mardi 30 octobre 2018

Socialisme féministe

Herbert Marcuse et Angela Davis.
(Précision n°1 : cette photographie n'a pas été prise au soi-disant 
Bandung du Nord « décolonial ».
Précision n°2 : La vieillesse n'est pas toujours un naufrage.)

***

L'époque n'est pas marcusienne. C'est peu dire. Nous le sommes, quant à nous, plus que jamais. Ce n'est ni chez les balourds althussériens illisibles, et sans intérêt, de Théorie Communiste (sic), ni chez quelque autre crétin que ce soit d'esstrèmegôche islamo-racialo-compatible et inter-classiste que nous prenons quotidiennement notre pied théorique et utopique. C'est ici. Nous ne sommes pas marcusiens pour rien : nous nous reconnaissons dans tout cela, nous nous lisons tels que nous écririons si nous possédions nous-mêmes un tant soit peu du talent, sinon du génie nécessaire (et à tout le moins : un peu plus de temps et de loisir) pour penser et produire quelque chose de semblablement valable. Nous reconnaissons ainsi dans le père Herbert, au-delà du temps, un ami, un maître, et un frère de pensée. À moins que ce ne soit une soeur, car là est aussi l'intérêt du bonhomme que son idéal de l'androgyne social, tel que présenté par lui ci-dessous, est aussi le nôtre. On est bien loin de la virilité indigène essentialisée que certains misérables petit-commerçants de fabrique tentent de nous fourguer en continu, parmi ces temps mauvais de pré-guerre civile raciste et fasciste qu'ils auront rendu possibles et nourris. Qu'ils crèvent. Nous attendons malgré eux des jours meilleurs, en dépit de tous leurs sales efforts contre-révolutionnaires. 

Le texte ci-dessous est extrait du fort judicieux Sommes-nous déjà des hommes ?, recueil d'articles souvent devenus rares et indisponibles, voire inédits (1941-1979), publié chez Qs ? éditions voilà quelques mois. Un magnifique boulot de Fabien Ollier, que nous saluons avec enthousiasme. Notre ami et camarade de toujours Lac-Han-Tse en a commis récemment une recension efficace, à retrouver ICI. Marcuse rules, mec ! On s'en bat, de ta « structure » post-moderne pourrie !

***

« Un mouvement autonome de libération des femmes n'est pas seulement justifié, il est nécessaire.

Maintenant deux remarques préliminaires sur la situation du mouvement de libération des femmes tel que je le vois. Le mouvement est né et fonctionne à l'intérieur d'une civilisation patriarcale. Il doit donc être initialement étudié en fonction du statut réel des femmes dans la civilisation dominée par le mâle.

Deuxièmement le mouvement fonctionne dans une société de classes, et c'est le premier problème ; les femmes ne constituent pas une classe au sens où l'entend Marx. La relation homme-femme traverse les démarcation de classes.

Toutefois, les besoins immédiats et les potentialités des femmes sont incontestablement conditionnés dans une large mesure par leur appartenance de classe. Cependant, il y a de bonnes raisons pour parler de la "femme" en tant que catégorie générale, par opposition à l'"homme". À savoir le long processus historique au cours duquel les caractéristiques sociales, mentales et même physiologiques des femmes se sont développées différemment de celles de l'homme, et en contraste avec elles. Quant aux problèmes de savoir si les caractéristiques "féminines" ou "femelles" sont le résultat d'un conditionnement social ou si elles sont, d'une certaine manière, naturelles ou biologiques, ma réponse est la suivante : au-dessus et au-delà des différences physiologiques évidente entre le mâle et la femelle les caractéristiques féminines sont le résultat d'un conditionnement social. Cependant, le long processus des milliers d'années de conditionnement social a fait qu'elles sont devenues une "seconde nature" et ceci ne se modifie pas automatiquement par l'établissement de nouvelles institutions sociales. Ainsi il peut y avoir discrimination envers les femmes même dans une société dite "socialiste". 

Dans la civilisation patriarcale, les femmes ont subi une oppression spécifique, et leur développement physique et mental a été canalisé dans une direction spécifique. Dans ces conditions, un mouvement de libération des femmes autonomes n'est pas seulement justifié, il est nécessaire. Mais les buts mêmes de ce mouvement nécessitent des changements énorme dans la société, sur le plan de son organisation matérielle aussi bien qu'au niveau de ses valeurs intellectuelles. Il ne peut donc être obtenu que par la transformation du système social tout entier. En vertu de sa propre dynamique, le mouvement est lié au combat politique pour la révolution, pour la liberté des hommes et des femmes. Car, sous la dichotomie homme-femme et la dépassant, il y a l'être humain, commun aux individus mâles et femelles : l'être humain dont la libération, l'épanouissement sont toujours en jeu. 

Le mouvement opère à deux niveaux : d'abord le combat pour la pleine égalité économique, sociale et culturelle. Ici se pose une question : une telle égalité économique, sociale et culturelle peut-elle être obtenue dans le cadre capitaliste ? Je reviendrai sur cette question mais je veux avancer une hypothèse préliminaire : il n'y a pas de raison économique qui fasse que cette égalité ne puisse être obtenue à l'intérieur du cadre capitaliste bien que cela suppose une modification du capitalisme. Mais les potentialités, les buts mêmes du mouvement de libération des femmes vont bien au-delà, à savoir qu'il touche à des domaines qui ne pourront jamais être atteints dans le cadre capitaliste, ni dans le cadre d'aucune autre société de classes. L'accomplissement de ces objectifs nécessiterait une seconde étape où le mouvement transcenderait le cadre dans lequel il fonctionne à l'heure actuelle. À cette étape, "au-delà de l'égalité", la libération implique la construction d'une société régie par un principe de réalité différent, une société dans laquelle la dichotomie actuelle masculin-féminin serait dépassée dans les relations sociales et individuelles et les être humains. 

