samedi 6 juin 2020

Les Guerres d'Indochine de Khubilaï Khan (6) Janvier 1285 : l'assaut.


Bon, ça y est. Les meilleures choses ont une fin. L'aube est venue. Qui promet d'être sanglante. Rappel : on est en janvier 1285, quelque part entre Annam et Tonkin. Vous êtes prêts ? Nous aussi...

Les Mongols passent la frontière à Lạng Sơn. Leur cavalerie enfonce rapidement les défenses Việt, puis atteint Thăng Long (l'actuelle capitale Hà Nội), que le général Trần Hưng Đạo a abandonnée pour se replier sur Van Kiêp (aujourd'hui Kiêp Bac, dans le delta du Fleuve Rouge, dans l'actuelle province de Hải Dương).

(La statue réaliste-non socialiste 
de Trần Hưng Đạo, à Saigon)  

Une de ses proclamations, affichée dans tous les villages de la zone, appelle la population à la résistance jusqu'à la mort contre les envahisseurs. Si une telle résistance n'était plus possible, il y est fait consigne à tous de se replier dans les forêts et montagnes sans jamais se rendre. Il faut dire que la prise de Thăng Long incite certains à passer à l'ennemi, tel ce prince Ích Tắc, «fondateur, explique Philippe Papin, de l'une des premières écoles privées de la capitale, ou l'historien renommé Lê Tac, qui publia en Chine son grand ouvrage Abrégé d'Histoire et de Géographie d'Annam, disant dans sa préface sa joie immense de voir "l'influence vertueuse et réformatrice de la dynastie des Yuan s'étendre sur tous les pays sans exception"» (Histoire de Hà Nội, op. cit., p. 108). Les annales officielles Việt évoquent, elles, la figure trouble d'un rallié (un Cham ?) passé aux Yuan, auquel les Trần réservent un sort stratégiquement clément : «Le sixième jour du sixième mois, raconte le Đại Việt Sử Ký Toàn Thư (op. cit.), le roi ordonna à son officier d'ordonnance Dang Du Chi de reconduire au Champa Ba-Lau-Ke-Na-Lien et ses compagnons qui avaient été fait prisonniers pour avoir rallié le mongol Sögètü». Les mêmes annales rendront également compte, plus tard, d'un passage inverse des Yuan aux Việt : celui du général Trương Hiến qui combattra pour les Trần, après les guerres mongoles, en pays Ai-Lao, où il trouvera d'ailleurs la mort en 1298. Les annales attestent que ce général bénéficia, à ce titre, «d'un culte officiel au temple des sacrifices impériaux» (id.). Était-il d'ethnie mongole ? Rien de moins sûr. Déjà en Chine, au moment de la guerre contre les Song, et a fortiori lors des deux expéditions postérieures ratées contre le Japon, en 1274 puis 1281, les Mongols ne formaient que l'encadrement d'une troupe largement composée de Chinois ralliés, de gré ou de force, et d'auxiliaires iraniens, ouighours, voire d'Alains (chrétiens du Caucase) ou de Coréens, suivant les cas (voir sur ce sujet l'ouvrage de Louis Frédéric, L'Empire éternel, pp. 184-185). L'emploi des machines de guerre et engins de siège ayant emporté la décision devant les villes de Xiangjiang et Fanchang, dans le bassin de la Han, était, lui, le fait, non pas, comme on le sait aujourd'hui, de Marco Polo, qui en attribue la paternité à sa famille, mais de deux brillants ingénieurs musulmans originaires de Mossoul pour le premier, de Bagdad pour l'autre. Mais, pour l'essentiel des troupes engagées au Champa en 1283 et au Đại Việt un peu plus tard, on doit bien convenir que «leur qualité militaire était limitée, la plupart étant recrutés parmi les prisonniers de droit commun, et les désertions étaient nombreuses, aussi bien parmi la troupe que dans le corps des officiers» (Régaud et Lechervy, Les guerres d'Indochine, op. cit., p. 32). Dans le camp d'en face, après la victoire de Khubilaï en Chine, nombre de soldats chinois restés fidèles aux Song continuèrent la lutte sous leur propre uniforme, aux côtés des Vietnamiens. On peut imaginer que leur détermination et leur combativité furent au moins égales à celles des auxiliaires chinois Yuan. 


