dimanche 11 décembre 2016

Guide de survie en milieu différancialiste (3) Différance contre Dialectique



                                                                            Pour H.-S.

Quand on lui demande son avis sur l'École dite de Francfort, sur la Théorie critique allemande et son influence éventuelle sur ses propres travaux, Foucault se montre ambivalent. D'un côté, il clame sa grande admiration pour les travaux d'Adorno, Horkheimer, etc : «si j'avais lu ces oeuvres, confie-t-il à Trombadori, fin 1978, il y a un tas de choses que je n'aurais pas eu besoin de dire, et j'aurais évité des erreurs [souligné par nous : avec ressentiment, d'accord, si tu veux]. Peut-être, poursuit Foucault, que si j'avais connu les philosophes de cette école quand j'étais jeune, j'aurais été tellement séduit par eux que je n'aurais rien fait d'autre que les commenter» (in Dits et écrits, IV, Gallimard, p. 74). Critique de la raison occidentale, de ses modalités, techniques, effets de pouvoir, etc : voilà ce qui, à l'en croire, aurait retenu son attention chez les francfortois. L'idée est à peu près la même dans une interview accordée pour la revue Telos au malheureux (et très estimable) Gérard Raulet, spécialiste de Marcuse et Bloch, au printemps 1983 : «il est certain, y raconte Foucault, que si j'avais pu connaître l'école de Francfort, si je l'avais connue à temps, bien du travail m'aurait été épargné, il y a bien des bêtises que je n'aurais pas dites [souligné par nous : on est mesquin avec notre morale d'esclave, et ça fait du bien, si tu savais] et beaucoup de détours que je n'aurais pas faits en essayant de suivre mon petit bonhomme de chemin alors que des voies avaient été ouvertes par l'école de Francfort. Il y a là un problème curieux de non-pénétration (sic) entre deux formes de pensée qui étaient très proches, et peut-être est-ce cette proximité même qui explique la non-pénétration. Rien ne cache plus une communauté de problèmes que deux façons assez voisines de l'aborder» (ibid., p. 439). Parfait. Très bien. Ceci étant dit, voilà maintenant l'autre pôle de l'ambivalence, la distinction rigoureuse établie par Foucault entre sa pensée et celles qu'il vient ainsi, semble-t-il, de célébrer dans leur très voisine pertinence : «en schématisant, schématise Foucault, on pourrait, pour l'instant, affirmer que la conception du sujet adoptée par l'école de Francfort était assez traditionnelle, de nature philosophique ; elle était largement imprégnée d'humanisme marxiste. On explique de cette façon sa particulière articulation sur certains concepts freudiens, comme le rapport entre aliénation et répression, entre libération et fin de l'aliénation et de l'exploitation. Je ne pense pas que l'école de Francfort puisse admettre que ce que nous avons à faire ne soit pas de retrouver notre identité perdue, de libérer notre nature emprisonnée, de dégager notre vérité fondamentale ; mais bien d'aller vers quelque chose qui est tout autre» (ibid., p. 74). Foucault prétend donc ici aller vers «tout autre» chose que ce qu'il assimile gaillardement (et tout le discours anti-subjectiviste et anti-dialecticien de la French Theory reste sensiblement constitué de la même farine) à la vaine poursuite théorique de quelque impossible nature essentielle de l'Homme, perdue (mais restaurable en soi) dans le capitalisme. Il serait possible (tout est possible) d'admettre que les gens de l'école de Francfort aient été redoutablement cons. Néanmoins, à supposer que, çà et là, tout de même, à l'occasion, ils aient pu préserver le professeur Foucault de proférer (selon ses propres termes) quelques contingentes «bêtises», voire de commettre quelques «erreurs» notables, cette connerie, alors, des théoriciens-critique, aurait-elle pu aller jusqu'à leur laisser reconnaître