vendredi 3 mars 2017

Snobs et proxénètes


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« Le snobisme, en tant que concept dominant dans la Recherche de Proust, est l'investissement érotique de faits sociaux. C'est pourquoi il brise un tabou social, et celui qui en vient à parler de cette chose scabreuse en est puni. Si l'antithèse du snob, le proxénète, manifeste par son métier les rapports étroits entre le sexe et le profit, le snob démontre, à l'inverse, une chose qui n'est pas moins universelle : que l'amour est détourné de l'immédiateté de la personne vers les relations sociales. Le proxénète socialise le sexe, le snob sexualise la société. »


« Le snob méprise le mariage d'inclination socialement approuvé, mais il tombe amoureux de l'ordre hiérarchique lui-même, qui exorcise l'amour en lui et ne peut tout simplement pas tolérer un sentiment réciproque de ce genre (...). Pour cet amoureux passionné, l'ordre social est transfiguré en image de conte de fées, comme la bien-aimée aux yeux du véritable amant. »

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« La régression de Proust est un morceau d'utopie. Comme l'amour, il échoue, mais il dénonce par son échec la société qui lui interdit d'exister. Cette impossibilité de l'amour qu'il a représentée dans ses personnages mondains, et principalement dans la vraie figure centrale de la Recherche, le baron de Charlus, qui ne conserve plus à la fin que l'amitié d'un proxénète, s'est répandue entretemps comme un froid mortel sur l'ensemble de la société, où le fonctionnement global étouffe l'amour désintéressé partout où il se manifeste encore. C'est en cela que Proust est prophétique, comme il le dit un jour des juifs. Il s'est humilié à briguer les faveurs de gens foncièrement réactionnaires comme Gaston Calmette et Léon Daudet ; mais il y a quelqu'un qui portait le monocle certains jours : il s'appelait Karl Marx. »   

(T.-W. Adorno, Notes sur la littérature).

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