jeudi 4 novembre 2021

Ce grand remplacement transcendantal : la Vie !

«Maintenant ils étaient vieux, ils étaient tout usés, "comme de vieux meubles qui ont beaucoup servi, qui ont fait leur temps et accompli leur tâche", et ils faisaient parfois (c'était leur coquetterie) une sorte de soupir sec, plein de résignation, de soulagement, qui ressemblait à un craquement.
Par les soirs doux de printemps, ils allaient se promener ensemble, "maintenant que la jeunesse était passée, maintenant que les passions étaient finies", ils allaient se promener tranquillement, "prendre un peu le frais avant d'aller se coucher", s'asseoir dans un café, passer quelques instants en bavardant.
Ils choisissaient avec beaucoup de précautions un coin bien abrité ("pas ici : c'est dans le courant d'air, ni là : juste à côté des lavabos"), ils s'asseyaient - Ah ! ces vieux os, on se fait vieux. Ah ! Ah !" - et ils faisaient entendre leur craquement.
La salle avait un éclat souillé et froid, les garçons circulaient trop vite, d'un air un peu brutal, indifférent, les glaces reflétaient durement des visages fripés et des yeux clignotants.
Mais ils ne demandaient rien de plus, c'était cela, ils le savaient, il ne fallait rien attendre, rien demander, c'était ainsi, il n'y avait rien de plus, c'était cela, "la vie".
Rien d'autre, rien de plus, ici ou là, ils le savaient maintenant.
Il ne fallait pas se révolter, rêver, attendre, faire des efforts, s'enfuir, il fallait juste choisir attentivement (le garçon attendait), serait-ce une grenadine ou un café ? crème ou nature ? en acceptant modestement de vivre - ici ou là - et de laisser passer le temps».

(Nathalie Sarraute, Tropismes)

8 commentaires:

  1. Nathalie Ça-rote Le Mensonge, (1966) écrit pour la radio :

    « Pierre — Mais comment faire ? C’est là en moi…

    Jacques — Quoi ? Qu’est-ce qui est là ?

    Pierre — Les faits. La vérité. C’est là.

    Jacques — D’abord commencez par ne pas appeler ça la vérité. Changez son nom. C’est un nom, dès qu’on le prononce, il m’impressionne. On se cramponne […] »

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    1. L'Être comme vrai : l'un des quatre sens de l'Être. Sans doute. Le problème, quand on est possédé par le démon de l'analogie, c'est que les quatre sens convergent analogiquement Et qu'un Être-vrai coupé d'un Être fondamentalement lié aux catégories, à la logique, à la prédication, serait un être impossible, mort-né. Un Être pour la mort. C'est en cela que ce Jacques ("LECON") s'effraie d'une vérité qui serait rationnelle : il lui préfère un Être "immédiat", "vécu", qui aurait, en outre, le mérite de lui préserver son gagne-pain de psychanalyste heidéggerien millionnaire.

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    2. Le ça que Jacques ne veut pas appeler la vérité, ce sont les faits avancés par Pierre. Et son effroi vient de ce qu'ils le rendent honteux, déni donc, dans la pièce. L'intéressant est que Sarraute ne laisse rien apparaître des faits en question, ce qui généralise l'affaire à "les faits disent-ils la vérité ?", au-delà de l'histoire, même pas racontée.

      "Il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations" écrivait Nietzsche, brutalement. Or, Barbara Stiegler vient de nous dire (49e min. et suivantes) comme cette formule a été incomprise, par Foucault en particulier.

      Cela ne signifie pas qu'on peut dire ce qu'on veut entendre du réel — bien que beaucoup le fassent —, mais que les interprétations ne se valent pas ; ni que les vérités sont plus ou moins vraies, mais que chacune est complètement plus vraie que toutes les autres.