(Ci-dessus : deuxième guerre d'Indochine mongole. Les points rouges représentent les zones de forte résistance Việt (dynastie Trần)

En Février 1285, les Mongols avancent, donc, dans le delta du Fleuve Rouge. Ils prennent Thiên Mạc (district de Hưng Yên) où ils capturent le général Trần Bình Trọng, qui est sauvagement exécuté immédiatement après avoir refusé leur offre de collaboration. Lê Thành Khôi cite sa crâne réplique alors faite aux Mongols, demeurée célèbre : Mieux vaut le sort d'un fantôme du Sud que celui d'un prince du Nord (in Histoire du Vietnam des origines à 1858, p. 186).    
Dans le même temps, pour tenter de refermer la tenaille, Sögètü remonte du Sud, c'est-à-dire du Champa, où il n'est pas parvenu à emporter la décision militaire, afin de faire sa jonction avec Toghan et ce général, réputé pour sa cruauté sur le champ de bataille, que les Việt appellent O-Ma-Nhi (Omar). Les Yuan contrôlent maintenant la quasi-totalité du Đại Việt : une grande partie du delta du Fleuve Rouge et des provinces actuelles de Thanh Hóa (où les Trần se sont réfugiés, avec leurs partisans irréductibles) et du Nghệ An. Sögètü se heurte alors à l'armée de Trần Quang Khải, qui tient encore coûte que coûte, précisément pour compliquer cette jonction attendue Sögètü-Toghan, la province du Nghệ An, centre actuel du Vietnam, et à qui Sögètü cause des pertes épouvantables, sans toutefois réussir à l'écraser complètement. Le général mongol parvient néanmoins jusqu'au Fleuve Rouge, où croise sa flotte, et où il espère enfin retrouver le gros des troupes. 
Mais dès le moi de mai 1285, à l'approche de l'été et des fortes chaleurs, la situation se retourne. Les soldats Việt (un détachement de 50 000 hommes) remportent coup sur coup deux victoires navales sur un bras du Fleuve Rouge, à Hàm Thử, puis Chương Dương. Des victoires décisives puisqu'elles rouvrent les portes de la capitale : le site de Chương Dương, avant-poste mongol, n'est situé qu'à une vingtaine de kilomètres au sud de la Hà Nội actuelle. Toghan évacue en catastrophe la ville et se fixe au Nord, où les Việt  les poursuivent : à Vạn Kiếp, notamment, où «le massacre de l'ennemi fut tel que le Fleuve Rouge charria pendant des jours des flots de sang» (id., p. 188). Toghan lui-même ne parviendra à s'enfuir de cet enfer qu'à la faveur d'une exfiltration rocambolesque vers la Chine mongole, dissimulé dans un fût de bronze. 
Les troupes de Sögètü, de leur côté, ignorant le sort tragique de celles de Toghan, continuent de remonter à l'aveugle le Fleuve Rouge, dans l'espoir de plus en plus ténu de les retrouver quelque part. C'est alors que les Việt les surprennent et les écrasent à Tây Kết (juillet 1285). La déroute est totale pour les Yuan. Sögètü lui-même trouve la mort. Nguyễn Trãi, le grand lettré et résistant anti-Chinois du 15ème siècle, le fait à tort périr à Hàm Thử, dans son poème de 1428. D'après les annales Việt, le roi Trần Nhân Tông lui-même rendit hommage à la dépouille du général mongol, saluant sa bravoure, et le faisant ensevelir avec tous les honneurs. La deuxième guerre du Đại Việt est finie. On compte près de 50 000 prisonniers Yuan. Tandis que les Trần rentrent en triomphe dans leur capitale, les Cham et les Khmers, qui comprennent que le répit ne peut durer bien longtemps, s'empressent de reconnaître la suzeraineté de Khubilaï (automne 1285).                  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire