Les petits éloges littéraires
rendus à cette grosse tapette d'Anders Breivik, ça va bien cinq minutes. Le Moine Bleu,
aujourd'hui, vous propose beaucoup mieux : un voyage dans l'histoire de
France et de la littérature, à la découverte d'un homme, un vrai, celui sans qui Richard
Millet ne serait sans aucun doute jamais devenu ce gros vendeur viril à la Eric Zemmour faisant désormais le renom de la maison Gallimard.
Tout cela en vous amusant, bien entendu.
Car instruire tout en distrayant, telle reste - plus que jamais - notre glorieuse devise.
« Je n’ai jamais dans mes
livres recommandé aucune mesure antisémite, j’ai recommandé l’émulation, le
réveil des aryens abrutis, et l’union franco-allemande pour la Paix. Enfin et
surtout il n’y a jamais eu de persécution juive en France. Les juifs ont toujours
été parfaitement libres (comme je ne le suis pas) de leur personne et de leurs
biens dans la zone de Vichy pendant toute la guerre. Dans la zone nord ils ont
dû arborer pendant quelques mois une petite étoile. (Quelle gloire ! je
veux bien en arborer dix !) »
L-F Céline, Lettre à Thorvald
Mikkelsen, 5 mars 1946
«
En visitant votre exposition, j’ai été tout de même frappé et un peu peiné de
voir qu’à la librairie ni Bagatelles
ni l’École ne figurent, alors que
l’on y favorise une nuée de petits salsifis, avortons forcés de la 14ème
heure, cheveux sur la soupe. Je ne me plains pas. Je ne me plains jamais pour
raisons matérielles, mais je constate là encore hélas, la carence effroyable
(en ce lieu si sensible) d’intelligence et de solidarité aryenne. »
L-F
Céline, Lettre à l’organisateur de l’exposition « Le Juif et la France », 21 octobre 1941
« À midi, chez
Florence. J’y ai rencontré Heller qui revenait de Berlin ; son train avait
été attaqué par les avions ennemis. Il m’a raconté que Merline, aussitôt après
le débarquement, avait demandé des papiers à l’ambassade et s’était déjà
réfugié en Allemagne. Curieux de voir comme des êtres capables d’exiger de
sang-froid la tête de millions d’hommes s’inquiètent de leur sale petite vie.
Les deux faits doivent être liés. »
Ernst
Jünger, Second journal parisien, 22
juin 1944.
Céline à l'inauguration de l'Institut des questions juives, 1941 |
Le 17 juin 1944, devant les
progrès de l’avancée en France de l’alliance anglo-américaine, Céline et sa
femme Lucette ont quitté Paris, avec un million de francs planqués dans un
gilet, et l’intention de se rendre aussitôt que possible au Danemark, où Céline
dispose d’une autre réserve d’argent substantielle, constituée quelques années
auparavant. L’évacuation de Paris se fait bien entendu, toute individuelle qu’elle soit, avec le concours et l’appui complets des autorités allemandes, lesquelles manifestent encore,
pour l’heure, le désir de placer en sûreté les personnalités les plus notoires
– et à ce titre les plus menacées - du « rapprochisme » pro-hitlérien en déconfiture. Céline remercie
d’ailleurs peu après avec émotion, dans une lettre de juillet 1944, pour son
aide généreuse, Karl Epting, ex-directeur de l’Institut Allemand de Paris (un des hauts lieux de rencontre de la
collaboration politico-littéraire) qu’il a fréquenté régulièrement sous
l’occupation. Mais les intentions finales (danoises) des Céline se trouvent
rapidement contrariées. Le couple doit séjourner, sous surveillance administrative,
en Allemagne, à Baden-Baden d’abord, très confortablement, puis dans un petit
village du Brandebourg, enfin à Sigmaringen, où Pétain et l’essentiel de son
gouvernement déchu sont déjà installés. Céline, médecin, y prodigue ses soins
aux exilés vichystes, tout en rongeant son frein. Il désespère de pouvoir
passer (légalement ou non) à Copenhague, en Suisse ou ailleurs, faute de visa
et de combine. Il s’ouvre de cette situation à Paul Bonny, pro-nazi suisse
relativement influent, traducteur attitré, sous l’occupation, de l’ambassade
d’Allemagne à Paris. Pour faire avancer son dossier auprès des autorités,
Céline argue alors sans aucun problème
de son engagement passé, lequel lui
paraît bien mériter, désormais, un petit renvoi d’ascenseur :
« Je peine et lourdement dans la vie. Je traîne 2 guerres
après mes os. J’ai fait cadeau à la cause
de tout ce qui me restait de validité, à présent un peu d’égard ne serait
pas méséant. De la part de Mr Pétain aussi dont je suis un des vaillants
rescapés. »
(2 octobre 1944).
C’est tout sauf clandestinement
(et laborieusement), contrairement à
ses dires (« Nous avons, écrira en 1949 Céline à son avocat, le très
droitier Tixier-Vignancour, avec ma femme traversé toute l’Allemagne à pied, en 18 jours – de Constance à Copenhague
– où nous sommes arrivés en loques, morts de faim et de soif etc etc »)
que les Destouches passent la frontière danoise.
Certes, Paul Bonny confirme la
légende. Mais Marcel Déat note dans son journal la date précise du retour de
l’infirmier Germinal Chamoin, ancien de la LVF et infirmier personnel de
Céline, qui les accompagnait : la durée de son propre aller-retour n’avait pas excédé huit jours. Lucien
Rebatet, d’autre part, confirme dans ses Mémoires
d’un fasciste le fait qu’un Ausweis en bonne et due forme leur avait bien,
finalement, été accordé par les services administratifs du Reich. Tout cela
fleure donc la parfaite légalité, et l’affaire rondement expédiée. Ils
débarquent, en tout les cas, à Copenhague à la fin mars 1945 et sont d’abord hébergés
par une vieille amie de Céline : Karen Marie Jensen, celle qui, pour ses
beaux yeux déjà, était allée sortir du coffre d’une banque allemande, pour le
planquer au Danemark, le magot (en or) dont Céline est détenteur.
Le 19 avril est émis à Paris un
mandat d’arrêt à l’encontre de Céline, pour trahison.
Le 17 décembre 1945, enfin, sur
intervention officielle de la représentation de France au Danemark, Céline est
incarcéré à la prison Vestre Faengsel
de Copenhague, dans l’attente d’une éventuelle décision d’extradition. Il y
passera quatorze mois dans des conditions difficiles, sa santé déjà fragile se
dégradant à haute vitesse.
Entre-temps, Céline aura désigné
son premier avocat, le danois Mikkelsen, qui fera beaucoup pour lui, le
défendant, d’abord, bien sûr, quand personne ou presque n’entendait s’y coller
(et alors même - ses lettres en témoignent - que Mikkelsen le tenait pour un
antisémite et un barge absolu, totalement irrécupérable), puis le logeant et
lui fournissant un petit pécule pour survivre. Nous verrons plus loin comment,
de tout cela, Mikkelsen fut bien remercié
par son client, comment le furent, de même, durant cet exil danois, d’autres
sympathisants et défenseurs de Céline qui se fussent, semble-t-il, volontiers
fait tailler en pièces, alors, pour les belles réputation et intégrité de
l’impeccable docteur Destouches.
Quoi qu’il en soit, en attendant, « l’affaire
Céline » est lancée.
Fiche d'identité judiciaire danoise, 1945 |
Le 31 janvier 1946, Guy de Girard de Charbonnières, représentant
à Copenhague des intérêts français (et ancien vichyste honteux tentant, d’après
Céline, de faire oublier dans l’opération ses propres turpitudes) écrit aux
ministres danois de la Justice et des Affaires étrangères, dans le but
d’obtenir l’extradition de Céline, qu’il est reproché à ce dernier « en
particulier d’avoir été Membre d’Honneur du Cercle
Européen, d’avoir publié des ouvrages favorables à l’Allemagne et d’avoir
ainsi facilité la propagande germanique », les deux articles du Code Pénal
sous le coup desquels il tomberait de fait étant alors les articles 75 et 76.
Tous deux prévoient la peine de mort pour trahison.
Au lendemain de la libération,
par une première ordonnance du 26 juin 1944 avaient été constituées pour juger
les crimes de collaboration, des Cours de
Justice spéciales, juridictions d’exception dont les arrêts resteront, au
gré des personnalités diversement suspectes amenées à défiler devant elles, un
modèle de flou juridique
impénétrable. Certains s’en sortent, d’autres pas. Un peu moins de huit cents
exécutions, semble-t-il (le chiffre exact n’a jamais été établi). Face à
l’épuration malpropre, dite « sauvage », en province surtout
(quelques milliers d’exécutions sommaires, peut-être 20 000 « poules à
boches » - selon l’expression immonde consacrée par la populace - tondues,
etc) et dans la perspective, inquiétante pour la bourgeoisie, d’une vague de
défiance et d’insoumission, voire d’une insurrection communiste prolongeant la
Libération, les législateurs du Gouvernement Provisoire (Jeannerey en
particulier) entendent rapidement poser les cadres d’une Épuration
« digne » et « légitime ». Ces cadres initiaux, cependant,
vu le besoin de vengeance de masse agitant - à juste titre - le pays, seront
extrêmement rigoureux.
L’ordonnance du 28 novembre 1944,
par exemple, modifie celle du 26 juin sur un point notable puisqu’elle étend la
responsabilité des actes de collaboration à une période précédant le vote des pleins pouvoirs à Pétain par l’Assemblée élue, et
la mise en place des structures gouvernementales vichystes. La Cour de Justice a
désormais toute compétence pour statuer sur des actions révélant simplement
« l’intention de leurs auteurs de favoriser les entreprises de toute
nature de l’ennemi », et qui seraient antérieures au 16 juin 1940.
D’autres ordonnances précisent
par ailleurs dans la foulée (le 26 août, puis le 26 décembre 1944) sans
ambiguïté que de simples faits littéraires, à caractère « privé » ou
artistique peuvent parfaitement, suivant les cas, se voir assimilés à des faits
de collaboration. Sont ainsi susceptibles d’être concernés tout organisateur de
« manifestations artistiques économiques ou politiques [...] en faveur de
la collaboration », ainsi que toute personne ayant par écrit ou prise de
parole en public fait l’apologie des Allemands, « du racisme ou des
doctrines totalitaires ».
C’est ainsi sur cette base que
Brasillach est condamné à mort, pour ses activités de presse à la tête du
journal Je Suis Partout, et exécuté le 6 février 1945. La raison pour laquelle De
Gaulle ne lui accorda pas sa grâce n’a, certes, jamais été clairement définie.
Si l’on accorde qu’outre le but de ne point prêter le flanc aux accusations de
mollesse venues du camp communiste, ce refus tint chez De Gaulle à une certaine
position de fond, qu’il résume ainsi dans ses Mémoires : « Le talent est un titre de
responsabilité », que dire, alors, de cette autre phrase émise en 1966 par le même de Gaulle à destination de
Jacques Chardonne, farouche admirateur, sous l’occupation, de la Wehrmacht, et
même des SS (en témoigne son livre inédit Le
ciel de Nieflheim), et écrivain « rapprochiste » tout ce qu’il y
a de plus notoire : « Quand un écrivain a du style,
ce qu’il dit a peu d’importance » ?
