellement démontré, on comprend bien que toutes vos accusations ridicules reposent sur du vent, que je n'ai pas fait ce que vous prétendez que j'ai fait, etc » ?

Il va de soi que des modes de défense différents assumés dans une même affaire poseraient évidemment problème, offrant matière potentielle à scandale en ruinant la solidarité minimale de règle entre camarades, chacun tentant le cas échéant de sauver sa peau comme il le peut, en catastrophe, aux mépris et détriment de l'intérêt collectif. Mais — encore une fois — dans l'histoire qui nous occupait, au cours de laquelle le mensonge policier antiterroriste aura à ce point révélé, chaque jour plus passionnément, ses prétentions à l'énormité, l'association maintenue d'un projet rigoureux d'exposition rationnelle de ce mensonge, d'une part, ET du refus, d'autre part, de défendre son innocence en tant que simple corollaire logique d'un tel mensonge d'État, nous paraît toujours aussi inconséquente. Nous souscrivons intégralement, en revanche et pour cette raison même, à la définition lapidaire donnée par M. Coupat dans l'interview de France 2 (voir la vidéo ci-dessus, à 19'09), selon laquelle cette magnifique « enquête » de la DCRI s'apparenterait toute entière à de la « haute voltige logique ». Pas mieux. C'est exactement ça. Nous voilà donc tout autant attachés que l'innocenté du 12 avril aux strictes exigences de la cohérence logique. Et, au-delà d'elle, sans doute, à ce dont la cohérence logique constitue le véhicule nécessaire. À savoir la production de vérité

Comment comprendre, alors, que M. Coupat, à l'instant précis de cette question essentielle posée par le journaliste — pourquoi ne pas clamer votre innocence ? — paraisse à ce point embarrassé ? Embarrassé, ou las. Peu importe. Car M. Burnel, présent sur le plateau, s'empresse (15'07) de lui venir en aide et de fournir aux spectateurs de France 2 l'explication politique de rigueur, explication que — politiquement ou pas — nous trouvons pour notre part toujours aussi absconse. Car quoi ! L'État ment, manipule, subordonne, trompe éhontément en nous reprochant des choses absurdes, des choses dont, cependant, nous ne serions pas pour autant innocents, du moins pas formellement : nous nous refusons à le dire pour des raisons politiques... La lassitude de M. Coupat nous semble d'un coup fort compréhensible. Car l'assomption d'une telle position au plan de la logique (dès lors qu'on prétendrait, bien entendu, expurger cette dernière de toute forme de voltige intempestive, qu'elle soit « haute », basse ou moyenne) ne laisse en vérité pas de lasser. Il existe, de ce point de vue, un fossé existant de longue date entre nos propres vues — il est vrai extrêmement conservatrices — en matière de vérité ou de logique, et d'autres, bien plus sophistiquées et novatrices, émanant d'un certain courant de pensée « ultra-radical », dont MM. Coupat et Burnel ne s'offusqueront pas de se voir ici rapprochés. 

Il fut un temps béni de la critique sociale où l'identification d'idéologies d'État et de classes sociales dominantes servait de manière assumée un projet de vérité. La bourgeoisie, l'État mentaient, voilà tout, et la critique sociale entendait dévoiler ce mensonge. Le mensonge consistait, pour les bourgeois, pour l'État, dans l'amalgame de leurs intérêts propres (historiquement contingents) et des intérêts de l'ensemble de la population, toutes classes (harmonieusement) confondues. Tel était le faux universalisme révélé par la critique anti-idéologique. La vérité de la bourgeoisie n'était nullement la vérité universelle, mais la sienne propre, et exclusive, autrement dit : une non-vérité, attendu que le principe de la vérité est de mettre tout le monde d'accord autour de son fait, quel que soit son objet. Dans le domaine des sciences dites «dures», par exemple, autant que dans celui des sciences dites «humaines». Un bourgeois et un prolétaire conviendront ainsi, en toute sincérité, que la Terre est ronde, que deux ajoutés à deux font quatre, ou, sur un autre plan, qu'ils vivent l'un et l'autre dans une société de classes opposant leurs intérêts de manière inconciliable, quelque parti qu'ils en prennent. Autant de vérités incontestables, par ailleurs, qu'on les atteigne ou non, car c'est là un autre principe des vérités qu'il en reste par définition toujours davantage à découvrir, avec le temps, que celles déjà disponibles à notre esprit. L'inaccessibilité éventuelle, provisoire ou durable (en regard de raisons, disons, techniques) de telle ou telle vérité ne fournissant évidemment aucune prévention contre l'existence de celle-ci. On peut très bien exister effectivement quoique caché de tous : dans l'ignorance, plus ou moins longue, plus ou moins maintenue dans le temps, de la majorité des hommes. C'est là le cas de nombre de vérités. 

