Je sais que vous avez saisi les subtilités du vaudeville, bidon. Mais permettez-moi d'y revenir — gravement — à l'intention des promoteurs de l'écriture inclusive qui ne voient pas ce qu'ils excluent. Principalement par absence d'humour (et ça c'est très grave).
Qu'ils voient donc comme avec cette rigueur-là, quête de la transparence du sens dans le signe, on en perdrait le sens et le mot d'esprit. Une farce sans Dindon serait comme un amant sans placard.
"Pontagnac (pose sa canne et son chapeau et se lève.) — Oh! madame, ne me parlez plus de cela. Si vous saviez combien je suis marri. Lucienne. — Avec deux r ! prononcez bien. Pontagnac. — Avec deux r, oui ! Oh ! je sais bien quʼavec un r... Lucienne. — Vous lʼêtes bien peu." Le Dindon, Feydeau 1/2
Cl. Hagège, L'homme de paroles, posait en 1987, sans y répondre, la problématique du Iel : "le monde extérieur aux langues ne cesse de se transformer. Même une analyse componentielle (analyse en traits de sens minimaux) aussi "évidente" que celle de "père" en "parent mâle" dans toute langue risque de se trouver infirmée depuis que les opérations chirurgicales se pratiquent par lesquelles il est loisible de changer de sexe : un homme dont une semblable intervention fait un transexuel cependant qu'il avait autrefois engendré est bien un père, mais un père femelle." (p. 80) Mais il faudrait aller plus loin en pensant à l'opération dans l'autre sens : le Eil.
Le vertige de la transparence selon lequel chaque mot correspondrait à sa chose est propre aux inventeurs de langues. Je ramasse le paradoxe qu'il exprime aux pages 251 et 252. Ramassis quasiment littéral : l'inventeur vise à triompher de la convention sociale imposée par le système de la langue, condition tyrannique, dès l'enfance, de l'intégration au groupe. Les inventeurs de langue sont des révoltés qui ont pris cette tyrannie pour cible de leur révolte ; mais l'économie réalisée quant aux contraintes séquentielles est compromise par par la surcharge qu'impose à la mémoire l'apprentissage des noms. À l'allègement obtenu dans la chaîne parlée répond un alourdissement dans le système de la grammaire, situation inverse de celle des pidgins — langues riches en traits dominants, plutôt que récessifs, simples, qualités permettant de se comprendre — l'opposition gut/nogut étant plus partageable que good/bad. En langues, les inventions artificielles sont moins universalistes que les inventions qui ne prétendent pas l'être.
Les prescriptions laborantines rigidifient les cours naturels, comme la canaux les fleuves.
Combien de troisièmes personnes pronominales faudrait-il en français inclusif ? Il, elle, iel, eil, ielant, eilant, etc., à supposer seulement une polarité et deux termes, au cas où un troisième surviendrait. Les lecteurs de tracts contemporains d'ulstrème gauche savent d'expérience combien l'exercice achoppe, combien la sophistication de la forme distrait du contenu, combien l'obsession du signe prend le dessus sur la vocation du sens. Leurs écrivains ne se rendent-ils pas compte que la transparence fétichisée vers chaque signe, et particulièrement ceux vouées aux adresses personnelles, obstrue la transparence générale du flux textuel d'ensemble, d'ailleurs presque imparlable ? En vrai, ça les fait chier, mais faudrait pas vexer les copaines. Empêtré dans une telle hallucination formellement logicienne, on n'écrit plus, on code. On ne publie plus, on publicise... en se grattant un peu la tête sans trop frotter la mauvaise conscience, puisque tout de même aussi le pluriel Iels... Faudrait vraiment qu'on soient toussez toutes dedans, selon une certaine gradation, dans une certaine mesure, ou globalement ? Surtout faudrait-il surtout le montrer à tout propos ? Est-ce un prérequis pour intervenir révolutionnairement ? D'abord le sexe comme identités particulières ? Du sexe, là maintenant, tout de suite, t'es sûr ? Ah non ! ce n'était que du genre. Oups. Et à cette condition préalable, le complice ? l'individu ? la personne ? Dire qu'on y cite Orwell...
"Une propriété singulière de la langue est justement d'être un pouvoir clandestin." (Hagège, p. 269) Lequel ? Un pouvoir de rétention au moins. Les mots travaillent, il vaut mieux apprendre à s'en jouer. 2/2
C'est à dire que ça ne repose sur rien, pas la moindre étude, même de la part de gens par ailleurs si friands de socio (ce alors qu'il y a nombre d'exemples que langue peu ou pas genrée ne rime pas avec société "paritaire"). Ni plus ni moins, c'est du même ordre que porter un t-shirt moche "Je suis pour l'égalité homme-femme", sauf qu'on force tout le monde à le regarder, pavlovisme·pour·ton·bien oblige.
Iel, mon mari !
RépondreSupprimerIel m·a·on conjoint·e (un peu de rigueur, svp, ce sont des sujets graves).
