Cette année encore, Noël ne tombera pas pour tout le
monde au même moment. La délivrance de cadeaux, cependant, à toutes espèces de
sectateurs différents, pour cause d’homogénéisation sociale transcendante,
reste un impératif aux environs de cette période. Qu’offrir, donc, à qui et
quand, au juste ? Pas de panique. Aucun risque de commettre un impair.
Détendez-vous. Le Moine bleu est là.
En
ce qui concerne, pour commencer, les heideggeriens, ceux-ci devront attendre le
mois de mars 2014 pour déballer leur colis au pied du sapin (pas Michel, non :
le conifère). C’est en effet à cette date que se trouvera vraisemblablement
publié en Allemagne le Cahier noir, regroupant des propos inédits de leur cher
berger de l’être (pardon, de « l’aître ») philosophique. Certains
affranchis autorisés croient néanmoins déjà (publiquement) savoir que ce Cahier mystérieux grouillerait
littéralement de remarques judéophobes, accréditant la thèse d’un antisémitisme
heideggerien structurant et fondamental. Bornons-nous en toute modestie à
relever que la chose serait extrêmement surprenante de la part d’un intellectuel
ayant appartenu jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale au parti
national-socialiste allemand… Voilà que point, en tous cas, à l’horizon, le
type même de bataille universitaire homérique dont vous soupçonnez – nous
connaissant un peu – dans quelle mesure elle mobilisera notre intérêt sidéré :
MM. Sollers, France-Lanord, Fédier et pléthore d’« heideggeriens de
gauche », d’un côté, abreuvant d’insultes farouches, de l’autre, MM. Faye
et consorts, toujours avides de ravaler le grand sage de Fribourg-en-Brisgau au
rang d’un Himmler ou d’un Goering. Comment dire ! Que le meilleur gagne, après tout. Pour nous,
l’essentiel, sur cette question, fut réglé voilà bien longtemps, du fait et de
la plume de Jean-Michel Palmier, racontant simplement dans son Ernst
Jünger, rêveries d’un chasseur de cicindèles (Hachette), que lors de sa
rencontre avec Heidegger, peu après les événements de Mai 68, le philosophe
définit devant lui son engagement nazi, lors du rectorat de 1933, comme « une
immense bêtise ». Puis, ajoute Palmier, la femme de Heidegger
« intervint dans la discussion et fit remarquer qu’aujourd’hui, les
étudiants étaient tous révolutionnaires et tous à gauche – links orientiert – alors qu’en 1933, ils se
disaient aussi révolutionnaires mais étaient tous à droite. Elle évoqua les
demandes incessantes des étudiants auprès de Heidegger pour qu’il s’engageât à
leur côté. Heidegger hocha la tête. »
Tout
cela est magnifique. Qu’on nous pardonne de nous étonner encore et encore, de
la part d’un penseur de ce calibre, de cette capacité mêlée – géniale –
« d’immense bêtise » et de perméabilité complète à l’opinion générale du
moment. Jünger, que Palmier rencontra juste après (et qui, lui, ne fut jamais nazi), qualifia sobrement
Heidegger de « politiquement naïf », affirmant « ne pas très
bien comprendre ce qui l’avait poussé à cet engagement stupide. » Et
Jünger, alors, note Palmier, en disant cela hausse les épaules, comme impuissant ou lassé de cette pitoyable affaire. La même envie nous prend, de hausser les épaules, devant cette prochaine
édition du Cahier Noir, sur laquelle se rueront les uns et les autres, au
pied de leur sapin.
Haussons, haussons.
Haussons, haussons.
Passons
maintenant aux cadres, qui constituent, comme vous
le savez, une part non-négligeable de notre lectorat, une part qu’il convient,
en conséquence, de flatter comme elle le mérite, la coquine. Noël ou pas, les
cadres se sont déjà vu fêter en 2013, tout au long de l’année littéraire. Ce
fut le cas l’année précédente, ce le sera vraisemblablement la prochaine. Du
point de vue des littérateurs contemporains, c’est ainsi tous les jours leur
fête, aux
cadres. Le cadre est ce sujet, cet anti-héros idéal dont les romanciers de
pointe usent désormais en priorité. Mais à la différence des patrons employant
les cadres dans la vraie vie, et jetant ceux-ci après les avoir correctement
pressés, harcelés et finalement suicidés du haut d’un technocentre lambda, l’écrivain
contemporain les réemploiera, lui, sans fin, sans répit, bref sans lassitude autre que la
nôtre, celle
de ce lecteur de mauvaise foi, intolérant et bégueule que nos abonnés auront
appris ici à connaître. L’écrivain contemporain n’a à dire vrai pas d’autre
choix que de s’en prendre au cadre, à sa « déshumanisation », son aliénation, sa dépression
inéluctable et – par contraste – sa nostalgie d’un authentique, d’un ailleurs en morceaux et bla bla bla. L’écrivain contemporain, convenons-en, ne peut écrire, avec la moindre
chance de convaincre, que sur ce qu’il fréquente, ou aura fréquenté,
d’extrêmement près. Il est de toute nécessité ce reste de cadre flinguant
les cadres,
et puis la « société » qui les contient, avec humour (fragmentaire), et s’abîmant spectaculairement dans le pessimisme le plus
arboré. Il est ce cadre crachant dans la soupe, qui est dégueulasse, certes, et adulé pour cela par des cadres admirant qu’il parle tellement authentiquement de
leur existence misérable et sacrifiée. Une existence sans intérêts, serions-nous tentés de
préciser. La chose se vérifie, en somme, depuis les premiers succès de MM.
Beigbeder ou Houellebecq. Voilà des gens à qui il arrive d’écrire proprement,
sans aucun doute, à qui il arrive même d’être drôles, adéquatement méchants. Le seul
souci, c’est que leur monde ne nous intéresse pas, qu’à la différence d’eux nous n’en sortons pas, et qu’au plus loin de nos souvenirs, il nous aura
toujours impatienté qu’on le réduisît en cendres. Or, pour un Houellebecq ou un
Pierre Lamalattie (nouvelle mascotte à contre-courant des fouinassiers littéraires,
et ancien condisciple, d’ailleurs, de M. Houellebecq au sein de certain établissement universitaire préparant aux carrières de cadre moyen
d’importance), réduire cette société en cendres n’aurait absolument aucun
sens : il
faudrait, pour nourrir pareille ambition, être stupide, c’est-à-dire n’avoir
point assez lu Schopenhauer, lequel enseigne comme chacun sait que le modèle
d’une existence réussie, non-intégralement absurde, serait plutôt celle de
l’écrivain à succès en France, de 2001 à 2013.
M. Lamalattie n’écrit pas mal. En témoignent, par exemple, ses 121 curriculum vitae pour un tombeau (L’Éditeur, 2011). Il arrive à ses phrases de faire mouche. Le problème est ailleurs. Est-il lui-même une si fine mouche qu’il prétende nous intéresser longtemps à ses monstrations de cadres en rupture de ban, apeurés, isolés, perdus au sein d’univers désespérément interchangeables et grotesques ? Une vengeance diffuse contre leur propre état de soumission quotidienne, leurs propres lâcheté et ineptie généralisées, à perpétuité, voilà ce qu’il plaît de lire, aux cadres, sous la plume de ces écrivains d’aujourd’hui : « Après quinze ans de carrière, je m’accordais le petit luxe de ne pas déjeuner avec mes collègues. C’est, pour une bonne part, au déjeuner que se font et se défont les images professionnelles. C’est l’endroit idéal pour faire, mine de rien, la chronique de ses exploits. C’était donc un choix périlleux. J’en étais parfaitement conscient. » (121 curriculum…, p.105).