Puis vint Michel Foucault. Michel Foucault est l'un des penseurs auxquels se réfèrent le plus régulièrement (ce fut encore le cas lors de notre interview de France 2, d'ailleurs ainsi conclue, à 27'02) MM. Coupat, Burnel, leurs amis et camarades de lutte, presque sans y penser, semble-t-il : de manière pour ainsi dire automatique. Foucault est l'intellectuel professionnel ayant, dans l'histoire contemporaine des idées, le plus consciencieusement ravagé l'idée même de vérité, de vérité objective possible, un ravage opéré chez lui par l'association fondamentale, portant sa marque, de cette notion à la notion de pouvoir. Savoir (savoir, c'est toujours savoir le vrai), chez Foucault (qui en forgea même un néologisme composé, à succès universitaire écrasant), c'est pouvoir : au sens d'une domination guerrière, stratégique, dont la production de vérité objective constitue essentiellement la trace (à moins que cela n'en soit la condition, les choses n'étant jamais très claires chez ce clerc extrêmement «littéraire», obscur ou simplement prudent, ainsi qu'en témoigne l'excellence sinueuse de ses parcours politique et universitaire). Dans le célèbre cours de 1971 délivré par lui au Collège de France, LA vérité est ainsi présentée par Foucault comme tributaire d'une certaine généalogie, d'une histoire tissée d'accidents, de luttes, d'intérêts opposés, de stratégies (Foucault aime beaucoup la guerre). En d'autres termes, la vérité n'a pas toujours été vraie. Idée étrange et contre-intuitive, qui provoque aujourd'hui encore la perplexité d'esprits aussi vigoureux, et rigoureux, que celui du positiviste Jacques Bouveresse, entre autres. Mais revenons aux exemples par nous cités un peu plus haut pour tâcher d'expliquer concrètement les choses. Le fait que deux plus deux égalent quatre, ou que la Terre est ronde, ces vérités n'auraient donc, aux yeux d'un foucaldien, pas toujours été vraies, ne seraient pas nécessaires, ne renverraient pas à cette liaison fatale (que nous pensions, naïvement, constitutive de la vérité) de l'être et de la pensée. Dire de l'être qu'il est, pensions-nous, et de ce qui n'est pas qu'il n'est pas, voilà ce qui définit la vérité. À cette conception s'oppose l'idée foucaldienne proprement sceptique ou relativiste attachant à chacun sa vérité, sans qu'une vérité objective unique puisse s'imposer là-dessus à tous autrement que par coup de force et violence. Un curé assurant, par exemple, que la Terre est plate au onzième siècle, soit avant que l'expérience fasse définitivement la preuve que non, et s'en tenant donc par là fidèlement à la vérité «scientifique» (ou au pouvoir : celui du discours chrétien) de son temps, se présenterait ainsi exactement dans le même rapport véridique associant un être (toujours contextualisé, historique) et sa pensée adéquate. Il n'y aurait donc que violence et autoritarisme inconscient à estimer après coup sa position particulière fragilisée en regard de nos propres positions «sphéristes». Elles-mêmes seraient relatives : à l'aune de progrès ultérieurs éventuels de la connaissance cosmologique, ou d'un nouveau discours de pouvoir officiel (mais ne serait-ce pas la même chose, en définitive ?)En sorte que ces positions-ci équivaudraient littéralement à celles-là. Le problème, c'est que la sincérité du curé en question, ou plutôt sa soumission aux « vérités » de son époque, n'empêchent en rien que lesdites «vérités» qu'il défendait alors n'en étaient pas, que le vrai qu'il défendait n'était pas le vrai mais uniquement ce que lui tenait alors pour vrai, quoique étant absolument faux. De même, la précarité historique de nos propres connaissances dans tel ou tel domaine n'empêche pas que, dans ce domaine, il y ait bien une vérité de l'état de l'être, et, en conséquence, qu'un discours vrai soit au moins possible : au moins potentiellement adéquat à cet état véridique du réel. La vérité objective de la sphéricité de la Terre existait donc (autant qu'elle existe aujourd'hui, et existera encore), quelque ignorance (nous ne parlons même pas ici de mensonge) que ce curé en eût, ignorance fallacieusement travestie en vérité. Or ce n'est jamais ce travestissement (nous dirions : cette idéologie) qu'a Foucault en ligne de mire. Sa cible n'est pas la fausse vérité, mais bien la vérité elle-même.

Revenons à nos moutons, à MM. Coupat, Burnel et autres foucaldiens très orthodoxes contemporains. Que de détours, nous dira-t-on, pour en venir à cette fameuse innocence juridique que tous se refusèrent donc farouchement à assumer au cours de leur procès, mais que nous reconnaissons, nous, simplement comme corollaire logique du mensonge symétriquement avéré de l'anti-terrorisme, et accessoirement comme occasion historique ou politique unique (une occasion, de fait, manquée) d'exposer massivement ce mensonge au public. Le lien est pourtant assez simple, et clair. Outre la vérité objective, assimilée par lui à un pur effet de pouvoir, Michel Foucault se reconnaît, en matière stratégique (il aime, on l'a dit, la guerre, au point d'en faire la vérité dernière de la politique), un autre ennemi décisif. Cet ennemi, c'est le Droit. Pas simplement le droit bourgeois (et sa fameuse justice de classe), non : le discours juridique dans son entier. Certes, les anarchistes ou les marxistes attaquent, eux aussi, le Droit mais, une fois de plus, s'en prennent à lui comme à ce mensonge (mensonge suprême, en l'occurrence) soutenant la société bourgeoise, formellement attachée à des idéaux universalistes qu'elle foulera aux pieds en pratique quotidiennement, tout en tirant d'eux sa légitimité politique. C'est au contraire le Droit en lui-même, la possibilité même d'un Droit, c'est-à-dire la possibilité anthropologique, précédant toute société de classe, de désigner un juste opposé à un injuste, un être insupportable à un devoir-mieux-être, que Foucault stigmatise. Le cours de 1971 attaquait la vérité. Son cours de 1976 attaque le Droit, et l'invasion soi-disant sournoise que le discours juridique aurait, selon Foucault, opéré sur les positions de ceux qui, dans la société, luttent de fait, bien que légitimement et sincèrement (les homosexuels, par exemple, ou les femmes, luttant pour l'obtention de droits nouveaux) contre un mauvais ennemi, un ennemi illusoire. Quel serait alors le bon ennemi au juste (on n'ose dire le vrai), si ce n'est ni l'État, ni le capital ? Les seules normes communes que le pouvoir tenterait d'imposer aux corps ? Mais d'où, dans quels buts, à quelles fins ? Une fois encore, les choses sont tout sauf claires, Foucault n'ayant explicitement aucun problème de fond avec ces deux monstres froids (État et capital) — lesquels présentent pourtant l'avantage d'être assez facilement identifiables par tout un chacun (par les pauvres, en particulier) —, leur préférant donc, comme objet stratégique et interlocuteur privilégié, ce fameux «pouvoir», qui est partout mais dont l'identification apparaît, pour cette raison même, beaucoup plus malaisée (et technique, nécessitant sans doute quelques solides compétences universitaires). L'erreur commune des gauchistes «freudo-marxistes» des décennies 1960-1970, selon Foucault (et l'erreur persistante de ceux qui seraient tentés de les suivre dans les années 2018, pour les foucaldiens d'aujourd'hui), est de toujours penser l'affrontement social en termes crypto-juridiques : juridiques-honteux, et donc de se placer, défavorablement, sur le terrain sémantique de l'ennemi avant même que la bataille (la guerre véritable) ne s'engage. La catégorie de «répression», par exemple, que quiconque ayant un jour goûté aux joies d'une charge de CRS aurait tendance à trouver parfaitement opératoire, est sévèrement bannie par M. Foucault, en 1976 et après (les gauchistes actuels persistant, côté face — « caisse anti-rep » — à l'employer tout en vénérant, côté pile, le Maître, se montrant là singulièrement inconséquents). Cette catégorie freudo-marxiste (l'«hypothèse répressive» de La volonté de savoir) impliquerait négativement, l'état originel pur, neutre, spontané d'un mystérieux complexe pulsionnel humain simplement désireux de s'exprimer, de s'épanouir librement (contre la société de classes et ses refoulements tyranniques), état pulsionnel originel qui, de là, se trouverait réprimé par l'État et le capital, pressés de faire trimer son sujet physique, sous forme de prolétaire crachant de la plus-value. Or, il serait absurde, pour Foucault, de contester ainsi l'injustice du pouvoir, le scandale qu'il représenterait, la chose obligeant, en effet, une fois encore, à supposer, par contraste, une essence humaine authentique, norme objective enfin libérée d'un pouvoir parasite, bref la justice finale (téléologique, millénariste, sourdement religieuse) d'un état social affranchi de tout rapport de domination, un état proprement inconcevable. C'est ce que Foucault reproche notamment aux anarchistes. Pas d'injustice du pouvoir. Pas de répression menée par lui sur quelque pure essence énergétique de la vie tentée de se déployer, ni de grand mensonge fondant, et protégeant ensuite, ce pouvoir injuste, mensonge que la critique anti-idéologique (freudo-marxiste, par exemple) prétendrait naïvement dévoiler. Tous ces éléments déterminants de la pensée «stratégique» de Foucault rejoignent évidemment, comme on le voit, sa critique sceptique générale de la vérité.

