vendredi 18 septembre 2015

Ernst Bloch plutôt que Michéa

 
 
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Le fondement de la contradiction non-contemporaine est le conte irréalisé du bon vieux temps, le mythe resté sans solution du vieil être obscur, de la nature. Ici, par moments, se trouve un passé qui n'est pas seulement un passé non dépassé du point de vue des classes, mais, matériellement aussi, un passé qui n'a pas été tout à fait honoré.

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La tâche consiste à dégager les éléments de la contradiction non-contemporaine qui sont capables de se détourner et de se métamorphoser, c'est-à-dire ceux qui sont hostiles au capitalisme, ceux qui sont apatrides dans le capitalisme, et à les remonter, à leur donner une autre fonction dans un autre cadre.
 
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L'antidote rouge ne réussit qu'à moitié et la plupart du temps même pas du tout. Les nazis parlent une langue fallacieuse, mais à des hommes, les communistes parlent une langue totalement véridique, mais au sujet des choses. Les communistes eux aussi rabâchent des slogans, mais dont la plupart ont perdu leur caractère enivrant. Il ne reste plus qu'un schéma. Ou bien ils apportent leurs chiffres, leurs examens, leurs écritures très exactes à ceux qui toute la sainte journée n'entendent parler que de chiffres, d'écritures, de bureau et de travail fastidieux qui les dessèchent, et qui sont subjectivement dégoûtés de toute "économie". Une réforme du langage et de la propagande est ici une priorité. 

4
Tout ce qu'a fait le Parti n'était pas erroné.
C'est tout ce qu'il n'a pas fait qui était erroné. 
 
 
(Ernst Bloch, Le ciel sur terre... in Héritage de ce temps).




8 commentaires:

  1. Interessant !
    Mais que vient faire Michéa dans cette galère ?
    Si je puis me permettre cette question de béotien provincial. Je sais, je sais... (on en a déjà causé)
    Blaireau 58

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  2. On vous renvoie aux thèses réactionnaires et moralistes de l'intéressé.
    Il nous apparaît ainsi absurde de proclamer abstraitement que "c'était mieux avant", conformément au jugement soi-disant spontané de quelque "Peuple français" - entité mystérieuse essentialisée, estimée supérieure au système libéral des riches aux seuls plans de la VERTU et des MOEURS. Ce serait identifier ladite "vertu" - fantasmée - à la pudibonderie ordinaire - elle bien réelle - des maquereaux historiques ayant toujours pressuré, et profité de la masse "populaire" en question : le PCF, en particulier, irrémédiablement nationaliste, productiviste et conservateur. Les travaux récents de Julien Mischi, pour ne citer qu'eux, ont fait justice de cette association inique. Pour le reste, il convient de ne jamais perdre de vue le but stratégique - pour nous - d'une confrontation franche avec le succès fasciste (ancien ou actuel) auprès de la classe ouvrière : arracher les ouvriers à l'escroquerie fasciste, laquelle est escroquerie à l'IMAGINAIRE, à la frustration de ne pouvoir précisément libérer celui-ci du principe de réalité capitaliste. Tel est le but de Bloch, qui est marxiste. Michéa, lui, aujourd'hui reconnaît qu'il ne l'est plus de longue date. Ses objectifs pratiques, dès lors (à supposer qu'il en ait) nous apparaissent indifférents, sinon suspects.

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  3. http://www.revue-ballast.fr/jean-claude-michea-on-ne-peut-etre-politiquement-orthodoxe/
    L'entretien ci-dessus n'est pas une réponse à vos propos mais, malgré son caractère succinct et "superficiel", il peut peut-être relativiser ceux-ci ?
    Je ne suis pas en mesure (par paresse aussi) d'argumenter et ne suis nullement un aficionado de Michéa, dont d'ailleurs je rejette certaines des analyses. Seulement je n'ai aucun goût pour les "excommunications" si fréquentes dans les "milieux révolutionnaires".
    Et puis, si je suis d'accord pour dénoncer tout confusionnisme et toute incohérence profonde, Michéa ne me semble pas être le premier Effray (ou, à votre guise, tout autre faisan) venu.
    Loin me va
    Blaireau 58
    (Je n'abuserai plus de votre espace pour y déposer mes crottes insignifiantes.)

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    1. Vous avez mille fois raison. Mais pour nous, nous n'excommunions pas, jamais. Nous colérons, voilà tout, et émettons parfois, çà et là, quelque préférence claire, du fond de notre solitude. Ce qui est différent, convenez-en. Quant à ce que vous déposez ici, à l'odeur, comme ça, il s'agit de tout sauf de crottes. Quoique nous n'ayons rien contre l'excrémentiel, à son temps, à son heure.

