lundi 31 janvier 2022

Bouleversant d'émotion !

Spinozisme (hétérodoxe)


≪L'homme ne doit jamais tomber dans l'erreur de croire qu'il est seigneur et maître de la nature... Il sentira dès lors que dans un monde où les planètes et les soleils suivent des trajectoires circulaires, où des lunes tournent autour des planètes, où la force règne partout et seule en maîtresse de la faiblesse, qu'elle contraint à la servir docilement ou qu'elle brise, l'homme ne peut pas relever de lois spéciales. ≫

(Adolf Hitler, Mein Kampf)

dimanche 30 janvier 2022

Conte d'hiver

≪Plutôt bien pendu que mal marié !≫

(Shakespeare, La Nuit des Rois, I, 5)

vendredi 28 janvier 2022

Émergentisme et effet de Seuil

                                    (Au Seuil, sortie : janvier 21, 384 pages, 17 euros) 

«Pendant des millénaires, avant que la biologie ne vienne tout embrouiller [sic], ce que l’on appelle à présent “le vivant” était plutôt l’animé — ce qui est doté d’une âme. En latin, en grec, en hébreu et dans tant d’autres langues, la notion d’âme —anima, psyché, rouakh— renvoie au souffle, au vent, à la respiration. Ce qui est vivant est donc ce qui est traversé, traversé d’un souffle. Vivre, ce n’est pas être un centre organique autogène, ni même une volonté de puissance ou une forme d’organisation — c’est participer de ce qui nous entoure. C’est être en état de participation cosmique.»

                                (Manifeste conspirationniste)

