« ―L'ÉTRANGER : Le mouvement est donc le même et pas le même : il en faut convenir et ne s'en point fâcher. C'est que, lorsque nous le disons le même et pas le même, ce n'est point sous les mêmes rapports. Quand nous le disons le même, en effet, c'est sa participation au "même" par rapport à soi qui nous le fait dire tel. Quand nous nions qu'il soit le même, c'est en conséquence de la communauté qu'il a avec l'autre, communauté qui l'a séparé du "même" et fait devenir non même, mais autre ; aussi avons-nous le droit de le dire, cette fois, "pas le même".
―THÉÉTÈTE : Absolument.
―L'ÉTRANGER : Si donc, par quelque biais, le mouvement même participait au repos, il n'y aurait rien d'étrange à l'appeler stationnaire ?
―THÉÉTÈTE : Ce serait, au contraire, parfaitement correct... »
(Platon, Le Sophiste)
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«C'est reculer que d'être stationnaire. On le devient de trop philosopher.»
(Charles d'Avray, Le Triomphe de l'anarchie)
Piquant de retrouver du pré-slogan macronien partout ("EN MARCHE !") jusqu'au tréfond de l'Anarchie noire.
RépondreSupprimerPiquant ou navrant. La pratique, toujours la pratique ! Évitons de trop philosopher. Grise est la théorie ; vert est l'arbre d'or de la vie.
SupprimerDisons que sans plus de développement, ça sonne un peu «pensée au poids». Comme si ce qui distinguait Oliver Mellors de Sir Clifford était que l'un réfléchissait moins que l'autre, aboutissant à deux dosages corps-intellect antagonistes. Or il ne s'agit bien que de philosophie, le génie du garde-chasse étant justement de ne pas opposer les sens et la pensée, ce qui lui permet de saisir l'état de mutilation générale de l'humanité industrielle que son patron, pourtant «premier concerné», est inapte à seulement percevoir. C'est une question de rigidité et de fermeture, qui certes menace par nature tout système de pensée, plutôt que de trop ou pas assez, approche qui précisément constitue des œillères philosophiques particulièrement étroites.
SupprimerPour nous, c'est précisément la situation de blocage "pratique" sur laquelle elle débouche qui fait souvent la qualité d'une pensée, et sa vertu émancipatrice. Mais la chose vaut aussi pour le théoricisme moquant la pratique prolétarienne, la vilipendant comme impure, etc. Bref, toute pensée valable se critique elle-même, se trouve elle-même insuffisante. Mais il n'y a qu'elle pour se juger légitimement ; aucune "pratique" ne peut adopter vis-à-vis d'elle une position de surplomb méprisante. On ne philosophe jamais trop, quoi qu'on en vienne presque fatalement, philosophant juste-ce-qu'il-faut, à désespérer de toute pratique.
SupprimerIl me semble que c'est avant tout une question d'attitude. L'une est dans la patiente maturation, l'autre dans le défrichage énergique. Mais au final, ça n'existe pas quelqu'un qui n'aurait aucun acte à soupeser en relation à ses abstractions, pas plus que quelqu'un qui jamais ne prendrait la peine de réfléchir et mettre en perspective ce qu'il fait. On ne peut pas choisir l'une ou l'autre approche, on peut en occulter une, parfois en usant du mépris, mais on ne fait alors qu'instaurer une division artificielle. Dans l'action il y a la pensée latente, dans la pensée il y a le germe de l'action, comme le fruit et la graine se contiennent l'un l'autre.