      La vérité ne fabrique pas les faits, sans quoi elle serait exactement le mensonge, même pas l'ignorance ni la fausse conscience. Il n'y en a qu'une vérité par point de vue qualitatif. La vérité est faite des faits, mais ceux-ci, muets, sont cependant agissants, effectifs, wirklich et apparaissent alors d'autant plus vrais qu'ils sont conçus, compris : que nous les prenons ensemble par la pensée ; et d'autant moins que nous les enregistrons en les isolant comme choses séparant les faits les uns des autres. C'est cette aptitude à la synthèse qui nous permet de distinguer.

      Dans les fiches de lecture sur Marx et Hegel du Guy, publiées à L'Echappée, on peut lire une approche de la totalité qu'il retient de Rosa Luxembourg (p. 199) : "Le point de vue de la totalité ne détermine cependant pas seulement l'objet, il détermine aussi le sujet de la connaissance." Cette phrase passerait pour totalitaire, abjectement universaliste, au regard relativiste. Et je suis bien content que quelqu'un aborde la totalité de la connaissance par la pente nietzschéenne. D'où ce renvoi à Stiegler, la fille.

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  2. "ni que les vérités sont plus ou moins vraies, mais que chacune est complètement plus vraie que toutes les autres".
    - Vous voulez dire (ou Madame Stiegler, je ne sais pas) ? : que chaque vérité est "complètement plus vraie" (mais qu'est-ce que veut dire cela ?) que tous les discours se donnant pour vrais, mais cependant faux ?

    Bouveresse suggérait qu'il serait trop facile d'exonérer Nietzsche de ses ambiguïtés sur la vérité, en mettant tout sur le dos de Foucault. Et une fois encore, une logique rationnelle, dialectique et contradictoire ne peut être acceptable que sur une base d'entendement où les faits comptent, afin d'être, ensuite, dépassés. Pas certain (c'est une litote) de suivre la voie de Mme Stiegler sur l'analyse spontanée qu'elle propose du traitement social et idéologique (macronien) de la pandémie covid, par exemple. La disqualification du complotisme n'est pas qu'une obsession rationaliste à courte vue (macronienne). Le macronisme est un outrage à la vérité, certes, mais pas du même ordre, et de la même gravité, que l'outrage commis par le naturopathe nazi du samedi qui croit que la 5G des Juifs lui transmettra le virus de la démocratie pédophile-migrante. Les faits ont leur dignité propre, insuffisante, certes. Quant à la pensée de Nietzsche, elle peut servir d'excitant, pas de boussole (fût-elle déboussolante : la critique des boussoles et des cartographistes doit demeurer l'oeuvre de la Raison, laquelle, en dernière analyse, demeure attentive à ce qui est, et donc d'abord aux faits).

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    1. C'est plutôt moi que madame Stiegler qui disait "complètement plus vraie", et il s'agit de vérités, pas d'opinions. Par exemple, on sait désormais — c'est la vérité des recherches paléontologiques depuis quelques années — que la phylogenèse humaine est passée par les dénisoviens, ce qui destitue la distinction devenue trop pauvre entre sapiens et néandertal. Le dénisovien est un nouveau fait, il faut faire avec momentanément, jusqu'à ce que s'en avère d'autres, peut-être plus précis, qui rendront plus d'acuité au point de vue qualitatif de ces recherches et changeront le conception d'ensemble de la phylogenèse humaine.