                  ***
Quoi qu'il puisse se trouver des dialecticiens stupides, il ne saurait exister de réductionnisme intelligent. La célèbre et pathétique sentence d'un Changeux le prouve assez, lequel assimilait purement et simplement, au début de la contre-révolution libérale des années mil neuf cent quatre-vingt (dans son Homme neuronal), émergentisme et vitalisme, promettant au premier (du haut de sa suffisance neuroscientiste) le sort que la biologie moléculaire avait, selon lui, déjà réservé au second, à savoir le coup de massue définitif, suivi de l'extinction rapide. Or, l'émergentisme (il sera possible de nommer autrement, à volonté, une telle tendance foncièrement dialectique) reste incontestablement bien vivant, à proportion, précisons-le, de la charge critique et rationnelle qui lui sera associée. Notre émergentisme spontané pourrait ainsi, par exemple, se définir comme suit : toute habitude intellectuelle consistant à rechercher, derrière des choses ou des faits présentés comme semblables, une vérité de rapports complexes émergents permettant à la fois, dans le même mouvement, d'amalgamer ces faits et choses, et de les distinguer radicalement. C'est cette complexité qui fatigue le réductionnisme, le décourage et le dépasse. Le réductionnisme n'apprécie rien moins que les discours compliqués susceptibles de venir lui casser sa petite planète substantialiste, son joujou-clé du monde simpliste capable, seul, de lui ouvrir enfin les portes de la grande Authenticité mystique, éprouvée sans paroles. Le stalinien, le nazi, le monothéiste à l'ancienne ou le libéral d'avant-garde jouissent également de ce bonheur du grand Principe unique (le ≪Matérialisme≫, le Peuple, Dieu, le Marché) auquel on sacrifie tout, ce grand Principe transcendant toute nuance, toute explication, toute réflexion déjà menaçante. L'extrait du texte contemporain ci-dessus représente une illustration canonique du genre, saupoudrage resucé, et laidement rhapsodique, de tout ce qui se fit de pire et de plus efficace, hélas ! en matière d'irrationalisme au siècle dernier, qui continue grave d'empester l'atmosphère. Une colère monstre, donc, se trouve déployée là contre le discours ≪qui embrouille tout≫ — la biologie, en l'espèce, mais de manière générale : tout jugement d'entendement tenté de distinguer, de morceler quelque peu l'intuition suprême. Symétriquement, la mobilisation générale est proclamée, en défense d'une soi-disant ≪participation cosmique≫ sentant fort sa vieille bergerie de l'Aître mais dont la niaiserie alpestre signifierait (donc) suffisamment... la vie. La vie en soi, la vie seule, la vie unique tout entière réduite à un même souffle embrassant, d'un sublime baiser absolu (rappelez-vous ce Monologue du Virus d'un autre moment délirant récent) les singes, les algues, le SRARS-Cov2, les pierres ou les membres humains, par exemple, des éditions de la Fabrique. Il était dit, à l'époque (et la chose est encore rappelée dans l'extrait ci-dessus du Manifeste conspirationniste) que l'adversaire épistémologique, c'était le sujet. Le sujet, le pôle d'unité  (ou ≪centre organique autogène≫ ; ou ≪forme d'organisation≫, etc), pour ces gens abreuvés dès leur plus jeune âge du lait foucaldien et heidegerrien, nourris au ressentiment antidialectique universitaire de production typiquement française, le sujet, donc, c'est le mal. Car tout sujet renvoie au sujet logique, à l'organisation de la phrase, seule capable de faire émerger un sens. En résumé, le sujet renvoie par principe à toute une philosophie de la syntaxe dont l'ontologie d'Aristote, en particulier, fournit le suprême exemple, certes aporétique. À ce mal subjectif (donc rationnel) s'opposerait un bien : la prolifération anarchique de ≪formes≫ de vie acéphales, dont la forme n'est au fond rien qu'une pauvre blague, puisqu'elle ne décide de rien quant à sa matière, et que cette dernière, en revanche, sans cristalliser jamais, ne manque, quant à elle, ni de projet ni de capacités stratégiques. On comprend la détestation portée à la biologie qui embrouille tout par ces sectateurs vitalistes de l'ontologie modale décentralisée. La moindre cellule du moindre animal n'est-elle cependant point porteuse d'un certain projet central ? La forme d'un tel projet n'en impose-t-elle pas de manière génétiquement évidente à sa matière ? Le Logos de Hegel et Aristote n'ont-ils pas eu raison contre Bergson, comme le rappelait Canguilhem ? Nul besoin d'être un sujet, rétorquent nos conspirationnistes du jour, pour élaborer des buts, des stratégies, des pensées, pourquoi pas ! mais qui n'auraient alors rien de distingué à opposer à cette matière, cette grande vie indifférenciée fournissant l'énorme principe bien commode de tout. Mais ≪la vie≫, n'en déplaise à ces messieurs-dames qui la cherchent partout sans fin, n'existe ni comme souffle archaïque, ni comme aucun autre principe isolable. Ce qui existe, c'est précisément la différence vitale, laquelle n'est accessible qu'à l'esprit. Cet esprit proprement humain qui, seul, par l'entremise de son sujet logique, se trouve apte à comprendre qu'il n'existe lui-même qu'en tant qu'extrémité de processus matériel (ou naturel) s'étant tragiquement oublié comme tel. Le paradoxe pénible restant que nos vitalistes, prétendant gagner sur tous les tableaux de la confusion, demeurent en guerre (officielle) ouverte contre de prétendus ennemis bio-politiciens prétendant, à les croire, entretenir, gérer, voire parfois même produire si besoin cette fameuse vie nue qu'ils prétendent eux-mêmes avoir découvert et percé à jour comme souffle transcendantal. Mais bref : au-delà de cette ineptie reconnue, encore et encore, à ce concept foireux de bio-politique dans tous ses variants possibles (plus ou moins virulents et agressifs pour les poumons et le cerveau), le conflit reste donc le même entre partisans, d'un côté, de l'immédiateté, de l'irréflexion, de l'irrationalisme, et ceux de la médiation (ennemis reconduits de l'enthousiasme absolutiste). Les premiers ont toujours pour eux la séduction, à caractère largement juvénile (qui dure, ou prétend durer) et la prétention perpétuelle à l'espérance, le plus souvent très mal comprise, c'est-à-dire théologiquement (d'où leur fascination récurrente pour le kabbalisme, dont on leur Segré, ou toute autre mysticité archaïque et/ou gnostique produite en quantité suffisante sur le marché actuel conjoint de la dépression et du développement personnel). Les amis de la médiation, de leur côté, sont - il est vrai ! souvent grandement ennuyeux, rabat-joie, pessimistes. Ils ne voient pas la rose dans la croix du présent, certes. C'est déjà ça. Et ce monde les dégoûte bel et bien, principalement dans le dévoiement qu'il incarne de la raison. Mais on les trouve bien indécis au moment de l'attaque, saturés d'un doute paralysant préjudiciable à l'entertainment, à la sacro-sainte ≪Praxis≫ jugée par eux, pour l'heure, largement corrompue dans l'oeuf (sauf le jaune, parfois, pour peu qu'il porte gilet) et impossible. En attendant mieux, il leur reste néanmoins le corpus imposant, et renouvelé par roulement semestriel, des textes à visée conspirationniste-blanquiste-vitaliste, à lire et relire au lit, au matin, histoire de rigoler un peu. En constatant que, décidément, rien ne change au pays du Bloom. 

