mercredi 11 juillet 2018

Pour Pierre Douillard-Lefevre (et tous les autres)


L'arme vantée dans la publicité policière ci-dessus éborgna, voilà plus de dix ans, un certain M. Pierre Douillard-Lefevre, alors adolescent, au cours d'une manifestation à Nantes. L'arme en question était utilisée par un homme, bien entendu. Un homme armé, en sus de cette objective puissance matérielle de feu représentée par le LBD 40 x 46, de la confiance subjective entourant toujours, tel un halo bienfaisant, les professionnels du maintien de l'ordre bourgeois, statutairement assurés de la protection indéfectible de leur hiérarchie, quelque graves et irréparables qu'aient pu être leurs faits de violence avérée. C'est ainsi que la police (comme, d'ailleurs, la gendarmerie) tue, mutile, éborgne, tabasse impunément depuis des lustres. Elle le fait, à dire vrai, partout dès qu'elle surgit au monde en tant que détachement avancé de la déraison d'État. Il existe des bouchers, lesquels exécutent des veaux, tranchent et découpent des volailles ou des porcs. C'est là leur corps de métier, leur savoir-faire spécialisé. La police, quant à elle, tue, mutile, éborgne, tabasse des prolétaires de banlieue, des bourgeois révoltés, des écologistes rêveurs, des paysans insoumis. Elle n'est, de ce point de vue, pas sectaire et, certes, nullement hostile à la diversité. Elle est même parfois de gauche pour le social, quoique, pour les valeurs, bien sûr, elle soit souvent raciste. Peu nous importe. Tout policier est toujours infâme, n'étant que son métier, lequel est infâme par principe. 

Or, il arriva, ces jours derniers, pour des raisons extrêmement mystérieuses (voir le communiqué ci-dessous), que le mécanisme innocentiste de la machine judiciaire se grippa notablement en la matière, au point que telle brute policière ordinaire se vit soudain un tantinet rappelée à la morale et à la responsabilité élémentaires, en tout cas à leur ombre, en passant par le portefeuille. Émouvante pudeur légaliste formant, comme nous le savons toutes, l'antichambre moderne des meilleurs sentiments humains. Quoi qu'il en soit, ne boudons pas ici notre contentement. Cela ne rendra pas leur oeil, certes, ni à M. Douillard-Lefevre ni à Mme Kebe, de Villemomble, ni sa main au dernier amputé de la ZAD de Notre-dame-des-landes, ni sa vie à Aboubakar Fofana, assassiné l'autre soir non loin de là, d'une balle dans le cou par un CRS. Il n'empêche. Le droit bourgeois, dans la parodie spécialement grossière de justice qu'il incarne tous les jours, renvoie invinciblement, et non sans paradoxe, vers une autre forme de droit : imaginaire, et naturel celui-là, présent a priori au coeur de l'humanité. Un peu comme le mensonge, si vous voulez, le plus criant et outrancier renverrait en lui-même, négativement, de quelque façon étrange, évocatrice, aux séductions évidentes de la vérité.  


***

Communiqué de Pierre Douillard-Lefevre,

Nantes, le 6 juillet 2018,

Le 27 novembre 2007, un policer tirait au LBD 40 (un « super Flah-Ball », arme alors expérimentale) sur une manifestation de lycéens à Nantes. À l’age de 16 ans, j’étais gravement blessé au visage par une balle en caoutchouc, et perdait l’usage d’un œil. En 2012, le policier tireur était considéré comme « responsable mais pas coupable », et relaxé pénalement par le Tribunal de Nantes. Nous avons donc décidé de poursuivre la chaîne de commandement du tireur, à savoir l’État. En 2016, le Tribunal Administratif de Nantes déclarait l’État responsable de la mutilation, et condamnait la préfecture. Pour la première fois, la justice reconnaissait l’extrême dangerosité de cette arme. Quelques jours plus tard, le ministère de l’intérieur faisait appel de cette condamnation. Ce vendredi 6 juillet au matin, au terme de 11 ans de procédures, la cour d’Appel du Tribunal Administratif a rendu son arrêt. Sans doute le point final de cette affaire. 

La condamnation de l’État est confirmée, et très largement alourdie. Le tribunal souligne la dangerosité du LBD 40, son caractère expérimental au moment des faits, et l’absence de menaces à l’égard des forces de l’ordre au moment du tir. L’État est déclaré responsable à 90% des dommages causés. « La faute de l’intéressé se borne à s’être maintenu à proximité immédiate des manifestants […] » écrit l’arrêt. Je déplore ce partage des responsabilité, même minime, qui remet en cause le droit de manifester. 

Il s’agit d’une grande victoire, la première pour ce type d’affaire. Depuis 2007, près de 50 personnes ont été mutilées après avoir reçu des balles en caoutchouc ou des grenades tirées par la police, et trois en sont mortes. Cette victoire doit permettre d’enrayer l’impunité d’une police de plus en plus lourdement armée. 

Ce verdict survient à Nantes dans des circonstances particulières, alors qu’un CRS a tué le 3 juillet Aboubakar, âgé de 22 ans, dans le quartier du Breil, d’une balle dans le cou. L’usage de plus en plus fréquent de tirs à balle réelle par les forces de l’ordre est la conséquence directe de la militarisation du maintien de l’ordre. Les Flash-Balls et LBD 40 ont banalisé l’acte de tirer sur des individus, d’appuyer sur la détente, un geste qui était jusqu’alors considéré comme exceptionnel. Ces dernières années, le recours aux armes à feux par la police explose. 

Rappelons que ce sont les habitants et habitantes des quartiers populaires qui sont les premiers touchés par les violences policiers, et que la plupart des personnes mutilées que nous avons recensées sont des jeunes habitants de banlieue. 