      Quant au complotisme, Stiegler est plus précise que ce que vous en restituez : elle dit que toute critique des vaccins est ramenée au délire antitech/antisémite. Et pour ma part, ce n'est pas seulement l'Etat français et sa "doctrine scientifique" que je mettrai en face. C'est surtout la presse, qui aura notamment catastrophé ses informés, en particulier en remplaçant les courbes de morts du printemps 2020 par les courbes de cas pour parler des deux choses sur le même ton. Et ce selon un matraquage en phase avec le chantage vaccinal. Ce qui la mouvait principalement, selon moi, n'est pas tant (quoique beaucoup aussi) le suivisme des ordres étatiques et celui du rythme de production des remèdes hâtivement et sélectivement prescrits que son ignorance scientifique, qui l'a conduit à balancer les chiffres qu'on lui donnait à nous faire avaler sans regard pour les faits qu'ils étaient censés restituer. La presse scientifique aura un peu plus approfondi l'affaire, mais toujours après coup selon le rythme des posologies par pays. Par exemple, c'est en lisant un article de la presse américaine, où la vaccination était plus avancée qu'en France, que j'ai pu apprendre que l'immunité collective vaccinale encore promue en France en juillet 2021 était inatteignable du point de vue même des scientifiques qui la promouvait. Dans la presse française, Futura science, qui le savait bien mieux que moi, ne le dit que bien après, quand un assez gros contingent de Français fut vaccinés, et que certains d'entre eux tombaient tout de même malades. On en est maintenant, à l'heure de la troisième dose/cinquième vague à s'entendre dire que le vaccin atténue seulement. Ils le taisaient alors, les mêmes qui, à l'acmé du chantage (qui continue néanmoins), nous moralisaient en répétant : "te vacciner toi, c'est sauver les autres." L'expertise distillée autoritairement a cependant montré ses failles au seul spectacle de ses improvisations mimant la gestion d'un existant qui lui échappait. À son regard, beaucoup de personnes dépourvus de culture scientifique se sont mis à faire des liens par leurs propres moyens. Et bien sûr certains ont fait les pires raccourcis entre apparences technologiques et apparences politiques. L'expertise autoritaire aura ainsi encouragé le complotisme libertarien, dans une ambiance surjouée de catastrophe.

      Quant à Nietzsche, Bouveresse et Foucault, d'accord avec vous. Il se trouve d'ailleurs que Stiegler est en voie de défoucaldisation. Au moins invite-t-elle à considérer sérieusement les relations entre Nietzsche et l'épistémologie. Ce qui me semble précieux.

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  3. «Par exemple, c'est en lisant un article de la presse américaine, où la vaccination était plus avancée qu'en France, que j'ai pu apprendre que l'immunité collective vaccinale encore promue en France en juillet 2021 était inatteignable du point de vue même des scientifiques qui la promouvait. Dans la presse française, Futura science, qui le savait bien mieux que moi, ne le dit que bien après, quand un assez gros contingent de Français fut vaccinés, et que certains d'entre eux tombaient tout de même malades. On en est maintenant, à l'heure de la troisième dose/cinquième vague à s'entendre dire que le vaccin atténue seulement.»

    Bien sûr. Dans les milieux "complotistes", les cas de Gibraltar et de l'Islande étaient déjà bien connus. De même qu'il ne fallait quand même pas beaucoup d'esprit critique pour constater que la 4ème vague avait reflué trop tôt pour qu'on puisse y voir l'effet du passe sanitaire. Mais que voulez-vous attendre de gens qui ne voient pas le problème, pourtant niveau cours moyen, quand on leur explique qu'il y a beaucoup de mois dans une tonne pour des traitements inédits sur l'homme (et pas franchement encourageants sur l'animal)? Après l'abandon d'Astrazeneca, le vaccin Moderna est désormais déconseillé aux moins de 30 ans, mais en déduire que peut-être finalement on s'est bel et bien adonné à de l'expérimentation humaine forcée à grande échelle semble au-dessus des capacités intellectuelles de beaucoup de monde. Ainsi on continue docilement d'ergoter sur l'imputabilité des effets secondaires, alors que c'est la même chose avec tous les vaccins, d'où soit l'indicateur en tant que tel ne sert à rien, soit il faudrait reconnaître que les signaux sont très mauvais par rapport à ce qui est habituellement constaté. Mais non, parlons plutôt de vacciner dès 5 ans. À croire qu'il faut désormais tourner au Damoiseau pour envisager que l'État ne veut qu'incidemment votre bien (et qu'affirmer que des manifestants ont été «blessés par des tirs de sommation» est une formulation en dessous de la plus élémentaire décence).

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    1. Oui, c'est vrai que c'était pas mal, ça, le coup des «blessés par des tirs de sommation».

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    2. Pas mal aussi votre "beaucoup de mois dans une tonne".

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