mercredi 22 septembre 2021

La vie sensible

Il y a dans toute cette vogue philosophique de la pureté du vivant, de la vie à défendre comme vie, de la vie sensible, etc, outre l'anti-intellectualisme universitaire conjoncturel dont elle procède, quelque chose de plus substantiellement navrant au plan critique : l'absence de ce pessimisme bien trempé devant toujours, à notre goût, faire écho, chez le penseur valable, au très inamovible, pour ne pas dire presque transcendantal maintien de la société de classes, avec ses barbaries afférentes, réactionnaires ou progressistes. Morizot peut bien ainsi nous parler, avec talent et inspiration, des pisteurs de brousse africains et puis de la vie sauvage et de toutes les nouvelles alliances stratégiques que cette vie sauvage, à condition de la saisir comme telle, pourrait susciter, etc ; Renaud Garcia (que nous aimons beaucoup) pourra bien fustiger, avec toute cette énergie indéniable que nous avons désappris d'envier au spectre des militants actuels, le «catastrophisme collapsologique» ambiant, c'est hélas ! ce dernier qui nous paraît avoir raison, et conserver pour lui la force imparable du dernier râle désespéré et inarticulé. Ni l'un ni l'autre de ces auteurs intéressants, par manque de réalisme, sans doute, ni aucun de ceux ou celles qui leur ressemblent, les lisent, et les apprécient, au point de se battre et de souffrir avec courage pour cette Nature qui se défend, ne nous semblent en veine d'effectivité. C'est le désastre qui a la main, partout. C'est lui qui la conservera vraisemblablement jusqu'au bout, à force de n'être pas compris, ce désastre, précisément comme tendance vitale, purement vivante et naturelle. À force que raison et nature fusionnent et se battent au sein de l'homme même. À force que les gens, qui sont des êtres rationnels, aiment de ce fait même, d'un enthousiasme vital, ce désastre et désirent, au plus profond d'eux-mêmes, avec la dernière excitation, qu'il aille à son terme et remplisse sa mission tragique.  

21 commentaires:

  1. À force de n'être pas compris, le désastre conservera vraisemblablement la Nature-qui-se-défend... en la mettant en conserves ?
    Humeur amère. Passage obligé, reste donc au moins à le comprendre. "Les militants (j'en fus occasionnellement) n'ont fait que fustiger ce monde, il faut désormais recommencer à le comprendre."

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non : le désastre emportera la Nature qui se défend, et la Nature qui n'a pas à se défendre (puisqu'elle est subsistance non-réflexive : vivante) survivra à la disparition de la Nature réflexive et intellectuelle (l'Humanité). Et puis voilà. C'est pas un drame.

      Supprimer
    2. Bon. L'humanité est mortelle, certes. Mais y a la manière, et je n'entends pas de force dans le "dernier râle".

      Supprimer
    3. Entendre une force, il est vrai que c'est difficile.

      Supprimer
    4. Un peu comme éprouver une expérience non-réglée.
      Et pourtant, c'est possible. Adorno en faisait même le fond de son dernier projet sociologique vers 68-69 : soit entre deux appels aux schmitts pour vider l'Institut de Francfort. On est méchant.

      Supprimer
    5. Moi, j'aime bien le jazz.

      Supprimer
  2. Correction rétrospective à mon message précédent, en hommage aux réels combats : "Les militants n'ont fait — trop souvent — que fustiger (...)"

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est ça aussi, à force de lire de vieilles brochures du genre : "le militantisme, stade suprême de l'aliénation".
      Sauf qu'en l'espèce y avait aussi tromperie sur la marchandise (pseudo-négative).

      Supprimer
    2. Bien vu. La collapsologie, stade (encore) supérieur... Le progrès ?

      Supprimer
    3. Pour faire un bon partenaire de discussion, le militant compte parmi les ingrédients indispensables. Encore faut-il qu'il soit, comment dire, un peu passé, un peu rassis. Un peu tourné. Un peu revenu (de tout) aux petits oignons (rouges). Toute (bonne et vraie) négation est ainsi négation déterminée, en gastronomie comme partout.