mardi 25 janvier 2022

Du mouvement dans la volaille

«La CFDT a choisi un autre mode d'action : les mobilisations sectorielles. On a eu des mouvements dans la volaille, dans telle ou telle entreprise, c'est comme ça qu'on obtient des résultats !» 
(Laurent Berger, poule jaune, 
annonçant aujourd'hui sa non-participation 
à la journée de grève unitaire du 27 janvier 2022)


                            

La meilleure nouvelle de la semaine

(Le Monde, 25-01-22)

dimanche 23 janvier 2022

Di questo pianeta

 
≪Ah ! on s'en souviendra, 
de cette planète...≫ 

(citation de Villiers de l'Isle-Adam, 
sur la tombe de Leonardo Sciascia, Racalmuto, Sicile)

mardi 11 janvier 2022

Misanthropie, Misologie et Dialectique

Le misanthrope (Brueghel l'Ancien, 1568)

≪Mais avant tout mettons-nous en garde contre un danger.
─ Lequel ? dis-je.
─ C'est, dit-il, de devenir misologues, comme on devient misanthrope ; car il ne peut rien arriver de pire à un homme que de prendre un haine les raisonnements. Et la misologie vient de la même source que la misanthropie. Or la misanthropie se glisse dans l'âme quand, faute de connaissance, on a mis une confiance excessive en quelqu'un que l'on croyait vrai, sain et digne de foi, et que, peu de temps après, on découvre qu'il est méchant et faux, et qu'on fait ensuite la même expérience sur un autre. Quand cette expérience s'est renouvelée souvent, en particulier sur ceux qu'on regardait comme ses plus intimes amis et ses meilleurs camarades, on finit, à force d'être choqué, par prendre tout le monde en aversion et par croire qu'il n'y a absolument rien de sain chez personne. N'as-tu pas remarqué toi-même que c'est ce qui arrive ?
─ Si, dis-je.
─ N'est-ce pas une honte ? reprit-il. N'est-il pas clair que, lorsqu'un tel homme entre en rapport avec les hommes, il n'a aucune connaissance de l'humanité ; car s'il en avait eu quelque connaissance, en traitant avec eux, il aurait jugé les choses comme elles sont, c'est-à-dire que les gens tout à fait bons et les gens tout à fait méchants sont en petit nombre les uns et les autres, et ceux qui tiennent le milieu en très grand nombre.
─ Comment l'entends-tu ? demandai-je.
─ Comme on l'entend, dit-il, des hommes extrêmement petits et des hommes extrêmement grands. Crois-tu qu'il y ait quelque chose de plus rare que de trouver un homme extrêmement grand ou petit, et de même chez un chien ou en toute autre chose ? ou encore un homme extrêmement lent ou rapide, beau ou laid, blanc ou noir ? N'as-tu pas remarqué qu'en tout cela les extrêmes sont rares et peu nombreux et que les entre-deux abondent et sont en grand nombre ?
─ Si, dis-je.
─ Ne crois-tu pas, ajouta-t-il, que, si l'on proposait un concours de méchanceté, ici encore on verrait que les premiers seraient en fort petit nombre ?
─ C'est vraisemblable, dis-je.
─ Oui, c'est vraisemblable, reprit Socrate ; mais ce n'est pas en cela que les raisonnements ressemblent aux hommes - c'est toi qui tout à l'heure m'as jeté sur ce sujet et je t'ai suivi - ; mais voici où est la ressemblance. Quand on a cru, sans connaître l'art de raisonner, qu'un raisonnement est vrai, il peut se faire que peu après on le trouve faux, alors qu'il l'est parfois et parfois ne l'est pas, et l'expérience peut se renouveler sur un autre et un autre encore. Il arrive notamment, tu le sais, que ceux qui ont passé leur temps à controverser finissent par s'imaginer qu'ils sont devenus très sages et que, seuls, ils ont découvert qu'il n'y a rien de sain ni de sûr ni dans aucune chose ni dans aucun raisonnement, mais que tout est dans un flux et un reflux continuels, absolument comme dans le détroit de l'Euripe, et que rien ne demeure un seul moment dans le même état.
─ C'est parfaitement vrai, dis-je. 
─ Alors, Phédon, reprit-il, s'il est vrai qu'il y ait des raisonnements vrais, solides et susceptibles d'être compris, ne serait-ce pas une triste chose de voir un homme qui, pour avoir entendu des raisonnements qui, tout en restant les mêmes, paraissent tantôt vrais, tantôt faux, au lieu de s'accuser lui-même et son incapacité, en viendrait par dépit à rejeter la faute sur les raisonnements plutôt que de s'en prendre à lui-même, et dès lors continuerait toute sa vie à haïr et rabaisser la Raison, se voyant ainsi privé de la vérité et de la connaissance de la réalité ?
─ Oui, par Zeus, dis-je, ce serait une triste chose. ≫

