dimanche 24 janvier 2021

Sécheresse critique du positivisme



Salut au camarade Bogdan R.

«Un armateur était sur le point de laisser partir un bateau chargé d’émigrants. Il savait que celui-ci était vieux, qu’il avait de nombreux défauts de construction, et que, pour ne rien arranger, le bateau avait déjà affronté plusieurs mers houleuses et maintes tempêtes ayant souvent nécessité des réparations. Plusieurs personnes lui avaient fait remarquer qu’il était hors d’état de naviguer. Ces doutes le préoccupaient et le rendaient malheureux ; il pensa même à le faire réviser et rééquiper, même si cela devait lui coûter beaucoup d'argent. Mais avant que le navire ne prenne la mer, il réussit à chasser ces sombres pensées, se disant qu’après tout son bateau était toujours revenu à bon port après avoir effectué un grand nombre de traversées, qu'il avait essuyé déjà tellement de tempêtes qu’il fût stupide de penser que, cette fois encore, il ne rentrerait pas au port. Il n’y avait qu’à s’en remettre à la Providence, laquelle ne pourrait manquer de protéger toutes ces familles malheureuses quittant leur patrie à la recherche de jours meilleurs. Il s’efforça d’écarter de son esprit tous ces soupçons mesquins que l'on peut entendre, relativement à l’honnêteté des constructeurs et entrepreneurs. Il parvint ainsi à se rassurer et à se convaincre sincèrement que son vaisseau était absolument sûr et en état de naviguer. Il assista donc à son départ le cœur léger, en formulant de pieux souhaits pour le succès des exilés dans ce pays lointain qui allait devenir leur patrie ; et il fut dédommagé par sa compagnie d’assurances quand le bateau sombra au beau milieu de l'océan et disparut à tout jamais.

Que dirions-nous de lui ? Assurément qu'il est bel et bien coupable de la mort de ces émigrants. Même si nous admettons qu’il croyait sincèrement à la solidité de son bateau, il reste que la sincérité de sa conviction ne peut en aucune façon le disculper, parce qu’il n’avait pas le droit de fonder cette croyance sur les informations qu’il possédait. Il avait acquis cette conviction non pas sur la foi d’une investigation minutieuse, mais en étouffant ses doutes. Et même s’il avait fini par en être si sûr qu’il ne pouvait penser autrement, dans la mesure où il s’est consciemment et volontairement efforcé d’en venir à cet état d’esprit, il doit être tenu pour responsable de cet accident.

Modifions légèrement la situation et supposons que l'embarcation fût en réalité sûre et qu'elle accomplît cette traversée, ainsi que les suivantes, en toute sécurité. Cela atténuerait-il la culpabilité de son propriétaire ? Nullement. En effet, une fois une action effectuée, elle est à tout jamais correcte ou incorrecte et aucune contingence relative à ses conséquences, bonnes ou mauvaises, ne peut rien y changer. Notre homme, dans cette situation, ne serait pas innocent ; il ne serait, simplement, pas accusé. Une croyance est correcte ou incorrecte en fonction de son origine et non pas en fonction de ce qui est cru ; de la manière dont elle a été acquise et non pas de son contenu ; du droit qu'on avait ou non de la former sur la base des éléments de preuve dont on disposait et non pas de sa vérité ou de sa fausseté. [...]

Pour résumer : on a tort, partout, toujours, et qui que ce soit, de croire quoi que ce soit sur la base d'éléments de preuve insuffisants».