Finissons-en pour aujourd'hui. Nous avons autre chose à faire, et à penser. Le programme, en cette mi-avril 2018, apparaît étonnamment chargé. C'est une bonne nouvelle que la relaxe du «groupe» de Tarnac, dont l'inexistence régulière, rappelons-le, a aussi été prononcée dans le même mouvement, comme vérité évidente à laquelle le mensonge inverse des flics anti-terroristes aura pourtant grotesquement fait obstacle durant dix années. Dix ans d'outrances et de mensonges polymorphes, de la part d'un État se donnant pour seul pourvoyeur possible de démocratie, de liberté, de bonheur. Autant d'exigences humaines irréductibles qu'à chaque instant, pourtant, ses seuls existence, maintien et survivance interdisent par principe. Bonne nouvelle, oui, que celle de cette innocence enfin publiquement avérée, fût-ce au travers, comme ici, de l'inepte décision judiciaire d'un magistrat. Mais cette vérité, n'en déplaise à MM. Coupat et Burnel, n'aura quant à elle jamais cessé d'être et de valoir universellement : comme toute vérité, qu'elle ait été ou non connue et reconnue, au gré des fluctuations juridiques d'une institution seulement pressée d'éviter le discrédit total, de sauvegarder la cohérence spectaculaire fondant et refondant sans cesse, à coups de replâtrages foireux, sa légitimité « universelle », son « état de droit ». La vérité serait-elle en soi frappée d'inexistence du simple fait que tel pouvoir inquisiteur n'aurait que ce mot (vérité) à la bouche, employé dans son sens, suivant ses minables intérêts ponctuels déterminés ? Il est vrai que Michel Foucault, en 1971, osait un lien génétique (à l'aune d'une recherche soi-disant commune des preuves de vérité) entre l'Inquisition et ses bûchers et les protocoles d'enquête scientifique, ou juridique, de l'époque moderne. C'était là tirer un signe d'égalité parfaite entre délire et raison. En d'autres termes : de la « haute voltige logique », comme disait M. Coupat, l'autre soir, à la télévision. 

Il ne paraîtrait donc pas complètement inutile, une bonne nouvelle pouvant en amener une autre, voire beaucoup d'autres (et pourquoi pas au plan épistémologique, autant qu'au plan politique ou social), que la vérité elle-même, la vérité en général, se trouve un beau jour à son tour innocentée, sinon réhabilitée au sein de certains milieux, appelés, n'en doutons point ! à jouer, ici ou là, un rôle majeur dans l'histoire prochaine de l'émancipation humaine. 

mardi 10 avril 2018

« Réparer le lien entre l'église et l'état »

Application immédiate (Notre-Dame-des-Landes, France, 10 avril 2018 après notre Seigneur).

« Nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’Etat s’est abîmé, et qu’il vous importe à vous comme à moi de le réparer. »

(Emmanuel Macron, devant la conférence des évêques de France, 9 avril 2018)


« Et il tomba du ciel une grande étoile ardente comme un flambeau... » (Apocalypse 8 : 10-12)

lundi 9 avril 2018

Génie du socialisme

(Le Monde, 9 avril 2018)

Genealogía del pensamiento débil


La traduction française des deux extraits qui suivent est à retrouver juste après (entre crochets : notre propre contribution, consécutive à un étrange oubli de M. Gomez et M-C Leborgne...).

« El Poder quiere ser contemplado como algo natural, como si siempre hubiera estado presente, por eso siente horror a la historia, a la historia de la lucha de los oprimidos, ya que ésta le recuerda su origen reciente, su condición de usurpador y la duración efímera de su existencia. Lograda la victoria sobre el proletariado autónomo, su objetivo estratégico era la erradicación de la misma idea de autonomía, a realizar primeramente mediante un desarme teórico que pusiera a la historia fuera de la ley. Con la desvalorización del conocimiento histórico objetivo se buscaba borrar del imaginario social todo lo que el pensamiento revolucionario había vuelto consciente y que por el bien de la dominación tenía que caer en el olvido, después de una última mistificación. Para una tarea de tal envergadura el viejo marxismo positivista resultaba inoperante, y también el estructuralismo. La reflexión académica seudorradical se convirtió entonces en el instrumento idóneo para empujar la historia a la clandestinidad y hacer que el orden volviera al terreno de las ideas gracias a la recuperación de fragmentos críticos convenientemente desactivados, cosa fácil dado que las condiciones de degradación intelectual reinantes en los medios universitarios favorecían la falsificación. Así pues, los pensadores de la clase dirigente se defendían de la subversión llevando los acontecimientos fuera de la historia, integrándolos en su visión del mundo como metarrelatos, es decir, como categorías literarias atemporales. El hecho histórico, cargado de experiencia humana, pasaba a considerarse como una excepción que carecía de significado preciso, una interrupción condenable de la norma, una fisura reparable en las inmutables estructuras. La lógica fobia de la dominación a las revoluciones llevaba a que sus pensadores calificasen de mitos falaces todas las ideas que empujaban a los individuos hacia la realización colectiva en la historia de su propia libertad, de forma que no les quedara más remedio que doblegarse ante la opresión y evadirse en su pequeño mundo privado.

