jeudi 5 décembre 2013

Retour sur l'affaire Taubiwa

 

Les récentes attaques dont fit l’objet la ministre Christiane Taubira, moquée pour la couleur de sa peau, voire assimilée, par certain(e)s, à un « singe », pour rigoler,  rappellent cette vérité importante que s’il y a certes autant de racismes que de racistes, la communauté raciste existe cependant, s’épanouissant même précisément dans cette diversité.
Le racisme est un dès lors qu’on le considère dans son essence phénoménologique. Qu’il soit alors « spontanément » économique, « scientifiquement » racialiste ou « culturellement » historique, sa racine pivot se fixe toujours dans le regard, dans l’intuition au sens strict : celle, en particulier, fondatrice, dont use, vis-à-vis de son environnement immédiat, l’enfance. 
Le racisme témoigné au Noir « singe à bananes » est l’enfance maintenue du rapport à l’altérité, le stade infantile de la découverte visible d’une différence sensible et corporelle, métissé de l’agressivité haineuse définissant ensuite le rapport réciproque ordinaire des atomes salariés. 
Dans une cour de récréation, si les blagues fusent quant à la noirceur des Noirs ou l’épatement de leur nez, aux yeux bridés des Chinois, et même à la « bêtise » (ainsi s’expriment les enfants de quatre ans) d’enfants fraîchement débarqués d’ailleurs, et ne se débrouillant donc pas aussi bien (aussi mal) que les autres en Français, lesdites blagues, quoiqu’elles fassent évidemment souffrir leurs cibles de manière plus ou moins secrète, seraient en principe, jugerons-nous, destinées à s’effacer peu à peu dans la progression ultérieure - civilisée - de leurs sujets. L’enfant ayant fixé, au contact de la différence, ses limites et l’individualité de son caractère, se verrait, la chose faite, absorbé par un cheminement de conscience le menant, de perceptions réunies, raffinées et sophistiquées en abstractions, entendement et, pourquoi pas ! raison, aux seuils de l’âge adulte ou de la vieillesse. 
L’histoire est bien jolie. On peut rêver. La société libérale, quant à elle, n’a que faire de ce genre de rêves. Son rêve à elle, perpétuel, est celui de la guerre parfaite de tous contre chacun, une guerre dont les plus forts, autrement dit les plus méchants, vicieux et fourbes sortiront les vainqueurs, célébrés par une très adéquate morale. La société libérale consiste, au plan idéologique, en une apologie sourde ininterrompue de l’esprit de jeunesse, voire d’enfance. Sois sauvage. Sois toi-même. Sois vrai. Libère tes pulsions. Apprécie de faire mal. Méprise l’idée de limite. Combats-la. Ne prête pas tes jouets, jamais. Ils sont à toi. Suis ton instinct. Goûte d’être bête, devant ta télévision. Régresse à trente-cinq ans devant tes jeux vidéos, tes karaokés,  et puis les épisodes de Goldorak dont tu connais chaque réplique, et que tu chantes, heureux, réfugié avec tes amis dans quelque bar branché, sitôt ta journée de travail abattue. Exhibe sans répit, comme publicitaire  réputé, telle pauvre figure de type capable d’en écraser un autre, par-delà bien et mal, et de rétorquer - concrètement - « Nan ! » à l’adresse du loser de base qui ne jouira pas, nan ! de croquer dans son burger, sa barre chocolatée. Cela marchera. Les gens s’identifieront. Ils trouveront ton personnage tellement humain et attendrissant. Ils le trouveront tellement vrai, s’encenseront discrètement eux-mêmes de se voir extirper semblable émotion, et révélée chez eux cette fraîcheur intacte.
Ce que Mme Taubira vient de croiser, en son désagrément, est ainsi l’esprit d’enfance triomphant à l’âge du triomphe libéral absolu, et dont le racialisme décomplexé constitue l’incontestable corollaire. Une bambine de dix ans brandit ces temps-ci,  entre autres, à l’unisson familial (émouvant, car la famille, outre l’enfance innocente, est la dernière valeur-refuge consacrée par cette société) des bananes à singe au nez de la ministre radicale de gauche. Qui oserait encore désormais prétendre que la France ne comprend rien à sa jeunesse ?

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