Ainsi le mouvement porte en lui l'image, non seulement d'institutions sociales nouvelles, mais aussi d'un changement de conscience, d'une transformation des besoins instinctuels des hommes et des femmes libérés des contraintes de la domination et de l'exploitation. Et c'est le plus révolutionnaire et le plus subversif du mouvement. Il signifie non seulement un engagement dans le socialisme (l'entière égalité des femmes ayant toujours été une exigence socialiste fondamentale), mais l'engagement dans une forme spécifique de socialisme qu'on a appelé le "socialisme féministe". Je reviendrai sur ce concept plus tard. 

Ce qui est en jeu dans cette transcendance, c'est la négation des valeurs d'exploitation et de répression de la civilisation patriarcale. Ce qui est en jeu, c'est la négation des valeurs imposées et reproduites dans la société par la domination mâle. Et une subversion aussi radicale des valeurs ne pourra jamais être le simple sous-produit d'institutions sociales nouvelles. Elle doit avoir ses racines dans les hommes et les femmes qui créent ces nouvelles institutions. 

Que signifie cette subversion des valeurs dans la transition vers le socialisme ? 

D'autre part, cette transition est-elle, en quelque sens que ce soit, la libération et l'essor de caractéristiques spécialement féminines à l'échelle de la société ? Pour répondre à la première question, voici quelles sont les valeurs dominantes de la société capitaliste : productivité guidée par le seul profit, recherche du succès à tout prix, esprit de compétition. C'est, en d'autres termes, le "principe de rendement", le règne de la rationalité fonctionnelle qui rejette toute passion, une double moralité : "l'éthique du travail" qui signifie pour la grande majorité de la population la condamnation à un travail aliéné et inhumain, et la volonté de puissance, l'étalage de la force et de la virilité. Or, selon Freud, cette hiérarchie de valeurs reflète une structure mentale dans laquelle l'énergie agressive primaire tend à réduire et à biaiser l'instinct de vie, c'est-à-dire l'énergie érotique. Selon Freud, cette tendance destructive dans la société s'intensifie au fur et à mesure que la civilisation doit avoir recours à une répression accrue afin de maintenir sa domination face aux possibilités de jour en jour plus réelles de libération ; à son tour, cette répression accrue conduit à une stimulation d'un surplus d'agressivité et à sa canalisation en un type d'agression utile à la société. Cette mobilisation totale de l'agressivité ne nous est que trop familière aujourd'hui : militarisation, caractère de plus en plus brutal des forces de "l'ordre", fusion de la sexualité et de la violence, attaque directe contre l'instinct de vie qui nous pousse à vouloir préserver et reconstruire l'environnement, attaque contre la législation "antipollution", etc. 

Ces tendances sont enracinées dans l'infrastructure même du capitalisme avancé. L'aggravation de la crise économique, les limites de l'impérialisme, la reproduction de la société en place par le gâchis et la destruction, tout cela se fait de plus en plus sentir et nécessite des contrôles sans cesse accrus et étendus de la population pour la maintenir au pas. Ces contrôles et cette manipulation pénètrent profondément la structure mentale et touchent au domaine de l'instinct même. Aujourd'hui, la totalisation de l'agressivité et la répression pénètrent la société tout entière à un degré tel que l'image du socialisme s'en trouve modifiée sur un point essentiel. Le socialisme en tant que société qualitativement différente doit incarner l'antithèse, la négation historique des besoins et des valeurs restrictifs et répressifs du capitalisme comme formes de culture dominée par le mâle. 

Les conditions objectives d'une telle antithèse et d'une telle subversion des valeurs mûrissent, et elles rendent possible l'essor, du moins comme phase transitoire dans la reconstruction de la société, des caractéristiques qui ont été attribuées aux femmes plutôt qu'aux hommes dans la longue histoire de la civilisation patriarcale. Formulées comme antithèses des qualités masculines dominantes, ces qualités féminines seraient la réceptivité, la sensibilité, la non-violence, la tendresse, etc. Ces caractéristiques se situent en effet en opposition à la domination et à l'exploitation. Au niveau psychologique primaire, elle serait du domaine de l'Éros, elles exprimeraient l'énergie de l'instinct de vie contre l'instinct de mort et l'énergie destructive. Une question se pose ici : pourquoi ces caractéristiques de l'Éros apparaissent-elles comme spécifiquement féminines ? Pourquoi ces mêmes caractéristiques n'ont-elles pas façonné les qualités masculine ? 

Les bases de la domination mâle et les débuts du féminisme.

Ce processus a une histoire vieille de milliers d'années. Au début, la défense de la société en place et de sa hiérarchie dépendait de la force physique, ce qui a eu pour conséquence de réduire le rôle de la femme périodiquement handicapée par des grossesses et les soins des enfants. La domination mâle, une fois établie sur ces bases, s'est étendue, d'une sphère à l'origine militaire, à d'autres institutions sociales et politiques. La femme en vint à être considérée comme un être inférieur, plus faible, essentiellement auxiliaire, appendice de l'homme, objet sexuel, outil de reproduction. Et ce n'est qu'en tant que travailleuse qu'elle connut un type d'égalité, mais une égalité répressive, avec l'homme. Son corps et son esprit furent ruinés, ils devinrent des objets. Et de même que son développement intellectuel fut bloqué, ainsi en fut-il de son développement érotique. La sexualité fut objectivée comme moyen vers une fin : la procréation ou la prostitution. 