(William Clifford, L'éthique de la croyance, 1876)


24 commentaires:

  1. Le raisonnement est certes tout à fait juste mais n'explicite cependant pas selon quels critères on détermine le caractère suffisant des éléments de preuve qui justifierait une croyance ? La nature correcte d'une croyance n'étant en effet déterminée, selon Clifford, ni par son contenu ni par sa vérité objective, son raisonnement est condamné à se mordre la queue. Il aurait plutôt dû conclure à l'inanité de toute croyance, fût-elle étayée de preuves jugées par lui suffisantes, cela aurait été plus simple et aurait peut-être évité à ses contemporains et aux générations suivantes de sombrer dans la barbarie induite par des croyances de toutes sortes, la croyance quelle qu'elle soit n'étant pas condamnable par son caractère justifié ou non, mais d'abord et surtout parce qu'elle suppose une perte d'autonomie de l'individu. Mais comme disent les djeuns, "j'dis ça, j'dis rien !"

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    1. "La nature correcte d'une croyance n'étant en effet déterminée, selon Clifford, ni par son contenu ni par sa vérité objective".
      La nature correcte d'une croyance est, au contraire, précisément déterminée par sa vérité objective, dont la recherche méthodique, honnête et rationnelle constitue, chez Clifford, une fin autant épistémologique que morale : une preuve d'intégrité personnelle, en somme. Cette vérité, comme fin, se trouve ainsi atteinte par l'emploi de moyens intégralement validés par la raison : soit, en clair, l'exercice logique de l'entendement, couplé in fine au témoignage de l'expérience.

      Pour répondre à la deuxième partie de votre intervention, Clifford attaque, de notoriété publique, toute autorité religieuse prétendant se suffire à elle-même (sous peine, évidemment, dans le cas contraire, de s'effondrer aussitôt : on se met à sa place...) et attaque, de même, toute croyance ou idéologie laïque moins préoccupée d'être vraie que d'entraîner les conséquences pratiques qui l'intéresseront, en termes de domination et de pouvoir sur l'Humanité, elle-même volontiers crédule par angoisse et servitude volontaire transcendantale. Il est vrai que, par les temps qui courent, l'amour et la recherche authentique de la vérité (comme d'ailleurs la croyance au fait simple que celle-ci existera toujours) n'ont pas bonne presse, que ce soit chez les fascistes ou les post-modernes de gauche de toutes obédiences ridicules.

      C'est à ce tire que l'excellent Jacques Bouveresse rapproche, au reste, les projets rationalistes et émancipateurs de Clifford et d'Adorno, dans l'excellent article indiqué ci-dessous, que l'on vous suggère de lire, à l'occasion, afin de vous renseigner un peu sur cet excellent auteur souvent méconnu :

      https://books.openedition.org/cdf/4021?lang=fr#:~:text=1%C2%AB%20L'%C3%A9thique%20de%20la,de%20croire%20(1897)1.&text=2%20%C2%AB%20The%20Ethics%20of%20Belief,%2C%20Pro%20(...)

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    2. Une dernière chose : le fait de ne pas toujours pouvoir fonder en droit toutes ses croyances n'interdit évidemment en rien, chez Clifford, l'action pragmatique quotidienne. En d'autres termes, nul besoin de valider toutes ses croyances pour commencer à agir, et faire des choix. Le fait, en revanche, de dissocier par principe la vérité (ou la fausseté objective) vérifiable d'une croyance et l'intérêt que représente celle-ci (soit qu'on y souscrive soi-même soit qu'on prétende y faire adhérer les autres) constitue le crime fondateur irrationaliste entraînant bientôt tous les autres.

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    3. Je ne faisais que réagir à un petit extrait de l'extrait de Clifford que vous nous proposiez en lecture:
      "Une croyance est correcte ou incorrecte en fonction de son origine et non pas en fonction de ce qui est cru ; de la manière dont elle a été acquise et non pas de son contenu ; du droit qu'on avait ou non de la former sur la base des éléments de preuve dont on disposait et NON PAS DE SA VERITE ou de sa fausseté."
      Maintenant vous me dites que "La nature correcte d'une croyance est, au contraire, précisément déterminée par sa vérité objective"... Excusez-moi mais là je n'y comprends plus rien... Merci cependant d'essayer d'éclairer ma lanterne en m'indiquant le lien vers l'article de Jacques Bouveresse

