samedi 30 janvier 2021

«Sputiamo su Hegel»

«Avec Ester, je ne peux que me taire. Elle est en colère contre elle-même et ne le supporte pas. Maintenant, elle ose dire ce qu'elle n'avait jamais encore exprimé, ce qui était encore impensable : que dans notre relation, je suis l'homme et elle est la femme. C'est ainsi que la dichotomie de la vaginale et de la clitoridienne fait retour, et même le féminisme ne pourra y mettre fin. »

(Carla Lonzi, Tais-toi, ou plutôt parle : journal d'une féministe, 
in Scritti di Rivolta Femminile, Milan 1978)

23 commentaires:

  1. Pour dépasser cette dichotomie insupportable, unifions nos déterminismes génétiques genrés et oeuvrons à l'avénement d'une nouvelle humanité (l'homme-femme nouveau): sortons enfin de notre coquille !

    https://www.e-sante.fr/difficile-vie-sexuelle-escargots/blog/678

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    1. Désolé mais vous êtes à côté de la plaque.
      Car vous ramenez tout, et de manière fort déplaisante, à la reproduction.

      Ce qu'il y a justement de très intéressant dans le travail et les réflexions de Carla Lonzi, c'est qu'elle défend au départ (de manière plus ou moins consciente) un "clitorisme" universel, substituant au bête, pisseux et familial-catholique pénis, cet organe magique (le clitoris, donc) comme instrument de PLAISIR transcendantal, précisément découplé du but reproductif.

      Sa limite se situe, selon nous, dans la réintroduction après coup, et la promotion (assumée, hélas !) de la DIFFERENCE sexuelle contre une DIALECTIQUE hédoniste (simplement entraperçue) susceptible de glisser du pénis (donc du vagin) au clitoris POUR TOUT LE MONDE : hommes et femmes jusque-là enfermés dans leur différence !

      Cet échec (dont le texte ci-dessus présente la traduction existentielle douloureuse) relève, selon nous, d'une compréhension biaisée dès le départ de la notion même de dialectique, et des conceptions de Hegel, bien en phase, malheureusement, avec l'époque (de contre-révolution post-moderne). On ne peut prétendre, en particulier, que la fameuse "dialectique du Maître et de l'esclave" se "solde" uniquement par la victoire nécessaire de quelque nouveau Maître, et en l'espèce d'un nouveau Patriarcat phallique. L'aspect synthétique des choses, dans la relation amoureuse, paraît ici singulièrement manqué. Et, avec lui, la portée subversive de ce "clitorisme" ébauché et se trouvant, de fait, étouffé dans l'oeuf.

      Rien à voir, donc, et en tout cas, avec cet hermaphrodisme auquel vous recourez dans votre exemple (grossier et pas drôle : désolé de vous le dire).

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    2. Non mais tu voudrais pas que l'on se passe de ce bête et familial-catholique pénis ? c'est son caractère "pisseux" qui fait son charme, je te ferais remarquer. Tu sais plus ce qu'est bon, le moine : ou tu l'as oublié à force de trop réfléchir !

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  2. À noter que ladite dichotomie n'a aucun fondement anatomique, n'en déplaise à pépé Sigmund. C'est un peu comme être plutôt pipe ou plutôt coït, une préférence de stimulation. En fait, ça marche paradoxalement bien mieux chez les mecs qui peuvent être "glandiens" et/ou "prostatiens".

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    1. A noter que chez pépé Sigmund (qui était plutôt pipe : jusqu'au carcinome), les termes de "masculin" et de "féminin" ne voulaient rien dire de définitif ou d'absolu et qu'il convenait de les utiliser par convénience, faute de mieux, l'impuissance du langage étant ce qu'elle est et la bisexualité originaire, en revanche, de tout être humain s'avérant, elle, incontestable.

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    2. Certes, mais le corps reste le corps. À ma connaissance, on n'a jamais trouvé de société humaine sans division sexuelle du travail, c'est à dire incapable de percevoir cette différence, qu'on peut donc à bon droit supposer immédiate (les transfuges étant possibles à la marge, mais selon la ligne de partage ainsi fixée, et rarement dans le sens d'un corps féminin fonctionnant sur un mode masculin). Soit une grosse pierre d'objectivité dans le jardin performatif queer, au passage.

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    3. Oui. C'est le sens profond, selon nous (et le sens toujours valable aujourd'hui) de la fameuse sentence de Freud lui ayant attiré cette réputation imméritée de sexisme : "l'anatomie, c'est le destin". Freud était sexiste mais à la mesure (d'ignorance nécessaire) de ce qu'imposait l'époque. Et il est passé à côté du génial potentiel émancipateur du clitoris, assimilé par lui à un pénis moindre, ou second.