Un premier contre-courant se fit jour au tout début de la période moderne, au douzième et treizième siècle, et, fait très significatif, dans le contexte même de la rupture historique qu'ont représenté les grands mouvements hérétiques des Cathares et des Albigeois. À cette époque, l'autonomie de l'amour, l'autonomie de la femme furent proclamées, ce qui contrastait et allait à l'encontre de l'agressivité et de la brutalité mâles. L'Amour Romantique : je suis parfaitement conscient du fait que ces termes sont devenus tout à fait péjoratifs, en particulier au sein du mouvement. Cependant je veux leur attacher ici un caractère plus sérieux et je les prends dans le contexte historique où ces événements devraient être étudiés : ce fut la première subversion de la hiérarchie des valeurs en place, le premier grand mouvement de protestation contre la hiérarchie féodale et le système de "loyautés" propres à cette hiérarchie, particulièrement pernicieux et répressif envers les femmes. 

Il est vrai que ce mouvement de protestation, cette antithèse furent en grande partie idéologiques et limités à la noblesse. Cependant, ce ne fut pas entièrement idéologique. Les normes sociales dominantes furent subverties dans ces fameuses cours d'amour créées par Éléonore d'Aquitaine où le jugement était presque toujours en faveur des amants et contre le mari, le droit de l'amour ayant la préséance sur le droit du seigneur féodal. Et c'est une femme que l'on dit avoir défendu le dernier bastion albigeois contre les armées meunières des barons du Nord. Ces mouvements progressistes furent cruellement anéantis. Ces débuts fragiles du féminisme qui, de toute façon, avaient une base de classe fragile furent écrasés. Mais néanmoins le rôle de la femme changea graduellement avec le développement de la société industrielle. Sous l'impact du progrès technique, la reproduction sociale dépend de moins en moins de la force et de la capacité physique, que ce soit à la guerre, dans le processus matériel de production ou dans le commerce. Le résultat fut une plus vaste exploitation des femmes en tant qu'outil de travail. L'affaiblissement de la base sociale de la domination mâle ne mit pas pour autant un terme à cette domination perpétuée par la nouvelle classe dirigeante. La participation croissante des femmes dans l'industrie, qui sapait les bases matérielles de la hiérarchie mâle, augmentait la surexploitation des femmes qui, outre leur travail à la production, étaient ménagères, mères, servantes. 

Aujourd'hui dans le capitalisme avancé. 

J'ai parlé d'une modification nécessaire de la notion de socialisme, parce que je crois qu'il y a dans le socialisme marxien (sic) des restes, des éléments de perpétuation du "principe de rendement" et de ses valeurs. Par exemple, l'accent toujours mis sur le développement toujours plus efficace des forces productives, l'exploitation toujours plus productive de la nature, la séparation du royaume de la liberté du monde du travail. Les potentialités du socialisme aujourd'hui transcendent cette image. Le socialisme en tant que mode de vie qualitativement différent n'utiliserait pas seulement les forces productives dans le but de réduire le travail aliéné et le temps de travail. Ce serait aussi afin de faire de la vie une fin en soi, de développer les sens et l'intellect pour apaiser l'agressivité, de jouir de la vie, de dégager les sens et l'intellect de la rationalité de la domination, ce serait la créativité réceptive opposée à la productivité répressive. 
Dans ce contexte, la libération des femmes apparaîtrait comme l'antithèse du "principe de rendement", et comme la fonction révolutionnaire de la femme dans la reconstruction de la société. Loin d'entretenir la soumission et la faiblesse, les caractéristiques féminines mineraient la domination et l'exploitation. Elles apparaîtraient comme les nécessités et les buts éventuels de l'organisation socialisée de la production, de la division sociale du travail, de la définition des priorités de la société une fois la pénurie vaincue ; ces caractéristiques cesseraient d'être spécifiquement féminines, dans la mesure où elles deviendraient universelles dans l'organisation de la société socialiste, aussi bien sur le plan matériel qu'intellectuel.

L'agressivité primaire persisterait, comme ce serait le cas dans n'importe quel type de société, mais elle perdrait son caractère spécifiquement masculin de domination et d'exploitation. Le progrès technique, aujourd'hui véhicule principal de l'agressivité productive serait libéré de ses traits capitalistes et dirigé vers la destruction du capitalisme destructeur. Je pense qu'il y a de bonnes raisons d'appeler cette image de société socialiste le "socialisme féministe" : la femme serait parvenue à une complète égalité économique, politique et culturelle, dans l'épanouissement de ses facultés ; au-dessus, et par-delà cette égalité, les relations sociales aussi bien que personnelles serait pénétrées de cette sensibilité réceptive qui sous la domination mâle était en grande partie du domaine féminin ; l'antithèse masculin-féminin serait alors transformée en synthèse : le mythe antique de l'androgyne. 

Je dirais quelques mots sur ce produit extrême d'une pensée si vous voulez romantique, ou spéculative, qui a mon sens n'est ni si extrême ni si spéculative. On ne peut attribuer à l'idée d'androgyne d'autres sens rationnel que la fusion dans l'individu des caractères mentaux et somatiques qui était inégalement développés chez les femmes et les hommes dans la société patriarcale. Dans cette fusion, les caractéristiques féminines, une fois la domination mâle abolie, l'emporteraient sur leur répression. Mais en aucun cas, une fusion androgyne ne pourrait abolir les différences naturelles entre l'homme et la femme en tant qu'individus. Toute joie, tout chagrin, prennent racine dans cette différence, dans cette relation à l'autre, dont on veut devenir part et dont on veut qu'il ou qu'elle devienne part de soi-même et qui ne peut et ne deviendra jamais cette part de soi-même. Ce type de conflit insoluble entre besoins et valeurs contradictoires continuerait donc à se poser au socialisme féministe. Mais le caractère androgyne de la société pourrait petit à petit réduire la violence et l'humiliation dans la résolution de ces conflits. 