Las vedettes de la recuperación adquirieron una notoriedad impensable pocos años antes, puesto que uno de los aspectos más llamativos de la destrucción de la historia ha sido la facilidad con la que se fabrican y rectifican reputaciones cuando la mixtificación sabionda tiene las manos libres. Y así pues, los pensadores funcionarios camparon durante un tiempo entre los escombros teóricos de las luchas anteriores -vueltos inofensivos por el reflujo del movimiento- el necesario para que la sumisión progresase y las ilusiones revolucionarias dejaran de ser necesarias. Con un proletariado revolcándose en la miseria modernizada, las ideas ya no eran peligrosas: cualquier profesor de medio pelo podía cuestionar cualquier punto de la anterior ortodoxia y proponer una alternativa ficticia y chapucera. El truco consistía en ser extremadamente crítico en los detalles y abstenerse de concluir. Todo era demasiado complejo para deducir soluciones simples del estilo de abolir el estado y las clases. El psicoanálisis podía servir como coartada de una radicalidad de papel. Por ejemplo, para un cómico como Guattari no había que buscar la lucha de clases en los escenarios habituales del combate social, en los antagonismos generados por la explotación, sino “en la piel de los explotados”, en la familia, en la consulta del médico, en el grupúsculo, en la pareja, en el “yo”, etc., a saber, en cualquier parte donde el capital y el estado no salieran demasiado perjudicados. Todo eso sonaba muy radical, incluso muy anarquista, pero uno se podía pasar la vida mirando su sexo o su interior, culpabilizándose y buscando la lucha de clases sin estar seguro de encontrarla. Un pensamiento sumiso guardando las apariencias subversivas resultaba lo más indicado para un poder que se apoyaba en unas clases medias asalariadas y en un proletariado retrocediendo en desorden que, todavía ambos bajo el influjo de las conmociones pasadas, soñaban con revoluciones que realmente no deseaban y en todo caso, que eran incapaces de hacer aunque quisieran. Consumidores de ideología, querían al mismo tiempo el prestigio de la revuelta y la tranquilidad del orden. Sin embargo, la fase “revolucionaria” de la ideología dominante cesó tan pronto como se esfumó en el mundo occidental la perspectiva de una guerra de clases. En poco tiempo la inmersión en la vida privada, la preponderancia de los intereses particulares y la satisfacción inmediata de necesidades falsas produjo tal inconsciencia general y tal grado de ignorancia que el camino del pensamiento débil quedó definitivamente allanado. La desvinculación de la vida social y pública permitía que la abundancia de mercancías colmara los deseos manipulados de las masas y que su espíritu se contentara con sucedáneos cada vez más simples. En 1979, año en que aparece el adjetivo “posmoderno” en su acepción actual, el concepto de revolución ya podía ser demolido con comodidad: con el proletariado adormecido, la historia podía redefinirse como “narración” o “relato”, es decir, como canción de cuna, un género literario menor dentro del cual la revolución quedaba reducida a simple “acontecimiento” fabulable. Pero la revolución no era precisamente objeto del deseo. La caterva de “neofilósofos” – la mayoría, antiguos maoistas - condenaba la revolución y la universalidad como antesala del totalitarismo. Quien abogara por un modelo alternativo de sociedad o apelara a un proyecto revolucionario trabajaba para una nueva forma de poder, o sea, para el Poder (...)

Sin lugar a dudas, el pensamiento reaccionario posmoderno se construyó a partir de interpretaciones unilaterales sobre todo de Nietzsche, aunque también se echó mano a Heidegger, Kant, Husserl, Lacan, Levi-Strauss y Freud en la medida de su utilidad para la labor de destrucción de la Razón y la Historia. La filosofía racionalista había creado valores universales, postulando una progresiva toma de conciencia que en su estadio final volvía a la humanidad capaz de autogobernarse en libertad. La categoría de universalidad acababa con las diferencias de nacimiento, de destino, de sexo, de riqueza, de clase, de nación… Su realización era un proceso conflictivo: de ahí la importancia dada a la historia como historia de las luchas de liberación. En sus formulaciones más radicales, las revoluciones constituían las salidas violentas de emergencia. Nietzsche cuestionó la realidad de dicho proceso emancipador, negando el telos o finalidad de la historia y sacando a colación la dimensión inconsciente y oscura –dionisiaca- de las sociedades humanas. Quiso demostrar que los fundamentos de la Razón no eran racionales y que la historia no evolucionaba según planes determinados. La astucia de la razón que deducía fines generales a partir de pasiones particulares era pues una falacia hegeliana. Es más, la razón, al apoderarse de la “Vida”, la destruía, luego por el bien de ésta había que desembarazarse de aquella. Tal sería, un tanto simplificada, la tarea que inspirará a los primeros artífices de la filosofía débil de la posmodernidad, Foucault y Deleuze, a sus procedimientos genealógicos y modelos rizomáticos. No podemos negar el crucigrama teórico surgido de la cruel materialización de la idea de Progreso, de la experiencia totalitaria y del triunfo del capitalismo que Adorno, Benjamin, Bataille y otros, cada uno a su modo, trataron de resolver sin necesidad de renunciar a la Razón ni hacer concesiones al irracionalismo. Pero las críticas razonadas de la razón y su sentido histórico estaban condenadas a languidecer en tertulias de ilustrados, a no ser que un sujeto agente se hiciera cargo de sus resultados y los llevara a la práctica. Por desgracia, ese sujeto, la clase obrera revolucionaria, en los años ochenta había dejado de existir. En verdad el sujeto histórico no puede coexistir con la contrarrevolución. El gran logro del capitalismo fue precisamente ese, materializado gracias a la disolución de los vínculos que ligaban los individuos a su gente, a su vecindario y a su clase mediante la privatización absoluta del vivir, o sea, mediante la desintegración de la trama social por la colonización tecnoeconómica de la vida cotidiana. Desde un punto de vista conservador hipermoderno, la historia no era el escenario donde se recreaba la humanidad consciente para autoliberarse. En la práctica, para un defensor de lo existente, la historia se inmolaba en un eterno presente donde nadie era ni devenía, sino que simplemente existía. Por consiguiente, la aniquilación teórica del sujeto de la conciencia fue uno de los primeros objetivos del pensamiento sumiso. Sin sujeto no había posibilidad de utopías revolucionarias. Cabía completar la victoria capitalista en el campo de las ideas, pero no mediante la herramienta de falsificación habitual, el marxismo universitario, sino innovando en el arte, también universitario, de disolver la verdad en la mentira y la realidad en el espectáculo. Las condiciones mentales del capitalismo tardío –desconexión con el pasado, desmemoria, pérdida de valor de la experiencia, anomia, seudoidentidad- favorecían la operación, dándole además los aires prestigiosos de la ruptura.

