jeudi 16 avril 2020

Des systèmes vivants, et des discours distincts devant leur correspondre (les schèmes de Jacob)


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«Ce qu'a démontré la biologie, c'est qu'il n'existe pas d'entité métaphysique pour se cacher derrière le mot de vie. Le pouvoir de s'assembler, de produire des structures de complexité croissante, de se reproduire même, appartient aux éléments qui composent la matière. Des particules à l'homme se rencontrent toute une série d'intégrations, de niveaux, de discontinuités (...). Avec chaque niveau d'organisation apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logique. Se reproduire n'est au pouvoir d'aucune molécule par elle-même. Cette faculté n'apparaît qu'avec le plus simple des intégrons méritant la qualification de vivant, c'est-à-dire la cellule.»

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«Tout objet que considère la biologie représente un système de systèmes. Lui-même élément d'un système d'ordre supérieur, il obéit parfois à des règles qui ne peuvent être déduites de sa propre analyse. C'est dire que chaque niveau d'organisation doit être envisagé par référence à ceux qui lui sont juxtaposés.»

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«En fin de compte, c'est toujours la logique de l'organisme, son individualité, sa finalité qui régissent ses constituants et leurs systèmes de communication.»

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«Dans les intégrons culturels et sociaux apparaissent des objets nouveaux. Ceux-ci fonctionnent selon des principes inconnus aux niveaux inférieurs. Les concepts de démocratie, de propriété, de salaire sont aussi dépourvus de signification pour une cellule ou un organisme que ceux de reproduction ou de sélection naturelle pour une molécule isolée. C'est dire que la biologie vient se diluer dans l'étude de l'homme tout comme la physique dans celle de la cellule. (...) Depuis l'apparition d'une théorie de l'évolution, depuis Herbert Spencer notamment, on a souvent cherché à interpréter les intégrons sociaux ou culturels, leurs variations, leurs interactions à l'aide de modèles empruntés à la seule biologie.»

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«Avec leurs codes, leurs régulations, leurs interactions, les objets que constituent les intégrons culturels et sociaux débordent les schémas explicatifs de la biologie. Une fois encore on a affaire à des intégrations d'éléments eux-mêmes intégrés. Mais si l'on voit à nouveau des paliers, des discontinuités de phénomènes et de concepts, on ne trouve aucune rupture avec les niveaux de la biologie. Les objets d'observation viennent s'encastrer les uns dans les autres. La physiologie, par exemple, considère individuellement les fonctions de l'organisme et les mécanismes qui les coordonnent. Au-dessus d'elle, la science du comportement fait abstraction des processus internes pour saisir dans sa totalité la réaction de l'organisme à son milieu. Au-dessus encore, la dynamique des populations et la sociologie, ignorant le comportement des individus, prennent celui de l'ensemble comme objet d'analyse. Il faudra bien un jour associer les différents niveaux d'observation pour référer chacun à ses voisins. Une fois encore, on ne peut espérer saisir le système sans connaître les propriétés des éléments. C'est dire que si l'étude de l'homme et de ses sociétés ne peut se réduire à la biologie, elle ne peut pas non plus se passer d'elle ; pas plus que la biologie de la physique.»

(François Jacob, La logique du vivant, 1970)

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