«La notion de péché va d'ailleurs à l'encontre de la logique. On nous enseigne que le péché consiste à enfreindre les commandements de Dieu, mais on nous enseigne aussi que Dieu est tout-puissant. Or, si rien n'advient qui soit contraire à sa volonté, Dieu a forcément voulu que le pécheur enfreigne les commandements. Saint Augustin, qui n'hésitait pas à promouvoir cette thèse, attribuait le péché à un aveuglement infligé par Dieu. Les théologiens modernes, eux, estiment que si Dieu est seul responsable du péché, il est injuste d'expédier les pécheurs en enfer pour une action dont ils ne sont pas responsables. On nous dit que le péché consiste à enfreindre la volonté de Dieu. Mais cet argument ne résout pas le problème. Ceux qui, comme Spinoza, prennent l'omnipotence divine au sérieux en déduisent que le péché n'existe pas. Cette négation entraîne des conséquences effroyables. Comment ?! s'exclamaient les contemporains de Spinoza, Néron n'a-t-il pas fauté en assassinant sa propre mère ? Adam n'a-t-il pas fauté en goûtant au fruit défendu ? Toutes les actions ne se valent pas ! Spinoza a beau tergiverser, il n'apporte pas de réponse satisfaisante. Si tout ce qui advient est conforme à la volonté de Dieu, alors Dieu a voulu que Néron tue sa mère et, puisque Dieu est bon, ce meurtre était forcément une bonne chose. Pas moyen de sortir de cette aporie.
(Libération, 7 décembre de l'an de grâce 2021)
(Bertrand Russel, De la fumisterie intellectuelle)
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