Al prescindir de la categoría de totalidad, el comentario apologético destruye la verdad y la convierte en doxa, opinión, interpretación, bucle. Para el apologista todos los sistemas filosóficos no han sido otra cosa. Los hitos del pensamiento ya no se contemplan como momentos del desarrollo de la verdad, luego de la humanidad, sino como un montón de ruinas más o menos aprovechables. A los ojos del posmoderno, ni la verdad ni la humanidad existen. Su trabajo de recuperador es más propio de un arqueólogo con su “caja de herramientas” que de un historiador de la filosofía recopilando informaciones y datos susceptibles de un tratamiento objetivo. Cualquier enunciado se puede cuestionar (y “deconstruir”) demostrándose su invalidez a la carta. Para Derrida, las categorías como por ejemplo, género humano, clase, comunidad, libertad, relación social, antagonismo, revolución, etc., son simples fantasmagorías del lenguaje, y por consiguiente, meras convenciones, “logocentrismo”. Algún entusiasta de la incomunicación como Barthes llegaría a decir que “el lenguaje es fascista.” Las categorías mencionadas no son reales; la realidad es lo que queda al final de la deconstrucción, es decir, poco menos que nada. Son simples formas de hablar. La objetividad se pierde, la esencia se diluye y el contenido se vacía : lo verdadero no se distingue de lo falso, ni lo concreto, de la abstracción. Políticamente, el relativismo de tal delirio interpretativo conduce a someterse al orden vigente dejando que otros, los expertos, controlen las condiciones de existencia de la mayoría: si nada es verdad, cualquier forma de adhesión está permitida. Hete aquí un nihilismo de andar por casa que en sus aspectos más llamativamente negadores penetra en todas las ideologías, del marxismo al anarquismo, del nacionalismo al fascismo, hibridándose en cierta medida con ellas. En las obras más representativas de la conciencia servil, el Poder no aparece en un extremo de la jerarquía social como producto de unas relaciones desequilibradas por el capital y el Estado, sino la sustancia que impregna la vida, desde el estrato social más alto al más bajo. El Poder, como Dios y la líbido, está en todas partes, pero especialmente en las asambleas de trabajadores, en la vida cotidiana, en la cama, en el alma individual y en las raíces de la tan traída verdad, que a poco que se abra camino se verá denunciada como convencional y totalitaria. No sorprenderá que algún avispado como Foucault haya encontrado su bioideal sucesivamente en el Irán de Jomeini, en el partido socialista francés y en los Estados Unidos de Ronald Reagan. Otros, como Guattari “el máquina”, reivindicaban la revuelta de mayo como si realmente no hubieran permanecido tranquilos en su casa durante los días de las barricadas. Como buen alumno de Lacan creía que la realidad más real eran las estructuras y que éstas “no salían de manifestación.” La mayoría, como Derrida, de cara a un público académico políticamente correcto, se declaraban vagamente “de izquierdas”, pero cuidándose de desmarcarse mucho más del 68 que del estalinismo y antisemitismo de sus maestros. »

(Miquel Amorós, Genealogía del pensamiento débil, 2015).
Texto completo aquí !

***

Traduction française (par Michel Gomez et Marie-Christine Leborgne) :

« Le Pouvoir veut être compris et admis comme une chose naturelle, comme s’il avait toujours été là. C’est pourquoi il déteste l’Histoire, l’histoire de la lutte des opprimés, car celle-ci lui rappelle son origine récente, sa condition d’usurpateur et la durée éphémère de son existence. Une fois obtenue la victoire sur le prolétariat autonome, son objectif stratégique fut l’éradication de l’idée même d’autonomie, cela en procédant à un désarmement théorique qui mette l’histoire hors la loi. Avec la dévalorisation de la connaissance historique objective, le but était d’effacer de l’imaginaire social tout ce que la pensée révolutionnaire avait rendu conscient et qui, pour le bien de la domination, devait tomber dans l’oubli, après une dernière mystification. Pour une tâche d’une telle envergure, le vieux marxisme positiviste n’était pas efficace, pas plus que le structuralisme. La pensée académique pseudo-radicale devint alors l’instrument idéal pour repousser l’histoire dans la clandestinité et rétablir l’ordre dans le terrain des idées grâce à la récupération de fragments critiques convenablement désactivés, falsification facilitée par l’état de dégradation intellectuelle qui règne dans les milieux universitaires. Ainsi, les penseurs de la classe dirigeante se protégeaient de la subversion en menant les événements hors de l’histoire, en les intégrant dans leur vision du monde en tant que métarécits, c’est-à-dire comme des catégories littéraires atemporelles. Le fait historique, chargé d’expérience humaine, était désormais considéré comme une exception dénuée de sens précis, une interruption condamnable de la norme, une fissure réparable dans les structures immuables. La phobie bien compréhensible de la domination envers les révolutions amenait ses penseurs à qualifier de mythes trompeurs toutes les idées qui poussaient les individus vers la réalisation collective de leur propre liberté, dans l’histoire, de sorte qu’ils ne leur restaient plus qu’à se soumettre face à l’oppression et à s’évader dans leur petit monde privé.