l'effectivité d'une «essence»  humaine, d'une âme soumise - comme toute autre substance - à pré-détermination nécessaire ? Ce serait, assurément, les présenter comme des curés, ce qu'ils n'étaient point, en dépit (et sans doute du fait même) de leur grande sympathie pour le millénarisme apocalyptique, et la «métaphysique»  en général. À la décharge de Foucault, les marxistes attaqués en France, dans les années 1960, par cet «anti-humanisme» dont la Différance historique se revendique encore, étaient, pour eux, bien souvent d'authentiques curés, justement, ou au moins des compagnons de route des curés (comme, au reste, les y invitait depuis des lustres leur Parti «communiste» bien aimé, «parti de la main tendue et non du poing levé», selon l'expression stalinienne bien connue). Althusser et ses amis universitaires anti-humanistes eussent évidemment rencontré, face à Marcuse ou Adorno, une tout autre résistance que celle d'un Roger Garaudy ou d'un Georges Marchais. Foucault, lui-même, se trouve ainsi, selon nous, simplement contraint et forcé - par l'évidence de leur talent - de reconnaître une admiration pour ces penseurs farouchement dialectiques, auxquels il fait (voir nos textes ci-dessus) incroyablement, contre toute attente, profession de s'affilier. Seulement, les choses sont ici assez claires. Il n'est nullement question chez un Adorno, par exemple, de quelque «essence»  humaine à restaurer que ce soit. Il n'y a d'ailleurs rien à restaurer, chez Adorno, ou pas grand-chose, car il n'y a jamais eu, chez l'Homme, selon lui, pour schématiser (comme dirait Foucault. Du coup, on fait pareil, y a pas de raison) que soif de domination et souffrance, en alternance et ensemble. Les seules conscience et exposition de ce fait tragique évoqueraient, à la rigueur, un ailleurs possible de cette situation maudite, entrevu comme un pauvre fantasme, dans un clignement de paupières fulgurant et utopique, avant le retour inéluctable du désespoir normal généralisé. Ceci n'a, vous en conviendrez, que peu à voir avec la positivité d'une âme, d'une essence perdue à retrouver. Adorno se méfiait, d'ailleurs, à ce titre, de la notion d'«aliénation», lui préférant celle de «réification», qui ne suggère pas, elle, autant que la précédente, cette histoire d'essence authentique à récupérer, relativement à une autre essence, inauthentique, aliénée. Ces subtilités dialectiques (car, dans le même temps, Adorno se présente à corps et à cris comme dialecticien) auraient-elles échappé à Foucault ? Le projet de constitution d'un sujet dominant son objet, en tout cas, d'un Homme «enfin» rendu  maître de son monde (intérieur et extérieur), de sa nature, est absolument contraire à l'éthique adornienne, entièrement tissée de pessimisme et largement basée sur l'hypothèse d'un clivage natif et indépassable du sujet : un sujet, autrement dit, condamné au décalage perpétuel avec lui-même et, de fait, absolument introuvable, inaccessible, existant seulement - mais ce n'est pas rien : nous allons le voir plus loin - comme idée (au sens kantien). Cet Adorno-là ne colle donc franchement pas avec la sorte de portrait générique de la Théorie critique brossé par Foucault en 1978 : « les hommes n'ont jamais cessé de se construire eux-mêmes (schématise-t-il), c'est-à-dire de déplacer continuellement leur subjectivité, de se constituer dans une série infinie et multiple de subjectivités différentes et qui n'auront jamais de fin et ne nous placeront jamais face à quelque chose qui serait l'homme [c'est nous qu'on souligne, parce qu'on est des râgeux]. Les hommes s'engagent perpétuellement dans un processus qui, en constituant des objets, le déplace en même temps, le déforme, le transforme et le transfigure comme sujet. En parlant de mort de l'homme, de façon confuse, simplificatrice, c'était cela que je voulais dire ; mais je ne cède pas sur le fond. C'est là où il y a incompatibilité avec l'école de Francfort » (ibid., p. 75). 
