(in Jacques Bellon, Le droit soviétique, 1963)
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≪Le droit, dans son expression institutionnelle (les tribunaux, avec leur théâtre de classe et leurs procédures de classe) ou dans son personnel (les juges, les avocats, les justices de paix), peut être très facilement assimilé aux institutions et aux agents de la classe dirigeante. Mais tout ce qui est contenu dans ≪le droit≫ n'est pas subsumé dans ces institutions. Le droit peut aussi être considéré comme une idéologie, c'est-à-dire comme un ensemble de règles et de sanctions particulières qui sont dans un rapport actif et défini (souvent champ de conflit) avec les normes sociales ; enfin, il peut être considéré en fonction de sa logique, de ses règles et de ses procédures propres, c'est-à-dire simplement, en tant que droit. Et il est impossible de concevoir une société complexe sans droit.
Par ailleurs, si nous examinons de près ce contexte agraire, la distinction entre le droit, d'un côté, conçu comme élément d'une ≪superstructure≫, et les réalités des rapports de force et de production, de l'autre, devient de plus en plus intenable. Car le droit était souvent la définition d'une pratique agraire réelle, observée ≪depuis des temps immémoriaux≫. Comment pouvons-nous distinguer entre l'activité extractive ou agricole et les droits sur telle ou telle carrière ou parcelle de terre ? Le fermier ou l'habitant de la forêt, dans son activité quotidienne, évoluait au sein des structures visibles ou invisibles du droit : la borne qui marquait la division entre des lopins de terre ; le vieux chêne — où , aux Rogations (4), l'on se rendait en procession — qui marquait les limites du pâturage paroissial ; ces autres souvenirs impalpables (mais puissants et dont on pouvait parfois obtenir le respect au moyen du droit) quant au fait de savoir si telle ou telle paroisse avait ou non le droit de prélever de la tourbe sur telle ou telle friche ; ce coutumier, écrit ou non, qui décidait du nombre de parts de terres communes et de leurs attributaires — les copyholders et les freeholders seulement, ou tous les habitants ?
Le ≪droit≫ était donc profondément imbriqué dans la base même des rapports de production, qui, sans lui, auraient été inopérants. En outre, ce droit, en tant que définition ou en tant que règle (règle et définition dont les formes institutionnelles légales ne permettaient d'assurer le respect que de façon imparfaite), s'appuyait sur des normes qui se transmettaient avec obstination à travers la collectivité. Il y avait des normes concurrentes ; c'était un terrain non de consensus mais de conflit. On ne peut donc pas se contenter de désigner la totalité du droit simplement comme une idéologie et l'assimiler entièrement à l'appareil d'État d'une classe dirigeante≫.
(Edward P. Thompson, La guerre des forêts, 1977)
Notes
1) En 1723, le Parlement anglais adopte la loi dite du Black Act, qui punit de pendaison le braconnage des cerfs dans les forêts royales et les parcs seigneuriaux. La peine de mort est bientôt étendue au simple fait de venir y ramasser du bois ou de la tourbe.
On a un peu de mal à piger le tag "penser comme une quenelle" vu qu'on trouve Thompson plutôt convaincant et son bouquin du beau boulot.
RépondreSupprimerEt quant à la première citation, soviétique (et, aujourd'hui, potentiellement poutinienne en diable) ouvrant ce billet à fin de comparaison ?
SupprimerCar c'est évidemment à propos d'elle que ce tag est là...
Ah d'accord. Il me semble me souvenir que Pompée avait déjà sorti un truc comparable à la première phrase, éventuellement poutinienne, il y a un bail, du temps d'une des guerres civiles romaines.
SupprimerIl s'agit surtout, en l'espèce, de la position globale d'un certain marxisme très très bas de plafond quant à la question des "libertés formelles", par lui tellement décriées.
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