dimanche 25 décembre 2016

Happy Birthday, Jésus !

Ensor, L'homme de douleur (1891)

« Jésus, et bien avant lui les prophètes, ont exprimé des critiques à l'égard de Dieu, et dans l'Ancien Testament, il arrive même que Dieu soit critique envers lui-même. On trouve, par exemple, dans les lamentations de Jérémie : "Seigneur, tu es notre ennemi !" - quelle parole monstrueuse dans l'Ancien Testament ! Il y a aussi un passage où Yahvé fait son autocritique, où Dieu regrette d'avoir créé le monde et voudrait créer un autre monde, de sorte qu'on ne pensât plus au monde antérieur qui n'était pas bon. "Et Dieu voyait que tout était bon", peut-on lire dans le premier chapitre de l'Ancien Testament, dans la Genèse. Le monde n'est pas bon, car Dieu voit bien qu'on ne doit plus penser au monde antérieur et, à la fin de l'Apocalypse, de la Révélation de Saint Jean, il est écrit : "Et la lune et le soleil s'enfuirent et tout fut détruit." Il restait la Jérusalem céleste et l'enfer, mais, à la fin, il ne reste plus que la seule Jérusalem céleste. Le monde, l'univers cosmologique, tels que nous le regardons, n'était donc pas bon et le bouc émissaire qu'est le serpent ne peut à lui seul suffire à expliquer ce qui est insuffisant et mauvais dans le monde. Celui qui a créé le monde, qui nous a fait entrer dans ce monde, ne peut plus nous en faire sortir. Il appartient lui-même au monde et sa fin sur la croix ne le prive en rien de son existence terrestre, mais affaiblit par contre sérieusement la possibilité qu'il aurait d'être adoré. Tout cela se trouve déjà dans la Bible. Jésus ne s'appelle pas "fils de Dieu" (seuls ses disciples l'appellent comme ça). Il emploie par contre plus de cinquante fois une expression assez énigmatique qui n'est pas utilisée par ses disciples : "Fils de l'Homme", terme qui est si étrange, dans la traduction grecque du Nouveau Testament (anos anthropon), que les Grecs ne l'ont pas compris. En araméen, on lit "Bar Adam", donc : "Fils d'Adam" et non pas "Fils de Dieu" ou "Dieu-fils". Et Jésus dit ensuite : "Quiconque me voit, voit le père".
Il s'agit ici d'éléments qui ne figurent pas dans le plan de la création et qui n'ont rien à voir avec les autres religions. Le prophète usurpe la place du père et le destitue, en affirmant : "Moi, je suis Lui".
Ce sont des éléments athées, des éléments de la rédemption privés de sens s'il n'existe pas quelque chose dont l'on veut être rédimé. Mais cela ne peut être que le monde existant. Et celui qui a prétendument créé le monde existant ne peut pas être en même temps son rédempteur. C'est ainsi que Jésus Christ est apparu comme fils de l'Homme.
Ce sont très clairement des éléments athées. Le Livre de Job peut également être envisagé dans ce contexte, lui qui est plein d'accusations et où l'homme, avec toutes ses misères, ses tumeurs, ses souffrances, sa maladie et son souci, toujours accuse et lève le poing - un poing communiste ! Ce n'est qu'avec beaucoup de réticence que Luther a intégré le Livre de Job dans l'Ancien et le Nouveau testament. Il a toujours été considéré comme extrêmement dangereux et les tentatives pour falsifier a posteriori ce texte révolutionnaire par des extrapolations ont été nombreuses. »


(Ernst Bloch, entretien avec José Marchand, 1974)

3 commentaires:

  1. Mézalors... le Surmoi ? Déjà ?

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    1. Bloch n'invente rien, en l'occurrence. Ce christianisme parricide-là est déjà percé chez Freud. L'apport de Bloch, relativement à cela, c'est alors - en face de Freud - une prise de parti pour l'Homme, comme Sujet possiblement libre et épanoui. Non seulement on PEUT renverser son père, l'éjecter par putsch et se reprendre en lui, mais il le faut. Le putsch construira socialement un homme nouveau, total, sans angoisse, découvrant enfin son propre visage et son familier-étranger intime, cette "patrie bien connue où nous n'avons pourtant jamais été" (Heimat). Pas de clivage symbolique natif, nécessaire et structurant dans cette lutte avec le Père. De ce point de vue théologique mal dégrossi - donc abstrait - Bloch est à la fois moins pertinent sociologiquement et plus intéressant radicalement que Marcuse. Joyeux Noël.

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