Les voies de l’épuration restent impénétrables.
Quoi qu’il en soit, Maurras prend
perpète. Sur sa seule réputation,
serait-on tenté de dire (un peu aussi, tout de même pour la « divine
surprise » qu’il exprime haut et fort en 1941 devant l’accession au
pouvoir de Pétain). Luchaire, fondateur des Nouveaux
Temps, est quant à lui truffé de plomb, tout comme Brinon, ex-ambassadeur
de Vichy auprès des Allemands. Lucien Rebatet est condamné à mort (mais sera,
lui, grâcié). Même régime pour Marcel Déat, qui parvient à se tirer à temps et finira
sa cavale dans un couvent italien. D’autres, plus familiers encore à Céline que
tous les braves gens qu’on vient de citer (si l’on excepte Maurras, bien sûr,
auquel il vouait comme tout bon fasciste
moderne une haine de jeune loup), certains membres, notamment, de la
dernière rédaction de Je Suis Partout,
se réfugieront en Espagne ou en Suisse, flanqués eux aussi d’une condamnation à
mort.
Céline a donc de quoi s’inquiéter.
Car en dépit de tout ce qu’il
pourra raconter ensuite, il représente bien, à Copenhague, en ce début d’année
1946, et à l’aune même du Droit le plus bourgeois, un parfait candidat à la
Veuve, ou au poteau.
Rapidement, sa ligne de défense est définie.
Elle est claire.
Elle ne variera jamais.
« Hors
les Beaux Draps, je n’ai absolument
rien écrit depuis la guerre sauf Guignol’s.
Je n’ai d’ailleurs de ma vie publié
un seul article, ni politique ni littéraire dans aucun journal ni français ni
étranger. C’est une de mes caractéristiques bien connues. J’ai la presse en
horreur et elle me le rend bien. Je n’ai jamais parlé de ma vie non plus en
séance publique, privée ou a la radio. Tout le monde à Paris sait cela. J’ai
refusé de ce côté des petites fortunes. Je n’ai jamais appartenu non plus à
aucun parti politique ni français, ni étranger, à aucune société, à aucun club.
Je n’ai jamais voté de ma vie (…) À
aucun moment ni avant ni pendant la guerre, je n’ai été autre chose qu’un écrivain à l’état pur si j’ose dire, jamais journaliste, jamais propagandiste, jamais
politicien, jamais militaire. Français, médecin et écrivain – voilà ce
que je suis et rien d’autre. Aucun
compromis. J’ai tiré mes revenus de mes livres, ils me suffisaient très
largement. Je n’arrivais pas à dépenser le quart de ce que je gagnais. »
(Céline
à l’avocat Mikkelsen, 5 mars 1946).
Certains de ses arguments font
incontestablement mouche : quand Céline, par exemple, justifie sa fuite
précipitée en Allemagne en rappelant le meurtre de son ex-éditeur Denoël, ou
rappelle le sort autrement favorable à la Libération de célèbres plumes (on a
déjà cité le cas de Chardonne, par exemple, dont Céline ne parvient jamais,
dans sa correspondance, à se rappeler le nom correct) parfois engagées
formellement, elles, sous l’occupation, dans telle ou telle activité littéraire
dépendant directement, financièrement,
des autorités allemandes.
« Que
va faire à présent le Parquet de Paris ? me condamner par contumace ?
Si j’étais resté en France, j’aurais été abattu comme Denoël. Sans plus. On
peut encore me reprocher Les Beaux Draps…
Ils sont bien anodins. Montherlant en a écrit bien davantage – et bien d’autres
qui se portent fort bien. »
(Lettre à l’avocat Albert Naud, 19 avril 1947).
Déjà, cependant, on ressent une
impression fort déplaisante à la fois de mensonge
(Denoël n’a probablement pas été abattu par des communistes avides de justice
expéditive, ou les activistes juifs de Bernard Lecache, qui terrifient tant
Céline, mais plus certainement pour des histoires mafieuses de gros sous, à l’initiative de son
ex-maîtresse, Jean Voilier (Jeanne Loviton) bientôt devenue, de fait, héritière des parts de sa
société) et de propension à balancer, pour justifier sa propre position de rat, un certain nombre de petits copains.
Et comme toujours, chez Céline,
la dénonciation de Tartuffe nous parle autant qu’elle pue la manipulation
savante, consistant à se distancier
d’une foule de gens sans aucun doute aussi mouillés que lui, pourtant restés
inattaqués, donc protégés, dit-il, lors que lui demeure le faible, le bouc émissaire
et le persécuté de l’histoire. Certes, le Montherlant des très nazis Cahiers franco-allemands et du Solstice de Juin (publié par la NRF de
Drieu), déclarant dans une interview à La
Gerbe son soutien à la croisade païenne des nazis, que « L’Europe allait
mourir de médiocrité sans le sursaut qu’elle a eu en 1939 » et autres
merveilles de semblable calibre, n’écopa finalement que d’une interdiction de publier pendant un an
(la tuile, ça !). Rappelons qu’il avait été couché, sous l’occupation, sur
la fameuse « liste noire » des écrivains considérés comme
« traîtres » par le CNE (Comité National des Écrivains).
Marcel Jouhandeau, quant à lui,
n’eut même pas à affronter de procès.
Un simple interrogatoire suffit à
le mettre hors de cause.
Le voyage officiel des écrivains collaborateurs en Allemagne, auquel il avait
participé à l’invitation du Reich en 1941 ? Jouhandeau, qui préfère les
garçons, prétexta que c’est pour les seuls beaux yeux de Heller, agent de
propagande intellectuelle du régime auprès des écrivains de France, qu’il
l’avait accompli. Son livre de 1937, sobrement intitulé Le Péril juif, laisserait-il supposer autre chose ? Vieilles
broutilles que tout cela. Quant à Paul Morand, ex-ambassadeur de Vichy en
Roumanie, et simplement révoqué à la
Libération, (ouh le vilain !) avant de passer dix ans d’un confortable
exil en Suisse, convenons qu’il est toujours pénible de trop remuer le passé…
Voilà ce qui écoeurait Céline, et
nous écoeure aussi, assurément.
De même que nous répugne la
carrière bien tranquille perpétrée entre 40 et 45 par tous les Sartre, Elsa
Triolet (carrément éditée, elle, par les bons soins de ce Heller qui faisait
tant fantasmer Jouhandeau), Cocteau, Guitry et consorts, dont les écrits et
pièces, quand ils n’étaient pas produits par les Allemands eux-mêmes,
franchissaient tout de même l’épreuve de la censure sans aucun problème.
Pendant le conflit, les affaires continuent. Il en va toujours ainsi, chez nos
amis artistes. Le souci, bien entendu, est de voir après coup pérorer un Sartre,
grand inquisiteur des Lettres à la Libération. L’antipathie viscérale qu’il
manifeste à l’égard de Céline tiendrait surtout au fait, d’après Lucette
Almanzor, que Céline lui ayant assuré - Sartre étant venu le supplier d’intervenir vers 1942 en faveur
d’une de ses pièces auprès de la censure allemande - qu’une telle chose n’était
point en son pouvoir, le petit Sartre ne l’avait point cru, et était reparti
fort courroucé…
Roger Vailland, tentant lâchement d'écraser L-F Céline en marche arrière, 1950. |
Le 13 janvier 1950, peu avant
l’ouverture du procès parisien, maintes fois repoussée (il commence le 21
février), Roger Vailland publie dans La
Tribune des nations, journal stalinien financé par le KGB, un texte intitulé Nous n’épargnerions plus Louis-Ferdinand Céline, qui peut
assurément être considéré comme une menace, voire un appel au meurtre. Vailland, communiste actif dans la Résistance, y prétend que le petit groupe de
partisans auquel il appartenait avait en 1943 pour base opérationnelle
l’appartement d’un certain Champfleury (vivant là avec sa compagne Simone)
situé juste au-dessus de celui de Céline à Paris. Dans un tel contexte, quand
on est communiste, il faut reconnaître que les idées vous viennent à une de ces
vitesses :
«
Un petit groupe de « collaborateurs » se réunissait une ou deux fois
par semaine dans l’appartement du cinquième. Des rédacteurs de Je Suis Partout, des écrivains, des
artistes, le dessus du panier de la « collaboration ». Vers onze
heures, ils s’en allaient tous ensemble. Cela faisait une grande rumeur dans
l’escalier. Céline les accompagnait jusque sur l’avenue Junot, puis ils
restaient un moment à parler, à rire, à faire des jeux de mots, juste sous les
fenêtres de Simone. Celui qui faisait le plus de bruit, c’était Ralph Soupault,
l’humoriste hitlérien, le doriotiste de la Butte, l’homme qui, dès qu’il était
soûl, brandissait son pistolet à tuer les gaullistes. Nous, nous les
regardions, de derrière les rideaux de chez Simone. Puis, ils se dispersaient,
Céline remontait ses cinq étages, cela faisait un tout petit bruit dans
l’escalier. Un soir d’été, après avoir lu des échos de Je Suis Partout encore plus perfidement dénonciateurs que
d’habitude, nous avons décidé de les exécuter.
Comme nous étions gens d’action, nous avons d’abord pensé
aux moyens. Fred a proposé de laisser gentiment glisser une grenade de la
fenêtre de Simone dans l’avenue Junot. Et boum ! pour parler comme
Louis-Ferdinand Céline, le gros Laubreaux (Je
Suis Partout) pissait ses intestins, le grand Ralph (Soupault) dégueulait
sa petite cervelle ! Mais c’était obliger Simone à passer dans
l’illégalité, et nous autres à lui procurer un état-civil, passe encore, mais
un nouvel appartement, toute une histoire. Nous écartâmes la grenade.
Alcibiade fit la proposition la plus raisonnable. Deux
d’entre nous s’embusqueraient dans le petit square de l’avenue Junot, et puis,
à la mitraillette, hop ! là boum ! dans Je Suis Partout comme dans le jeu de quilles de Marianne Oswald.
Deux vélos et les terroristes disparaissaient dans l’allée des Brouillards,
dans le brouillard. Ce sera le plus beau « coup » de ma vie, disait
Alcibiade, qui était agrégatif de philo (plusieurs de nos copains venaient
d’être très sérieusement malmenés, rue des Saussaies [siège de la Gestapo à
Paris]. Là-dessus, Jacques fit une objection de principe. – Laubreaux, bien
sûr, dit-il. Ralph Soupault, certainement, c’est un pourri du PPF. Mais
Céline ? C’est tout de même difficile d’abattre comme un chien l’auteur du
Voyage au bout de la nuit.