Les vedettes de la récupération acquirent une notoriété impensable peu d’années auparavant, car un des aspects significatifs de la destruction de l’histoire est la facilité avec laquelle se fabriquent des réputations quand la mystification maligne a les mains libres. Les penseurs-fonctionnaires campèrent donc un temps suffisant dans les décombres théoriques des luttes antérieures – rendus inoffensifs par le reflux du mouvement –, de façon que la soumission progresse et les illusions révolutionnaires cessent d’être nécessaires. Avec un prolétariat s’abîmant dans la misère modernisée, les idées n’étaient plus dangereuses : n’importe quel professeur médiocre pouvait mettre en question l’orthodoxie antérieure et proposer une alternative fictive et bâclée. L’astuce consistait à être extrêmement critique sur les détails (les couper en quatre) et à s’abstenir de conclure. Tout était trop complexe pour que des solutions simples comme abolir l’État et les classes puissent servir de conclusion. La psychanalyse pouvait servir d’alibi à la radicalité de papier. Ainsi, pour Guattari, il ne fallait pas chercher la lutte des classes dans les lieux habituels du combat social, dans les antagonismes générés par l’exploitation, mais plutôt «dans la peau des exploités», dans la famille, chez le médecin, dans le groupuscule, dans le couple, dans le « moi », etc., c’est-à-dire partout où le capital et l’État n’étaient pas trop remis en cause. Toutes ces théories sonnaient très radicales, même très anarchistes, mais on pouvait passer sa vie à regarder son sexe ou son intériorité, se culpabiliser et chercher la lutte des classes sans être certain de la trouver. Une pensée soumise qui gardait l’apparence de la subversion était la plus indiquée pour un pouvoir qui s’appuyait sur des classes moyennes salariées en train de se moderniser et sur un prolétariat qui reculait dans le désordre, tous encore commotionnés par les secousses du passé, rêvant de révolutions qu’en réalité ils ne désiraient pas, en tout cas, incapables de les réaliser, même s’ils le désiraient. Consommateurs d’idéologie, ils voulaient en même temps le prestige de la révolte et la tranquillité de l’ordre. Néanmoins, la phase « révolutionnaire » de l’idéologie dominante cessa aussitôt que partit en fumée la perspective d’une guerre des classes en Occident. En peu de temps, la plongée dans la vie privée, la prépondérance des intérêts particuliers et la satisfaction immédiate de faux besoins produisirent une telle inconscience générale et un tel degré d’ignorance que la voie pour la pensée molle était définitivement ouverte. La rupture entre la vie sociale et publique permettait que l’abondance de marchandises comble les désirs manipulés des masses et que son esprit se contente d’ersatz de plus en plus simples. En 1979, année qui vit l’apparition de l’adjectif « postmoderne » dans son acception actuelle, le concept de révolution pouvait être facilement démoli : le prolétariat endormi, l’histoire pouvait être redéfinie comme « narration » ou «récit», c’est-à-dire comme berceuse, un genre littéraire mineur dans lequel la révolution était réduite à un simple « événement » digne d’une fable. La révolution n’était pas vraiment un objet du désir. La bande des « nouveaux philosophes » – d’anciens maoïstes pour la plupart – condamnaient la révolution et l’universalité en tant qu’antichambre du totalitarisme. Quiconque plaidait pour un modèle alternatif de société ou en appelait à un projet révolutionnaire travaillait pour une nouvelle forme de pouvoir ou tout simplement pour le Pouvoir. (...)

Sans doute, la pensée réactionnaire postmoderne s’est construite à partir d’interprétations unilatérales, principalement de Nietzsche, bien qu’elle puisât aussi chez Heidegger, Kant, Husserl, Lacan, Lévi-Strauss et Freud dans la mesure où ils étaient utiles à la destruction de la Raison et de l’Histoire. La philosophie rationaliste avait créé des valeurs universelles, postulant une progressive prise de conscience qui, à son stade final, rendait l’humanité capable de s’autogouverner librement. La catégorie d’universalité mettait fin aux différences de naissance, de destin, de sexe, de richesse, de classe, de nation... Sa réalisation était un processus conflictuel : de là l’importance accordée à l’histoire en tant qu’histoire des luttes de libération. Dans ses formulations les plus radicales, les révolutions constituaient de violentes sorties d’urgence. Nietzsche questionna la réalité de ce processus émancipateur, niant le telos ou la finalité de l’histoire et soulevant la question de la dimension inconsciente et obscure – dionysiaque – des sociétés humaines. Il voulut démontrer que les fondements de la raison n’étaient pas rationnels et que l’histoire n’évoluait pas selon des plans déterminés. L’astuce de la raison qui déduisait des fins générales à partir de passions particulières était donc une illusion hégélienne. De plus, comme la raison, en s’appropriant la « Vie », la détruisait, il fallait, pour le bien de cette dernière, se débarrasser de la première. Telle serait, à grands traits, la tâche qui inspirerait les premiers artisans de la philosophie molle de la postmodernité, Foucault et Deleuze, et leurs procédés généalogiques et modèles «rhizomatiques», c’est-à-dire relativistes. Nous ne pouvons nier l’énigme théorique surgie de la matérialisation cruelle de l’idée de Progrès, de l’expérience totalitaire et du triomphe du capitalisme qu’Adorno, Benjamin, Bataille et d’autres, chacun à sa façon, tentèrent de résoudre sans renoncement à la Raison ni concessions à l’irrationalisme. Mais les critiques raisonnées de la Raison et leur sens historique étaient condamnées à languir dans des cercles éclairés, à moins qu’un sujet-agent prenne en charge ses résultats et les mette en pratique. Malheureusement, ce sujet, la classe ouvrière révolutionnaire, avait cessé d’exister dans les années 1980. La grande réussite du capitalisme fut précisément celle-là : la dissolution des liens qui unissaient les individus à leurs semblables, à leur voisinage et à leur classe par la privatisation absolue de la vie, c’est-à-dire grâce à la désintégration du tissu social par la colonisation techno-économique de la vie quotidienne. D’un point de vue conservateur très moderne, l’histoire n’était plus le théâtre où se recréait l’humanité consciente pour s’auto-libérer. Dans la pratique, pour un défenseur de ce qui existe, l’histoire s’immolait dans un présent éternel où personne n’était ni ne devenait, mais se contentait simplement d’exister. Sans sujet, les utopies révolutionnaires ne sont plus possibles. Par conséquent, la destruction théorique du sujet de la conscience fut un des premiers objectifs de la pensée soumise. Il fallait compléter la victoire capitaliste dans le champ des idées, et cela non au moyen de l’outil de falsification habituel – le marxisme universitaire –, mais en innovant dans l’art, également universitaire, de dissoudre la vérité dans le mensonge et la réalité dans le spectacle. Les conditions mentales du capitalisme tardif – déconnexion avec le passé, absence de mémoire, dévalorisation de l’expérience, anomie, pseudo-identité – favorisaient l’opération, lui donnant, en plus, les airs prestigieux de la rupture. 

