≪Où la division du genre en espèces s'arrête-t-elle ? La doctrine d'Aristote telle qu'elle est en général comprise répond : à "l'espèce dernière", également dite "indivisible". Ici se pose l'un des plus redoutables problèmes interprétatifs de l'Aristotélisme. L'une des directions fortes de la pensée d'Aristote, en effet, tend, contre un certain Platonisme, à accorder la priorité ontologique aux individus concrets, ce qu'Aristote appelle "le ceci" (tode ti), plutôt qu'aux universaux. Deux interprétations s'opposent sur le principe de cette individuation. Ce qui fait d'une réalité individuelle ce qu'elle est ─ son essence exprimée dans sa définition ─ c'est sa forme. Certains interprètes considèrent que cette forme est partagée par tous les membres de l'espèce dernière. Le principe d'individuation, qui permettrait de passer de cette espèce dernière aux individus, serait donc la matière. La différence entre l'homme ─ espèce que l'on peut sans doute définir de manière plus fine : l'homme athénien, blanc, etc. ─ et Socrate est la différence de la matière propre de Socrate qui n'est pas celle de Coriscos. D'autres interprètes contestent que la matière puisse jouer ce rôle individualisant, parce qu'elle est précisément ce qui est indéterminé, et que pour aller vers un surcroît de détermination, il faut aller vers un "surcroît de forme". C'est peut-être pour cela qu'Aristote a inventé l'obscure formule to ti èn einai, que les médiévaux ont traduit par "quidditas", et qui, quel qu'en soit le sens exact, désigne une sorte d'essence de l'essence dans le sens d'une caractérisation essentielle d'un être individuel. Peut-être la solution de ce dilemme se trouve-t-elle dans le mécanisme lui-même de la connaissance humaine. À la fin des Seconds Analytiques (II, 19, 100a16), Aristote rappelle que "ce qui est l'objet du sentir, c'est l'individuel, mais la perception porte sur l'universel, par exemple l'homme et non Callias". Je perçois Callias comme porteur d'une forme, c'est-à-dire d'une structure signifiante. L'espèce dernière est ainsi perçue dans les individus eux-mêmes.≫
(Pierre Pellegrin, Dictionnaire Aristote)
A contrario de ceux qui souhaiteraient en finir avec ce qu'ils ne saisiront jamais autrement que comme une forme de domination culturelle méprisante, européo-centrée, "blanche" et patriarcale, nous devons absolument maintenir qu'il est toujours aussi bon de se faire enculer ainsi par les grecs...
RépondreSupprimerSans eux, certains banquets de l'esprit n'auraient plus aucune saveurs.
"enculer", c'est vît dit.
SupprimerEn effet ! Mais c'est notoirement vît fait de nos jours. Par tous ces embrouilleurs de langue et d'esprit, le ressentiment et la bave aux lèvres dégoulinantes de détestation et d'anathèmes furieux où se consument leur propre néant. Il ne s'agit pas ici "d'universaliser" cette drôle d'espèces, mais demeure le fait que, pour certains, c'est l'une des "caractérisations essentielle de leur être individuel". Quand apprendront-il à vomir en silence, à défaut d'autre chose ?
RépondreSupprimerPersonnellement, je ne vomis jamais en silence. Quelle horreur !
SupprimerMais cela sonne définitivement plus romain que grec, trouvez pas ?
RépondreSupprimerRomain, grec, celte, viking, etc... Le vrai vît est ailleurs.
RépondreSupprimerImpressionnant. Vous avez l'air très ouvert.
RépondreSupprimerTout le temps, jour et nuit, 365 jours sur 365, a l’image d’une start up macronienne ayant aboli le repos…
RépondreSupprimerÀ y regarder de vraiment très très près, à y être familiarisé, le jumeau à cravate rouge n'a pas le même phénotype que celui à cravate noire (ok, c'est le même acteur dans le film...). Et chacun a aussi son caractère, malgré tant de similitudes comportementales apparentes.
RépondreSupprimer"Peut-être la solution de ce dilemme se trouve-t-elle dans le mécanisme lui-même de la connaissance humaine." Le dilemme, mais aussi bien l'ouverture, s'il on veut bien regarder cela rétrospectivement, comme une aporie devenue centrale par ce qu'en a travaillé l'histoire de la métaphysique, comme thème, avec la notion de quiddité (l'être de cet être-même), qui, selon Jerphagnon, a été forgée comme traduction latine au XIIe siècle à partir de l'arabe d'Avicenne, qui héritait des traductions en arabe d'Aristote. Comme quoi la robe de bure scolastique et la djellaba avaient prolongé les toges Banquet.
C'est aussi jusqu'aux cravates modernes – du Cercle de Vienne notamment – que ce "mécanisme lui-même de la connaissance" comme problème central rejaillit. Bouveresse aura inspecté attentivement ce backlash contemporain de la Querelle des Universaux.
De loin, il semble étonnant comme tout semble avoir été déjà discuté au début de la Métaphysique d'Aristote (contre les substantialistes de tous poils, les dialecticiens, la sophistique, les relativismes). Remarquons tout de même d'ailleurs ces distinctions-là, dont je retiens particulièrement celle-ci (Gamma 2, 1004b, 20-25) : "(car la Sophistique, comme la Dialectique, est seulement l'apparence de la Philosophie) (...) [la Philosophie] diffère de la Dialectique par la nature de sa méthode, et, de la Sophistique, par la règle de vie qu'elle propose. La Dialectique est purement critique là où la Philosophie fait connaître positivement. Quant à la Sophistique, elle n'est qu'une philosophie apparente et sans réalité." (Je graisse)
Mais de plus près, la tour est-elle ronde ou carré ?, la déportation ockhammienne "terministe" vers ce qu'on a nommé le nominalisme est-elle tout à fait irréaliste ?, le relevé des catégories selon Porphyre ou l'entreprise de la Logique de Port Royal dirigent-ils inexorablement vers la constitution des logiques formelles prétendant en finir "métasémiotiquement" (jusqu'aux délires structuralistes prétendument hyper-réalistes politisés) avec la métaphysique mais au prix du scientisme positiviste prétendant avoir atteint la substance de toutes les choses à chaque avancée de son (pauvre) pouvoir de mensuration ?
N'allons pas trop vît, comme disait M. X.. D'ailleurs, au Banquet, il y avait aussi Diotime.
Pour en finir avec Heiddi, qui n'était pas au Banquet, il me semble bien qu'il tire l'entièreté de sa solution au dilemme, ou à l'aporie, pas même vers le seul premier sens l'on ("être") parce qu'il ne le discerne du seul premier sens l'ousia ("substance"), respectivement (Delta 7 et 8) : "L'être par essence [qui] reçoit autant d'acceptions qu'il y a de sortes de catégories, car les significations de l'être sont aussi nombreuses que ces catégories" : "[Toutes ces choses qui] ne sont pas prédicats d'un sujet, mais que les autres choses sont prédicats d'elles."
Or, aucun des deux jumeaux – tout aussi blancs que Socrate ou Callias qu'ils soient – ne sont des substances. "On ne peut pas non plus ramener la quiddité, à l'infini, à une autre définition plus haute dans son expression." (Alpha, 2, 994b, 15)