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  4. "Tout ce qu'a fait le Parti n'était pas erroné. C'est tout ce qu'il n'a pas fait qui était erroné." On pourrait détourner cette excellente assertion ainsi : "Tout ce que j'ai fait n'était pas erroné. C'est tout ce que je n'ai pas fait qui était erroné". Et voilà quelque chose qui, à vue de nez, ne me paraît pas erroné, et se montrerait même diablement fécond.

    C'est, en tout cas, des mots que je m'en vais méditer dans ma tanière.

    Merci, Moine, de nous rappeler ces bons mots de Bloch. Ainsi, nous pouvons continuer à lutter, ne serait-ce que contre ce sommeil hypnotique qui nous enveloppe.

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  5. Ainsi donc, le promeneur aurait une tanière, lui aussi...
    Chacun sa grotte.

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    1. La critique faite à Michéa s'applique a ce fameux " socialisme tory " d'Orwell en premier lieu et on a affaire avec Michéa à une décalque très fidèle d'Orwell comme il le reconnaît. Le rapport entre"conservatisme" et socialisme y est aussi ambigu, face à la destruction libérale, ce qui n'empêche pas de s'y intéresser, autant qu'aux critiques de Bloch que vous rappelez concernant le fascisme, qui y ressemblent beaucoup en toute sincérité.

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  6. Sans doute. Mais l'explication des succès fascistes par Bloch répond à des exigences à la fois plus immédiates, plus stratégiques (Hitler a gagné, donc pensons l'erreur à ne plus commettre chez les marxistes) et plus profondes que chez Michéa, qui ne s'en tient qu'à la politique, qu'à " l'antilibéralisme " bien réel du FN aujourd'hui. Et quand Michéa quitte l'aujourd'hui, et évoque (dans l'interview citée par Blaireau 58, pour ne citer que celle-ci) la Première Internationale protectrice, opposant, dans sa genèse, même la solidarité internationale aux techniques " migratoires " dissolvantes du capital, Bloch manipule, lui, carrément des archaïsmes pré-conscients, des archétypes visant à faire émerger, de cet acide en quelque sorte, un "homme nouveau" sorti de l'acide libéral non par le haut, mais par l'avant, par l'avenir. Dans "Héritage de ce temps", il présente ainsi de manière très drôle et spirituelle les Allemands comme un peuple métis (!), au regard de la stabilité millénaire, essentielle et théologique, des Juifs. Bref, la décomposition concerne en effet tout le monde, à y regarder de près. Il n'y a pas que Terra Nova et Joffrin pour défendre cette idée, quoique ils en fassent bien entendu l'usage inique qu'on sait. Debord lui-même notait vers 1986 ("Notes pour Mezioud") que la décomposition, le déracinement touchait les "français souchiens" bien avant de qualifier les immigrés, en tant que cette décomposition affectait leur capacité de conceptualiser, d'exister intellectuellement, et pratiquement, au sein d'un "chez soi", d'un "commun" identitaire balayé de longue date. Le prolétaire est le produit inéluctable de la décomposition. Cette réalité est immensément triste, mais c'est ainsi. Il est exact que partout où il la refuse, qu'il veut par exemple rester un peu artisan, maître de son travail créatif, ou même bouffer correctement, ne pas mourir trop vite de cancer du fait de la pollution généralisée, arpenter les rues de villes encore pas trop ravagées par l'urbanisme, etc etc, le prolétaire est dans son droit absolu. Mais il est non moins exact que cette déshumanisation, cette dissolution de tous les liens sociaux par le capital sera menée à son terme. Reste alors, plutôt que la crispation sur telle identité condamnée (indéniablement plus riche, encore une fois : plus pleine, plus humaine) l'avenir : la perspective permise par l'alliance de l'archétype immémorial et de la pratique révolutionnaire. Marcuse disait que sans volonté de créer un homme nouveau, sans cette ambition anthropologique-utopique (il ne s'agit pas de restaurer une essence humaine déchue - laquelle n'existe pas - mais d'en découvrir ou d'en fonder une), le projet révolutionnaire n'avait aucun sens. Ce désir d'homme nouveau est explicitement refusé (avec le marxisme) par Michéa, qui s'en tient au présent-passé défensif, au "Peuple". Ce que Bloch voit, de manière plus ample, c'est la co-présence du passé et de l'avenir, un passé (à son meilleur, comme disséminé à identifier) non-encore acquitté : prometteur. À condition de ferrailler pied à pied avec le fascisme sur ce terrain même, sous peine, donc, de voir le fascisme (en définitive libéral, patronal, collabo de classe, bref : escroc) maquerauter cette très-féconde pulsion imaginaire.

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