En supprimant la catégorie de totalité, le commentaire apologétique détruit la vérité et la transforme en doxa : opinion, interprétation, boucle. Pour un apologiste, les systèmes philosophiques ne sont rien d’autre. Les jalons de la pensée n’étaient plus considérés comme des moments du développement de la vérité, donc de l’humanité, mais comme un tas de ruines plus ou moins exploitables. Pour un postmoderne, la vérité et l’humanité n’existent pas. Son travail de récupération est plus proche de celui d’un archéologue avec sa « boîte à outils » que d’un historien de la philosophie compilant informations et données pour les étudier objectivement. N’importe quel énoncé peut être questionné et «déconstruit» afin d’en démontrer, à la carte, l’inanité. Pour Derrida, les catégories de genre humain, classe, communauté, liberté, relation sociale, antagonisme, révolution, etc., sont de simples fantasmagories du langage et, par conséquent, de pures conventions, un «logocentrisme». Des enthousiastes de l’incommunication comme Barthes diront que «le langage est fasciste». Ces catégories ne sont pas réelles ; la réalité étant ce qui reste à la fin de la «déconstruction», c’est-à-dire pratiquement rien. Ce sont de simples expressions de langage. L’objectivité se perd, l’essence se dilue et le contenu se vide : le vrai ne se distingue pas du faux, ni le concret de l’abstrait. Politiquement, le relativisme d’un tel délire d’interprétation conduit à se soumettre à l’ordre établi, laissant aux experts le contrôle des conditions d’existence de la majorité : si rien n’est vrai, n’importe quelle forme d’adhésion est permise. Voilà donc un nihilisme de bric et de broc dont les aspects les plus tapageusement négateurs pénètrent dans toutes les idéologies, du marxisme à l’anarchisme, du nationalisme au fascisme, s’hybridant dans une certaine mesure avec elles. Dans les œuvres les plus représentatives de la conscience servile, le Pouvoir n’apparaît pas à une extrémité de la hiérarchie sociale comme un produit de relations déséquilibrées par le capital et l’État, mais comme la substance qui imprègne la vie depuis la strate sociale la plus élevée jusqu’à la plus basse. Le Pouvoir, comme Dieu et la libido, est partout mais tout particulièrement dans les assemblées de travailleurs, dans la vie quotidienne, au lit, dans l’âme individuelle et dans les racines de cette fameuse vérité, qui, pour peu qu’elle parvienne à voir le jour, se verra qualifiée de conventionnelle et totalitaire. Il n’est guère surprenant qu’un futé comme Foucault ait trouvé son bio-idéal successivement dans l’Iran de Khomeiny, [dans le parti socialiste français] et dans les États-Unis de Ronald Reagan. D’autres, comme «Guattari-la-machine», revendiquaient la révolte de Mai comme si, en réalité, ils n’étaient pas restés tranquillement chez eux pendant les journées des barricades, tout en gardant leurs désirs mécaniques dans le tiroir. En tant que bons élèves de Lacan, ils croient que les structures sont beaucoup plus réelles que les individus et que celles-ci ne défilent pas dans la rue. La plupart, comme Derrida, se déclaraient vaguement « de gauche » face à un public académique politiquement correct, tout en se distanciant beaucoup plus de Mai 68 que du stalinisme et de l’antisémitisme de leurs maîtres. »

Miquel Amorós, Généalogie de la pensée molle,
extrait de Filosofía en el tocador 
(Philosophie dans le boudoir), Argelaga, 2016.

Texte intégral de l'article disponible ICI !

Lola Miesseroff


 Lola Miesseroff, Voyage en outre-gauche
chez Libertalia.

Présentation de l'éditeur : 

De 1968 en France, on ne retient en général que des clichés chocs ou chics : les barricades au Quartier latin, les voitures qui brûlent, des slogans («il est interdit d’interdire», «sous les pavés la plage»), la pénurie d’essence, les soixante-huitards baba cools et ceux qui, passés «du col Mao au Rotary», ont fait depuis de «belles» carrières. On oublie que mai 68 n’a été que le point culminant d’un mouvement de révolte des ouvriers et des jeunes qui avait débuté bien avant et s’est prolongé largement au-delà, que ce mouvement a été très actif loin de la capitale et que les étudiants ou les groupuscules maoïstes et trotskistes n’en constituaient que les composantes les plus visibles. C’est une autre vision de cette période que l’auteure donne à connaître et à comprendre, celle d’une mouvance hétérogène, «l’archipel outre-gauche», qui va des anarchistes indépendants à l’ultragauche en passant par les situationnistes. Des témoignages de trente individus qui se trouvaient alors à Paris, Nantes, Angers, Lyon, Chambéry, Strasbourg, Toulouse, Bordeaux ou Marseille, elle tire un récit choral subjectif, fait de vécu et de théorisation, d’anecdotes et de réflexion, d’espérances et de désespérance, sans oublier une bonne pincée d’humour et même un peu de sex, drugs, free jazz and rock’n’roll.

Bonus : bel entretien biographique accordé par Lola Miesseroff à DDT 21, concernant notamment son engagement au sein du Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (FHAR), au début des années 1970.  C'est LÀ !

samedi 7 avril 2018

Kupka, enfin !


On en sera. 
Et, bientôt, on en reparle.

vendredi 6 avril 2018

Un vulgaire indigène de la république

« Il ne faut pas que les acteurs de l'IA 
soient tous des mâles blancs quadragénaires 
formés dans les universités européennes ou américaines. »
(Emmanuel Macron, 29 mars 2018)

