≪Deux choses remplissent l'esprit d'une admiration et d'une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes [...] : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. ≫
(Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, 1788)
≪Le sujet pourra contempler les étoiles tant qu'il voudra, il ne parviendra jamais à une représentation claire et distincte de leur nombre. La multitude innombrable des astres interdit même de les associer toutes dans un unique tableau (...). Par tous ces traits, le sublime nocturne défait le lien entre la vision et le calcul. Un tel sentiment se caractérise "par la résistance qu'il oppose à l'intérêt des sens" (Kant) : il y a plus à voir dans la nuit que ce qui intéresse directement le besoin de conservation. De là l'opposition entre le ciel étoilé et la mesquinerie des hommes : innombrables, les astres rendent incompréhensibles les efforts pour soumettre toutes les actions humaines au calcul d'un bénéfice. Il ne s'agit pas encore d'un jugement moral car celui-ci supposerait la comparaison systématique des calamités du jour avec la pureté de la nuit. Il s'agit d'un étonnement esthétique où l'immensité du ciel cesse d'être perçue comme une humiliation par un sujet fini. On se perd dans la nuit non pas parce qu'on y voit moins bien (description privative du lien entre le jour et la nuit), mais parce qu'il y a beaucoup à y voir et peu à y connaître. Le détour par le sublime et par l'enfance permet de mieux saisir ce qui fait obstacle à la nuit. Celui qui regarde comme on calcule ne voudra pas s'aventurer dans une nuit qui ne lui promet aucun bénéfice. Face à des étoiles innombrables, la tentation est forte de détourner le regard ou d'illuminer le ciel noctune pour le rapprocher de nos préoccupations. La raison instrumentale n'admire que les spectacles prévisibles, du type de ceux que l'on peut voir à Las Vegas. Mais, comme toute l'œuvre de Kant en témoigne, la raison instrumentale n'est pas le tout de la pensée. L'enfant en est un bon exemple, lui qui n'a pas encore appris à réduire la réalité à ce qui est mesurable. Une expérience nocturne permet à chacun de désapprendre à compter en voyant. Contrairement aux apparences, cette manière de se laisser impressionner par les choses n'est nullement étrangère aux Lumières.≫
(Michaël Fœssel, La nuit.Vivre sans témoin, 2017)
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