M. Lamalattie n’écrit pas mal. En témoignent, par exemple, ses 121 curriculum vitae pour un tombeau (L’Éditeur, 2011). Il arrive à ses phrases de faire mouche. Le problème est ailleurs. Est-il lui-même une si fine mouche qu’il prétende nous intéresser longtemps à ses monstrations de cadres en rupture de ban, apeurés, isolés, perdus au sein d’univers désespérément interchangeables et grotesques ? Une vengeance diffuse contre leur propre état de soumission quotidienne, leurs propres lâcheté et ineptie généralisées, à perpétuité, voilà ce qu’il plaît de lire, aux cadres, sous la plume de ces écrivains d’aujourd’hui : « Après quinze ans de carrière, je m’accordais le petit luxe de ne pas déjeuner avec mes collègues. C’est, pour une bonne part, au déjeuner que se font et se défont les images professionnelles. C’est l’endroit idéal pour faire, mine de rien, la chronique de ses exploits. C’était donc un choix périlleux. J’en étais parfaitement conscient. » (121 curriculum…, p.105).
Cette
lecture masochiste de droite, sans pitié pour soi-même – quand on se voit crucifié
par plus malin que le tout-venant – plaît aux libéraux véritables. Et pour les cadres
de gauche (qui dégustent également, chez M. Lamalattie), c’est-à-dire ceux
du service public professoral ou de la « superstructure »
artistico-entreprenariale, ils y jouiront, sous forme de plus-value morale,
seule héritière de leurs années de gauchisme juvénile, de voir ainsi taper sur
leurs ennemis absolus du monde de l’argent décomplexé (traders, publicitaires…). Et voilà
comment réunir les suffrages actuels, sur son nom, de L’Express, Télérama, du Point, etc. Voilà ce qui couronne l’écrivain
branché lyncheur de cadres.
Il
appartenait à un M. Yannick Haenel – à ce stade de notre étude – de présenter la
synthèse parfaite de l’heideggerien de gauche et du cadre, et de fournir en l’espèce,
au bétail de librairie ordinaire, le roman le plus ridiculement niais de l’année 2013. Nous voulons parler ici de son chef-d’œuvre absolu Les
renards pâles (Gallimard), dont tout réel amateur de curiosités se doit
d’équiper au plus vite sa bibliothèque.
Jugez
plutôt.
Quand
un individu se trouve mis à la porte de son logement par une canaille de
propriétaire – ce qui arrive liminairement au héros des Renards pâles – les symptômes suivants,
accompagnateurs d’un tel phénomène, sont facilement décelables chez
lui : on note, au choix, l’apparition d’ulcères
gastro-duodénaux, de suées, une perte de poids, d’appétit, le surgissement
de tremblements et de crises de larmes, de vomissements, la survenue de
dépression consistante, etc. Bref, tous symptômes accusant un rapport avec la terreur pure, l’angoisse primitive,
irrépressible,
liée à cette sensation particulière du voisinage rapproché de la dissolution, de la mort dans les pires conditions –
celles de la rue
– qu’implique la perspective de se trouver bientôt dehors, sans un toit sur sa tête.
Le
héros de M. Haenel, lui, se fout complètement de se faire expulser. Il range
tranquillement ses affaires, remet gentiment la clé à sa proprio sans rechigner
ni rien saboter puis monte, enfin, dans une voiture qu’un mystérieux ami a
préalablement garée dans une rue à proximité, pour y vivre désormais dans la
béatitude du Saint ayant, d’un coup, tout lâché pour partir au désert et se
satisfaire de peu, biologiquement parlant, pour prix de ses nouvelles extases.