Le socialisme féministe. 

Cependant, le capitalisme avancé à créé peu à peu les conditions matérielles qui permettent de transposer les caractéristiques féministe d'un plan idéologique à un niveau réel ; il a créé les conditions objectives qui permettent de transformer la faiblesse qui leur était attachée en une force, de transformer l'objet sexuel en un sujet, et de faire du féminisme une force politique dans la lutte contre le capitalisme, contre le "principe de rendement". C'est dans cette perspective qu'Angela Davis parle de la fonction révolutionnaire des femmes, en tant qu'antithèse au "principe de rendement", dans un article écrit de la prison de Palo Alto : "Les femmes et le capitalisme", en décembre 1971. »

(Herbert Marcuse, Marxisme et féminisme, 1974)

dimanche 28 octobre 2018

La mécanique et la morale

O Discurso do Método (sexta parte).

« Toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale. »

(Descartes, Principes de la philosophie)

Les Déterminés (grand prix de l'économie)

Putain, mais c'est qui cette tête de teub 
à côté de Moussa Camara ?


« Engagé dans l'associatif et l'entrepreneuriat depuis dix ans, le trentenaire a créé Les Déterminés, une association qui veut aider les jeunes à se lancer, en misant notamment sur le réseau de Pierre Gattaz (MEDEF). À tout juste 30 ans, Moussa Camara, lui-même entrepreneur, a joué un rôle majeur dans la naissance de 25 entreprises en banlieue, et l'élaboration d'une cinquantaine d'autres par des jeunes des quartiers. Des projets mûris par leurs porteurs au sein des Déterminés, la formation que Moussa Camara a fondée en 2015 et pour laquelle le Val d'Oisien a reçu lundi un BFM Award. Déterminé, Moussa Camara l'est sans nul doute. À 21 ans, après les émeutes de 2007 (sic) en banlieue, il obtient de la mairie de Cergy la reconstruction d'un terrain de sport via son association, Agir Pour Réussir. Un peu plus tard, la municipalité confiera la gestion des espaces sportifs à l'association. C'est également à cet âge, alors qu'il est encore en bac pro logistique, qu'il fonde sa première entreprise dans les télécoms. Il se rend alors compte de la difficulté de remplir son carnet de commandes lorsqu'on manque de technique commerciale et du bon réseau.

Après un voyage aux États-Unis qui lui fait prendre conscience que pour améliorer les conditions sociales d'existence, il faut créer localement de la richesse, Moussa Camara décide de monter Les Déterminés : "Un programme de formation qui a pour but de démocratiser l'entrepreneuriat des jeunes dans les quartiers populaires et dans les milieux ruraux", explique-t-il.

Les postulants, accueillis quel que soit leur niveau d'études et leur expérience, suivent chez Les Déterminés une formation intensive de 5 semaines, suivie d'un accompagnement de six mois, avec "des ateliers autour de la posture entrepreneuriale, du développement personnel", détaille Moussa Camara. Ils apprennent à "lever les freins, à pitcher leur projet devant un jury, à travailler sur leurs chiffres : on rentre vraiment dans les détails", précise-t-il. Et surtout, "on leur ouvre un réseau, on leur attribue un mentor", pointe le trentenaire. Un réseau première classe, issu notamment du carnet d'adresses du patron des patrons, Pierre Gattaz. Quand Moussa Camara le rencontre à une soirée au Sénat, il lui propose sans trop y croire de venir rencontrer les wanabee entrepreneurs de Cergy Pontoise. 

Pierre Gattaz, qui se dit "séduit par son dynamisme et sa volonté de changer les choses", débarque avec son équipe. "Au Medef, nous avions fait le constat que de nombreux porteurs de projets d’entreprise dans les quartiers n’osent pas se lancer, le plus souvent par dépréciation de soi, par manque d’accompagnement ou d’accès au financement. Nous voulions contribuer à lever les obstacles qu’ils rencontrent", explique Pierre Gattaz.

De son côté, Moussa Camara cherchait justement "des parrains emblématiques, des entrepreneurs de qualité, connus". Ainsi, les premières sessions de formation se déroulent au siège du Medef, sur la très cotée avenue Bosquet. Depuis, aux côtés de profs de grandes écoles et d'entrepreneurs moins connus, les grands noms de l'économie ont défilé pour jouer les "guest speakers" auprès des Déterminés. Le chef Thierry Marx, le co-fondateur de Sigfox Ludovic Le Moan, Fany Péchiodat de MyLittleParis. Ou encore "des experts de l'audit et de la finance de chez Mazars, de gros incubateurs comme Station F et Numa qui mettent à disposition des moyens humains et matériels", liste le fondateur de la structure. 

"On réunit deux mondes qu'on a essayé d'opposer depuis des années : le monde économique et les jeunes. On rapproche ces univers, on casse les a priori, et les gens travaillent ensemble", se félicite Moussa Camara.