SupprimerJe sais que vous n'aimez pas les réconciliations, mais si vous mettez l'inconscient de la partie (un inconscient non anémié par le freudisme, j'entends), je crois pourtant qu'on peut arriver à quelque chose de cet ordre-là. Effectivement, cependant, ça n'arrange pas les affaires "révolutionnaires", puisque d'un conflit entre théoriciens et praticiens, ça devient un conflit dans le sujet lui-même, avec suspension immédiate des propositions irrémédiablement dilatoires du style «les gens devraient penser comme-ci et pas comme-ça, faire ceci et pas cela.» Ce qui paradoxalement est bel et bien une manière de replonger au cœur de l'Utopie: la liberté d'autrui étend la mienne à l'infini, liberté que chacun trouvera en se libérant d'abord de lui-même, c'est à dire du sale petit flic que tout le monde traîne, prêt à enchrister tout ce qui empêche l'ordre, établi car bien compris, de dormir d'un sommeil sans rêve.
Le problème avec la théorie politique, c'est qu'elle se donne pour nécessaire : elle se donne pour science. Elle semble, en quelque sorte, inhibée par les reproches de non-scientificité que lui adressent les sceptiques spontanés, rigoureux du langage, de la logique, de la pureté des énoncés, etc... qui sont souvent (mais pas toujours) des individualistes, des libéraux (à l'anglo-saxonne) et des désespérés de la Révolution, voire de la réforme ("il en sera toujours ainsi", "il est impensable de changer l'Homme", etc).
SupprimerLa théorie politique (ou la pratique critique) devrait pouvoir assumer sa part de contingence, de "sublunaire" comme disait
Aristote, c'est-à-dire le fait, double, que toute théorie parle d'abord de celui qui l'émet (le situe) mais qu'elle a, à ce titre même (c'est cela le défi à penser), un intérêt universel.
La "bonne" théorie n'est donc pas la science, mais ne méprise pas la science façon Heidegger disant que cette dernière ne pense pas, en se repliant sur une vérité "immédiate" de type poésie, irrationalité assumée de l'immédiat. La théorie valable est une fragilité théoriquement assumée, non dépassée, non "réconciliée". Elle est donc irrémédiablement souffrance, à l'unisson (toutes proportions et décence gardée) de l'Humanité. La théorie ne gagne pas à la fin. "Le Bien n'est pas ce qui triomphe, mais ce qui résiste à la victoire" (Horkheimer).
C'est vraiment drôle que votre réponse questionne la prétendue scientificité révolutionnaire, parce qu'une première version de la mienne critiquait, dans le même sens, précisément cet aspect théorie-hypothèse que devrait vérifier et valider pratique-expérimentation. Mais finalement j'ai préféré insister sur une approche plus positive, moins duale donc moins bloquée du rapport entre théorie et pratique. L'inconscient faisant ici office de pré-rationnel, poussant pour être reconnu et réfléchi. Un peu comme si la raison était la macula, très étroite et précise, et lui le champ périphérique, beaucoup plus flou mais beaucoup plus large.
SupprimerPour le reste, je crois que nous sommes d'accord sur l'impasse, mais ça m'apparaît plutôt comme un départ qu'une arrivée. Puisqu'on ne peut pas les nier et passer au travers, il faut étudier de quoi sont faits ces murs et qui les a maçonnés exactement. J'ai l'impression que la critique du capitalisme se résume aujourd'hui à en souligner ad nauseam les effets délétères, au point qu'un succès inattendu de sa transformation force verte l'anéantirait pour de bon. Ne resterait, sans le fard de la catastrophe pour la rehausser, que sa part moralisatrice comme quoi consommer fait perdre son âme (d'où punition bien méritée de la Nature, à n'en pas douter). Plus ça va et plus il apparaît qu'elle n'a plus de fer à enfoncer dans la gueule du dragon, bien qu'elle braille sur tous les tons que c'est le moment ou jamais. Elle se contente de prendre les paris («le sens de l'Histoire») sur combien de temps il va encore pouvoir tout cramer avant de crever de faim. Fut un temps, pourtant pas si lointain, où on était capable d'affirmer sans honte qu'on n'était décidément pas né pour se faire chier (et non, ce n'était alors pas d'Amazon dont on rêvait).
N'en déplaise à Lénine, il y a du bon chez Gontcharov.
SupprimerC'est tout à fait ça: rester bien ouvert du clic-clac.
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