mercredi 2 septembre 2020

De la contradiction


Note : Sur la parfaite compatibilité des deux attitudes logico-ontologiques, celle d'Aristote et celle de Hegel, à raison de la pertinence de leur choix d'objets respectif, voir notre récent billet ICI...

«L'histoire de la philosophie connaît deux brèves périodes pendant lesquelles la querelle du principe de contradiction a animé les esprits : l'une est liée au nom d'Aristote, l'autre à celui de Hegel. Aristote formula le principe de contradiction comme loi suprême de la pensée et de l'être [1°) au plan ontologique : "Il est impossible qu'à la fois quelque chose soit et ne soit pas", in Métaphysique B2 ; 2°) au plan logique : "Le principe le plus sûr de tous est celui qui établit que deux jugements contradictoires ne sont pas vrais à la fois", in Métaphysique Γ6 ; et enfin au plan psychologique : "Personne ne peut croire qu'une même chose est et n'est pas comme, selon certains, disait Héraclite, car celui qui parle ainsi ne doit pas croire ce qu'il dit", in Métaphysique Γ3]. Dans une polémique acharnée, empreinte parfois de colère et de mépris, il fustigea tous ceux qui se refusaient à l'admettre : Antisthène et son école, les éristiques de Mégare, les partisans d'Héraclite, les élèves de Protagoras. Il remporta cette bataille ; la force de ses arguments étant telle, ou peut-être la cause défendue si juste que, durant des siècles, personne n'osa contredire ce principe suprême. Il fallut attendre Hegel pour ressusciter les idées qu'Aristote avait enterrées, et nous faire croire que la réalité est à la fois rationnelle et pleine de contradictions. Il rétablit le respect pour les sophistes grecs et inclut les principes d'Héraclite dans son système logique. De nouveau, ces enseignements suscitèrent une discussion passionnée dans laquelle la parole d'Aristote devait servir à confondre Hegel (...). Si les sciences exactes ont connu un développement très importants, la science générale qu'Aristote avait appelée "philosophie première" était restée loin derrière. Elle se proposait d'étudier non pas les êtres particuliers, mais l'être en tant que tel et ses propriétés essentielles, son passé et son avenir, son commencement et son destin. Il faut admettre ouvertement que cette "philosophie première", appelée plus tard métaphysique, a failli outrepasser les fondements posés par le Stagirite. Aussi, depuis Kant, nous répète-t-on que les questions métaphysiques dépassent les facultés cognitives de la raison humaine. 
Le doute subsista un instant : est-ce l'insuffisance de notre raison ou plutôt l'inefficacité et maladresse dans notre façon de traiter les problèmes ? Certes, les questions métaphysiques subtiles requièrent une approche subtile ; la logique aristotélicienne, aussi utile soit-elle pour la connaissance des faits, semble un outil trop grossier pour faire apparaître, dans le chaos des phénomènes, la contradiction fine et précise du monde des essences. Telle fut l'idée de Hegel, qui croyait en la puissance de la connaissance, et que les conclusions sceptiques du criticisme kantien consternaient. Or, Kant soutenait que l'esprit humain, dans son examen du monde en tant que totalité, se précipite immanquablement dans des antinomies et s'enferre dans des contradictions. Hegel se rangea à ce constat, mais n'en conclut pas pour autant que l'essence du monde était inaccessible. Il reconnut pourtant l'existence réelle des contradictions en y voyant un élément de vie et de mouvement. Il créa ainsi une "logique métaphysique" qui ne s'appuyait plus sur le principe de contradiction.»

(Jan Lukasiewicz, Du principe de contradiction chez Aristote

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