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    4. Le fait qu'une croyance se révèle après coup vraie ou fausse, de manière contingente, n'a rien à voir avec la légitimité des moyens qu'on aura employés à la vérifier.
      Dans le cas de l'exemple de Clifford, le fait que le bateau ait ou non réellement effectué sans dommages la traversée (autrement dit : la vérité a posteriori de la croyance développée par l'armateur) n'influe en rien sur la culpabilité de l'armateur : il laisse celle-ci intacte. Ce dernier aura simplement "eu de la chance" (pourrait-on dire, d'un point de vue moral) si cette traversée s'effectue sans encombres. La "vérité" de cette croyance ("la traversée se fera sans encombres"), constatée après coup empiriquement, n'en est donc pas une. Ce qui était vrai, en revanche, la VERITE OBJECTIVE c'est que ce bateau était pourri. Et c'est cette vérité objective que l'armateur a refusé de voir, de chercher, au nom de ses intérêts plus ou moins conscients.

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    5. La distinction entre vérité objective et vérité contingente était en effet nécessaire. L'extrait ne le précisait pas "formellement" ce qui pouvait prêter à une certaine confusion. Merci de vos précisions.

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    6. En effet. On devrait même parler de "réalité" plutôt que de "vérité" contingente. Cela écarterait tout malentendu.

      Sur la "vérité objective", on se reportera avec profit à l'extrait ci-dessous, tiré de la conclusion de l'article de Bouveresse (suit une citation de la "Personnalité autoritaire") :

      "Ce que l’on peut constater est seulement que ceux des croyants qui ont le plus tendance à sympathiser avec l’autoritarisme et la dictature sont généralement ceux pour qui la question de la vérité objective de la religion, qui constitue pour les gens comme Clifford la question suprême, est justement d’une importance secondaire.
      La religion a tendance à être conçue chez eux non pas comme une fin, mais comme un moyen pour réaliser des fins qui pourraient, le cas échéant, l’être aussi d’une autre façon :

      texte d'Adorno :

      "La religion est acceptée non pas à cause de sa vérité objective, mais sur la base de sa valeur pour la réalisation d’objectifs qui pourraient également être atteints grâce à d’autres moyens. Cette attitude est conforme à la tendance générale vers la subordination et la renonciation à un jugement propre, si caractéristiques de la mentalité des adhérents aux mouvements fascistes. L’acceptation d’une idéologie ne se fonde pas sur la compréhension de son contenu ni sur la croyance en ce dernier, mais plutôt sur l’usage immédiat qui peut en être fait, ou sur des décisions arbitraires. On trouve ici l’une des racines de l’irrationalisme obstiné, conscient et manipulateur des nazis, tel qu’il a été résumé par la formule de Hitler : « Man kann nur für eine Idee sterben, die man nicht versteht. (On peut mourir seulement pour une idée qu’on ne comprend pas.) » Cette formule, de par sa logique intrinsèque, équivaut au mépris pour la vérité en soi. Chacun choisit une Weltanschauung (une conception du monde) comme il choisirait une marchandise dont la publicité est particulièrement réussie, plutôt que pour sa qualité réelle."

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    7. Tout à fait éclairant en effet, et plus particulièrement encore dans cette période obscurantiste qui voit malheureusement nombre de nos contemporains se raccrocher désespérément à de pauvres croyances (je dis "pauvres" parce qu'elles n'ont même pas la grandeur baroque que peuvent avoir certaines croyances transcendantes) à défaut de perspectives individuelles ou d'horizons collectifs émancipateurs clairement discernables.

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  2. Il manquerait pas une étiquette "Progrès scientifique", voire "Il faut être raisonnable"? À moins que cette citation soit innocente, M. le Procureur. Je veux dire exempte de toute (méchante) allusion à un contexte où, par hasard, on expérimenterait massivement sur une humanité placée, par bonheur, sous contrôle judiciaire. Ce tout en affirmant à qui veut l'entendre que oh là-là, non, non, pas du tout (misérable crétin antivax poliotétanophile)!