La discussion fut âpre. Fred disait que la guerre était
la guerre, et tant pis pour les cathédrales et pour les écrivains, s’ils se
trouvaient sur la ligne de tir. Alcibiade défendait les cathédrales mais niait
que Céline fût un grand écrivain : « le peintre pourri d’un monde
pourri. Les points de suspension entre lesquels se délient ses phrases, c’est
la définition même d’un style en décomposition. Abattre un cadavre, cela
ne pose pas de cas de conscience. » Mais Simone qui, ce soir-là, était un
peu bas-bleu, se rangea à l’avis de Jacques : l’avenir de la littérature
française lui tenait à cœur. Et comme l’unanimité est préférable lorsqu’il
s’agit d’une condamnation à mort, nous remîmes la décision. D’autres besognes
reprirent notre attention. La répression nous dispersa (…) Il nous reste à
faire le bilan de notre mansuétude d’un soir de Juillet : des dix que nous
étions, ce soir-là, chez Simone, trois seulement survivent. L’un d’eux vient
d’être réduit au chômage parce que ses opinions politiques déplaisent à son
ministre socialiste. Mais Laubreaux complote à Madrid son retour et notre mort.
Soupault survit et jure qu’il aura notre peau. Et Céline, de Copenhague, écrit
des lettres d’injures aux écrivains qui ne « collaboraient » pas, et
un mauvais livre [Casse-pipe, qui
vient alors de paraître] que tous les « collabos » achètent parce
qu’il collabora. Je crois que notre mansuétude fut un marché de dupes et par
surplus une mauvaise action. »
Céline répondra à Vailland, dans
un Petit Crapouillot de 1958, que
l’activité de son groupe de résistants était alors connue « de tout le
quartier », donc bien entendu de lui-même. Et il fait, entre deux injures,
la précision suivante – glaçante – et qui nous semble pleinement confirmer
l’objective dangerosité qu’il représentait alors, aux yeux des membres de la
Résistance, des Juifs, de tous ses ennemis et adversaires en général :
« Je
dis, j’affirme que ce Vailland (ma honte qu’il soit si dépourvu de tout style
et forme !) me doit la vie… »
Cette ironie-là, extrêmement maladroite, est à rapprocher, comme
trait symptomatique, de celle adoptée par Céline, quelque temps auparavant,
pour décrire, avec délectation et sadisme, la terreur éprouvée sous
l’occupation par certains de ses anciens ennemis des années 1930 (souvent
communistes) à l’idée qu’il décide de se venger, à présent que les nazis
triomphent. Les cas de Lucien Sampaix, qui l’avait accusé d’être un agent
allemand rémunéré, et du Docteur Rouquès, communiste espagnol l’ayant traîné
devant les tribunaux après que Céline l’eut attaqué nommément dans un de ses
pamphlets, sont les plus emblématiques. Céline avait perdu ce
dernier procès le 21 juin 1939.
« Le
2 mars 1946, le Dr Rouquès (…) avait écrit au juge d’instruction pour demander
à être entendu en qualité de témoin, affirmant qu’à partir de la réimpression
de l’École des cadavres en 1942, et
en raison de la préface dans laquelle il avait été personnellement visé, la
Gestapo avait commencé à s’intéresser à lui. Il aurait alors dû quitter
Bagnols-sur-Cèze pour venir vivre à Paris dans la clandestinité :
« Je considère cette préface comme une véritable provocation qui a failli
me coûter ma liberté et peut-être ma vie. » Le docteur Rouquès renouvela
sa demande le 16 mai 1947, et comme le juge ne s’était pas soucié de
l’entendre, il lui adressa le 10 novembre 1949, alors que le dossier se
trouvait déjà communiqué au Parquet, une lettre recommandée avec accusé de
réception, à la suite de laquelle il fut entendu par procès-verbal le 22
novembre 1949 (…) »
(François
Gibault, Céline, 1944-1961, Cavalier de
l’Apocalypse).
« Ce saligot de médecin politicien pourri,
actuellement conseiller municipal communiste, a bêlé pendant toute l’occupation
auprès de mes amis, (tellement il avait la chiasse !) qu’il n’était pour
rien dans le procès en diffamation qu’il m’avait intenté etc…et patati… qu’on
l’avait contraint, son Parti etc… Et que je me fous, et suis toujours foutu
d’un Rouquès ! Je n’ai même pas fait « appel » à son procès (que
j’aurais sûrement gagné !). Si j’avais voulu me venger de ce chien me
juge-t-on assez con pour avoir été l’annoncer dans une préface ! Je
n’avais qu’à l’abattre par une nuit sans lune ! Et foutre tout était
dit. »
(Céline, Lettre
à Albert Naud, 17 octobre 1948).
Le dire à Albert Naud, c’est
bien. Mais cela ne saurait complètement suffire. Albert Naud, Céline l’a
justement choisi comme avocat parce qu’il
venait de la Résistance. « Vous, maître, vous êtes la Résistance
généreuse ! » lui répète-t-il dans ses lettres, de Copenhague à
Paris, sans vergogne aucune. L’autre ne s’en formalise pas, pensant avec fierté
que Céline l’aura désigné pour sa seule valeur personnelle. Il faut dire que
Naud l’admire tellement. Imparable, cela, en vérité, de se trouver défendu par
un ancien résistant, quand on est soi-même accusé d’avoir collaboré avec les
boches. Il n’y a guère qu’être soutenu par un Juif, dans la même histoire, qui
serait comparable, au plan comique (et au plan efficace). Pas de souci. C’est
Milton Hindus, professeur de littérature nord-américain, extrêmement ignorant,
niais et servile, qui s’y collera. Il fera, aux alentours du procès, de
vibrants témoignages de moralité en sa faveur, un maximum de bruit médiatique
(la préface, par exemple, de la traduction américaine de Mort à Crédit) pour dépatouiller l’injustement tracassé. Pourtant,
quand, enfin, Milton Hindus rend visite à Céline pour de vrai, à Copenhague, un
mois, alors, un minuscule petit mois ! passé en sa compagnie, au contact de
ses conversation et habitudes quotidiennes, suffira à l’éloigner, pour jamais,
dégoûté à vie, de son ancienne idole. « Céline, écrit alors Hindus, est
aussi bourré de mensonge qu’un furoncle de pus. » (Rencontre à Copenhague).
Le professeur Milton Hindus |
Il est donc malaisé d’entièrement faire confiance à ce type nous déclarant le plus tranquillement du monde que ses ennemis n’avaient
rien à craindre de lui sous l’occupation. Le stalinien Sampaix, résistant de la
première heure, sera en tout cas capturé par les troupes allemandes, sur dénonciation, et exécuté le 15
décembre 1941. Roger Vailland a peut-être eu une pensée pour lui, au moment
d’écrire son article. Les staliniens de cette période précise avaient certes
beaucoup de défauts, mais ce n’est pas chez eux qu’on trouvait alors les plus
mauvais camarades. Ni les moins rancuniers. D’autant, tiens ! que Vailland
en avait un autre, un camarade, qu’il adorait. Celui-là n’était même pas
communiste. Il n’était pas juif, non plus, quoi qu’ait pu en penser (tout haut,
tout fort) Louis-Ferdinand Céline. Voilà en quoi consista leur échange public,
qui se suffit à lui-même. Attirons seulement, à nouveau, l’attention du lecteur
sur la date particulière à laquelle
il se déroule. Il s’en passait de belle, alors, dans notre beau pays :
« Le
courrier qui, souvent, fait bien les choses [Robert Desnos est chroniqueur
littéraire à "Aujourd’hui" : titre
de presse collaborationniste et donc excellente
couverture pour lui car Desnos est, par ailleurs, un résistant très actif]
m’apporte en même temps deux volumes d’Henry Bordeaux et un livre de M. L.-F.
Céline [son pamphlet Les Beaux Draps,
publié par Denoël le 28 février 1941]. Ainsi ai-je le choix entre la
restriction et l’indigestion. C’est qu’en effet ces deux auteurs ont plus d’un
point commun. Leur clientèle est à peu près la même et l’excès de l’un
correspond aux déficiences de l’autre. Je trouve chez tous deux le besoin
d’écrire pour ne pas dire grand-chose. Mais que penser de la passion sans vertu
que nous recommande M. Céline ? En vérité si le premier a le souffle
court, le second n’a pas de souffle du tout : il est boursouflé et voilà
tout. Ses colères sentent le bistrot et en cela, il est, comme beaucoup
d’hommes de lettres, intoxiqué par la moleskine et le zinc. Tout ici est puéril
chez l’académicien comme son confrère et ce sera un sujet utile de méditation
pour nos descendants que la coexistence de ces deux écrivains identiques,
d’expression différente. Je n’ai jamais, pour ma part, pu lire jusqu’au bout un
seul de leurs livres. L’ennui, l’ennui total me force à dormir dès les
premières pages. Et tous les deux représentent les éléments principaux de notre
défaite par l’injustice même de leur succès. »
Robert
Desnos, Aujourd’hui, 3 mars 1941.
Réponse
de Céline, réponse officielle, publique
et imprimée :
« Votre
collaborateur Robert Desnos est venu (…) déposer sa petite ordure rituelle sur Les Beaux Draps. Ordure bien malhabile
si je la compare à tant d’autres que mes livres ont déjà provoquées – un de mes
amis détient toute une bibliothèque de ces gentillesses. Je ne m’en porte pas
plus mal, au contraire, de mieux en mieux. M. Robert Desnos me trouve ivrogne
« vautré sur la moleskine et sous comptoir », ennuyeux à bramer,
moins que ceci… pire que cela… Soit ! Moi je veux bien, mais pourquoi M.
Desnos ne hurle-t-il pas plutôt le cri de son cœur, celui dont il crève inhibé… « Mort
à Céline et vivent les Juifs ! »
M.
Desnos mène il me semble une campagne philoyoutre (et votre journal)
inlassablement depuis juin. Le moment doit être venu de brandir enfin
l’oriflamme. Tout est propice. Que s’engage-t-il, s’empêtre-t-il dans ce
laborieux charabia ? Mieux encore, que ne publie-t-il, M. Desnos, sa photo
grandeur nature face et profil, à la fin de tous ses articles ! La nature
signe toutes ses œuvres – « Desnos », cela ne veut rien dire. »
(Droit de réponse de Céline,
publié dans Aujourd’hui, 7 mars
1941).
Ultime
réplique, le surlendemain, de Desnos :
« La
réponse de M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline », est
trop claire pour qu’il soit nécessaire de commenter chaque phrase. Au surplus,
les lecteurs n’auront qu’à se référer à mon article de lundi dernier. Je crois
utile cependant de souligner la théorie originale suivant laquelle un
« critique littéraire » n’a qu’une alternative : ou crier
« Mort à Céline ! » ou crier : « Mort aux Juifs ! ».
C’est là une formule curieuse et peu mathématique dont je tiens à laisser la
responsabilité à M. Louis Destouches, dit « Louis-Ferdinand Céline ».