En deux ans, 99 personnes ont été formées, dont 25 ont créé leur entreprise dans les nouvelles technologies, l'alimentation, la restauration, le prêt-à-porter. 51% sont en cours de développement de leur projet. Et une particularité chez les Déterminés : "Il y a 61% de femmes dans nos formations". Largement plus que la toute petite part de 22% d'entrepreneuriat féminin sur le total en banlieue, recensée dans le rapport de BPI France et Terra Nova paru l'année dernière. »

Nina Godart (BFM-TV, 28-10-18)

samedi 27 octobre 2018

La vie devant soi


jeudi 25 octobre 2018

Pour aller travailler (2)

Pour aller travailler


Combien de fois qu'on les avait vus, ceux-là aussi, entre 17 et 22 ans ? Difficile à dire. C'était jamais notre premier choix. On les comprenait pas toujours bien, aussi : faut dire qu'ils causaient un drôle d'idiome, ils conjuguaient pas les verbes exactement comme nous, en fait (voir ci-dessous), quoique par ailleurs ils conjuguassent bien. À savoir : d'autres trucs. Bref. Ils portaient des marinières également, sur scène, avant que M. Arnaud Montebourg remette ça à la mode pour produire et consommer France, comme disait Georges Marchais, l'ancien de chez Messerschmitt. Mais bon, nous, les marinières, c'est bien avant M. Montebourg qu'on mettait ça aussi (niveau textile, s'entend), puisque à l'époque on était pas mal psychobilly et que, par exemple, les Happy Drivers, on suivait aussi beaucoup, donc on adoptait un look en rapport : à savoir tremplins et marinières (donc) et puis rouflaquettes (mais hélas ! ça c'était dans l'idéal vu qu'on était très imberbes, pour ne pas dire plus, ou moins). En tout cas, il y eut au moins ce fameux soir au Passage du Nord-Ouest, salle du 9ème arrondissement de Paris, où nous vîmes et entendîmes ces Naufragés-là, et nous nous en souvenons pour une raison très particulière, c'est pas glorieux, mais disons qu'en fait, voilà, nous avions vomi dehors sur les chaussures de quelqu'un (eh oui !). Expliquons-nous plus avant, si vous voulez : on s'était senti mal, et on était sorti, on avait vomi (sans voir où au juste, c'était la nuit, vous comprenez) notre bière, le plus loin possible mais, en vérité, c'est une loi de la nature qui veut ça, en quelque sorte, une loi qui dit que le plus loin d'untel, et bien en fait c'est souvent le plus proche de son prochain. Or, dans la seconde, nous apercevant de la chose (du paradoxe en question, mais incarné géographiquement, si vous voulez : dans l'espace, en trois dimensions) et faisant réflexion là-dessus sur nous-même, mais assez vite en fait, nous avions (lors même que le crépitement au sol de la dernière saillie finissait juste de résonner) réintégré, de terreur et de honte mêlés, l'établissement. Les cris scandalisés de cette personne sur qui nous avions fauté, disons que nous en emportâmes un vague écho de début à l'intérieur du Passage du Nord-ouest, au chaud (si l'on peut dire). Or, c'est à ce moment précis, comme nous ré-rentrions, que les Naufragés, nous nous en souvenons encore, entamaient le morceau ci-dessous. Une délivrance, à tout point de vue. On s'était fait oublier, dans le noir. Jusqu'à nos propres yeux même. On était jeune, aussi. On nous pardonnerait. 

***

Les Naufragés - Moi chuis parti.

Moi chuis parti
Pour aller travailler
Mais j'y ai pas allé :
Ils venaient d'fermer le chantier.
Moi j'aime pas travailler,
quand les autres sont virés.

Moi chuis parti
Pour aller travailler
Mais j'y ai pas allé :
y avait grève en piquet.
Moi j'aime pas travailler
quand les autres s'arrêter.

Moi chuis parti
Pour aller travailler
Mais j'y ai pas allé :
y avait d'jà les casqués,
Moi j'aime pas travailler
quand ils envoient l'armée.

Moi chuis parti
Pour aller travailler
Mais j'y ai pas allé...
c'est un TUC qui y était.
Moi j'aime pas travailler :
chuis pas SIVP.

Moi chuis parti
Pour aller travailler
Mais j'y ai pas allé : 
chuis pas assez formé.
Moi j'aime pas travailler
avant d'être pété.

mercredi 24 octobre 2018

Parce que ! (dégage)



lundi 22 octobre 2018

Vichy en deuil (encore un coup du Mossad)

Bien creusé, vieille taupe...

« Le négationniste Robert Faurisson 
est mort dimanche, chez lui à Vichy. »
(Libération, 22-10-18)

Quand j'entends le mot culture

Lycée Branly, Créteil, France, octobre 2018.

« On se gargarise, en langage simplement publicitaire, de la riche expression de “diversités culturelles”. Quelles cultures ? Il n’y en a plus. Ni chrétienne ni musulmane ; ni socialiste ni scientiste. Ne parlez pas des absents. Il n’y a plus, à regarder un seul instant la vérité et l’évidence, que la dégradation spectaculaire-mondiale (américaine) de toute culture (...).
Nous nous sommes faits américains. Il est normal que nous trouvions ici tous les misérables problèmes des USA, de la drogue à la mafia, du fast-food à la prolifération des ethnies. Par exemple, l’Italie et l’Espagne, américanisées en surface et même à une assez grande profondeur, ne sont pas mélangées ethniquement. En ce sens, elles restent plus largement européennes (comme l’Algérie est nord-africaine). Nous avons ici les ennuis de l’Amérique sans en avoir la force. Il n’est pas sûr que le melting-pot américain fonctionne encore longtemps (par exemple avec les Chicanos qui ont une autre langue). Mais il est tout à fait sûr qu’il ne peut pas un moment fonctionner ici. Parce que c’est aux USA qu’est le centre de la fabrication du mode de vie actuel, le cœur du spectacle qui étend ses pulsations jusqu’à Moscou ou à Pékin ; et qui en tout cas ne peut laisser aucune indépendance à ses sous-traitants locaux (la compréhension de ceci montre malheureusement un assujettissement beaucoup moins superficiel que celui que voudraient détruire ou modérer les critiques habituels de “l’impérialisme”). »