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    1. Le contexte dont vous parlez pourrait surtout se rapprocher de certaines côtes du littoral libyen, en l'occurrence, d'où certains "entrepreneurs" ou "armateurs" de rencontre proposent volontiers à certains "émigrants", contre monnaie sonnante, de s'élancer sur des rafiots dont on pourrait décemment supposer (à condition de chercher la valeur d'une croyance à la manière cliffordienne) qu'ils nécessiteraient davantage encore que de vagues réparations.

      JP Manchette, en d'autres temps, a défendu le caractère révolutionnaire du style behaviouriste (ou "comportementaliste") du polar américain, bien mieux que nous le faisons ici. Pour lui, fond et forme coïncidaient : une époque intégralement réifiée avait trouvé son expression adéquate. Adorno pensait, lui aussi, qu'introduire de la subjectivité et de la liberté lyrique au sein d'un monde aussi objectivé et corrompu, afin de l'exprimer, non seulement ne permettait pas d'atteindre cet objectif, mais même : constituait bien pire qu'une faute de goût : une faute morale.

      Clifford pose que la recherche de la vérité suivant des méthodes intègres incarne ce qui reste de morale en ce monde et que tous les discours d'autorité ou de respect, par principe, des croyances sanctifiées par la Tradition (les discours de type religieux, en particulier) sont par là même des discours immoraux.

      Et nous ne sommes pas plus procureurs que la quête de la vérité provient, en son essence, de l'Inquisition espagnole, ainsi qu'aimait à le soupçonner M. Foucault (Michel), célèbre comique troupier ayant vécu au siècle dernier.

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    2. J'y ai pensé, mais je trouvais que ça ne collait pas. Parce que déjà on peine à qualifier d'armateurs des ordures qui savent pertinemment qu'ils ne reverront jamais leur navire, destiné à finir coulé ou saisi, ce qui pour eux, vu ce qu'ils commettent par ailleurs, est n'en doutons pas une même chose. Parce qu'ensuite c'est plutôt de l'autre côté qu'est la croyance, chez ceux qui embarquent, se persuadant – ont-ils le choix? – qu'avec un peu de bol leurs embarcations pourries tiendront bien les quelques centaines de km de Méditerranée qui séparent leur enfer de l'Europe (ce qui, quand même, n'est pas la même farine que des milliers de km en Atlantique).

      Adorno, contrairement à Manchette, n'est pas un marrant, ce qui pour moi est une faute morale. Il a des excuses, il écrivait à une époque globalement plus optimiste. Mais aujourd'hui, et tout en concédant largement le constat, je ne vois pas quelles perspectives toute cette littérature de la réification ouvre. Je veux dire qu'à la fin, le marxisme devient "Cioran plus la marchandise", tant l'utopie est nominale.

      Pour le procureur, c'était un clin d'œil à un autre billet, mais comme le contexte n'est pas ce que je croyais qu'il était, ça marche pas.

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    3. "Cioran plus la marchandise" : votre remarque est spirituelle et pertinente. Sauf que la marchandise n'est pas ce vague truc en plus, ce truc surnuméraire venant s'ajouter à je ne sais quoi de précédent. Cioran, lui-même, ne constitue qu'un mode de cette substance maudite, totalement englobante.
      Ceci dit, le pessimisme a ceci d'original qu'il constitue le point-limite (en terme de lucidité, de conscience de soi) du monde marchand, comme le suicide, sa traduction pratique. La haine de la bourgeoisie pour le suicide rejoint sa haine de l'hédonisme vrai, qui spiritualise le plaisir et détourne tant du travail salarié que de la reproduction (sexuée et familiale) de la force de travail.
      Nous inverserions donc totalement votre remarque sur Adorno et Manchette : c'est pour son pessimisme noir que nous aimons Adorno. Par ailleurs, Manchette était-il tellement un marrant, lui-même ?