Cette victoire judiciaire est une étape importante pour enrayer la montée des violences policières et la militarisation du maintien de l’ordre. J’invite tous les blessés par la police à entamer, comme moi, un recours pour faire condamner l’Etat au Tribunal Administratif.

Pierre Douillard-Lefevre

5 commentaires:

  1. Le concept de sublétal est déjà lui-même tout un programme : « Ne tue qu'avec la Providence », permettant ainsi de tirer sur la foule comme au bon vieux temps.

    L'idée est peut-être plus ancienne, mais il semble qu'au Nicaragua les manifestants se soient équipés de mortiers artisanaux, comme la réponse du berger à la bergère (certes bien plus déchaînée que les nervis d'ici).

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    1. Daniel Ortega aurait eu toute sa place à l'intronisation d'Erdogan, en son palais, aux côtés de son camarade vénézuélien Maduro.
      Mais il faut croire qu' on ne peut être au four et au moulin.

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    2. Le Sultan a effectivement la gagne en ce moment, mais il pourrait bientôt avoir mangé son pain blanc. Après la reconquête du Sud qui semble inévitable, le régime syrien va à nouveau regarder vers le Nord. Si on compte en plus que les tractations actuelles entre Poutine et Trump pourraient bien aboutir au retrait des Américains qui n'ont aucune perspective dans le coin et veulent éviter un nouveau bourbier, Erdogan va devoir jouer très serré avec l'immense réserve de djihadistes qu'il administre actuellement. Sa seule issue sera une victoire décisive contre Assad qui lui permette de maintenir l'occupation turque, ce qui ne sera pas une partie de plaisir (les Russes n'attaqueront pas l'armée turque, mais continueront à soutenir activement les opérations « anti-terroristes » contre ses sous-traitants). Sans cela, il faudra bien qu'il trouve un autre vivarium pour les serpents qu'il a élevés, or tous ceux qui ont essayé ce genre d'opération avant lui se sont fait mordre.

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    3. Billard à trente bandes, comme toujours. 1°) Assassad risque de dealer maintenant avec les Kurdes pour entretenir, par exemple, l'insécurité d'une guérilla YPG anti-turque à Afrin (colonie de peuplement djihadiste), étant donné que Trump veut se barrer, et obtenir par là de Poutine le départ conjoint des Iraniens de Syrie. Les Kurdes vont ainsi, en toute logique, une fois de plus, simplement éviter de se faire massacrer à grande échelle en jouant de plus en plus la carte loyaliste syrienne, mais 2°) Assad risque très probablement de les massacrer quand même, 3°) Poutine est en lien industriel et politique fort avec Erdogan : il ne tient plus des masses son protégé Assassad, qui le gêne, comme vous le faites justement remarquer, 4°) Le haut commandement ricain sait très bien à quoi s'en tenir sur Erdogan, son soutien transcendantal à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un djihadiste, et ledit commandement s'oppose au projet de retrait trumpien : il sait que daesh n'est pas "terminé" et ne veut pas refaire la connerie de l'Irak (désengagement catastrophique suite à invasion calamiteuse). Ils tireront donc médiatiquement le plus longtemps possible sur cette corde "sécuritaire" (genre : "nous resterons des années s'il le faut, tant que la menace ne sera pas complètement éradiquée"), d'autant qu'il y a des champs de pétrole à ne pas abandonner aux Russes, ni aux Iraniens... 5°) Si Assassad attaque les djihadistes de Idlib et d'Afrin, où croyez-vous que ces derniers iront ? En Turquie, dernière frontière européenne. D'où l'inquiétude des Macron-Merkel, et une possibilité de chantage maintenue pour le Grand-Turc au cas - très prévisible - où son économie s'effondre totalement dans les prochains mois. L'idée, à notre avis, sera donc de naviguer au jour le jour en maintenant cette espèce de zone-tampon djihadiste du Rojava-ouest qui arrange un peu tout le monde. Sauf les Kurdes, certes, soumis à l'impérialisme colonial de la Charia sunnite depuis des mois, et pour encore très longtemps. Mais bon : qui se soucie d'eux (et d'elles), n'est-ce pas ?

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    4. Oui, c'est à peu près ça. À part que 3) Poutine semble surtout vouloir calmer la zone pour pouvoir faire du business et ainsi profiter de ses relations bonnes à correctes avec tous les acteurs du coin (rappelons qu'il y a aussi des milliards de dollars de contrat avec la Syrie pour l'exploitation de ses ressources et sa reconstruction, de même que Tartous, en plein pays alaouite, est stratégique pour la marine russe). Contrer l'influence américaine dans le coin, c'est bien, mais si s'est pour s'embourber dans les conflits régionaux, ça pourrait tourner à la victoire à la Pyrrhus ; que 1) c'est déjà le cas, les YPG attaquant depuis les zones tenues par le régime ; et que 3) daesh tient principalement dans l'asile de fait que lui procurent les Américains à l'est de l'Euphrate, ce qui gonflent Assad et ses copains bien sûr, mais aussi les Irakiens qui font face à ses incursions. De quoi alimenter un ressentiment qui se transformera tôt ou tard en soldats morts.

      Bref, curieux de voir comment Erdogan va se tirer de son aventure syrienne (pour ce qui est des réfugiés, d'ailleurs, Assad essaie de négocier leur retour contre la fin des sanctions internationales, un bien meilleur marché, si on fait fi de l'éthique, que ce que propose Erdogan actuellement). Même si ça reste du pur mauvais esprit, car dans tous les cas, il est hélas certain, le sort des Kurdes ne va pas s'améliorer...

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