vendredi 18 septembre 2015

Une grève immigrée (Lawrence, USA, 1912)


« Environ 1000 travailleurs s'étaient rués hors de chez Everett Mills. Ils étaient à présent dans la rue, scindés en petits groupes qui commencèrent à investir d'autres usines, criant à chaque nouvelle intrusion : « Grève ! Grève ! On arrête tout ! » et - tandis que le slogan résonnait plus fort que jamais - réunirent en une heure des dizaines de milliers de travailleurs. Ceux-ci se répandirent alors à leur tour dans les rues. La sirène de la mairie sonna l'alarme (une première en 19 ans !) qui mobilisait chaque flic de la localité.
Le mouvement était pour ainsi dire aveugle, instinctif, primitif. Il avait déboulé comme une surprise faite à la ville et aux travailleurs eux-mêmes, et inonda de frissons glacés l'industrie américaine entière. Joe Ettor était à New York quand il apprit la nouvelle. En tant que délégué de l'IWW, il se précipita à Lawrence où, en quelques heures, il mit en place un comité de grève. Âgé d’une vingtaine d’années, bon orateur, charismatique, souriant, pourvu d’aptitudes naturelles au leadership et d’une vitalité physique illimitée, il dut parfois s'adresser, sur place, à des foules de plusieurs dizaines de milliers de personnes.
La milice débarqua. De petites émeutes éclatèrent aussitôt. Ettor avait du boulot. Plusieurs nationalités étaient représentées dans le mouvement, avec - à la clé - des tempéraments différents et des antagonismes raciaux. Ettor dit aux grévistes : « Faites en sorte à tout prix que cette lutte reste aussi pacifique que possible. Parce qu’en dernière instance, le sang versé, ce sera le vôtre ! »
Les grévistes se comportèrent aussi correctement qu'il était humainement concevable pour des gens placés dans leur situation. Ils occupèrent en masse les usines. Quand d’autres ouvriers refusaient de quitter leur poste, en dépit de leurs requêtes, ils franchissaient les ponts, enfonçaient les portes, envahissaient les lieux. « Allez, maintenant : en grève ! »
Ceux restés en arrière couraient plutôt vers les dépôts de fret pour y emplir leurs poches de chevrons et de morceaux de charbon, à l’aide desquels ils démolissaient méthodiquement les fenêtres.»

(Louis Adamic, Dynamite ! un siècle de violence de classe en Amérique).

2 commentaires:

  1. Sur le sujet ou presque, je conseille vivement la lecture de ce texte intelligent : http://www.non-fides.fr/?Les-cinq-martyrs-de-Chicago

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    1. Bel article, en effet. On vous renvoie à notre tour - et encore et toujours - au " Dynamite ! " d'Adamic qui revient longuement et précisément sur l'épisode sanglant Haymarket. Et également, donc, édité par Les Amis de Spartacus : " Albert Parsons - August Spies, Haymarket : pour l'exemple ", juin 2006. Salut.

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