Signé : Robert Desnos,
dit « Robert Desnos »
« La nature signe toutes ses œuvres » (Céline) |
Si Desnos n’était pas juif, on peut constater, ci-dessus,
à quel point il pouvait néanmoins se montrer fort drôle et spirituel. Ajoutons
qu’il sera arrêté sur dénonciation le
22 février 1944 par la Gestapo, déporté à Buchenwald, et qu’il mourra
d’épuisement au camp de Terezin, situé au nord de Prague, le 8 juin 1945.
1945, vous vous rappelez ?
L’année où Céline fit ce terrible
et épouvantable voyage à pied pour
gagner le Danemark…
Concernant la veuve de Robert Desnos : Youki
(quel nom de chien, tout de même !) notre ami George Weaver attira récemment
notre attention sur certaine anecdote troublante. Il semblera à peu près
normal, en effet, à tout lecteur point trop ramolli du bulbe, qu’après
l’épisode que nous venons de présenter, une certaine inimitié, voire un certain ressentiment aient pu subsister chez
elle envers le type d’individu, disons sympathique
qu’était Louis-Ferdinand Céline. Or,
selon toute vraisemblance, il n’en fut rien, comme le prouve le petit récit que l’on trouvera ici (le lecteur se rendra directement au chapitre n°401 intitulé :
« Louis-Ferdinand Céline ») sous la plume de Marino Zermac.
Céline dans Je suis Partout, 1944 |
Concrètement, c’est ainsi que
Ferdinand s’y prend.
Il utilise, sous l’occupation,
les journaux fascistes (La Gerbe, Au Pilori et Je Suis Partout, pour l’essentiel) comme une tribune tout à fait
régulière (31 lettres, 11 interviews) d’où il lui est possible de laisser
tomber toutes sortes de dénonciations précises : révéler, par exemple, aux
lecteurs antisémites - qui feront ensuite ce qu’ils veulent, ou plutôt ce
qu’ils doivent, de l’information - qui est Juif et qui ne l’est pas dans le
monde politique, social, ou artistique. Manière de dire qu’en termes
d’épuration, rien de nouveau sous le soleil, que la révolution raciale reste à
faire, bref que tout continue comme avant, sous la même dictature juive, et que
le boulot sérieux attend d’être
réellement entrepris. Comme ici, par exemple, où il encourage Je Suis Partout à la plus grande
vigilance et la plus grande intransigeance :
« Vous
savez que Marie Dubas [chanteuse très connue de l’entre-deux guerres, présentée
par Céline comme Juive dissimulée] catholique décidément rentre bientôt. Trenet
[Charles, dont le patronyme est souvent soupçonné par les collabos de
constituer l’anagramme de « Netter », nom juif] aussi. Tout va bien. Je Suis Partout, j’espère, va leur
trouver des parallèles… Béranger, Jeanne d’Arc. Tant qu’un artiste n’a pas
fait une déclaration nette, précise, irrévocable, publique [en marge et
souligné trois fois] – antijuive, il doit être considéré comme Juif – ou
pro-juif ce qui revient au même (telle est la loi des Loges à l’envers –
pourquoi nous plus cons que les Loges ?) »
(Lettre
à Henri Poulain, de Je Suis Partout,
début 1942.)
Mais cette tribune que représentent les titres
collaborationnistes est aussi une tribune idéologique, théorique. Céline se
veut le seul et dernier authentique
représentant de la pensée raciste aryenne en France, la presse fasciste et
le Gouvernement de Pétain ne faisant l’objet que de son complet mépris (pour
leur mollesse, à tous deux) et/ou de
ses suspicions racistes. Le fait que ses Beaux
Draps demeurent interdits par Vichy après la victoire allemande (non à
cause de leur antisémitisme, évidemment, mais à cause des attaques répétées
qu’on y trouve contre la collaboration « propre sur elle » et
l’armée, décadente, responsable du désastre de 1940) est pour lui un
signe :
« L’on me signifie
assez bien, en tous lieux, que le national-socialisme n’est pas
d’« exportation », que les lois de Nuremberg pour races nordiques
n’ont aucune raison d’être en France. La France demeure donc juive. (Encore, il
y a peu de jours, Maurice Donnay, dans Aujourd’hui,
consacrait tout un article à Charles Cros, qui « parlait couramment
l’hébreu, au teint olivâtre, à la tignasse noire, hérissée, crépue »). Je
refuse d’être le pitre d’une nouvelle aventure. J’ai suffisamment amusé le
tapis. J’ai tout dit, je pense. Action ? Quelle action ? Le maréchal
Pétain, notre chef, est-il raciste, Aryen ? »
(Lettre à Pierre
Costantini, du journal L’Appel, 9
avril 1942).
Quand les lettres sont publiées, il suffit alors ensuite,
parfois, d’un petit stratagème pour
se couvrir. Car on a beau nager dans le délire et insister - avec passion - sur
des points de doctrine, on n’en perd pas moins de vue la possibilité vague de
quelque avenir défavorable. Tel est le pessimisme
de Céline (certains, y compris chez les fascistes post-épuration, du côté de Rivarol, par exemple, fustigeant sa
duplicité, ou de Maurice Bardèche, suggèreront aussi, plus ou moins
ouvertement : sa lâcheté crasse et
son opportunisme !)
Le stratagème, donc, est enfantin.
« Cher Ami,
Je tiens à vous faire
connaître que ma lettre publiée dans La
Gerbe a été absolument tripatouillée, édulcorée, tronquée, falsifiée – que
je ne la reconnais en rien – qu’elle ne me regarde pas – Ces procédés n’abîment
que leurs auteurs, etc etc »
(Lettre de Céline à Lucien Combelle, 14 février 1941)
Céline, qui a refusé l’embauche salariée auprès de journaux qui le sollicitaient, au nom de
« l’indépendance » et en pensant que se trouvait par là même évacué,
pour l’avenir, tout risque de responsabilité
juridique (là, il se plante comme on a pu le constater) emploie, à deux
reprises au moins, au sujet de la presse, l’expression intéressante de
« Colonne Maurice (ou Morice) », une colonne dont il serait loisible
d’user pour diffuser ses idées à grande échelle, et faire ainsi œuvre de propagande
massive, et gratuite.
C’est « cadeau »,
comme on dit :
« Je considère son journal
[celui de Lestandi : Au Pilori]
comme une colonne Morice où je colle une lettre »
(Lettre à Lucien
Combelle, entre octobre et décembre 1941).
« Il m’arrive
d’envoyer des lettres toutes gratuites – des cadeaux. S’ils impriment
textuellement c’est tout ce que je demande. Ce sont pour moi des colonnes
Maurice. Je n’ai pas à me demander ce qui est imprimé à côté. Et ils impriment
textuellement et la censure passe textuellement des lignes qui seraient je
crois refusées partout même à Alger même à Moscou. »
(Lettre à Marius
Richard, 1942).
Il en va de même pour les divers clubs et ligues, dont
Céline peut bien, certes, n’avoir jamais été l’adhérent formel, à l’exception
du Cercle Européen (on se souvient
que cette adhésion compte parmi la poignée d’accusations précises contenues
dans le mandat d’arrêt émis par Paris en 1945) auquel il se trouve affilié,
semble-t-il malgré lui, au début de
l’occupation, en tant que membre d’honneur. Il procède en 1943 aux mesures
nécessaires pour s’en trouver radié. Ce qui ne l’empêche nullement de
participer aux réunions organisées par ledit Cercle, ni de se rendre ailleurs, à la séance inaugurale, par
exemple, de l’Institut des Questions
Juives (qui se termine, à son grand amusement, en pugilat inter
antisémites), à l’Institut allemand de
Karl Epting, et à toutes sortes d’autres « évènements »
politico-mondains (il est notamment invité à l’ambassade d’Allemagne - où il
jurera plus tard « n’avoir jamais mis les pieds » mais où son allure
débraillée et ses blagues de bistrotier canaille provoquèrent pourtant un inoubliable embarras).
Paul Bonny raconte, entre beaucoup d’exemples annexes,
l’avoir croisé vers 1942 à un repas militant donné à L’Écu de France, célèbre restaurant parisien du quartier de la Gare
du Nord, par Charles Dieudonné :
« Il y avait là la
veuve d’Édouard Drumond [peut-être le plus célèbre des pamphlétaires antijuifs
du siècle précédent]. C’était un repas donné par George Oltramare, connu à
Paris sous le nom de Charles Dieudonné. Il avait à la radio son émission
hebdomadaire : « Un Neutre vous parle » [Ben, voyons…]. Il avait
été aussi au début de l’occupation rédacteur en chef de La France au travail avec Jacques Dyssord, Titayna, beaucoup de
gens venus de milieux de droite alors que La
France au travail était un journal populaire, socialiste…
- À ce déjeuner vous étiez
assis non loin de Céline ?
- J’étais assis en face de
lui. Il y avait des gens qui se détestaient parce que dans les milieux de
droite tout le monde déteste tout le monde…
- C’est la même chose à
gauche…
- Oui sans doute. Alors à
ce déjeuner, Céline était l’homme le plus important. Il y avait des gens venus
de partout… de l’Appel, du Pilori… »
(Propos recueillis par
Philippe Alméras, dans Lettres des années
noires)
Plus gênantes pour lui qu’un simple repas partagé entre
potes, certes pas toujours d’accord sur la meilleure façon de se débarrasser
une bonne fois pour toutes des youtres, il y a aussi ces séances de
travail à caractère militant et programmatique auxquelles Céline se
consacre, cette fameuse réunion, notamment, à laquelle il se vante d’avoir
participé, aux côtés d’un ex-cagoulard de renom, réunion toute entière tournée vers l’action, la propagande, la
constitution sérieuse d’une nouvelle structure, un Parti, peut-être, et dont
sortira, en tout cas, une ébauche de charte politique.
« Pour trouver des
révolutionnaires il faut d’abord montrer son pavillon son programme. La troupe suit le drapeau. Nous l’avons
élaboré sommairement (mais très précisément)
avec Deloncle au Pilori. »
(Lettre de Céline à
Combelle, 25 décembre 1941).
Au Pilori
fournit à la même date un compte-rendu de la rencontre, probablement tenue
autour du 20 décembre à la demande de
Céline lui-même, et réunissant une dizaine de personnalités fascistes du
moment.Voici l’intéressant programme dont elle accouche :
« 1° Racisme :
Régénération de la France par le racisme. Aucune haine contre le Juif,
simplement la volonté de l’éliminer de la vie française. Il ne doit plus y
avoir d’antisémites, mais seulement des racistes ; 2° L’Église doit
prendre position dans le problème raciste ; 3° Socialisme : aucune
discussion sociale n’est possible tant qu’un salaire minimum de 2500 francs ne
sera pas alloué à la classe ouvrière. »
Céline se définit donc bien comme un révolutionnaire. Il
pense encore possible de peser sur les choses, d’agir, de militer, en dépit
d’une situation raciale déjà jugée
extrêmement défavorable. La France est enjuivée jusqu’à la moelle, certes, mais
jusqu’au milieu de 1942, à peu près, Céline pense encore la situation retournable, à condition de faire preuve
de la plus grande énergie, de ce qu’il appelle souvent dans ses courriers
« le sens mangouste », c’est-à-dire la volonté brute de survivre, en
abattant sans pitié un adversaire (le Juif) qui, de son côté, ne s’embarrassera
à votre égard d’aucun sentiment. Tuer ou être tué. C’est ce qui explique la
violence grandissante, fanatique, de son ton au cours de l’hiver 1941-42.
