mardi 12 février 2019

Pour Christophe


Le culte de la charogne et des martyrs, très peu pour nous. La célébration des héros vivants, en revanche, nous convient parfaitement. Qu'est-ce qu'un héros, en vérité, sinon un homme poussé à son point explosif de puissance, donc de beauté, d'intelligence et de bonté morale, ce qui revient au même. L'homme est poussé à l'héroïsme par les circonstances, insistons-y : il ne porte point en lui cet héroïsme essentiel ou génétique qui le séparerait dès le départ des autres hommes. Tous les hommes sont, pour au moins une poignée de secondes dans leur existence, des héros. Quitte à ce que le rideau retombe ensuite sur cette explosion utopique de matière que représente l'héroïsme, c'est-à-dire l'homme à son meilleur, l'homme révolté par l'injuste. Nous ne savons pas comment Christophe Dettinger se défendra demain, devant ses juges bourgeois, qui auront à coeur de l'expédier rouiller quelque temps derrière les barreaux, pour prix de ce morceau d'utopie admiré voilà peu par la France entière sur un pont de Paris, lors que Christophe Dettinger chargeait, en toute désinvolture, la canaille militaire occupée à gazer des pauvres sans défense (pensait-elle, alors, la canaille en question : elle y aura récolté quelques joyeux marrons). Les juges et procureurs, obsédés par ce devoir de répression qui les définit, sont décidément bien stupides. Ils penseront, demain, seulement juger un homme qui choisit de faire des choses, quand ce n'est rien de moins que le point d'explosion objectif de la matière qui se trouve en question. Un problème physique, en somme. Car tout est physique et matériel si (comme on le disait, à une certaine époque) tout est aussi politique. La pluie est un phénomène physique, Christophe Dettinger également. D'où, chez ce dernier, cette désinvolture dont nous parlions, ce détachement dans l'action propre aux héros traditionnels, et qui les fait apprécier des philosophes matérialistes. Hercule n'est-il pas, après tout, le héros préféré de Diogène ? 

Ce soir, et les autres soirs, nous aurons une et plusieurs pensées pour le héros Christophe Dettinger et sa compagne, laquelle était aussi sur ce pont ce jour-là, animée du même courage et portée par la même beauté que son amoureux, celle qu'épousent les humains scandalisés par un monde qui n'est pas encore ce qu'il devrait être, un monde qui n'est pas juste, pas droit, et qui aurait de fait sérieusement besoin, un de ces quatre matins, d'un sérieux coup d'orthopédie sociale, comme disait autrefois un célèbre roi chauve qui ne comprenait rien à rien, y compris à ce qu'il racontait lui-même au Collège de France.

2 commentaires:

  1. Morgue atrabilaire sans surprise des rancuneux planqués, presque deux ans plus tard. Les tribunaux méritent le feu pour avoir volé derechef le meilleur des boulangers.

    À toi, Christophe, qui m'a rendu le goût du bon pain !

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