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    4. Je parlais des auteurs, le reste, je ne sais pas. Avec un ou deux schnaps, peut-être Théo enchaînait-il les Bali Balo, allez savoir.

      La marchandise n'est pas en plus certes, mais c'est là qu'est le diable, précisément. À la longue de tout voir par ce prisme (la plupart du temps côté consommation, au passage), l'espace entre nature et seconde nature finit par être tellement ténu qu'il n'y a plus de place pour rien. La marchandise devient le banc de sable sur lequel la condition humaine a définitivement échoué, comme l'aboutissement de son développement profond. Les Rocambole s'en sortent alors généralement en évoquant un possible retournement dont toutes leurs analyses font un "aurait pu". « La face A est toute pourrie mais la face B est du tonnerre, promis. Hélas (3x)! avec le mp3 plus personne aujourd'hui ne sait ce qu'est une face B, mon pauvre Monsieur. De toute façon, tout ça a commencé avec le CD, peut-être même le ver était-il dans le fruit dès l'auto-reverse. Plus personne ou presque d'assez sain — tas de crétins numérisés — pour faire revivre les chauds craquements du microsillon, ha-la-la (3x) ». Arrivé là, contingence et nécessité se confondent, et pour moi c'est comme Cioran. Alors oui, il est bien possible que la vie soit absurde d'un bout à l'autre, que tout foute le camp dans le développement exponentiel des moyens de la bêtise, et qu'on soit impuissant à y changer quoi que ce soit. Cependant restera toujours la dérision (Cossery), comme ce vieux principe qu'on dit chinois: « si on te viole et que tu ne peux te défendre, arrange-toi pour prendre du plaisir » Nomme ce qui est, mais ne lâche rien où tu peux encore gagner.

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    5. Oui, mais non. Sauf à être cynique au pire sens du terme, la dérision n'est pas un mot d'ordre mais une forme de conclusion logique et intime: si tout est perdu (No we cannot!) et que nous ne nous suicidons pas, c'est que de fait nous affirmons qu'au pire cela n'est pas si sérieux.

      Plus généralement, la révolution ne rendra personne immortel, pas plus qu'elle n'empêchera l'humanité de disparaître. La condition humaine est donc immédiatement tragique (inacceptable, dirait l'autre), raison de plus pour ne pas finir comme le premier Cioran venu, liquéfié à 80 balais passés à dire que rien ne vaut la peine de rien parce que l'eau mouille.

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    6. Le pire étant toujours à venir, nous ne suicidons jamais, le suicide étant lui-même conçu ici comme "conclusion logique et intime" tirée de l'état du réel.
      Ou, comme le disait Schopenhauer : "Demain, c'est aujourd'hui en pire". Comme l'éléate interdisait (logiquement) le mouvement, pépé Arthur rendait le suicide inepte.

      Bref, comme au poker, nous payons (cher) pour voir.
      Pour attendre. Jusqu'au jour d'après. Jusqu'à la fin.

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    7. Si on suit nos deux écoliers de Francfort, vouloir être entièrement rationnel est en fait le comble de l'irrationalité. La réalité, ainsi violentée, est donc toujours en porte-à-faux avec nos calculs, et là se loge la dérision, comme disposition à la subversion et à l'hédonisme. Pour le meilleur et le pire, nous sommes embarqués sur une peau de banane, et c'est bien tout ce que gouvernent tous les ministres, PDG, sociologues, professeurs, …, contrôleurs RATP de la Terre, grâce à leur terroriste esprit de sérieux.