(Guy Debord, Notes pour Mezioud, 1985)

dimanche 21 octobre 2018

Actualités


Le pro-situ situe pas


« Mais où le situer ce Après il fut trop tard, le " C'est là qu'on s'est trompé et que ça tourne mal ", si déjà la machine à vapeur inaugurant l'âge thermo-industriel et son accumulation du capital et du matériel humain venait en résultante de la conversion des mentalités à ce rationalisme pour lequel la nature n'est qu'un assemblage de matériaux et de fonctions où il n'y avait qu'à se servir en procédés industriels, et l'homme lui-même un phénomène décomposable et utilisable en ses parties, en éléments simples qu'on peut étudier et reproduire en laboratoire ; à cette époque des prédations expansionnistes du Nouveau Monde et le sac qui en fut fait à se gaver d'or, fort expédient à résoudre les contradictions de l'époque, d'être en manne aux souhaits d'amélioration, d'aisance matérielle et de manger du sucre, en déversoir ensuite à l'engorgement populatif ? Ou faudrait-il en chercher le germe pernicieux, le sinistre principe actif, dans une empreinte psychique qu'aura laissée la "paix romaine" et son empire d'exterminations massives, de terreur en onde de forme monumentale dans la succession des siècles ? Ou dans ce fléchage temporel qu'imposa aux esprits la croyance apocalyptique et de salut, si véhémente à désirer la fin de tout, d'en hâter la venue ; ou chez ces théocraties originelles à prendre en monopole le commerce avec l'invisible, cet inquiétant dehors, aimant à cette lisière s'y baigner de sang, à susciter l'angoisse et le respect craintif abolissant la pensée ; ou par la sédentarité néolithique et ses premiers arpentages et dénombrements consignés en début d'écriture, inventant les chefs divinisés et leur prolétariat, qui fit le boom démographique enclenchant la suite conséquente et croissante, la grande transformation jusqu'à nous ? »

(Baudouin de Bodinat, En attendant la fin du monde)

vendredi 19 octobre 2018

Boutin d'adhésion

Ci-dessus : syndicat communiste étudiant  

« Si je choisis d'adhérer à un syndicat chrétien plutôt que d'être communiste, si, par cette adhésion, je veux indiquer que la résignation est au fond la solution qui convient à l'homme, que le royaume de l'homme n'est pas sur la terre, je n'engage pas seulement mon cas : je veux être résigné pour tous, par conséquent ma démarche a engagé l'humanité tout entière. »

(Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme)

jeudi 18 octobre 2018

mercredi 17 octobre 2018

Un bug, sûrement

Salut à la Génération irrécupérable...

Sur le front universitaire

(Le Monde, 17-10-18)

(Ça a le mérite d'être Marie-Claire)

(Madame Figaro lance son hors-série Madame Business
11 octobre 2018)

mardi 16 octobre 2018

Fusillez ça !


« L’argument décisif utilisé par le bon sens contre la liberté consiste à nous rappeler notre impuissance… Loin que nous puissions modifier notre situation, il semble que nous ne puissions pas nous changer nous-mêmes. Je ne suis libre ni d’échapper au sort de ma classe, de ma nation, de ma famille, ni même d’édifier ma puissance ou ma fortune, ni de vaincre mes appétits les plus insignifiants ou mes habitudes. Je nais ouvrier, Français, tuberculeux… etc. Bien plus qu’il ne paraît "se faire", l’homme semble "être fait" par le climat et la terre, la race et la classe, la langue, l’histoire de la collectivité dont il fait partie, l’hérédité, les circonstances individuelles de son enfance, les habitudes acquises, les grands et les petits événements de sa vie… 
Cet argument n’a jamais profondément troublé les partisans de la liberté humaine : Descartes, le premier, reconnaissait à la fois que la volonté est infinie et qu’il faut "tâcher de nous vaincre plutôt que la fortune". C’est qu’il convient de faire des distinctions : beaucoup des faits énoncés par les déterministes ne sauraient être pris en considération. Le coefficient d’adversité des choses, en particulier, ne  saurait être un argument contre notre liberté, car c’est par nous, c’est-à-dire par la position préalable d’une fin que surgit ce coefficient d’adversité. Tel rocher qui manifeste une résistance profonde si je veux le déplacer, sera, au contraire, une aide précieuse si je veux l’escalader pour contempler le paysage… Ainsi, bien que les choses brutes paraissent limiter notre liberté d’action, c’est notre liberté elle-même qui constitue le cadre, la technique et les fins par rapport auxquelles elles se manifesteront comme des limites. C’est notre liberté elle-même qui constitue les limites qu’elle rencontrera par la suite. En sorte que les résistances que la liberté dévoile dans l’existant, loin d’être un danger pour la liberté, ne font que lui permettre de surgir comme liberté. Il ne peut y avoir de sujet libre que comme engagé dans un monde résistant. En dehors de cet engagement, les notions de liberté ou de nécessité perdent jusqu’à leur sens ».

                                               (Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant)

samedi 13 octobre 2018

jeudi 11 octobre 2018

Entre ici sans moulin


« J'veux qu'on m'embrasse ! Et j'en ai marre qu'on prenne mon cul pour un moulin. » 

(Miou Miou aka Marie-Ange, Les valseuses, 1973)

« My poetry's deep »


« Vieillard, enfant, escroc, voyou, ange et noceur ; millionnaire, bourgeois, cactus, girafe ou corbeau ; Lâche, héros, nègre, singe, Don Juan, souteneur, lord, paysan, chasseur, industriel, faune et flore : je suis toutes les choses, tous les hommes, et tous les animaux !  » 

(Arthur Cravan, 1913)

dimanche 7 octobre 2018

Emmanuel Roberts




Traduction française :

Certains ont ce qu'il leur faut, c'est comme ça, 
et puis d'autres : que dalle,
Mais ceux-là se plaignent, 
et puis se plaignent, 
et ils se plaignent et se replaignent 
sans fin…

Certains auront du boulot,
Et puis d'autres non,
Mais ceux-là se plaignent, 
et se replaignent, 
et se replaignent, 
et se replaignent 
sans fin…

Du genre : C'est la faute à la société si je n'ai pas de boulot,
La faute à la société si je suis un ringard,
J'ai du potentiel que personne ne voit !
Filez-moi des allocs, laissez-moi être moi-même !