      Pour autant, cette "grosse pierre d'objectivité dans le jardin performatif queer" nous semble bel et bien exister. Nous l'appellerions, nous, de manière plus large : limite corporelle, ou mieux : matérielle. Bref, ce qui résiste, en dernière analyse, au travail, à l'activité, au sujet et à son constructivisme pratique (fondamentalement libéral, de droite ou de gauche).

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  3. Pour être tout à fait complet sur cette question, c'est surtout l'inconséquence des post-modernes qui est crispante ("inconséquence" étant ici l'autre nom de l'assomption de l'effondrement de toute logique : "autoritaire" par principe, comme la vérité).

    Extrait tiré, par exemple, de l'intéressant "Le plaisir effacé : clitoris et pensée" (Catherine Malabou) :
    " S'il dénonce les dérives de la biopolitique (sic), Preciado n'a pas malgré tout de haine envers la biologie. Le caractère construit du genre n'efface pour lui jamais la matérialité, l'empiricité sanguine, glandulaire, épigénétique du sexe. Cette matérialité est tout et partie de la genèse du genre. Qu'est-ce que la matière d'un corps ? Judith Butler avait déjà posé la question dans son ouvrage Ces corps qui comptent (Bodies that matter). Le genre, pour Preciado, est impliqué dans la donne charnelle du sexe, du sang, des viscères, des organes. C'est pourquoi le genre n'est pas simplement performatif (re-sic) : "il est purement construit et en même temps entièrement organique (...) sa plasticité charnelle déstabilise la distinction entre imitation et imitateur, vérité et représentation de la vérité, référence et référent, nature et artifice, organes sexuels et pratiques du sexe." (in "Manifeste contre-sexuel").

    Le fameux "en même temps", une fois encore. Celui qui peut s'associer à Gucci le lundi et se la péter révolutionnaire le mardi après-midi.

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    1. Un "en même temps" qui fait du corps une matérialité, certes déjà là, mais inerte et neutre, non? Or, un homme n'est pas une femme avec un appendice, pas plus qu'une femme n'est un homme évidé. Personne, par exemple, n'est assez stupide pour essayer de nourrir le nouveau-né au sein de son père, fût-il transtoutcequonveut. Chacun peut employer et habiller son corps comme il lui plaît, c'est entendu. De là à dire que, de ce fait, on ne peut plus savoir ce qu'est un homme ou une femme, on entre dans le domaine de la (mauvaise) foi.

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    2. La génitalité s'apprend, comme spécialisation sexuelle socialement induite à visée uniquement reproductrice. Le bébé, par contraste, jouit de partout. Sa capacité de plaisir (sa "perversité" dixit le bourgeois Freud) est naturellement, MATERIELLEMENT polymorphe. Or, le clitoris est le seul organe matériel entièrement dévoué au plaisir. Raison pour laquelle il est à ce point détesté par l'obscurantisme de toutes formes, jusqu'à l'excision, réelle ou symbolique. C'est ce clitorisme, ce goût matériellement bisexuel du plaisir qu'il nous faut retrouver, réapprendre. Car, et c'est là un paradoxe que nous retournerons, comme le freudisme, à notre avantage, "l'anatomie (donc ici, le plaisir clitoridien, doit être notre destin" : un "modèle" organique).

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    3. D'accord sur la perspective générale, mais dans le détail je pense qu'il faut se garder d'en faire trop avec le clitoris. Il reste fonctionnellement connecté à l'ensemble de la sphère sexuelle, donc reproductrice. Disons que chez l'humain le plaisir est le moteur de la reproduction, mais que cela n'a rien de normatif. Par exemple, il est indéniable que le pénis est charpenté pour émettre du sperme près du col de l'utérus. Pour autant pression et frottement peuvent être obtenus bien autrement, et même plus "efficacement", sans qu'il soit question de reproduction. Il est même probable que chez les singes le sperme soit très majoritairement émis "pour rien". La nature n'étant pas productiviste, elle s'en fout: il suffit qu'il suffise.

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    4. L'anus est-il fait pour jouir ?

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    5. Non : l'anus est "indéniablement" fait pour chier (pour reprendre votre axe d'analyse) mais "pour autant, pression et frottement jouissives peuvent être obtenus" bien plus "efficacement" sur lui (plutôt que sur les oreilles, mettons, et encore !) sans qu'il soit question de reproduction. La raison en est simple : l'hyper-vascularisation et hyper-sensibilité de l'endroit (Freud rappelle le caractère sodomite des très jeunes enfants, filles et garçons, qui vont jusqu'à se constiper volontairement pour se donner du plaisir (cf ses "3 essais sur la théorie de la sexualité"). Là aussi, "l'anatomie, c'est (donc) le destin" (Freud) : le tout, c'est de jouer avec un donné matériel certes indépassable (contre le "constructivisme queer"), mais offrant cependant déjà des possibilités de jouissances poly-sexuées infinies, à condition de désapprendre méthodiquement la génitalité spécialisée. Retourner à l'époque ontogénétique infantile de la perversité polymorphe !
      Le clitoris n'offre ainsi qu'un "modèle" théorique (certes fascinant) de cette possibilité matérielle de jouir découplée, quoi que vous en disiez, de la pulsion reproductrice. Quoiqu'il reste encore insuffisant à la mesure de cette spécialisation même.