Le voilà, en effet, notre homme, qui réapprend dans cet espace réduit, cette
voiture faisant tout son salut, à réouvrir les yeux sur le monde, oui ! à réenchanter
celui-ci au prisme de son regard de poète. Tout cela est sublime. Nous enjoignons
vivement les familles flanquées à la lourde en février prochain à se défaire
semblablement, avec le même courage existentiel que les héros de M. Haenel, de
tous ces a priori
et certitudes mesquines qu’une société adverse leur aura iniquement enfoncées dans le
crâne. La liberté - justement ! - c’est dans la tête. Et le bonheur est à portée de main, pour qui apprend, selon le
mot délicieux employé par M. Haenel, à se glisser, à s’échapper dans
« l’intervalle » (p.18) proprement magique de ce monde corrompu. Un
« intervalle » que d’autres eussent plutôt naïvement, pour n’être
point des cadres heideggeriens de la valeur de M. Haenel, dénominé un trou
merdique dont
on se sent bientôt toucher le fond. « Mais », réplique par
avance, humblement, l’écrivain à semblable objection de bas étage,
« expulsé de ma propre vie, n’était-ce pas plutôt moi, l’élu ? »
(p. 21).
Il
fallait y penser.
De fait, notre héros,
à partir de là, depuis ce point de non-retour social sciemment recherché et atteint par ses soins, s’éclate littéralement - Vive la liberté ! - et s’ouvre au monde. Concrètement, cela se traduit
dans ce fait notable à peine imaginable qu’il sort, boit, drague et même,
audace suprême ! baise soir après soir dans tous les bars à la mode du vingtième arrondissement de Paris, dont les Renards
pâles établit ainsi une sorte de
cartographie étourdissante. Certains de nos vieux amis, ayant autrefois
fréquenté les lieux en question, devraient en rester sans voix. C’est, par exemple, au Zorba que le héros rencontre le premier groupe de grands
rebelles organisés de l’ouvrage,
comprenant, entre autres figures exceptionnelles, deux artistes farouchement
contemporains dont l’un égorge des animaux lors de performances hardcore (et s’est, nous dit-on par ailleurs, ardemment affronté à la police lors du
sommet de Gênes en 2001), cependant que l’autre, la compagne du précédent, se
présente comme une militante sans concessions du Parti socialiste, sautant
volontiers à la gorge de tous ceux ayant osé lui avouer qu’ils n’ont pas voté
aux dernières élections présidentielles. On frissonne. À juste titre. Il nous
sera, en effet, révélé peu après par M. Haenel que la moitié des membres de
cette secte quasi-münzerienne terminera à Tarnac, capitale de l’ultra-gauche
mangeuse de trains à grande vitesse. Toujours est-il, en attendant, que sans
logement ni travail, juste pourvu, nous explique-t-il (notre héros poète
radical) « d’une allocation chômage qui diminuait chaque mois parce que
j’étais négligent et ne remplissais pas les formulaires » (p. 17), il se
moque foutrement de l’argent, d’en avoir ou pas et toutes autres contingences
vulgaires, autant d’ailleurs que M. Haenel – son créateur – se moquerait sans
aucun doute d’apprendre que, dans le monde réel, les allocations-chômage ne sont plus dégressives,
que leur maintien se trouve plutôt conditionné par un pointage téléphonique
mensuel et le respect de certaines obligation pénibles, telles que se présenter
à des convocations régulières. Mais tout cela, au fond, n’a aucune importance
pour les poètes car, comme l’explique M. Haenel à la page numéro 55 des Renards
pâles, « la société n’existe
pas ». C’est la raison pour laquelle, afin d’abattre cette société qui,
quoique n’existant pas, paraît malgré tout bien répugnante à M. Haenel et à son
héros bloqué dans son extase (et dans sa voiture), ce dernier va, pour
l’abattre, la garce ! recourir à toutes sortes d’extrémités