Hé, mec : tu vis au pays de la liberté !
Personne te donnera ta chance !
Certains doivent avoir du bien, 
et puis d'autres : que dalle, c'est comme ça !
Mais ceux-là se plaignent, 
et se replaignent, 
et se replaignent, 
se plaignent, 
sans fin…

Du genre : J'ai pas de maison, j'ai pas de voiture !
Je craque tout mon pognon à me bourrer la gueule au bistrot
Je voudrais être riche. J'ai pas de cerveau.
Faites-moi l'aumône pendant que je me plains.

Ou encore : Je veux rester au pieu et regarder la télé.
Partir en week-end dans une limousine
Et danser toute la nuit en prenant un max de came
Et me réveiller quand je voudrais !


Hé, mec, tu vis au pays de la liberté !
Personne te donnera ta chance !

Certains apprendront.
D'autres n'apprendront jamais.
Et ils se plaindront, 
et se plaindront, 
et se plaindront...
sans fin...

Traduction française 2 :

samedi 6 octobre 2018

Cadeau utile



Recommandé par

Combattre la raison instrumentale, défendre la raison critique !


Présentation de l' (excellent) éditeur : 

« Le nazisme est trop souvent présenté comme un mouvement profondément antimoderne, obsédé par un passé mythique et exaltant la communauté du sang et de la tradition culturelle. Dans ce livre, qui a fait date par son approche radicalement nouvelle, Jeffrey Herf montre au contraire qu’il a voué un culte délirant à la technologie la plus avancée. 
Pour ce faire, le grand historien américain s’est livré à une enquête approfondie sur les origines idéologiques du IIIe Reich, mettant en lumière une nébuleuse originale d’intellectuels, dont plusieurs ont marqué l’histoire des idées, comme Oswald Spengler, Ernst Jünger, Werner Sombart ou Carl Schmitt. Le point commun de ces "modernistes réactionnaires" est d’avoir fusionné certaines dimensions de la société industrielle – son mode de production et sa technologie, la rationalité instrumentale – avec la culture du nationalisme allemand, caractérisée par sa haine de la raison et de la démocratie.
Les conclusions qui se dégagent de cette passionnante enquête, qui a renouvelé l’interprétation du phénomène nazi, et jusqu’ici étonnamment restée inédite en français, sont les suivantes : d’une part, la modernité n’est pas un phénomène monolithique, qu’il faudrait accepter ou rejeter en bloc ; d’autre part, l’adhésion à la modernité technique n’est pas en soi un gage d’émancipation. »


Publié ces jours-ci par L'Échappée : 320 pages, 22 euros. Merci, camarades. Tout ça nous change un peu (sans nous en consoler tout-à-fait, comme de juste) des saloperies bi-hebdomadaires commises par les Éditions de la Fibrose, et tous ceux qui leur ressemblent. 

Banalité du mal


« À l'heure actuelle, mon avis est que le mal n'est jamais radical, qu'il est seulement extrême, et qu'il ne possède ni profondeur ni dimension démoniaque. Il peut tout envahir et ravager le monde entier précisément parce qu'il se propage comme un champignon. Il "défie la pensée", comme je l'ai dit, parce que la pensée essaie d'atteindre à la profondeur, de toucher aux racines, et du moment qu'elle s'occupe du mal, elle est frustrée parce qu'elle ne trouve rien. C'est là sa banalité. Seul le bien a de la profondeur et peut être radical. »

(Hannah Arendt, Lettre à Gershom Scholem de 1963, in Fidélité et utopie)

vendredi 5 octobre 2018

Sans déconner ?

(Le Monde, 3-10-18)

Sciences Sociales


Ci-dessus : Réactions humaines à la culture du viol et performativité queer au sein des parcs à chiens de Portland, Oregon (titre d'un des sujets acceptés par une revue scientifique de renom, victime du canular géant de Helen Pluckrose, James Lindsay et Peter Boghossian, Février 2018).

***

« Quand un homme se masturbe en pensant à une femme sans lui avoir demandé son consentement, c'est une agression sexuelle. Il existe une culture systémique du viol chez les chiens. L'astronomie est une science sexiste et pro-occidentale qui doit être remplacée par une astrologie indigène et queer. Ces thèses vous semblent loufoques, invraisemblables ? Elles le sont. Elles ont néanmoins été considérées avec le plus grand sérieux, et parfois même publiées, par des revues académiques de premier plan aux Etats-Unis, victimes de l'un des canulars universitaires les plus ambitieux jamais mis en œuvre…