Où diable donc Foucault aura-t-il été pêcher cette histoire de «sujet» francfortois unique, attaché à son identité de «chose», «finale», laquelle chose, dans son univocité, serait ainsi forcément la plus pauvre et misérable de toutes les choses ?L'idée ne se trouve évidemment pas chez le Marx «humaniste» et «philosophe» (deux gros mots, ça, chez Foucault ou Althusser, autant qu'«aliénation» ou «dialectique») de l'époque des Manuscrits de 1844. Un Marx se bornant simplement à recenser, alors, avec son pote Engels (voir la Situation des classes laborieuses en Angleterre, par exemple), la misère précise et concrète, l'avilissement visible perpétrés, sur cette somme objective de possibilités polymorphes que reste toujours invinciblement tout homme, par un système de domination objective, déterminée, qui s'appelle le «capitalisme» et qui ne peut se maintenir qu'en le prolétarisant : en l'astreignant, lui, en d'autres termes, à cette «essence», cette «identité» que la French Theory déteste à ce point chez les marxistes dialecticiens. Il faut être sacrément de mauvaise foi, cependant, et singulièrement aveugle, ou puant fort la bourgeoisie qui dort bien au chaud, pour nier que le capitalisme soit avilissant, en prétendant que ce serait par trop consacrer, là, le retour philosophique, clandestin, de l'essentialisme ou de l'âme humaine. Une telle position «purement»  théorique ne saurait se distinguer de son corollaire anti-pratique : car si la société capitaliste n'est pas un scandale, si elle est forcément ce qu'elle doit être (au nom de l'idée implacable, et soi-disant «matérialiste», qu'il n'est pas de «devoir-être» de la matière, pas d'idéal possible, d'image mobilisatrice pouvant constituer le «patron» de ce sur quoi la société devrait se régler), alors pourquoi diantre risquer son intégrité, sa vie, ou sa liberté, à lutter contre elle ? Pour augmenter sa puissance d'agir, sa force, comme le rabâchent les spinozistes deleuziens ? Mais ces spinozistes-là, ces glorieux constructeurs de pouvoir, ignoreraient-ils que, pragmatiquement, par-delà bien et mal, un ouvrier a souvent tout à perdre (en terme de «force» et de «puissance») du peu qu'il possède déjà, en se risquant dans telle ou telle action sociale, ou politique, qui ne soit pas enclenchée, en lui, par la plus impitoyablement subjective des colères, des rages, des haines vis-à-vis de l'injustice scandaleuse que le capitalisme commet réellement à son endroit, chaque heure du jour et de la nuit, de la naissance à la mort. Tout à perdre dans l'action. Pour la conscience, c'est autre chose. Un pauvre prenant conscience de lui-même, c'est-à-dire de cette misère historique qui le constitue (et l'empêche d'être un autre), suspend déjà ladite misère. Il est déjà devenu quelqu'un d'autre physiquement. Ces idées sont une capacité de défense physique, d'adaptation étendue. L'esprit, pour le dire autrement, non seulement existe, mais il n'existe que pour, par et dans ses échanges avec la matière, laquelle le constitue en retour, dialectiquement. Cette différence-là d'avec lui-même n'est pas, en l'homme désormais intéressé à la conscience (autrement dit : le pauvre) assimilable à une simple reconfiguration de forces : le sujet qui surgit là est puissance en tant que sujet, il a centralisé (dans cette identité psycho-physique qu'on appelle sujet) sa puissance, en lui donnant une possibilité supérieure - explosive - d'expansion. Et même sans cette dernière possibilité explosive, de toute façon le changement produit en lui par la conscience doit être identifié en termes de valeur : comme un mieux. C'est ce mieux tendanciel, cette amélioration de tel ou tel homme par la