hallucinantes : convoquer, en premier lieu, les fantômes de Guy Debord et
des situationnistes (pauvres situs), puis refuser solennellement de travailler et
même de voter à l’avenir (là, nous
restons tout de même estomaqués devant tant d’extrémisme). Enfin, il
s’associera à une terrifiante bande de sans-papiers maliens constituant
l’embryon du fameux groupe dit des Renards pâles, rencontrés dans un squat où le héros est entré, au
préalable, comme dans un moulin avant d’y réciter des formules magique et d’y
brûler sa carte d’identité, en compagnie de griots sincères et malicieux lui
ayant immédiatement ouvert le fond de leur cœur, et celui de leur pensées les
plus secrètes (alors qu’ils ne le connaissent que depuis quelques instants),
tout en s’exprimant pour un oui pour un non, à son intention, selon le
vocabulaire en vogue du côté de Sciences-Po-Paris. En sorte que l’esprit du Renard
pâle, dieu dogon ancestral rebelle et
fascinant, auquel M. Haenel nous introduit là avec la ferveur fortement
contagieuse d’un Lévi-Strauss ou d’un Malinovski, possède bientôt tous les
personnages de son céleste livre,
lesquels entrent en transe et s’affublent aussitôt de masques traditionnels
parfois un peu encombrants, tout de même, pour attaquer la police (« dans ce
cas, » est-il opportunément précisé p. 145, « nous apportons leurs répliques en bois léger, qui
n’entravent pas nos mouvements ») à coups de « cocktails molotov »
(p. 146), bien que M. Haenel s’empresse à ce sujet de rassurer son lectorat habituel, légitimement fondé
à s’inquiéter : « Nous n’avons quant à nous aucune arme : nous nous
contentons de bousculer les forces de l’ordre » (p. 147). Un cocktail molotov dans la
gueule, vous comprenez, on en fait tout un plat, mais ça n’est pas le Pérou, et
M. Haenel, en spécialiste incontestable de la bataille de rue à vocation
situationniste, a bien raison de remettre les choses à leur juste place.
Certes, on imagine que les lardus vaguement « bousculés » ou
même incendiés à l’essence (la chose n’est donc pas bien claire) doivent se venger à
l’occasion de manière saignante. Mais là, ha ! ha ! ha ! tout
est prévu, vous l’imaginez bien :
« Il
arrive qu’on se fasse attraper. Parfois, l’un de nous attire volontairement sur
lui la meute pour faciliter la fuite de ses camarades (…) alors les flics à
cran ne l’épargnent pas, mais il ne craint pas grand-chose : figurez-vous
qu’il y en a parmi nous qui sont en règle. Lorsque, pour se venger d’une rafle
qui a échoué, les policiers passent ainsi à tabac l’unique perturbateur qu’ils
ont capturé et qu’ils s’aperçoivent, durant la garde à vue, que ce dangereux
saboteur est un universitaire acclamé dans le monde entier, un artiste dont ils
ont vu le visage à la télévision, un acteur de cinéma – une vedette – , durant quelques secondes
leurs traits se décomposent. C’est si bon de vous voir grimacer ; nous
savourons l’instant où vous vérifiez l’identité de l’honorable citoyen, de la
célébrité que vos sbires viennent de molester. Que non seulement le voyou qui
fait échouer une opération de police soit au-dessus de tout soupçon, mais qu’il
soit intégré à ce point à votre société et que vous le connaissiez vous semble impossible ;
peut-être, durant quelques secondes, ressentez-vous un vertige. Ce vertige est
notre signature. » (p. 148)
Évidemment,
si les révoltés se font de la sorte représenter à tout bout de champ par des « vedettes », c’est
tellement finement joué que c’est pas du jeu, comme on dit dans les cours de récréation. Et puis il est vrai, ainsi que le souligne avec force M. Haenel, qu’on n’a jamais
« grand-chose à craindre » d’un bien inoffensif « passage à
tabac » policier.