Helen Pluckrose, James Lindsay et Peter Boghossian sont trois chercheurs américains, persuadés que quelque chose cloche dans certains secteurs du monde académique outre-Atlantique. "Le savoir basé de moins en moins sur le fait de trouver la vérité et de plus en plus sur le fait de s'occuper de certaines 'complaintes' est devenu établi, presque totalement dominant, au sein de [certains champs des sciences sociales]", écrivent-ils dans le magazine Areo, et les chercheurs brutalisent de plus en plus les étudiants, les administrateurs et les autres départements qui n'adhèrent pas à leur vision du monde". Se désolant de ce tournant idéologique en cours dans les facs américaines, notre trio d'universitaires établit une liste des disciplines les plus gravement touchées : il s'agit des matières communément regroupées dans l'enseignement supérieur américain sous le terme de "cultural studies" ou "identity studies", "enracinées dans la branche 'postmoderne' de la théorie qui a émergé à la fin des années soixante". On y trouve donc les fameuses "gender studies", les "queer studies" mais également la "critical race theory", les "fat studies" (sic) ou des pans entiers de la sociologie critique. Le point commun de ces branches universitaires, requalifiées en "grievance studies" (qu'on pourrait traduire par "études plaintives") ? D'après les trois chercheurs, elles produisent des travaux très souvent "corrompus" par l'idéologie, qui renoncent à toute honnêteté intellectuelle dès lors qu'il s'agit de dénoncer les oppressions de toutes sortes : sexistes, raciales, post-coloniales, homophobes, transphobes, grossophobes…

Pour prouver leur diagnostic, Pluckrose, Lindsay et Boghossian ont fait un pari simple… et drôle : pousser, dans des articles fantaisistes, la doxa qu'ils pointent dans ses retranchements les plus absurdes et voir si ces papiers seraient acceptés pour publication dans de très sérieuses revues scientifiques. Ils ont donc passé dix mois à écrire de faux "papers", un format universitaire anglo-saxon qu'on peut comparer au mémoire français. Recette commune de ces essais : "Des statistiques totalement invraisemblables, des assomptions non prouvées par les données, des analyses qualitatives idéologiquement biaisées, une éthique suspecte (...), une bêtise considérable".

Les chercheurs ont ensuite systématiquement envoyé leurs travaux bidons aux "journaux de référence dans les champs universitaires concernés". Après quasiment un an de bombardement de canulars, les trois audacieux ont été forcés d'arrêter leur expérience car un de leurs textes commençait à connaître un important écho dans la presse. Mais les 20 papers écrits ont suffi à valider la pertinence de leur thèse : pas moins de sept d'entre eux ont en effet été validés par les revues universitaires, dont quatre publiés. Sept autres sont encore en cours d'examen et seulement six ont été refusés sans ambiguïté par les universitaires chargés de les évaluer. Par quatre fois, les facétieux compères ont même été invités à eux-mêmes examiner le travail de "pairs" en récompense… de leur "savoir exemplaire".

Lorsqu'on examine le contenu de ces faux mémoires, on peine pourtant à croire que leur absurdité n'ait pas sauté à la figure des chercheurs chargés de les examiner (...). Une de leurs inventions croquignolesques a même rencontré un réel triomphe académique : dans "Réactions humaines à la culture du viol et performativité queer au sein des parcs à chiens de Portland, Oregon", nos chercheurs soutiennent qu'il existe "une rampante culture du viol canine" et qu'une "oppression systémique" frappe certaines races de chiens. Un mémoire qualifié "d'incroyablement innovant, riche en analyse, extrêmement bien écrit et organisé" par la revue Gender, Place, and Culture, qui lui a fait une place dans ses prestigieuses colonnes… et l'a même intégrée parmi ses 12 meilleures publications de l'année 2018 ! La chercheuse Helen Wilson, auteure de ce travail volontairement absurde, expliquant sa méthode de travail, y écrivait avoir "délicatement inspecté les parties génitales d'un peu moins de 10.000 chiens tout en interrogeant leurs propriétaires sur leur sexualité", mais également avoir "constaté un viol de chien par heure au parc à chiens urbain de Portland" ! Pas de quoi faire lever un sourcil aux universitaires chargés de valider son article pour publication dans une revue "de référence"…

D'autres mémoires-hoax n'ont pas eu le temps d'être publiés avant que le canular soit finalement rendu public. Mais ils ont été quasiment intégralement validés par les revues auxquelles ils ont été présentés, avec des modifications mineures. (...)

Le clou de cette fanfaronnade a été apporté par un essai présenté au magazine Sociology of Race and Ethnicity, où nos trublions prétendent "examiner de manière critique la blanchité ('whiteness', ndlr) depuis la blanchité". Pour cela, ils ont ni plus ni moins sélectionné - sans le dire - des extraits de Mein Kampf, l'infâme pamphlet antisémite d'Adolf Hitler, en y remplaçant le mot "Juifs" par "Blancs". Le paper a été rejeté mais cela ne l'a pas empêché de recevoir au préalable les éloges de plusieurs pairs universitaires. "Cet article a le potentiel pour être une contribution puissante et particulière à la littérature traitant des mécanismes qui renforcent l'adhésion blanche à des perspectives suprémacistes blanches, et au processus par lequel des individus peuvent atteindre des niveaux plus profonds de conscience sociale et raciale", écrit ainsi un chercheur enthousiaste, qui n'objecte que "des révisions concernant la précision, la clarté, l'expression d'assertions et des exemples concrets" et complimente ainsi sans le savoir une resucée de Mein Kampf.

(...) Le tableau final est implacable pour tout un pan du monde universitaire anglo-saxon : "Il y a un problème de production du savoir au sein de champs qui ont été corrompus par les 'grievance studies' nées du socio-constructivisme et du scepticisme radical. Parmi les problèmes, il y a la manière dont des sujets comme la race, le genre, la sexualité, la société et la culture sont traités par la recherche". C'est donc bien un nouvel obscurantisme que les chercheurs décrivent, une idéologie qui "rejette l'idée d'universalité scientifique et d'objectivité et insiste, pour des raisons morales, sur la nécessité d'accepter la notion de vérités multiples basées sur l'identité". »

(Marianne, 4-10-2018)

Ah, les compteurs intelligents !


Merci qui ?
- Merci Linky !

Jeunes gens modernes


French police working

mercredi 3 octobre 2018

Le con des Saints

Ci-dessus : gros vendeur, Gaule, 2018.