(Platon, Phédon, 89a)

lundi 10 janvier 2022

Les habits neufs du génie décolonial


≪Le Président Mao est le grand libérateur des peuples révolutionnaires du monde [sic]≫ 
(dessinateur inconnu, 1968).

≪L’alliance de la synthèse philosophique et de l’analyse stratégique militante telle qu’elle s’est largement scellée au cours des XIXe et XXe siècle chez Marx, Lénine, Antonio Gramsci, Mao, Kwame Nkrumah, Frantz Fanon, Angela Davis, parmi beaucoup d’autres, a produit des effets qui ont changé la face du monde.≫

(Norman Ajari, sur le site Lundi-Matin, 10-01-2022 )

mercredi 5 janvier 2022

Un bon coup de pouce (dans la gueule)

 


«L’idée principale du paternalisme, c’est qu’il faut protéger les gens d’eux-mêmes car ils ne savent pas ce qui est bon pour eux ou parce qu’ils sont trop déficients intellectuellement pour prendre les bonnes décisions concernant leur propre vie. C’est une forme de limitation de la liberté de se nuire à soi-même. Dans certains contextes, c’est l’État qui est censé agir dans ce sens. Dans d’autres, ce sont seulement des personnes privées. Les moyens utilisés pour amener les gens à se conduire pour leur plus grand bénéfice personnel peuvent être purement incitatifs. Mais le paternaliste n’exclut pas l’usage de la menace ou de la force, c’est-à-dire de moyens coercitifs. 

(…).

On tend aujourd’hui, dans les sociétés démocratiques qui respectent les libertés individuelles et valorisent l’autonomie personnelle à abandonner les formes les plus ouvertes, les plus coercitives de paternalisme. Dans ces sociétés, on cherche plutôt à exploiter les acquis de la psychologie moderne pour amener, sans jamais les forcer, les gens à agir dans le sens de leurs intérêts supposés. C’est dans cet esprit que le juriste Cass R. Sunstein a développé, avec l’économiste Richard H. Thaler, la théorie dite du «Nudge», un mot qui signifie «donner un coup de pouce», «encourager». Sous ce nom amusant, un nouveau paternalisme, dit «libéral» ou «libertaire», est né qui est censé rompre avec le paternalisme autoritaire d’autrefois. Ce paternalisme nouveau aurait seulement pour objectif d’aider les gens à prendre la meilleure décision pour ce qui concerne leur propre vie en exploitant certaines contraintes psychologiques communes à tous les humains : la difficulté à raisonner statistiquement, la plus grande sensibilité à la perte qu’au gain, la préférence pour le présent ou pour le statu quo, etc (…). Il s’agirait d’un paternalisme «libéral» ou «libertaire» parce qu’il respecterait, selon ses promoteurs, l’autonomie et la liberté des personnes. C’est certainement une idée paradoxale. Que peut vouloir dire «respecter l’autonomie et la liberté des personnes» quand on les manipule à leur insu en jouant sur certaines contraintes psychologiques propres à tous les humains ? 