Reconnaissons
donc que l’action est intense, dans les Renards pâles. C’est pourquoi, entre deux
séquences de lutte armée pacifique, tout de même, histoire de se détendre un
peu et de s’ouvrir toujours plus à l’aître-au-monde, le héros ne rechigne pas à
quelques petites orgies démoniaques au cimetière du Père-Lachaise, face au mur
des Fédérés, en compagnie, notamment, d’une descendante du malheureux
commandant communard Wroblewski qui ne demandait rien à personne. Puis,
désireux d’abattre enfin définitivement la République (la statue, d’abord, dans le Xème
arrondissement de Paris et puis, dans la foulée, nom de dieu, il n’y a pas de
raison, la forme d’organisation politique du même nom), armés de leurs mantras
et de leurs redoutables masques dogons, les nouveaux amis révolutionnaires du
héros, circulant systématiquement en manifestations compactes dirigées en
marche arrière,
afin d’aller littéralement à rebours de ce monde miné par le salariat, et donc
de le faire crouler de manière inévitable, parviennent à leurs objectifs. Les
dernières pages de l’ouvrage voient exploser, dans Paris, suite à une série
d’incantations vaudou ayant incontestablement porté leurs fruits
subversifs, une insurrection terrible à base d’incendies géants, dont on a du mal
à déterminer si M. Haenel la soutient totalement ou, au contraire, la condamne
comme une provocation d’État (certains de nos fidèles lecteurs
pourront peut-être, sur ce point, nous renseigner) : « Toutes ces voitures en
flammes nous éclairaient comme des torches. C’était comme si leur destruction
obéissait à un rite qui consacrait notre présence. L’incendie délimitait notre
territoire, il en indiquait le caractère sacré. Vos poubelles, vos voitures
sont nos bûchers sacrificiels (…) Le long de la rue de Rivoli, rue de
Castiglione et jusqu’à la place Vendôme, des vitrines ont été brisées ; la
foule commençait à saccager les boutiques de luxe. Dans certains cas, le
pillage est la réponse naturelle à cet excédent de marchandises qu’est le luxe.
En mettant feu publiquement à des foulards haute couture et à des robes de
prix, en pulvérisant des bracelets-montres à cinquante mille euros, on ne fait
que révéler l’extravagante dépense qui affole votre monde. Vous avez bien sûr
crié au scandale, et sur toutes les radios, à la télévision, vous avez
stigmatisé l’indigne sauvagerie qui animait notre action. Mais personne n’a
suggéré que c’étaient peut-être vos casseurs qui avaient détruit ces
prestigieuses boutiques, ni précisé que c’est vous qui les chargez
d’introduire de la violence dans les marches les plus pacifiques afin d’en
légitimer la répression. » (p. 169)
On notera au passage cette subtile conception d’une « marchandise excédentaire », posant sans doute la possibilité adverse, byzantine, de marchandises raisonnablement distribuées. Mais, outre cela, qui diable peut bien être ce « vous » constituant, tout au long de son livre, la cible privilégiée de M. Haenel, qui la pilonne sans relâche de ses soins agressifs ? Serait-ce la vile populace, inconsciente, à qui il daigne enseigner, tout en la méprisant copieusement, la signification réelle des acronymes « OFPRA » (en oubliant, d'ailleurs, tragiquement le P) et « BAC », ce dernier il est vrai davantage mystérieux, désignant, sachez-le, « les plus violentes et les plus efficaces unités de police, celles qui au fil des années avaient fini par être affectées à tous les secteurs, qui participent maintenant à la chasse aux sans-papiers et nous harcèlent jour et nuit, en toute impunité, comme si nous étions des criminels. » (p. 165) ? Que les flics de la BAC maltraitent les « criminels » tant qu’ils veulent et nous flanquent un peu la paix, nous qui n’aspirons qu’à revêtir des masques dogons tout en récitant du Rimbaud et du Guy Debord, et bouter çà et là le feu à la capitale en partouzant au Père-Lachaise, que diable !
Alors,
ce « vous » ?
Les
bourgeois, les riches ? Certainement pas. La trop grossière analyse de classe ne saurait avoir les faveurs
d’un esprit aussi universel que celui de M. Haenel, lequel méprise également, avec fracas, tout
groupe réuni sur la base d’une idée politique quelconque.
C’est
là, pour nous, précisément, que réapparaît la figure commode (hum !) du cadre, momentanément perdue de vue
depuis un paragraphe. Le cadre de droite, libéral, en effet, ou mieux ! souverainiste, voilà le concurrent idéal des cadres révoltés de M. Haenel.