Cette violence, désespérée de ne voir rien venir au moment
crucial (son anxiété, son attente au moment du siège de Stalingrad sont
également énormes) demeure toujours cependant programmatique. Céline est engagé.
Et son soutien aux hitlériens allemands sur la question, absolument centrale
pour lui, de l’antisémitisme, restera total. Qu’on cherche donc une évolution
entre les textes ci-dessous. On ne la trouvera pas.
« Si demain, par
supposition, les Fritz étaient rois… Si Hitler me faisait des approches avec ses
petites moustaches, je râlerais tout comme aujourd’hui sur les Juifs…
Exactement. Mais si Hitler me disait : « Ferdinand ! C’est le
grand partage ! On partage tout ! » Il serait mon pote !
Les Juifs ont promis de partager, ils ont menti comme toujours… Hitler il ne
ment pas comme les Juifs, il me dit pas je suis ton frère, il me dit « le
droit c’est la force » : voilà qui est net, je sais où je mets les
pieds. »
(Bagatelles pour un massacre, 1937)
« L’ennemi est au
Nord ! Ce n’est pas Berlin ! C’est Londres ! (…) Moi, je veux
qu’on fasse une alliance avec l’Allemagne et tout de suite, et pas une petite
alliance, précaire, pour rire, fragile, palliative ! quelque
pis-aller !… Une vraie alliance, solide, colossale, à chaux et à sable… Je
trouve que sans cette alliance, on est rétamés, on est morts, que c’est la
seule solution. On est tous les deux des peuples pauvres, mal dotés en matières
premières, riches qu’en courage batailleur. Séparés, hostiles, on ne fait que
s’assassiner. Séparés, hostiles, côte à côte, on sera toujours misérables,
toujours les esclaves des bourriques, des provocateurs maçons, les soldats des
Juifs, les bestiaux des Juifs. Ensemble, on commandera l’Europe. Ça vaut bien
la peine d’essayer. »
(L’École des cadavres, 1938.)
« L’école communale
(si maçonne) a donné une bonne fois pour toutes au Français son ennemi
héréditaire : l’Allemand. La cause est entendue. Les Français ne changent
jamais d’idées. Ils sont immuables, ils disparaîtront tels quels. Ils sont
noués. Ils n’ont plus l’âge ni le goût des variations. Ils préfèreront mourir
que de réfléchir, ils préfèreront la mort à l’abandon d’un préjugé. Que sont
(pensent-ils) les ennemis les plus sûrs des Fritz ? Ce sont les
Juifs ? Alors, nom de Dieu ! cinq cents mille fois :
« Vivent les Juifs ! »
(lettre au Pilori, publiée dans ce journal le 2 octobre 1941).
« Au fond, il n’y a
que le chancelier Hitler pour parler des Juifs. D’ailleurs ses propos, de plus
en plus fermes, je le note, sur ce chapitre, ne sont rapportés qu’avec gêne par
notre grande presse (la plus rapprochiste) minimisés au possible, alambiqués, à
contrecoeur… L’embarras est grand. C’est le côté que l’on aime le moins, le
seul au fond que l’on redoute, chez le chancelier Hitler, de toute évidence.
C’est celui que j’aime le plus. Je l’écrivais déjà en 1937, sous Blum. »
(Publié par L’Appel de Pierre Costantini, 4 décembre
1941).
« Si l’Allemagne ne
gagne pas cette guerre, c’est qu’elle n’a pas eu assez d’effectifs en ligne.
Elle aurait gagné cette guerre avec une armée franco-allemande. Je l’ai écrit
sous Blum j’ai été condamné pour l’avoir écrit sous Blum. »
(Lettre envoyée à Henri
Poulain, de Je Suis Partout, le 11
juin 1943, avec la précision finale de rigueur : « Tu peux publier si
tu l’oses. »
Voilà pour le strict pacifisme
de Louis-Ferdinand Céline dont on peut aussi constater ici à quel point la germanophobie (celle dont il ne manque
jamais par la suite une occasion de se prévaloir, devant ses juges) frisa
décidément toujours l’hystérie. Céline était d’ailleurs à l’inverse
suffisamment apprécié des Allemands,
en dépit de son côté bohème parfois un peu incommodant, que ceux-ci songèrent,
un moment, à lui confier des responsabilités antisémites officielles (voir ci-dessous).
Céline refusa-t-il par ailleurs vraiment le poste pour lequel il avait été approché (par Vichy) de
responsable du Commissariat général aux
questions juives, comme le prétend entre autres François Gibault (dans son Céline 2, Délires et persécutions,
1985).
Sans doute.
Celui qu’il ne refusa
pas, en tout cas, c’est celui qu’il exige
ci-dessous avec la délicatesse qu’on lui connaît :
« Je maintiens bien
entendu ma candidature [au poste
de médecin au dispensaire de Bezons]. J’écris à cet effet au Dr Branqui et au
ministère et j’écrirai à l’ordre des médecins si le besoin s’en fait sentir. Je
trouve qu’il y a un peu beaucoup de médecins juifs et maçons à Bezons par les
temps actuels. Je trouve qu’il serait harmonieux qu’un indigène de Courbevoie –
médaillé militaire et mutilé de guerre – y trouve sa place naturelle,
enfin ! après tant d’aventures et de fortunes diverses. »
(Lettre à Frédéric
Empaytaz, Maire de Bezons en remplacement de l’ancien maire, destitué pour
cause de communisme, 3 novembre 1940).
« Vous le savez sans doute,
j’avais jeté mon humble dévolu sur le poste de médecin du dispensaire de Bezons
(Seine-et-Oise) actuellement occupé par un nègre haïtien et sa femme. Ce nègre
étranger doit normalement être renvoyé à Haïti – d’après les lois nouvelles en vigueur. »
(Lettre au Dr Cadvelle,
Directeur de la Santé à Paris, 5 novembre 1940).
Rappelons que les premières lois racistes interdisant aux
métèques l’exercice de certaines professions datent de juillet-août 1940.
Céline aura donc le poste.
Et le nègre sera renvoyé chez lui.
Les grandes idées, c’est connu, ne font pas oublier les
petites misères de l’existence. Il est intéressant de voir comment
Céline, ce preux incorruptible, en vient parfois ainsi à mêler l’utile à
l’agréable.
« Si Céline n’a jamais
collaboré avec les Allemands, il ne refuse pas les petits avantages que procure
leur fréquentation. Privilège rare pour l’époque, il se rend de son domicile
montmartrois au dispensaire de Bezons avec une petite moto grâce aux bons
d’essence obtenus par l’intermédiaire de son ami Hermann Bickler. Autre
privilège, il peut se rendre dans la région de Saint-Malo, zone militaire
interdite, pour se réapprovisionner en nourriture. Pendant toute la durée de
l’occupation, il n’aura pas à souffrir des tracas administratifs et
alimentaires qui empoisonnaient la vie de la majorité de ses
contemporains. »
(David Alliot, Céline).
Piquant aussi
d’étudier son attitude relativement à la LVF (Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme), organe militaire auxiliaire de la Wehrmacht, et
pour lequel des personnalités lui demandent de s’engager publiquement…
Au plan intellectuel et
politique, s’il assure Doriot de son soutien total, s’il dispense
en de multiples endroits (publics) son affection aux légionnaires, il estime
pourtant que partir combattre en Russie ne servirait à rien si la France n’est pas d’abord nettoyée de
sa vermine. Mais ailleurs, il monnaye
très clairement ses encouragements à la LVF, suggérant par divers biais à
« son ami » l’ambassadeur Brinon, ou même directement aux Allemands
qu’il collaborerait volontiers davantage à leur effort de guerre s’ils
l’aidaient à régler, çà et là, ses petits tracas, notamment financiers. Ce qui nous sauve de nous
abandonner à un vice, dit le moraliste, c’est d’en avoir plusieurs.
Et les vices de Céline sont
tellement admirables.
« Personne
n’osera hurler à l’escroquerie de cette Croisade pour laisser tous les Juifs
plus que jamais en toutes les places pendant qu’on envoie les derniers français
aryens crever dans les steppes (…) N’allez point croire surtout que je
recherche des alibis : Je pars demain [souligné deux fois] avec mes
75 % d’invalidité. Après tout, je suis le premier qui ait recommandé l’Armée
franco-allemande. Je pars demain et sans grimaces si les écuries sont nettoyées
avant le départ. Après ?? on me l’a déjà joué deux fois – 14 – 39
- ! trois c’est trop (…) »
(Lettre
à Lesca, publiée dans Je Suis Partout
le 23 juillet 1941).
« On
n’y pense pas assez à cette protection de la race blanche. C’est maintenant
qu’il faut agir, parce que demain il sera trop tard. (...) Doriot s’est
comporté comme il l’a toujours fait. C’est un homme... il faut travailler,
militer avec Doriot. (...) Cette légion si calomniée, si critiquée, c'est la
preuve de la vie. J’aurais aimé partir avec Doriot là-bas, mais je suis plutôt
un homme de mer, un Breton. Ca m’aurait plu d’aller sur un bateau m’expliquer
avec les Russes. (...) Moi, je vous le dis, la Légion, c’est très bien, c’est
tout ce qu’il y a de bien. »
(Céline dans L'Émancipation nationale, 21 novembre 1941).
« Je
vous suis très reconnaissant pour votre intervention qui sauvera peut-être mon
pécule [l’armée allemande a braqué un coffre dont il disposait dans une banque
en Hollande] et votre amabilité me confond (…) Vous savez que je m’intéresse
toujours à la Russie, mais il est peut-être un peu tard pour aller donner
là-bas des preuves d’attachement et de vaillance ? »
(Lettre
à Fernand De Brinon, Ambassadeur de Vichy en zone occupée, 15 octobre 1941).
« Imaginez-vous
que j’ai un coffre en Hollande ouvert d’autre part par les Autorités
Allemandes, d’autres sommes au Danemark ! Et je n’arrive à rien récupérer
du tout, de nulle part ! Je vais crever de faim si cela continue dépouillé
par le Grand Reich (…) En Hollande, mon avoir, 185 florins or, a été saisi et vendu à un taux ridicule comme bien ennemi. Et ce malgré toutes mes
protestations les plus vives en temps utile et la protestation d’Abetz !
Des fous ! Comment voulez-vous que
je m’engage à la Légion ? »
(Lettre
à Karl Epting, fin 1941-début 1942).