conscience (y compris la conscience, accrue, douloureuse, de sa misère objective) qui permet d'entrevoir, comme dans un rêve (le rêve est réalisation de souhait) un ailleurs de ce monde, un ailleurs qui serait enfin notre chez-nous, notre patrie. Que cette patrie n'ait jamais existé, comme le rappelle le sagace Foucault et ses amis sociologues ou historiens glacés, qu'est-ce que cela peut bien nous foutre, au juste ? Cela changerait-il quoi que ce soit au désir précis que avons de cette patrie-là, autrement dit à sa réalité de puissance, à son effectivité utopique irrésistible ? Telle est au fond toute la différence ayant jamais séparé la science de la philosophie, le positivisme de la subversion, et la Différance de la dialectique. En confondant (dans le dernier texte par nous cité ci-dessus), à l'aune d'une libération envisagée du sujet humain, la tendance utopique-pratique de l'école de Francfort (Marcuse) et sa tendance pessimiste (Adorno-Horkheimer), Foucault manifeste seulement son ignorance un peu embêtante de l'histoire des idées. Il n'est pas grave d'être ignorant, quand on n'assoit point, par ailleurs, une réputation de sérieux sur sa capacité de dévoration encyclopédique de livres obscurs, et inutiles, telle cette masse absurde d'archives médicales, administratives, etc, engloutie par le Maître du Collège de France, puis régurgitée, avec des rots de suffisance gourmande, devant un auditoire estomaqué. Le fait que, pour Foucault, l'école de Francfort, en son «humanisme marxiste subjectif» se résume tout entière à Marcuse n'empêche, d'ailleurs, en rien qu'Adorno lui-même, tout anti-subjectiviste soit-il, certes, reste cependant un dialecticien avéré. Son testament philosophique, La dialectique négative (1966), comme ses études consacrées à Hegel, de 1965, attestent, chez lui, une double volonté indéfectible : soutenir, d'abord, la Raison contre elle-même, c'est-à-dire son versant encore reconnu libérateur contre sa version technicienne, calculatrice, et dominatrice (ce dont n'aurait que foutre l'irrationnalisme - ou l'a-rationnalisme - assumé d'un Deleuze, par exemple, lequel ne connaît que des forces, de la matière, et point de raison). Deuxièmement, Adorno célèbre la dialectique comme critique immanente à tout donné se donnant formellement comme un absolu suffisant. Ce qui meut la dialectique adornienne, c'est cette contradiction minant pour ainsi dire a priori : de l'intérieur, tout donné, toute pensée, toute position physique, sociale, scientifique, psychologique. Pour le meilleur et pour le pire, de manière toujours recommencée, en un cycle ininterrompu d'espoir recouvré - le temps d'un pauvre instant utopique - et d'éternel retour de la domination. L'homme ravalé au rang de chose, d'objet, dans le capitalisme, conteste et sort de cette situation comme sujet intermittent recouvrant, en quelque sorte, une liberté de mouvement se prouvant par elle-même : en son impuissance même, et sa douleur. Inversement, ce «nouveau» sujet, à peine sorti de son état d'objet, manifeste, tout fragile et instable soit-il, à l'encontre des autres objets (du monde) une pulsion immédiate de domination. Et ainsi de suite, sans libération effective possible. Mais sans, non plus, fixation définitive, ni intégrale, au creux de l'un ou l'autre moment de cette situation tragique. Cette dialectique est tellement difficile à imaginer (sans parler de lui trouver une portée subversive, ou pratique) qu'elle éveille même, reconnaît Adorno dans la Dialectique négative, «le doute quant à sa possibilité». La libération n'existe en effet chez lui qu'à titre d'idée hors de portée, de seule fulgurance esthétique, d'extase sociale-sympathisante : je compatis avec la souffrance universelle, je pleure sur ceux et celles qui souffrent, je sens, brièvement, toute l'horreur qui s'abat sur eux, et c'est alors, seulement, et l'espace d'un instant, que je me sens, confusément, participer du meilleur de moi-même, que je m'estime le meilleur possible. C'est peu. C'est mieux que rien. Dans ce cadre de compassion, de sympathie schopenhauérienne envers le malheur vivant, la différence est, certes, donc, reconnue par Adorno comme critère de justice et de morale (le sujet adornien acceptant en effet la différence maintenue de l'objet, son indépendance, n'existant pas comme simple sujet prédateur, soucieux de s'assimiler l'objet extérieur, ainsi que le manifeste, à l'inverse, chaque seconde, la raison technicienne dominant son environnement naturel : tout ce qu'il subsiste encore d'étrange, d'étranger à elle, en-dehors et au-dedans d'elle, pulsionnellement). Mais il n'en reste pas moins que cette différence, fondamentale, s'efface non moins fondamentalement, chez Adorno, devant la nécessité dialectique : nécessité, aussi, que le différent se réduise chroniquement en semblable, en commun, en universel, au nom, redisons-le encore, pour Adorno, de la souffrance commune, identique, de l'humanité universelle. Cette tendance, dialectique, Foucault et la French Theory ne lui trouvent, quant à eux, ni pertinence, ni effectivité. Ni, évidemment, aucune grandeur. Cette grandeur-là n'est pas un concept scientifique, elle n'est pas mesurable. Elle n'intéresse donc aucunement nos penseurs très rigoureux de la Différence, qui n'aiment rien tant qu'enregistrer de la «donnée» scientifique, certes différente et multiple (diverse) dans ses avatars, mais en elle-même (en tant que donnée, facticité) indépassable. La French Theory, dans ses prétentions anti-dialectiques, présente ainsi son carnet de naissance, engendrée qu'elle se trouva par le couple infernal positivisme-empirisme (Empirisme et subjectivité fut, dans les années 1950, l'un des premiers ouvrages importants de Gilles Deleuze. Sa fascination pour David Hume ne sera jamais démentie : voir sa présentation éclairante, par exemple, de l'oeuvre humienne dans le recueil beaucoup plus récent intitulé L'île déserte). Foucault, quant à lui, dans l'Archéologie du Savoir (1969, année théorique), entre cent autres exemples, déclare son amour exclusif - d'historien sans Histoire - pour la totalité opératoire de l'appareil cybernétique, désormais vintage, des années Poher-Pompidou : toute cette ignoble logique d'ingénieur-statisticien, dont il entend bâtir ses livres et sa science soi-disant nouvelle, dont l'Archive constitue l'hypostase mythique. Les situationnistes, de la chose, ont émis le commentaire définitif (voir notamment les §201 et 202 de la Société du Spectacle). Mandosio, en cette affaire, se montre, dans son Foucault, longévité d'une imposture, bien plus méchant que nous (et plus talentueux). Il suffira donc, pour aujourd'hui, à notre bonheur mesquin et décidément revanchard (la French Theory est partout, si vous saviez ! elle nous observe en ce moment même) de conclure sur ces mots d'Anselm Jappe, relayant efficacement tout ce qui précède : «Les cibles polémiques que privilégient des auteurs comme Foucault, Deleuze, Derrida, Althusser, Baudrillard et Lyotard sont la dialectique et l'identité, la première étant considérée comme incapable de dépasser "la logique de l'identité" (l'idée d'une dialectique non identique, comme celle qu'a tenté d'élaborer T. Adorno, ne semble même pas avoir effleuré ces penseurs) et de rendre compte de la différence. Ils rejettent l'idée d'un sujet doté d'une identité suffisamment forte pour rester inaltéré, dans son noyau, au milieu des changements. Il est facile de constater que l'abandon d'un tel sujet prive de tout sens l'idée d'une aliénation à laquelle l'individu est en mesure de résister » (Guy Debord, éditions Via Valeriano, 1995, p. 194). 

T'as compris, coco ? 
Tu laisses tomber la dialectique. 
L'aliénation, c'est dans la tête.


(à suivre...)       

7 commentaires:

  1. Si Foucault avait vécu plus longtemps, peut-être aurait-il également regretté de ne pas avoir lu Marx. Dans les années 70, lors d'entretiens avec un jeune mao, il déclarait sans intérêt la lecture du Capital, car selon lui il « n’a jamais été fait pour être lu. […] Le Capital a été en grande partie un travail qu’il [Marx] a fait pour lui-même. Ce qu’il voulait que l’on sache du Capital, il l’a fait passé dans d’autres textes, donc il n’est pas sûr que lire Le Capital soit une bonne consigne ». Outre que la correspondance de Marx et les premiers articles concernant Le Capital fassent justice de cette bêtise, il n’y a que deux textes qui pourraient avoir la fonction décrite par Michel Foucault. Or, le plus important d’entre eux, Salaire, prix et profit, est le texte d'une conférence qui n’a été publiée que de nombreuse années après sa mort; le second, Travail salarié et Capital, texte basé sur d’autres conférences prononcées en 1847 et publié sous forme d’articles de presse en 1849 à une époque où Marx n‘avait pas encore mis un point final à sa critique de l‘économie politique, n’a été réédité après la mort de Marx que remanié par Engels pour tenir compte des évolutions de sa pensée. 

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    1. S'il n'y avait que cette "ignorance", André.
      Pour notre part, nous n'y croyons pas.
      Chez Foucault, comme chez Deleuze, au reste, il y a connaissance (de Marx autant que de l'école de Francfort) ET prise de position : libérale, en l'occurrence, au plan politique (c'est-à-dire empirique au plan théorique). Ce qui amoindrit, à nos yeux, la portée de la saillie de Mandosio, car Mandosio postule juste (sans le dire comme ça) une certaine nullité théorique - à caractère jargonesque et universitaire - de ces deux auteurs. Ce qui ne correspond pas à la vérité. Autre aspect, plus antipathique encore, de cette critique : traiter plus ou moins explicitement un Deleuze de fou, l'accuser de "confusion mentale" à l'aune d'un style "obscur". C'est à la fois manquer l'essentiel, et fustiger les fous, via l'obscurité théorique. Or, l'obscurité, dans une société mutilée, est souvent le seul critère de validité, ou d'effectivité, d'une pensée. La pensée "claire" et "distincte", "ce qu'on conçoit bien s'énonce clairement", etc, c'est un truc cartésien, et, pour le coup : un fantasme bourgeois de domination totale. Adorno fait justice de ce phénomène dans sa troisième étude sur Hegel, de 1965. "Il n'est de vraie pensée, précise-t-il ailleurs, que celles qui ne se comprennent pas elles-mêmes". Ce qui nous va, au passage, comme un gant. Nous ne qui sommes ni deleuziens, ni foucaldiens.
      Un salut fraternel.

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    2. Je m'invite au thé dansant. Vieilles lunes certes. La géopolitique cassait déjà des briques et ça philosophait encore la réalité.
      Foucault est une bille en marxianisme. Il l'a laissé à son fréroce Althusser, lequel en fait sa symptomale lecture. Ce n'est pas grave, on peut très très bien vivre sans Marx, sauf quand on fait profession d'en parler doctement. Qu'il n'y adhère pas dans Les Mots et les Choses est son affaire. Mais faut voir comme, à savoir en avançant que Marx ne fait que se loger "sans difficulté (...) à l'intérieur d'une disposition épistémologique qui l'a accueilli avec faveur" (p. 274), celle de Ricardo, selon lequel "La production ne peut plus combler le manque" (p. 272). Rareté "pessimiste" dont Marx serait la version inversée, optimiste, "qui accentue les pressions du besoin, qui fait croître les carences". Ce qui montre que Foucault ne se préoccupe en rien de l'exploitation et de l'aliénation salariale. Son affaire consiste à montrer que Marx "n'introduit aucune coupure réelle" pendant que Althusser thématise sa "coupure épistémologique", où magiquement la science se sépare de l'idéologie par la superposition de la superstructure sur l'infrastructure. Foucault est si peu sérieux en matière marxienne qu'il a pu dire, en mettant dans la bouche de Marx que la lutte des races aurait précédé celle des classes : « [qu'] Il ne faut pas oublier, après tout, que Marx, à la fin de sa
      vie, en 1882, écrivait à Engels en lui disant : “Mais, notre lutte des classes, tu sais très bien où nous l'avons trouvée chez les historiens français quand ils racontaient la lutte des races”. » Or il s'agit de la lettre à Weydermeyer de 1852. L'éditeur des propos rapportés du Collège de France [Cours du 28 janvier 1976, « Il faut défendre la société » (Gallimard/Seuil 1997)] est bien obligé de signaler les erreurs de destinataire et de date de la lettre, mais dans sa note il en dit juste assez peu pour que l'absence du thème de la race ne saute pas aux yeux du lecteur. Il s'agit de la description de la société en trois classes (et c'est l'économiste anglais, Ricardo, qui est cité). Par ailleurs, Mandosio est trop con pour voir que Foucault s'essayait à une critique de la représentation avec son doublet empirico-transcendental, même si évidemment il peut le frapper à couilles rabattues du fait de son maoisme tardif, bêtement marxiste donc et paradoxalement, pro-insurrectionnaliste iranianiste spiritualisé, parce qu'aussi séduit par l'imaginal d'Henry Corbin (traducteur de Heidegger). La bêtise des temps remplaçant celle du précédant, Foucault passe pour un critique de la pensée parce qu'occidentale alors que la concurrence se jouait entre la coupure diachronique (Foucault) et la coupure synchronique (Althusser), mode structuraliste y afférent.

      PS. Lire "À nos clients"

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    3. Oui. Juste pour l'anecdote, rappelons le sentiment de scandale affecté par Althusser devant "Les mots et les choses" : "abandon de la lutte des classes", etc.
      Foucault, la lutte des classes, ça l'aura bien toujours fait rigoler. Il est d'autant plus comique de le voir encore arboré à la bandoulière par les gauchistes d'aujourd'hui, les libertaires en particulier. Foucault a toujours bien précisé n'être ni marxiste ni anarchiste. Ce qui le séparait de ces derniers, répétait-il à satiété, c'était sa non-substantialisation du "pouvoir" comme quelque chose de mauvais (pouvoir d'état, capitaliste, policier, etc). Le pouvoir est partout, disait Foucault. C'est pourquoi il n'était nulle part, au fond. Et qu'il eût été, de ce point de vue, bien absurde de prétendre le combattre, ou lutter contre lui.

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    4. Exact, Moine bleu, bien d'accord avec ce que tu rappelles de Foucault et du pouvoir, et de son double . Et même cette magnifique formule d'une plasticité à rendre élastique tous les curées rouges biopolitisant et/ou missionnés véritables... fallait la trouver, suspens... Foucault disais-je, dans "dits et écris" tome X ou Y :
      "Le pouvoir c'est ce qui s'exerce."

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  2. Sans être pour autant un foucaldien intégriste (je sais que ça existe et qu'ils sont aussi ennuyeux que tout autre), certaines intuitions historiques foucaldiennes ont malgré tout un certain intérêt. Il ne peut pas y avoir d'étude valable d'une société sans la penser comme déterminée à la base et de façons multiples et précises. Sans ça, on en resterait à des indignations et des points de vue qui peuvent être respectables politiquement, mais pas sérieux ni efficaces en pratique. Je crois que c'est la partie de l'oeuvre de Foucault qui survivra.

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  3. Mais cette "histoire" foucaldienne n'a d'histoire que le nom. L'histoire avance : elle ne peut consister en cette coupe scientiste exhaustive d'un moment, pourvu de toutes ses déterminations. Non seulement, la chose est impossible : on ne saurait tout dire d'une époque, devoir la fonder en sa vérité encyclopédique pour pouvoir commencer à dire et penser quoi que ce soit de vrai sur elle, mais ce projet relève d'une volonté de fixer les choses, fixer des structures "historiques" cohérentes (les fameuses "épistémê" foucaldiennes) dont on se demande bien comment elles peuvent se succéder, au juste. Foucault a toujours traité par le mépris ce genre de remarque sur la transition d'une épistémê à l'autre. C'est son problème, et celui de ses disciples. Pour la petite histoire (c'est le cas de le dire), Foucault était précisément, aux yeux des proches de l'école de Francfort, celui qui "niait l'histoire" à mesure qu'il décrétait "la mort de l'homme".

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