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    6. «Le clitoris n'offre ainsi qu'un "modèle" théorique (certes fascinant) de cette possibilité matérielle de jouir découplée, quoi que vous en disiez, de la pulsion reproductrice.»

      Ce n'est pas ce que je dis. Je ne parle pas de pulsion mais de forme. Le pénis est dessiné comme un organe reproducteur, ce qui explique sa forme, son innervation, etc. Pour autant, seul son fonctionnement et non son application pratiques est prescrit par cela. Ainsi, les garçons découvrent la branlette en général bien avant d'être féconds, parfois même avant d'éjaculer et souvent, du moins par le passé, en n'ayant qu'une vague idée du corps féminin. Pas plus que le clitoris (dont la stimulation, loin d'être localisée, va induire lubrification, etc. ), le pénis n'est donc rivé à la reproduction, c'est à dire plus "naturellement" utilisé dans le vagin que dans la main. C'est parce qu'a priori on veut mettre papa dans maman comme finalité que le clitoris apparaît singulier, mais cette perspective est en elle-même très contestable. Dans tous les sens du terme le pénis tout autant sert à jouir bien avant de servir à reproduire.

      Notons enfin que si il est souvent recherché dans l'affaire, le plaisir n'est en fait absolument pas nécessaire à la reproduction, si bien qu'on peut parfaitement s'engendrer en s'emmerdant ferme des deux côtés de la bite. Il n'y a donc en la matière de plaisir que gratuit, clitoridien ou pas.

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    7. D'accord sur pulsion et forme.
      Très d'accord, même.
      La pulsion enchaîne les formes inadéquates, elle les suscite et les dépose comme toujours inadéquates, toujours décevantes, en sa course utopique d'insatisfaction perpétuelle.

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    8. En fait le problème vient de ce qu'on veut toujours que «ça serve à». Du coup, on fait comme si l'équilibre était le but au lieu du support. Or, le corps qui sert à vivre, c'est celui dont on mésuse dès qu'on cesse de l'économiser. Alors que le corps qui permet de vivre, c'est celui qu'on peut aussi bien dilapider. Dans un cas la nature est une mécanique qui travaille à son propre maintien, dans l'autre juste un certain état de l'enchevêtrement des possibles.

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  4. D'autres font mieux encore: ils peuvent s'associer à Dior le lundi et se la péter révolutionnaire le jour même:

    https://www.youtube.com/watch?v=B7JjJHUwqCE

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  5. Merci, Moine, de m'avoir fait découvrir Malabou. Quel patronyme pour qui évoque la petite colline (Lacan m'habite) !

    Elle a parlé tout récemment dans le poste et dit clairement deux choses intéressantes.

    La première (autour de la 8e minute) : "l'écart" physiologique entre le vagin et le clitoris s'est fait progressivement avec la bipédie. Et ce serait au gré de cette évolution que le clitoris serait devenu cet organe dont l'hédonisme serait la vocation exclusive. Un second propre de l'homme, avec le rire ! Qu'il est gai ce savoir !

    La seconde (autour de la 15e minute), en excellente lectrice de Hegel — Science de la logique — (ce qui est rarissime) : "essence veut dire devenir", "l'essentialisme est un terme stupide" employé par ceux qui le confondent avec l'Aître ou l'Être, une essence fixe (en réalité indéterminée, sinon dans sa relation avec son contraire, instance tout aussi totale que lui : le Néant). Et ça ça m'a fait du bien.

    En outre, une intuition, (autour de la 25e minute) mais plus ambiguë à mes yeux, l'idée transcendantale (?) d'un "clitoris du texte" (et des oeuvres) selon laquelle il s'agirait de l'exposition et de la fragilité dans l'intervention publique, sur le terrain du phallus (qui n'est ni le pénis ni le clito) dirait un psychanalyste. En sus, vers la 45e minute, elle évoque une lecture pertinente de Sade !

    On peut lire son itinéraire dans cette présentation et interview chez Philo mag. Elle rompt avec son maître, celui de la déconstruction... comme par hasard. J'espère qu'elle n'en a pas fini.

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    1. Last but not least, très cher, dans son petit bouquin "Le plaisir effacé, clitoris et pensée", elle règle son compte en deux temps trois mouvements à certain philologue-qui-vient sans moyens ni fin (un indice ? c'est un italien ! aïe ! deux guerres : rien).

      Le gugusse en question, littéralement exciseur par ignorance, n'aurait, selon elle (et elle con-vainc), strictement rien compris aux "'nymphes".
      On vous laisse découvrir.
      Enjoy !

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    2. Ah !? Game-B(l)oom !? Je vais me faire une petite vidéo ce soir...

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