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    8. "vouloir être entièrement rationnel est en fait le comble de l'irrationalité" : oui mais si l'on n'oublie pas que seule une critique de la raison par elle-même touche juste (contre l'irrationalisme d'un Heidegger par exemple). Une raison acceptant sa part de genèse irrationnelle : voilà la dialectique du corps et de l'esprit qui apparaît subversive. D'où l'importance d'un Freud, ou d'un Schiller ("Lettres sur l'éducation esthétique de l'Homme"), ou de tout autre tentant de lier dialectiquement corps et esprit, raison et pulsion.

      "là se loge la dérision, comme disposition à la subversion et à l'hédonisme". Le danger étant que l'humour et la dérision eux-mêmes accusent, pour nos deux écoliers, un potentiel autoritaire, conformiste de masse et, en dernière analyse, fasciste, très important.

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    9. Je ne sais pas. J'ai beau tourner, autant je vois bien comment la raison peut devenir la déraison, autant je vois mal la dérision devenir mot d'ordre (comme par exemple les expositions d'art «dégénéré»). Elle suppose la conscience des rôles sociaux en tant que tels, et est donc décalage, théâtre dès le départ. En fait il s'agit d'un autre retour de la raison sur elle-même que, peut-être un peu bizarrement, je rapproche du cynisme antique.

      Le principal péril qui la guette me paraît plutôt être le cynisme au sens usuel, qui conclut fallacieusement, donc en sortant de sa logique propre, que si tout est rôle alors il n'y a pas vraiment de salauds.

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  3. La sincérité est à la vérité ce que la fuite est à la promenade.

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  4. On peut bien faire un détour, faire un tour, mais une promenade pour mieux revenir n'est pas vraiment une promenade (elle a le retour pour but) en toute disponibilité, laquelle n'est pas non plus toujours une flânerie (le flâneur étant insouciant). Cela est parfois bien nécessaire, ça aère.

    Même en marchand dehors, le fuyard ne voit ni n'entend ce qui l'environne, il ne distingue pas un passage d'une rue, sa tête étant tout hantée par les bruits et les fureurs récemment éprouvés. Peut-être même peut-on aussi fuir en rêvant debout d'une avenir meilleur mais impossible. Comme le sincère, le marcheur fuyard arrange les réalités pour son imago, et ce n'est pas celles qu'il voit en marchand. Ses préoccupations concernent sa réputation, elles ne regardent pas le monde, c'est comme si le monde le regardait.

    Certes, l'analogie ne fonctionne pas pour le promeneur qui fuirait la police, seul ou au coeur de la foule. Car dans ce cas il est réellement une proie, aux aguets, et là le monde est plutôt une solution, et les passages des refuges. Cela rend réaliste. Dans les autres cas, il fuit sa situation, qui souvent demeure.

    Tiens, je n'avais jamais penser comme ça aux manifs !

    Deuxième tentative, mais moins poétique : la sincérité est à la vérité ce que la lâcheté est à la tenue, un courage hypocrite.

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    1. En écho : cette critique de la "sincérité" contemporaine, du besoin "d'authentique subjectif" en purs lieu et place de la vérité, par Harry Frankfurt (cité par Bouveresse dans l'article sur Clifford susmentionné) :

      "Plutôt que de chercher en premier lieu à arriver à des représentations exactes d’un monde commun, l’individu s’oriente vers la tentative de fournir des représentations honnêtes de lui-même. Convaincu que la réalité n’a pas de nature inhérente qu’il pourrait espérer identifier comme étant la vérité sur les choses, il se consacre à la recherche d’une représentation fidèle de sa propre nature. C’est comme s’il décidait que, puisque cela n’a pas de sens d’essayer de représenter fidèlement les faits, il doit donc au lieu de cela être fidèle à lui-même. […] Les faits qui ont trait à nous-mêmes ne sont pas particulièrement solides et résistants à la dissolution sceptique. Nos natures sont, de fait, privées de substance d’une façon insaisissable – elles sont notoirement moins stables et inhérentes que les natures des autres choses. Et pour autant que c’est le cas, la sincérité elle-même est de la foutaise (bullshit)"

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