C’est
la raison pour laquelle M. Houellebecq se trouve lui-même tellement cité dans Les
Renards pâles. Son influence sur le comportement idéologique moyen du cadre de base,
bien incontestable, n’est pas contestée par M. Haenel. Le truc, c’est qu’il
faut tout de même vendre des livres, vous comprenez. Il s’agit donc de se
positionner sur un certain créneau, déjà existant ou, à défaut, de créer
celui-ci : « J’avais repris un peu conscience. Je répondis à Ferrandi que Houellebecq décrivait avec perfection le rabougrissement des sociétés humaines vers le trou, mais qu’il se trompait en ne voyant dans ce trou qu’une blessure qui suscite le malheur. Crois-moi, dis-je à Ferrandi, il y a autre chose dans l’abîme : le trou est autre – il est une chance. J’ajoutai : – Houellebecq a tort, puisque j’existe » (p. 46).
On ne saurait mieux dire. Alain Madelin ne saurait mieux dire. Le concurrent a tort du fait d’être mon concurrent. D’où les masques dogons, Guy Debord et autres références historico-culturelles autour desquelles on rassemblera la troupe des consommateurs de gauche de M. Haenel. La difficulté consiste à éviter de passer pour un con, de se faire moquer et traiter de gros niais engagé par les cadres fanatiques de MM. Houellebecq et Lamalattie, tout en glanant un large public acquis à la cause alter-mondialiste, militante, avec un cœur gros comme ça. La poésie est toujours une manière efficace de s’extirper d’apories de ce genre. On reste un cadre mais on assume sa nébulosité. On poétise, la nuit, en buvant au Zorba. Là, Guy Debord vous fiche dans les transes, mais on bouscule les policiers, rien de plus, équipé qui plus est de vedettes anti-choc, lorsqu’on rencontre sur son chemin, à brûle-pourpoint, l’odieuse maréchaussée.
Au fond, le personnage de la « Reine de Pologne » (la descendante de Wroblewski avec qui le narrateur baise au Père-Lachaise) résume à elle seule cette position humaine, idéologique et commerciale assumée ici par M. Haenel. Pourquoi ce dernier l’appelle-t-il « la Reine de Pologne », au fait ? Bah ! Il s’agit de mettre en scène des rois, des reines, des nobles : appelez ça du nom que vous voudrez. Cela sera toujours plus sexy que montrer des loqueteux et des sans-grades, fussent-ils des Noirs sans-papiers. Tout le monde peut bien être le roi de quelque chose, après tout. Voyez M. Campion, l’influent « roi des forains » de nos marchés de Noël, chargés de légende et de convivialité.
En ce qui concerne M. Haenel, il est le nouveau roi des écrivains de France, voilà tout.
On ne saurait mieux dire. Alain Madelin ne saurait mieux dire. Le concurrent a tort du fait d’être mon concurrent. D’où les masques dogons, Guy Debord et autres références historico-culturelles autour desquelles on rassemblera la troupe des consommateurs de gauche de M. Haenel. La difficulté consiste à éviter de passer pour un con, de se faire moquer et traiter de gros niais engagé par les cadres fanatiques de MM. Houellebecq et Lamalattie, tout en glanant un large public acquis à la cause alter-mondialiste, militante, avec un cœur gros comme ça. La poésie est toujours une manière efficace de s’extirper d’apories de ce genre. On reste un cadre mais on assume sa nébulosité. On poétise, la nuit, en buvant au Zorba. Là, Guy Debord vous fiche dans les transes, mais on bouscule les policiers, rien de plus, équipé qui plus est de vedettes anti-choc, lorsqu’on rencontre sur son chemin, à brûle-pourpoint, l’odieuse maréchaussée.