« Qu’ils
agissent ainsi [les Allemands qui lui ont
braqué son coffre] avec les gaullistes ou
les Juifs – tant mieux – Mais avec leurs rares amis, ceux qui ont été
condamnés, traqués, persécutés, diffamés, pour leur cause et non aujourd’hui, mais de 36 à 39 – sous
Blum – Daladier – Mandel – c’est un comble
– une monstrueuse saloperie – Quelle
leçon pour leurs hésitants collaborateurs ! »
(Lettre
à Alphone de Chateaubriant, directeur de La
Gerbe, 30 août 1941)
Au fond, l’indépendance
revendiquée de Céline (sa non-collaboration salariée
à la presse fasciste sous l’occupation) ressemblerait à celle d’un Thierry
Maulnier, par exemple, l’auteur d’Au-delà
du nationalisme, que les fascistes français pressaient, lui aussi, de
s’engager plus nettement, dès les années 1930, dans des partis, des groupes
constitués, mais dont l’objectif demeura plutôt, imperturbable, de prendre date intellectuellement, de
donner des bases théoriques solides
au mouvement fasciste. Mais elle se mâtinerait, en plus, selon certains,
d’opportunisme, de lâcheté, ou d’un mélange sordide des deux.
« En
attendant, il y était : et, en même temps, il refusait d’y être. Il
affirma plus tard qu’il n’avait adhéré à aucun parti, qu’il n’avait publié
aucun article politique pendant toute l’occupation. C’est vrai, ou du moins
presque vrai. Et en même temps, c’est faux. L’attitude de Céline pendant
l’occupation est ambiguë. Il n’écrit pas d’articles, mais il se manifeste, il
n’adhère pas, mais il risque d’entraîner à l’adhésion. Il ne s’engage pas, il
rouspète : est-ce sans danger ? »
(Maurice
Bardèche, Céline)
La pique la plus amère, et
certainement la plus drôle, est adressée à Céline par l’increvable Cousteau,
dans Lectures Françaises de juillet-août
1957, peu après la célèbre interview donnée par Ferdinand à l’Express.
«
À cette date [l’immédiat avant-guerre], personne ne soupçonnait que
Louis-Ferdinand Céline n’était PAS antisémite. On avait même tendance à le
considérer – les gens sont si méchants ! – comme le pape de
l’antisémitisme. Cette illusion était si répandue que lorsque sonna l’heure des
catastrophes et des options, des tas de jeunes français qui avaient lu Bagatelles pour un massacre et l’École des cadavres – mais qui les avaient
mal lus, bien sûr – et qui avaient eu la stupidité – le Maître Céline
dirait : la connerie [Céline, dans l’Express,
disait ne jamais avoir été antisémite : « pas assez
con ! »] – de les prendre au sérieux, se trouvèrent automatiquement
embarqués dans une aventure qui finit mal. Certains de ces jeunes imbéciles
allèrent trépasser, vêtus de feldgrau,
sur le front de l’Est. D’autres furent transformés en écumoires aux aubes
mélodieuses de la Libération. D’autres que j’ai connus traînèrent dans les
Maisons de Repos et de Rééducation de la République les plus belles années de
leur vie. C’est bien fait pour eux. Ils avaient lu Céline avec un sens critique
insuffisant, sans interpréter les textes, sans chercher la vérité entre les
lignes. Ils avaient eu confiance dans la nuit, et jusqu’au bout de la nuit.
C’était impardonnable. »
Le pauvre Milton Hindus, enfin, dans un autre registre,
peut-être conscient, mieux vaut tard que jamais, de s’être fait, sur ce
coup-là, quelque peu rouler :
« Céline n’agit pas suivant ses convictions. Écrire
pour lui ne constitue pas un acte, ou plutôt, il semble bien établir une
distinction entre le journalisme politique qui incite à l’action et une
littérature, la sienne, qui reste purement intellectuelle dans ses intentions.
C’est un homme altéré de sang, mais qui n’ose pas s’y tremper les doigts.
Est-ce lâcheté ? Je ne saurais répondre. »
(Milton
Hindus, Rencontre à Copenhague)
La vérité, comme nous avons pu le constater, est que
Céline avait bien pratiqué ce « journalisme qui incite à l’action ».
La remarque de Hindus en dit long sur l’état de simple ignorance où il se
trouvait, au moment de défendre Céline, à la fin des années 1940. Les lettres
envoyées à la presse ne furent, il est vrai, montrées - et connues - qu’au tout début des années 1980.
Tout comme Maulnier, Brasillach
ou Rebatet, Céline n’est en tout cas plus un nationaliste au sens maurrassien du terme. Il n’est plus
« patriote » dans l’acception « vieille France »
poussiéreuse que le mot exhale. Il le redeviendra comme par miracle au moment de son procès, auquel
assistent, curieux, beaucoup d’anciens antisémites à l’ancienne, ceux qu’il exécrait justement tellement en 1942,
quand il était, lui, un raciste absolument
moderne, comme dirait l’autre, à qui l’Allemagne donnait un peu d’air, de
cet « air fasciste » évoqué par Drieu dans Socialisme fasciste.
Le soutien que ces divers
intellectuels expriment alors au Troisième Reich fait paradoxalement d’eux,
avec les communistes, les seuls véritables internationalistes
de l’époque (soutenant en effet les Italiens, Franco et l’Allemagne contre leur propre pays). De manière
significative, dans une même lettre
de mai 1938, Céline écrit à son ami Gen Paul à propos de la situation au Canada
les phrases suivantes : « Les défaites japonaises sont saluées ici même chez les catholiques comme des
bénédictions d’ailleurs tous sont maçons, pro-juifs, anti-français etc
etc » et « En vérité je crois que l’Espagne
seule deviendrait un refuge tout le reste est cuit. » Preuve s’il en était encore besoin que Céline
distingue bien, d’abord, dans sa représentation politique, des camps opposés,
qu’il en privilégie un, en conscience : le camp fasciste, le camp de l’Axe, et
que sa vision et son engagement politiques sont tous deux absolument cohérents.
Sous l’occupation, les
réactionnaires old school tant
méprisés par Céline et ses amis rejoindront souvent, quant à eux, la Résistance
(Daniel Cordier, par exemple, qui deviendra secrétaire de Jean Moulin, Dutheil de la Rochère,
etc). Sans cesser d’êtres antisémites, ainsi que Simon Epstein l’a bien montré,
dans un travail récent.
Et au-delà d’eux, l’on s’étonne à
peine que durant le procès de Céline, nombre de ses soutiens, souvent pourtant
issus du pur « résistancialisme » (Albert Naud et Jean Paulhan, au
premier chef) s’oublient parfois, dans les lettres qu’ils échangent avec lui, à
scruter le patronyme de tel ministre,
juge, assesseur, contradicteur, procureur, etc, apparaissant nouvellement en
face de lui, pour y déceler la présence éventuelle, suspecte, de
« palestinisme » (c’est comme cela qu’on dit, désormais,
après-guerre) susceptible, évidemment, de nuire à l’accusé.
La prégnance de l’antisémitisme
intellectuel demeure énorme en France, bien après la Libération, le pays ayant
été littéralement - et victorieusement - durant les décennies précédentes, travaillé au corps, et à la tête, par la
propagande de la presse antijuive.
Ce qui fait de Céline,
objectivement - et il l’aura souvent reconnu - l’un des meilleurs soldats de
cette cause, de cette grande
« bataille des idées », son « originalité » radicale, au
sein de celle-ci, demeurant aussi sa grande obsession.
Celle de la race.
Voilà le sens, absolument incontestable, de son intervention « théorique »
dans les rangs du fascisme triomphant en France.
Rappelons que toutes les notes entres crochets ci-dessous
sont le fait du Moine Bleu.
« La
France hait d’instinct tout ce qui l’empêche de se livrer aux nègres. Elle les
désire, elle les veut. Grand bien lui fasse ! qu’elle se donne ! par le Juif et
le métis toute son histoire n’est au fond qu’une course vers Haïti. Quel
ignoble chemin parcouru des Celtes à Zazou ! de Vercingétorix à Gunga Diouf.
Tout y est ! Tout est là ! Le reste n’est que farce et discours. La France brûle
de finir nègre, je la trouve fort à point, pourrie, croulante de métis. L’on me
fait bien rigoler lorsque l’on m’annonce 5 ou 800 000 juifs en France ! La
bonne plaisanterie ! Rien que Saint-Louis, le bien nommé, en fit baptiser 800
000 d’un seul coup dans la Narbonnaise ! Pensez s’ils ont fait des petits !
Encore 50 ans, plus un seul français qui ne soit métis de quelque chose en
« ide », araboïde, arménoïde, bicoïde, polonoïde... Et
« français » bien entendu cent mille fois plus que vous et moi.
L’arrogance « patriotique », le culot est toujours en proportion du
métissage, de la juiverie personnelle. Un autre très bon journal [que Je suis partout] est à créer, très
opportun, le « Jaune et noir » emblème de l’avenir français
[Référence de Céline au journal Le Rouge
et le noir, ayant éreinté avant-guerre Bagatelles pour un
massacre]. Si la guerre civile avait duré ce serait d’ailleurs déjà fait.
Nous aurions deux millions de morts, aryens, remplacés immédiatement (dixit
Mandel) par deux millions d’asiates et nègres, le grand programme juif. Tout le
reste est hyperbole, discours hyperbolique foireux, jactances pour Arthur
[allusion à une célèbre publicité de l’époque]. Constituez en France un
parlement selon les races (et non plus selon les plus baveux) vous ne trouverez
plus qu’une aile droite « Vercingétorix » insignifiante par le
nombre, le reliquat des origines, le reste des « Celtes », brimés par
un centre énorme, protubérant, gueulard, impératif, récriminant, majoritaire
écrasant, le marécage des hybrides, croassants, sous commandement Blum, et
composé de tous les négroïdes du monde, arménoïdes, assyriotes, narbonnoïdes,
hyspanotes, auvergnoïdes, pétanistes, sémites maurassiques, etc. etc. Tout ce
qui hurle le plus « français »
et se sent de plus en plus cafre, et puis une aile gauche bougnoule, en
pleine croissance. Bien plus sympathique à vrai dire en comparaison les
carrément « Abd-el-Kader », nubiens, « Gunga Dioufs », les
hilares, les héritiers celtes. Réduire l’aile droite à l’esclavage, la faire disparaître,
tel est l’idéal presque avoué de ce parlement. Point de protestations baveuses,
de mains sur le cœur ! Merci ! Tous les métis, les
allogènes, les Maurras etc, sont animés d'une haine sourde, animale,
irréductible pour tous les Celtes et les Germains. Le Parlement racial français
dans sa majorité écrasante appelle de tous ses vœux la défaite absolue de
l’Allemagne et de son idéal raciste. Il faut comme le proclame Churchill
« effacer l’Hitlérisme de la carte du monde ». On s’entend. Le
pavillon national français couvre toutes les marchandises. La France actuelle si métissée ne peut être
qu’anti-aryenne, sa population ressemble de plus en plus à celle des États-Unis
d’Amérique. Même voeux, même politique profonde. Ahuris de partout rassemblés
sous commandement juif, plus quelques débris d’indigènes nordiques et celtes à
la traîne, fondants d’ailleurs, en voie de disparition (là-bas des peaux
rouges). Voyez nos équipes nationales sportives, bariolages grotesques, hâtifs
racolages de n’importe qui, pêchés n’importe où, d’Afrique en Finlande ! [On
dirait du Finkielkraut, voire du Zemmour]. Le coup de grâce, sans conteste,
nous fut porté par la guerre 14-18 : deux millions de morts, plus cinq millions
de blessés et d’abrutis par les combats et l’alcool, soit toute la population
masculine vaillante (en majorité aryenne bien entendu) lessivée, anéantie. Et
parmi ceux-ci, certainement tous nos cadres réels, tous nos chefs aryens. La
question des chefs ! La masse ne compte pas. Elle est plastique, quelconque,
elle fait viande, poids de viande, c’est tout. La guerre, la vie le prouvent.
La masse, la troupe ne vaut que par ses cadres, ses chefs. La troupe la mieux
encadrée gagne la guerre. C’est le secret, c’est le seul. Nos chefs, nos cadres
sont morts pendant la guerre super-criminelle 14-18. Ils ont été immédiatement
remplacés au pied levé par l’afflux des arménoïdes, araboïdes, italoïdes,
polonoïdes etc. tous énormément avides, bercés depuis toujours au rêve, dans
leurs bleds infects, de venir jouer ici les chefs, de nous asservir, nous
conquérir (sans aucun risque). Une magnifique affaire ! Nos héros 14-18, leur
cédèrent sans barguigner leurs places toutes chaudes. Elles furent comblées
immédiatement. 4 millions de polichinelles anti-français de corps et d’âmes,
français de jactance seulement, on a bien vu ce que valaient les cadres
Boncourt, les naturalisés Mandel pendant la guerre 39-40 ! Les femmes se
marient avec ce qu’elles trouvent ! Certes ! Nouvelle floraison de métis !
Quelle comédie ! Quel lupanar ! Ainsi soit-il ! « Ils viennent jusque dans
nos bras ! Égorger etc. » Ce ne sont pas du tout les « féroces
soldats » qui ravagent et détruisent la France mais bien les renforts
négroïdes de notre propre armée. Pour être juste, ils n’égorgent rien du tout, ils
saillent. Et c’est l’imprévu de la « Marseillaise » ! Rouget n’avait
rien compris, la conquête, la vraie de vraie, nous vient d’Orient et d’Afrique,
la conquête intime, celle dont on ne parle jamais, celle des lits. Un empire de
100 millions d’habitants dont 70 millions de cafés au lait, sous commandement
juif est un empire en train de devenir Haïtien, tout naturellement. Sommes-nous
complètement abrutis ? C’est un fait, par l’alcool et le métissage, et puis
pour bien d’autres raisons... (voir Les
Beaux draps, interdits...) Anesthésiés, insensibles au péril racial ? Nous
le sommes, c’est l’évidence. 50 000 étoiles jaunes n’y changeront rien. La
France entière pour un peu, plus dreyfusarde que jamais, par sympathie si
chrétienne, arborerait avec fierté le signe judaïque. [Certains « originaux » se mirent
sous l’occupation à porter l’étoile jaune en signe de solidarité avec les
Juifs] Légion d’honneur nouvelle, zazou, beaucoup plus justifiée que l’autre.
Et tout pour Blum et pour De Gaulle ! Mûrs pour être colonisés ? Nous le sommes
! Par n'importe qui ! Parler de racisme aux français, c’est parler de sang pur
aux bicots, mêmes réactions. Vous ne faites plaisir à personne. Vichy s’occupe
paraît-il du racisme, à sa façon, comme il s’occupe de mes livres, il a doté M.
Carrel [Alexis Carrel, conseiller en racisme eugéniste du gouvernement de
Pétain] fakir Lyonno-New-Yorkais, de 50 millions de crédits
(Bouthillier-Reynaud) pour s’occuper de la chose. Allez un petit peu demander à
ce Claude Bernard ce qu’il pense du problème juif !... Vous serez servis. À peu
près ce qu’en pensent, j’imagine, Mr Spinasse et le général Mac Arthur !
« Pensez racontent ses assistants que si Mr Bergson était encore là, les
allemands lui feraient porter l’étoile jaune ! » Autant par les crosses !
Alors
beau chose, dites-nous vous même, un petit peu, ce que vous préconisez ?
[Céline, pressé par son contradicteur imaginaire, s’apprête maintenant à
dégainer son programme idéal. Attention, ça va faire mal.] Ah ! que c’est plus
délicat... malcommode... ardu... cruel... Que Dieu me garde du pouvoir ! des
lourdes confiances populaires ! Je les mettrais toutes en bouillie ! Je
découperais d’abord la France en deux morceaux. Pour la commodité des choses,
la tranquillité des parties. Le slogan « Une, Indivisible » m’a
toujours semblé un truc de « maçons ». Au point où nous sommes
arrivés dans la décadence, nous serons forcément têtards dans
l’« Indivisible » nous les gens du Nord, puisque c’est le Sud qui
commande, c’est à dire le juif. Les Romains trop métissés se sont donnés deux
capitales, j’en ferais tout autant. Marseille et Paris. L’une pour la France
méridionale, latine si l’on veut, byzantine, « suralgérique », tout
aux métis, tout aux zazous, où l’on aurait tout le loisir, toute la liberté d’héberger,
chérir à fond tous les plus beaux youtrons du monde, de les élire tous députés,
commissaires du peuple, archevêques, druides, génies, de se faire endaufer par
eux, à l’infini, en attendant de tous passer nègres, l’affaire de trente ou
cinquante ans, au train où poulopent les choses, d’atteindre enfin le but
suprême, l’idéal des Démocraties. L’autre pour la France « nord de la
Loire », la France travailleuse et raciste, sans Blum, sans Bader, si
possible, sans Frot non plus, c’est à tenter. Je crois qu’il est peut-être
temps que s’opère quelque grande réforme... La France idéal St-Domingue ne
m’intéresse vraiment pas. Peut se la farcir qui se présente, je m’en fous très
énormément. Je regrette tout simplement d’avoir laissé tant de ma viande (75 pour
100) pour défendre cette saloperie qui ne rêve que de Lecache [fondateur de la
Ligue Contre l’Antisémitisme, future LICRA]. Une si grande guerre, tant de
misère, pour aller de Rotschild à Worms ! [banquiers juifs]. Il faudra vraiment
du nouveau pour me faire devenir patriote. Je crois que ce sera pour une autre
fois, pour un autre monde peut-être, celui des morts si je comprends bien, la
vraie patrie des entêtés.
À
vous Poulain ! faites drôlement gaffe ! Ah ! ne me trahissez
mie ! le moindre mot ! toutes les virgules ! et fort à
vous !
L.-F. Céline
P.S. Gardez-moi 10
numéros ! »
(Lettre à Poulain, de Je Suis Partout, 15 juin 1942).
Tout le Céline de l’occupation se trouve dans ces
lignes, à l’extrême fin de la lettre, d’abord, post scriptum compris. Il y demande, comme on le voit, à Poulain le
respect absolu de ce manifeste destiné à la publication et à
radicaliser le lectorat de Je Suis
Partout, dans le sens d’un racisme désormais intégral, essentiellement biologique, donc d’un abandon définitif
des vieilles lunes type Action Française. Les insultes contre « Maurras le
juif », Pétain « l’enculé » ou le « faux raciste » sont
d’ailleurs, à cette époque, récurrentes chez lui. La référence présente -
défavorable - à l’eugéniste Alexis Carrel, simple « alibi » de Vichy
enfonce le clou.
Ce texte était pour lui suprêmement important.
Philippe Alméras, dans sa remarquable édition des Lettres des années noires, explique bien
comment des brouillons en furent retrouvés un peu partout, attestant une longue
et minutieuse préparation : « Nous savons qu’avant de quitter Paris,
Céline s’est documenté auprès de Henry-Robert Petit [fondateur d’un Centre de documentation antisémite, animateur du Pilori]
en vue de sa rédaction. Lettre [de Céline à Petit] du 27 mai : « Dites-moi
plutôt en quelle année St Louis fit christianiser tous les juifs et quel
nombre ? 3 ou 600 000 ! »
Céline harcèlera Poulain, dans ses lettres suivantes,
s’inquiétant de ne pas voir surgir sa prose dans les colonnes de
l’hebdomadaire.
À l’unanimité des membres de la rédaction, elle ne
paraîtra pas, jugée par tous un complet « délire raciste » et
surtout, en réalité, à cause de cette partition géographique et raciale que
Céline y suggère, entre un Nord aryen et un Sud déjà perdu, « suralgérique », une partition porteuse d’un
dangereux risque de démobilisation de leur lectorat.
Une des multiples interventions de Céline dans Je Suis partout
|
Les années passant, la guerre
froide s’installant et avec elle, dans la cervelle des autorités, un nouvel
ennemi prioritaire : le communiste stalinien, leur sévérité relative à
l’encontre des anciens collaborateurs présumés de l’Allemagne nazie ira
s’atténuant. Les Cours de Justice finiront par disparaître en février 1951,
remplacées par de simples Cours Civiles, plus clémentes.
Céline, encore jugé, certes, par
une Cour de Justice, le 21 février 1950, ne le sera cependant plus aux termes
du (mortel) article 75 réprimant la trahison. Depuis la fin octobre 1949, le
Commissaire du Gouvernement Seltensperger - qui l’admire et auquel Céline a personnellement
écrit (sur le judicieux conseil d’Albert Naud) depuis le Danemark, à sept
reprises, pour plaider sa cause - a en effet requalifié les faits qui lui sont
reprochés. On est ainsi passé de la « trahison »
et de l’article 75 à des « actes de
nature à nuire à la défense nationale », tombant sous le coup de
l’article 83 et ne menaçant plus Céline (toutes sanctions infâmantes et
financières mises à part) « que » de cinq ans d’emprisonnement.
Céline eût peut-être même obtenu le non-lieu
pur et simple (il en était fortement question) si son avocat danois
Mikkelsen (auquel Céline imposait donc maintenant la collaboration de deux
autres défenseurs : Naud et Tixier-Vignancour) n’avait, selon toute
vraisemblance, commis la boulette de s’ouvrir auprès de certains journalistes
de l’imminence d’un tel rendu de mansuétude.
Et quand, le 28 octobre 1949, l’Aurore publie un article intitulé
« Céline, qui ne risque plus que la Chambre Civique, reviendrait
prochainement en France », celui-ci déchaîne les passions. Les communistes, en
particulier, s’indignent et le scandale est considérable. Le Commissaire
Seltensperger est prestement dessaisi de l’affaire sur intervention du
ministère.
Céline est effondré. Il reste
donc accusé et son retour en France, compromis. Certes, le successeur de
Seltensperger, René Charasse, lui fait presque aussitôt savoir que l’abandon de
l’article 75 le concernant sera maintenu, et qu’il sera bien jugé civilement,
mais Céline, paranoïaque (on ne l’est jamais trop, faut avouer, en ces matières)
refuse de le croire. Il refusera d’ailleurs jusqu’au
bout de se rendre en France pour assister à son procès, flairant là jusqu’au bout une simple manœuvre
destinée à l’attirer, puis l’encabaner et enfin, pourquoi pas !
l’exécuter. Ses avocats, qui l’adjurent de se déplacer à l’audience, en février
1950, en seront pour leurs frais. Les menaces de mort, c’est vrai, Céline les a
toujours collectionnées, au moins depuis le milieu des années 1930 et ce moment
particulier où les staliniens comprennent définitivement qu’il restera leur
ennemi mortel, inconciliable, qu’ils ne parviendront jamais, en dépit de tous
leurs efforts (ceux d’Aragon, en particulier) à « l’attacher à leur
char », pour reprendre le mot de De Gaulle sur Bernanos. On en a eu un
petit aperçu, déjà, ici même, un peu plus haut, avec l’article de Roger
Vailland.
Mais s’il fallait absolument,
entre toutes, choisir la plus belle (c’est-à-dire, pour une menace de mort, la
plus inquiétante), nous hésiterions
décidément entre les deux textes présentés ci-dessous.
Le premier est d’un nommé Jean
Etcheverry, de Biarritz. Le second est tiré du journal fondé par Bernard
Lecache, fondateur de la LICA (ancêtre de la pénible LICRA actuelle). Il promet
à un Céline tenté de revenir sur Paname en cas de procès gagné, un retour
triomphal à la capitale.
« Quand
on écrit ce qu’écrit Céline, on n’en tient pas commerce. On se suicide.
J’attends le suicide de Céline, du petit médecin de banlieue, enrichi par le
scandale et l’idiotie d’une époque, avide au point de manger du blanc quand ce
n’est pas de la crotte. Du petit médecin brenneux qui se gondole quand il nous
voit – moi le premier – cracher vingt-cinq francs au comptant pour sa petite Mort à crédit. (…) Céline : une
salope ! la plus parfaite salope de la littérature contemporaine. À
supprimer – et le premier – le jour où, l’idéal crevant nos paillasses, nous
crèverons celles des saligauds de son acabit qui, non contents de nous
dégoûter, vivent de nous, charognards affamés de jouir. »
Jean
Etcheverry à la rédaction du Merle blanc,
septembre 1936.
Article publié dans Le Droit de vivre, 1950 |
Toutes sortes de procédés
dilatoires, liés à l’état de santé (authentiquement calamiteux, certes) de
Céline, tels qu’émissions de certificats médicaux, voire de simples télégrammes
envoyés à la Cour par Mikkelsen, un certificat d’intransportabilité complète,
etc, seront donc employés au service de cette inquiétude absolue.
Céline se sait entouré d’ennemis qui l’attendent avec impatience.
Le 21 février 1950, il est condamné par contumace à un an
de prison, 50 000 francs d’amende, confiscation partielle des biens, indignité
nationale.
« Cher
vieux – me voilà indigne à vie et 1 an de trou – mais j’ai déjà fait
presque 2 piges ici. Salut ! Mais Ils
ont été aussi peu vaches qu’ils pouvaient, faut convenir. J’aurais tort de
râler. J’ai payé pour la raison d’État
– Je suis innocent. Je suis le patriote persécuté pacifiste. Mais si ils ne me
sonnaient pas du tout, ils désavouaient la Résistance. Il se jouait là un truc
qui dépasse beaucoup ma chétive personne – Je vais pas râler. »
(Lettre à
Albert Paraz, 23 février 1950).
Le dernier combat se profile
enfin.
Il s'agit de faire bénéficier
Céline d’une amnistie totale,
délivrée par un tribunal militaire, et applicable aux anciens combattants
blessés ou mutilés (Céline est infirme à 75% : il a été gravement atteint
à la tête durant la guerre de l4-18). L’avocat Tixier-Vignancour, qui se
détache de plus en plus parmi le trio de
ses défenseurs (à la grande amertume d’Albert Naud, envers qui Céline fait
montre, à mesure que son affaire semble se dénouer, d’un mépris de plus en plus
affiché) y fera valoir les deux ans d’emprisonnement déjà effectués par son
client au Danemark, et la légitimité de principe, en l’espèce, d’une confusion
des peines. Il le fera en toute finesse, évitant le scandale et les pressions, sans aucune publicité autour de son nom.
Et c’est donc au final un simple,
un ectoplasmique « Docteur
Destouches » que le Tribunal Militaire de la Seine, ignorant qu’il
s’agit là de Céline, amnistie finalement, le 20 avril 1951, au beau milieu
d’une fournée d’autres éclopés anciens collabos. Le temps que le troufion
s’aperçoive de la manœuvre de Tixier, il est trop tard : le délai d’appel
est dépassé. L’avocat y a évidemment veillé. Il peut maintenant appeler son
client, par téléphone, à Copenhague, le 21 avril, et le prévenir que son
calvaire vient de prendre fin.
Céline peut rentrer en France.
Ce sera chose faite le 1er
Juillet 1951.
Quelques mois plus tard, Céline
écrit enfin à Albert Naud - son défenseur français, rappelons-le, des tous
premiers jours - qui s’inquiète et « s’indigne » de n’avoir reçu
aucune nouvelle de lui depuis son retour.
Nous sommes le 28 octobre 1951.
Céline argue de multiples tracas
et difficultés pour justifier son silence.
Une fois que tout cela sera
réglé, promet-il, « j’irai vous voir ».
Ce sera sa dernière lettre, et le
dernier échange entre les deux hommes.
« Je sais hélas depuis
longtemps ce que valent les hommes, écrivait Naud à Pierre Monnier quelques
jours auparavant. Je ne pensais quand même pas que Céline était un tel
salaud. »
Bonjour monsieur,
RépondreSupprimerJe ne crois pas au hasard. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des retards. Par quel lien me suis-je retrouvé sur votre blog, je ne sais, peut-être par le biais d’un lien chez monsieur le Marquis ? Il n’importe. Votre travail exhaustif sur Céline m’a laissé vibrant d’admiration : vous avez écrit là nombre d' évènements, des extraits dont je disposais en bien petites parties mais n’arrivais absolument pas à mettre en forme. Et sans doute aussi, je peux vous l’avouer, nager dans cette fange abjecte me faisait plus de mal encore et cela nuisait à mes tentatives. Le dégoût était le plus fort et je cédais régulièrement à l’”aquoibon” !
Votre travail est extraordinaire et je n’ai pas les mots suffisants pour le louer. Combien de temps de réflexion, combien de temps de rédaction avez-vous dû passer pour arriver à cette parfaite exégèse ! C’est admirable !
Et, en plus, c’est ce matin que je vous lis, ce matin où l’on fête le nouvel an, Rosh Hashana ! Quand je vous disais qu’il n’y a pas de hasard !
Mon souhait le plus vif serait de mettre en lien votre article sur mon blog, me référant bien entendu à vous et au nom de votre blog.
Vous renouvelant toute mon admiration et à vous dire l’émotion que cette lecture a pu provoquer en moi, recevez toutes mes félicitations.
Je reste tout à votre écoute,
Jean-Michel
peut être aussi lu sur son blog
http://nuageneuf.over-blog.com/

J'ai beau avoir un rapport différent aux oeuvres fictionnelles de Céline d'avant et d'après 1945 (et y trouver encore la force d'une captation ambivalente du monde), j'ai beaucoup aimé votre façon de remettre en perspective & contexte, la part, non pas maudite, mais avérée de l'homme de lettres engagé dans une surenchère qui, loin de prendre son époque à contre-courant, la brossait dans le sens du poil xénophobe (entre autres phobies). Vous démontez à merveille ses justifications ultérieures, leur mauvaise foi victimaire, qui rendent le personnage public odieux & pathétique. Encore bravo pour cette revue de presse détaillée, qui déplaira aux idolâtres qui, par aveuglement, voudraient voir en lui une bête à style ou une Don Quichotte incompris.
SupprimerJ'ai mis votre article en lien sur la page d'archyves.net consacré au bouquin que j'ai publié sur les "Fictions du politique" chez Céline. C'est là.
http://www.archyves.net/html/LesFictionsdupolitique.html
yves pagès
http://www.archyves.net/html/LesFictionsdupolitique.html
à nuage neuf :
SupprimerMerci de votre aimable commentaire. Le malheur veut que vous n'ayez pas fini de vous tremper, ici, les mains et la tête dans la fange. Ce travail sur Céline n'était, en effet, que préparatoire dans notre esprit. Et la suite arrive bientôt. Les choses étant ce qu'elles sont, les dimensions de ce billet ont fini par excéder notre projet de départ. La faute, sans doute, à Céline lui-même, incarnation littéraire et politique du pur déferlement, vomitif pour ainsi dire. D'où cette suite de spasmes malaisée à éteindre.
Petite précision toutefois ou petit " détail de l'histoire " comme dirait l'autre (célinien), Rosh Hashana n'a pour nous rien à voir avec tout cela. Un coup de trique jamais n'abolira le hasard, comme le suggérait, voilà quelque temps, l'un de nos camarades, pourtant fort bien armé. Si Rosh Hashana avait quelque chose à voir là-dedans, alors Céline aurait, d'une certaine façon, raison. Or, l'espèce de vengeance qu'il affronta fut à notre sens - torture intérieure forcément comprise - bien plus grecque et némésiste que juive. Et pour nous, nous eussions aussi bien pu pondre cette chose un lendemain de nouvelle lune bouddhique. Bien à vous, nuage neuf.
à Yves Pagès,
SupprimerMerci également de vos commentaires. Venant de vous, vu le sujet, nous les jugeons évidemment particulièrement honorables. En effet, la part maudite ne nous intéressait pas. Cela, ce fut votre boulot, et quel boulot ! La seule chose qui nous intéresse, quant à nous, c'est de débusquer partenaires et ennemis, en tous genres, époques et lieux. Tel est notre manichéisme permanent, et amusé. Bien à vous.
Bravo pour ce très gros travail récapitulatif. Passionnant ! Vivement la suite.
SupprimerBravo et merci.
RépondreSupprimerTrès instructif.
Fouillé, écrit, nécessaire et admirable. Merci.
RépondreSupprimerMoi je suis passé par là et je vous remercie !
RépondreSupprimerhttp://radioherbetendre.blogspot.fr/2013/03/du-rab-de-lemission-de-mars-sur-la.html#comment-form
D'ailleurs quelle ne fut pas ma surprise de constater que dans les tristes points presse du glorieux pays on trouve à volonté cette cochonnerie ...
http://www.lafontpresse.fr/produit/DetailMagazine?idnum=378
Bonne continuation ... Bog
Merci à vous.
SupprimerEt bonne herbe tendre...