vendredi 8 septembre 2017

Trois notes (concordantes) quant à la résistance de l'objet


1

Est vraie - sans aucun doute - cette proposition fondamentale suivant laquelle prétendre connaître un objet, c'est vouloir se l'approprier, le soumettre, ruiner ses liberté et étrangeté, en d'autres termes : réduire autoritairement sa résistance. Entrerait ainsi - sans aucun doute - dans la définition même de ce que je rencontre sans le connaître cette qualité première que je ne le maîtrise pas, liée à la vérité que nul savoir n'est jamais, certes, ni neutre, ni gratuit, ni pur. Cette même définition, cependant, ne saurait avoir, comme toute définition, de valeur que pour moi, et pour toute l'humanité dont je suis, c'est-à-dire qui vit et qui parle, qui vit pour parler. Il n'est pas d'homme qui ne parle pas, et n'ait le goût natif, dans le langage, de définir les objets. On ne refuse ici pas plus les hommes que les objets du monde. Il n'est d'objet qui résiste que résistant à un sujet. La résistance de l'objet ne s'exerce que vis-à-vis de lui, pour lui. Cette résistance au sujet est aussi sa seule vie possible.

2

Je regarde cette bouteille, devant moi, laquelle - sans aucun doute - me résiste de deux façons. Par sa dureté matérielle, d'abord, son opacité brute. Je ne parais pouvoir la sonder, d'entrée, que du fait de sa non-conceptualité absolue, de sa simplicité d'évidence, de sa position sensible première, indépassable. C'est une bouteille, et puis voilà. Mais voilà aussi, soudain, inversement, qu'elle me résiste mieux encore (ou pire) par la multitude infinie d'idées que je lui sens associables, adéquates : qui lui collent, pour ainsi dire, à la peau (ou au verre). Cette bouteille, après tout, a une forme, et des formes, des couleurs, et des reflets ; elle associe des composants élémentaires ; elle a aussi, d'un autre point de vue, été produite par des hommes, au terme d'un processus synthétisant des milliers d'affects, de techniques, d'idées, de souffrances, de lieux et de situations, et puis tout ce que vous voudrez d'autre qui pourrait bien être dit ou pensé d'une bouteille ou de tout autre objet matériel : tous les mouvements de cogitation (sans même parler encore des mouvements de pensée) que cet objet soi-disant stupide ou muet pourrait susciter, suscite (d'infiniment différent) dans l'esprit de tous les gens de la Terre auxquels il se trouverait présenté. En sorte que la bouteille résiste, je le sens à présent, bien mieux à mon désir de connaissance sur le mode de l'abondance, du trop-plein, que sur celui de l'opacité. L'objet résiste moins par son opacité que par sa richesse pensable et dicible. Il impose juste de trop dire. Voilà ma seule impuissance en face de lui, qui ne m'est pas étranger, encore moins ineffable, seulement absolument énorme. Source de joie et d'espoir, programmatiques, des poètes authentiques. Mégalomanes et encyclopédistes.

3

Il ne peut y avoir de primat réel de la matière, dominant hiérarchiquement et extérieurement la pensée. Ce primat, probablement admissible au plan épistémologique, n'aurait cependant pour nous aucun intérêt. Il ne peut y avoir d'univocité de l'Être. L'Être n'est Être que de chercher - pur mouvement - son hors-de-soi, des médiations, un langage, la théorie. Cette dernière peut bien manquer de temps, ou d'amplitude, pour comprendre tout l'Être, comprendre tout l'objet. L'objet n'en reste pas moins là, à m'attendre, m'attendre moi, chargé de ses qualités, infiniment lisible. Telle est la résistance de l'objet.




9 commentaires:

  1. Eloge discret de la Dive bouteille ?

    A relire, entre autre le Tiers livre, n'y a t-il pas chez Rabelais ce désir d'épuiser "le sens du monde" à travers la floraison munificente de mots, d'histoires, de référence aux antiques, de jeux de mots et autres utilisations des patois et pidgins étrangers ? - et je ne parle pas de sa passion des listes.

    Epuiser, ou aussi, célébrer, vaincu mais heureux, son inépuisable richesse de significations ?

    Quoi qu'il en soi, cher Moine, à votre santé : trinch !

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    1. Les listes de Borges, aussi bien : tirées de sa Bibliothèque universelle, et infinie.

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    2. Dans mon aveuglement, je n'ai jamais lu Borges.

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    3. Pas encore. Quelle chance vous avez !

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  2. Question fondamentale : était-il bon? à la hauteur de l'attente?

    à la vôtre!

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  3. The proof of the Morgon was in the drinking.

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  4. Mes parents me disaient : uống rượu nhiều quá không có tốt.
    Mais c'est ce qu'ils disaient. Ils parlent, comme tant d'autres, vous le savez...
    Santé

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    1. Autant qu'on s'en souvienne, certains fêtards de Vinh Long, Cân Tho ou Hà nôi de notre connaissance (pardonnez-moi pour les accents et les tons) n'avaient rien à envier à certains autres du sud-bourguignon : les uns et les autres vécurent, à l'occasion, fort vieux, évitant - longtemps - maladies et misères. Il faut avouer, certes, qu'il s'agissait moins, dans le cas des premiers, de rượu do à la phap style que de bia hoi (la moins chère du marché). Quant à nos progrès en conversation, ils prenaient alors - chargés du précieux carburant - des tours spectaculaires. Bien à vous !

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