Au fond, le personnage de la « Reine de Pologne » (la descendante de Wroblewski avec qui le narrateur baise au Père-Lachaise) résume à elle seule cette position humaine, idéologique et commerciale assumée ici par M. Haenel. Pourquoi ce dernier l’appelle-t-il « la Reine de Pologne », au fait ? Bah ! Il s’agit de mettre en scène des rois, des reines, des nobles : appelez ça du nom que vous voudrez. Cela sera toujours plus sexy que montrer des loqueteux et des sans-grades, fussent-ils des Noirs sans-papiers. Tout le monde peut bien être le roi de quelque chose, après tout. Voyez M. Campion, l’influent « roi des forains » de nos marchés de Noël, chargés de légende et de convivialité.
En ce qui concerne M. Haenel, il est le nouveau roi des écrivains de France, voilà tout.
Ça
fera dix-sept euros.
Salut le Moine,
RépondreSupprimerVous vous donnez bien de la peine pour nous fabriquer de si beaux assassinats.
- L'"aître" ? J'en étais resté à l'"être-le-la".Caramba! Aurait-on rafistolé la traduction de "L'Etre et le Guéant"?
N'était-ce pas justement Paul Celan, dont vous fîtes récemment un éloge discret, qui vint voir le maître en son chalet à seule fin de lui demander "pourquoi ?", et qui revint dégouté, le professor lui ayant sans doute pondu à peu près la même réponse de normand que celle que vous relatez ?
-Pour le deuxième, je me fierai à la couverture de l'éditeur l'Editeur même si votre "monstration" n'est pas inintéressante.
-"Les renards pâles" n'était-ce pas un des titres des "Lucky Luke" de notre enfance ? En tout cas, les intrigues de Goscinny me semblaient mieux ficelées.
Un soir de détresse, je m'étais noyé dans un Houellebecq, celui qui gagna la coterie Goncourt. Un vrai naufrage, rien à quoi se raccrocher. Je ne doute pas que le Haenel soit du même tonneau, tout aussi imbitable.
Chouette texte du camarade de Chéri-bibi par ailleurs. Quand des freluquets comme Haenel traîne dans nos rades, ça fout les glandes.
Bref, ne vous déplaise, ce n'est pas grâce à vous que j'arriverai à garnir mon michel-sapin de noël.
Je vous souhaite un week-end bien loin de toutes ces insanités.
Pour ce qui est des idées-cadeaux, cher Themroc, laissez-nous encore une chance. La suite arrive bientôt.
RépondreSupprimerPour l'anecdote sur Celan, vous avez entièrement raison. Nous eussions également pu évoquer le comportement extrêmement sympathique, à tendance cool, de Heidegger vis-à-vis de Husserl, en son temps. Mais il paraît qu'il faut savoir faire la part des choses, et qu'à défaut seulement de pouvoir attaquer l'oeuvre, en gros jaloux mesquin qu'on est, on attaque le poète. Cette idée de Paul Valéry était très appréciée du faune de Fribourg, qui la ressortait volontiers à ses visiteurs. On comprend pourquoi.
Reproduit ci-dessous un commentaire posté par LOV au mauvais endroit :
RépondreSupprimer" Bien vu sur l'haenel, cher moine. Sa daube de renards pâles a quand
même moins marché que l'opus précédent : Birnbaum du Monde doit vraiment se forcer pour en faire l'éloge, L'Express le soufflète et Libération lèche un c... qu'il se refuse à explorer, service minimoume. Asensio ne débande toujours pas contre "les bouffons"
de Sollers, évidemment. Rien que de l'attendu. Pour Lamalattie, vous
êtes un poil rêche. Car ses milieux acides sont par endroits vraiment
bien rigolos. A vous;"
Vénéré moine, après avoir été énervé par Yannick Haenel sur France Culture, me voici réjoui par votre texte concernant cette andouille.
RépondreSupprimerLes chèvres de l'Orée vous saluent, toutes cornes dressées, et à jamais.
Il paraît, cher Marquis, que les gens changent, de temps à autre.
RépondreSupprimerVous serez bien aimable de laisser à M. Haenel le temps dont il aura besoin.
Soyez chic, quoi !