C'est le torchon réactionnaire Causeur qui relevait récemment cette perle symptomatique du macronisme, pour s'en étrangler de rage. On comprend les salariés dudit torchon : suivant le conformisme de leur perspective nationale abstraite - sous couvert d'insolence - et leur approche classiquement parcellaire de la réalité sociale, ils ne retiendront de cette sortie fort bottom-up que son aspect ethnique, aussitôt par eux isolément fantasmé et hypostasié : jugé seul décisif. 
Notre point de vue est différent. Il est avant tout soucieux de saisir la cohérence moderniste systématique, la solidarité organique de cette conception du monde bourgeoise contemporaine dont Emmanuel Macron est le représentant, il est vrai caricatural. Bref, notre point de vue s'intéresse à la totalité idéologique libérale dont cette conception procède. Pour le dire simplement : un monde où les capitalistes, la pollution massive, la violence, les dominations, la bêtise, le malheur et la frustration s'épanouiraient dans la diversité de genre ou de « race » la plus complètement achevée, nous paraîtrait tout aussi dégoûtant que le monde actuel. Que la soi-disant Intelligence Artificielle, par exemple, c'est-à-dire la soumission programmée de l'intelligence humaine à ses extrapolation et aliénation strictement calculatrices et quantitatives, triomphe un beau matin sous pavillon « racisé », féministe queer ou plutôt hétéropatriarcal blanc nous indiffère totalement. De même nous indiffère le fait qu'un blockbuster hollywoodien mette en valeur des héros et héroïnes davantage noirEs ou blancs que jaunes s'il s'agit, chaque fois, de défendre les mêmes éternelles valeurs de hiérarchie sociale, familiale ou politique. Ici ou là, Hollywood reste, Hollywood berne. Et l'on pourrait, bien entendu, multiplier les cas de figure, à l'infini, ce dont le mouvement réel de l'histoire a, hélas ! commencé de se charger. Nous arrivons ainsi à ce point critique où « l'intersectionnalité », se donnant pourtant comme forme d'attention suprême à la condition des êtres humains réels et singuliers, soumis à des dominations concrètes qu'il leur arrive de refuser, en est venue à constituer, de manière tout-à-fait assumée et consciente chez les propriétaires du monde, le paradigme épistémologique abstrait, indépassable, d'un pouvoir lui-même conçu comme indépassable. À l'antipode d'une telle prophétie auto-réalisatrice, nous ne nous lasserons jamais (et même nous nous amusons) de croire que seule compte vraiment, si l'on prétend à la compréhension minimale d'une société donnée, la structure de classe dont celle-ci relève invariablement. Et que les questions de fond la concernant ne sauraient se présenter autrement que sous les formes suivantes : qui y travaille, comment et pour qui ? Qui y détruit, un peu plus tous les jours, au gré de décisions irrationnelles, les possibilités d'une vie humaine épanouie ? À l'inverse, qui y défend celles-ci, qui y lutte effectivement ? Et enfin, accessoirement : quels types d'idéologies, ontologiquement axées sur les notions de diversité, de différence, d'un parcellaire ou d'un non-identique reconnu socialement suffisant, y auront pour fonction historique de diluer la radicalité d'ensemble des interrogations précédentes, pour assurer en dernière analyse, de manière optimale et ripolinée, la reproduction du même système social ? Ceci ayant été dit et rappelé, il est, à notre humble avis, trop tard. L'idéologie en question, quelle que soit sa modalité lambda, a beaucoup trop largement essaimé dans les esprits, y compris chez les mieux dotés, les plus sincèrement disposés, les plus spontanément rebelles et capables, les plus jeunes. Nous prenons donc le parti théorique pessimiste d'attendre (activement) l'épuisement de ce mauvais cycle intellectuel : un cycle gros, malheureusement, des catastrophes politiques réelles qui lui correspondent. Nous prenons, comme disait Pierre Dac, le parti d'en rire, avec nos amis, plutôt que les patins de certain parti imaginaire, à la nocivité indubitable. 

Un gréviste (parmi tant d'autres)

Tombé du ciel

jeudi 5 avril 2018

De l'inadéquation très heureuse des mots

(Arsène Darmesteter)

À mille lieues d'une impuissance structurale imputée au langage relativement à la vie, d'une domination mortifère transcendantale des mots sur les choses (lesquelles seraient fondamentalement manquées, dans leur épaisseur singulière, par ces derniers), l'inadéquation nécessaire du mot, le décalage perpétuel incontestable qu'il incarne, ruinant toute ambition naïve et spontanée d'exactitude expressive, nous apparaît une source de joie sans pareille, absolument intarissable. Un tel décalage fonde la possibilité de créations infinies, de beauté foisonnante, d'humanité justement glorieuse en ses fragilités et limites. Tourner ainsi, mal armé du mot, autour d'un certain sens qu'on ne finit jamais de serrer de près, offre la seule image de bonheur qui vaille : celle d'une forme se concrétisant peu à peu mais ne s'achevant jamais, d'une énergie tendue vers le but, la fin, cet horizon hors de portée, oméga davantage séduisant, de loin, que le plus séduisant des chants de sirène. Le langage n'est pas fasciste. Il est faisceau. La parole est ce jeu concret, insatisfait et piqué au vif, de formes indéfinies, écho fidèle rendu à la puissance désignant notre identité, distinguant notre essence, qui existent. Nous sommes voués à l'instable. Nous sommes voués au mieux. C'est cela tout entier que nous sommes. Nous progressons toujours, dans les métamorphoses, au front de la matière mobile.

LMB

***
« Nous touchons ici à un point capital de la vie du langage, les rapports des mots avec les images qu'ils évoquent. Le plus ordinairement, chez chacun de nous, les mots, désignant des faits sensibles, rappellent à côté de l'image générale de l'objet un ensemble d'images secondaires plus ou moins effacées, qui colorent l'image principale de couleurs propres, variables suivant les individus. Le hasard des circonstances, de l'éducation, des lectures, des voyages, des mille impressions qui forment le tissu de notre existence morale, a fait associer tels mots, tels ensembles d'expressions à telles images, à tels ensembles de sensations. De là tout un monde d'impressions vagues, de sensations sourdes, qui vit dans les profondeurs inconscientes de notre pensée, sorte de rêve obscur que chacun porte en soi. Or, les mots, interprètes grossiers de ce monde intime, n'en laissent paraître au-dehors qu'une partie infiniment petite, la plus apparente, la plus saisissable : et chacun de nous la reçoit à sa façon et lui donne à son tour les aspects variés, fugitifs, mobiles, que lui fournit le fonds même de son imagination.
Donnons un exemple pour éclairer les idées. Supposons qu'on demande en même temps à un groupe de personnes de représenter instantanément et naturellement, sans effort d'imagination, le tableau qu'indiquent ces simples mots : un rocher surplombant au bord de la mer. Si ces personnes comparaient les uns aux autres les tableaux qu'aurait évoqués chez elles cette ligne, il est à peu près sûr qu'aucun de ces tableaux ne ressemblerait aux autres ; la forme du rocher, l'aspect de la grève et des vagues varieraient avec les individus, et cela parce que les impressions antérieures auraient déterminé chez chacun d'eux des façons différentes de se les représenter. 
C'est là que paraît l'imperfection de cet instrument par lequel les hommes échangent entre eux leurs pensées, de cet instrument si merveilleux à tant d'autres égards, le langage. (...) En retour, cette imperfection du langage permet à l'écrivain de se faire jour. C'est parce que le langage n'exprime et ne fait paraître aux yeux qu'une faible partie de ce monde subjectif que l'art d'écrire est possible. Si le langage était l'expression adéquate de la pensée, et non un effort plus ou moins heureux vers cette expression, il n'y aurait pas d'art de bien dire. Le langage serait un fait naturel comme la respiration, la circulation, ou comme l'association des idées. Mais, grâce à cette imperfection, on fait effort à mieux saisir sa pensée dans tous ses contours, dans ses replis les plus intimes, et à la mieux rendre, et l'on fait oeuvre d'écrivain. Felix culpa, dirons-nous, puisque c'est à elle que les peuples doivent leurs littératures, et cet admirable trésor, sans cesse accru, de chefs-d'oeuvre qui sont l'éternel honneur de l'humanité. »

(Arsène Darmesteter, La vie des mots)

mercredi 4 avril 2018

« Je ne suis pas un salaud »



Merci à l'ami H. S. de nous avoir fait découvrir ce bijou, voilà quelque temps.