(…) 

Les sociétés de marketing au service des grandes entreprises capitalistes exploitent les contraintes psychologiques qui pèsent sur l'esprit des gens dans le but de les manipuler, de les amener à consommer toutes sortes de produits nocifs ou inutiles. C'est un programme qu'on peut avoir des raisons de juger immoral. Mais on peut jouer sur les mêmes contraintes dans un but complètement différent qui n'a rien d'immoral : amener les gens à faire ce qui est le mieux pour eux de leur propre point de vue. C’est cela, l’idée du «Nudge». Ainsi parée des habits de la moralité, elle peut sembler séduisante. Mais que signifie-t-elle pratiquement ? Les promoteurs du «Nudge» ne se lassent pas de donner l’exemple suivant pour expliquer leur conception. 

Dans une cafétéria, la meilleure façon de faire en sorte que les gens mangent conformément à leurs intérêts consiste à disposer les plats de telle façon que les meilleurs (ou les moins mauvais) pour la santé soient les plus accessibles. En effet, ce sont ces plats qui seront sélectionnés en priorité en raison d’une contrainte psychologique qui nous pousse à choisir le statu quo et l’option dite «par défaut», c’est-à-dire, dans ce cas, à nous satisfaire de ce qu’on nous présente et à ne pas chercher trop loin et trop longtemps une autre solution. 

Pour ses promoteurs, le paternalisme «Nudge» n’anéantirait pas l’autonomie et la liberté des gens en les amenant à faire ce qui est bien pour eux sans qu’ils soient conscients du dispositif qui les a conduits dans cette direction. Car ils agiraient tout de même en vertu de leurs propres valeurs et sans perdre la possibilité pratique de faire un autre choix. Mais on peut voir aussi le «Nudge» comme une forme de manipulation, construite à l’insu des citoyens au nom d’une idée préconçue de ce qui est bien pour tout le monde. (…) Ainsi, la mise en place de dispositifs destinés à nous faire choisir des produits «bio» dans une cantine ignore l’indifférence à leur propre santé de certains consommateurs, choix de vie aussi respectable que n’importe quel autre (à mon avis). 

(…) 

Finalement, le «Nudge» repose sur les mêmes bases politiques et morales que le paternalisme autoritaire. Il veut induire des comportements supposés bons «objectivement» ou bons pour tous sans tenir compte des conceptions que les personnes se font de leur propre bien. Le «Nudge» serait-il moins exposé à cette objection s’il était transparent, c’est-à-dire si les consommateurs étaient avertis du fait qu’on essaie de les manipuler dans le sens de leurs meilleurs intérêts supposés ? Je ne crois pas. Imaginons qu’une pancarte prévienne les clients d’un self-service que les produits ont été disposés sur le présentoir selon un plan qui les amènera très probablement à choisir ceux qui sont «bio» tout en leur précisant qu’ils restent libres de choisir les autres (comme si cela n’allait pas de soi). Si la théorie du «Nudge» est correcte, cela ne devrait rien changer à leur comportement. Les clients de la cantine devraient choisir les produits «bio» même s’ils savent qu’ils ont été induits à le faire par un dispositif qui joue sur leurs faiblesses intellectuelles. En effet, selon la théorie du «Nudge», ce qui détermine nos conduites, ce sont nos biais cognitifs : tendance à l’inertie, à choisir les produits les plus accessibles, à valoriser les biens acquis, etc. Or, ces biais sont des contraintes psychologiques auxquelles nous sommes censés ne pas pouvoir résister, même lorsque nous sommes conscients du fait qu’elles sont exploitées pour nous faire agir dans un sens qui n’est pas nécessairement celui de nos préférences personnelles.»

(Ruwen Ogien, Mon dîner chez les cannibales, Journal philosophique, 2016) 

samedi 1 janvier 2022

2022 : une première tendance se dessine !

      Allez tous vous faire mouettes !

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