RépondreSupprimerJe sais que vous avez saisi les subtilités du vaudeville, bidon. Mais permettez-moi d'y revenir — gravement — à l'intention des promoteurs de l'écriture inclusive qui ne voient pas ce qu'ils excluent. Principalement par absence d'humour (et ça c'est très grave).
SupprimerQu'ils voient donc comme avec cette rigueur-là, quête de la transparence du sens dans le signe, on en perdrait le sens et le mot d'esprit. Une farce sans Dindon serait comme un amant sans placard.
"Pontagnac (pose sa canne et son chapeau et se lève.)
— Oh! madame, ne me parlez plus de cela. Si vous saviez combien je suis marri.
Lucienne. — Avec deux r ! prononcez bien.
Pontagnac. — Avec deux r, oui ! Oh ! je sais bien quʼavec un r...
Lucienne. — Vous lʼêtes bien peu."
Le Dindon, Feydeau
1/2
Cl. Hagège, L'homme de paroles, posait en 1987, sans y répondre, la problématique du Iel : "le monde extérieur aux langues ne cesse de se transformer. Même une analyse componentielle (analyse en traits de sens minimaux) aussi "évidente" que celle de "père" en "parent mâle" dans toute langue risque de se trouver infirmée depuis que les opérations chirurgicales se pratiquent par lesquelles il est loisible de changer de sexe : un homme dont une semblable intervention fait un transexuel cependant qu'il avait autrefois engendré est bien un père, mais un père femelle." (p. 80) Mais il faudrait aller plus loin en pensant à l'opération dans l'autre sens : le Eil.
SupprimerLe vertige de la transparence selon lequel chaque mot correspondrait à sa chose est propre aux inventeurs de langues. Je ramasse le paradoxe qu'il exprime aux pages 251 et 252. Ramassis quasiment littéral : l'inventeur vise à triompher de la convention sociale imposée par le système de la langue, condition tyrannique, dès l'enfance, de l'intégration au groupe. Les inventeurs de langue sont des révoltés qui ont pris cette tyrannie pour cible de leur révolte ; mais l'économie réalisée quant aux contraintes séquentielles est compromise par par la surcharge qu'impose à la mémoire l'apprentissage des noms. À l'allègement obtenu dans la chaîne parlée répond un alourdissement dans le système de la grammaire, situation inverse de celle des pidgins — langues riches en traits dominants, plutôt que récessifs, simples, qualités permettant de se comprendre — l'opposition gut/nogut étant plus partageable que good/bad. En langues, les inventions artificielles sont moins universalistes que les inventions qui ne prétendent pas l'être.
Les prescriptions laborantines rigidifient les cours naturels, comme la canaux les fleuves.
Combien de troisièmes personnes pronominales faudrait-il en français inclusif ? Il, elle, iel, eil, ielant, eilant, etc., à supposer seulement une polarité et deux termes, au cas où un troisième surviendrait. Les lecteurs de tracts contemporains d'ulstrème gauche savent d'expérience combien l'exercice achoppe, combien la sophistication de la forme distrait du contenu, combien l'obsession du signe prend le dessus sur la vocation du sens. Leurs écrivains ne se rendent-ils pas compte que la transparence fétichisée vers chaque signe, et particulièrement ceux vouées aux adresses personnelles, obstrue la transparence générale du flux textuel d'ensemble, d'ailleurs presque imparlable ? En vrai, ça les fait chier, mais faudrait pas vexer les copaines. Empêtré dans une telle hallucination formellement logicienne, on n'écrit plus, on code. On ne publie plus, on publicise... en se grattant un peu la tête sans trop frotter la mauvaise conscience, puisque tout de même aussi le pluriel Iels... Faudrait vraiment qu'on soient toussez toutes dedans, selon une certaine gradation, dans une certaine mesure, ou globalement ? Surtout faudrait-il surtout le montrer à tout propos ? Est-ce un prérequis pour intervenir révolutionnairement ? D'abord le sexe comme identités particulières ? Du sexe, là maintenant, tout de suite, t'es sûr ? Ah non ! ce n'était que du genre. Oups. Et à cette condition préalable, le complice ? l'individu ? la personne ? Dire qu'on y cite Orwell...
"Une propriété singulière de la langue est justement d'être un pouvoir clandestin." (Hagège, p. 269) Lequel ? Un pouvoir de rétention au moins. Les mots travaillent, il vaut mieux apprendre à s'en jouer.
2/2
C'est à dire que ça ne repose sur rien, pas la moindre étude, même de la part de gens par ailleurs si friands de socio (ce alors qu'il y a nombre d'exemples que langue peu ou pas genrée ne rime pas avec société "paritaire"). Ni plus ni moins, c'est du même ordre que porter un t-shirt moche "Je suis pour l'égalité homme-femme", sauf qu'on force tout le monde à le regarder, pavlovisme·pour·ton·bien oblige.
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