      Supprimer
    4. Bon appétit alors.
      Je tiens "le catastrophisme collapsologique" pour la plus neuve avancée idéologique de notre époque, d'où son côté "ambiant". Non pas que je ne vois pas le désastre, ni sa force ; mais parce que je ne le considère pas omnipotent, comme semblent le répéter les collapsologues, tout engoncés dans un rapport au temps qui tient du compte-à-rebours, de l'appel indigné à une prise de conscience pourtant déjà intégrée, et ce de manière bien aménagée, s'en prenant aux conséquences toujours pires à venir, plaçant les causes dans une fatalité regrettable, culpabilisant ses victimes autant que ses agents, et préparant les premières à des adaptations forcées. Je n'en défends pas pour autant un avenir radieux. Je sais bien par exemple que des centrales nucléaires, des exils cloimatiques, etc. et que des masques et des vaccins n'y pourront rien.
      En espérant lever un possible malentendu.
      PS. Je n'ai pas lu ce qu'en dit Garcia et je ne sais donc pas si par hasard je me range à ses arguments.
      Bien à vous néanmoins, amicalement.

      Supprimer
  3. "C'est le désastre qui a la main, partout. C'est lui qui la conservera vraisemblablement jusqu'au bout...".

    Mais que vient donc faire cet étrange adverbe au milieu d'un constat aussi implacable que rédhibitoire ? Ce "vraisemblablement" serait-il une porte entr'ouverte vers d'autres perspectives ? Est-il possible que ce désastre n'aille pas à son terme ? Un espoir insensé serait-il donc encore permis alors même que ceux qui se battent et souffrent avec courage pour cette ""Nature qui se défend", ne semblent décidément pas être en veine d'effectivité.

    M'est avis que, sous peine de glisser vers un bien coupable anti-intellectualisme universitaire, vous devriez retremper encore un peu votre pessimisme dans le fiel critique de la dialectique. Il faut en finir avec cette "vie sensible" à l'origine de tant d'idéalisme pervers !

    Héraclite

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Non, je veux dire : bien tenté.
      Et bien vu.

      Supprimer
    2. Dans votre réponse, si l'on comprend que le "bien vu" évoque ma vision dialectique effectivement implacable, on ne comprend par contre pas bien à quelle tentative (à moins que ce soit à quelle tentation !) le "bien tenté" se rapporte. Vous semblez vouloir m'attribuer des intentions cachées qui ne sont pas les miennes: tout est transparent pour qui sait me lire.

      Héraclite

      Supprimer
    3. Le "bien tenté" renvoie à une volonté (non cachée) de rappel aux ambitions pratiques (politiques, révolutionnaires, etc) de la dialectique. C'est bien tenté, parce que, selon nous, vain, la dialectique véritable ne pouvant être que négative (contrairement à la "fausse" dialectique hégélienne, fausse car in fine réconciliatrice), donc bloquée, donc ça ne marche pas, le coup de "dialectique = fin du désespoir = pratique".

      "Bien vu", parce que vous avez (bien) vu à quel point notre propre propos (pessimiste) relève aussi de la sensibilité, et du plaisir (décadent). Y a pas de mal à se faire du mal. Le pessimisme collapsologue, c'est si bon. On confesse nos crimes.

      Supprimer
    4. Vous confondez réconciliation et dépassement: ne vous en déplaise, dusse-t-elle laisser sa peau dans ce désastre, la vieille taupe fait toujours son travail.

      Héraclite

      Supprimer
    5. Nous refusons d'imposer le travail à quiconque, fût- ce aux taupes. La dialectique, c'est, Héraclite, comme les antibiotiques, pas automatique.

      Supprimer
  4. La Nature... Baste ! A vous lire, et quitte à être un tantinet taquin, je repensais à la missive de Truffaut à Godard l'admonestant de belle façon sur ses poses de révolutionnaire de celluloïd et affirmant, qu'à tout prendre, il préférait le militant, plein d'effectivité, qui remplissait la feuille de sécu d'un illettré, balayait la salle de réunion après la réunion, distribuait ses tracts pour la bonne vieille cause.
    Et puis, pour connaître, un peu, Renaud Garcia, je puis vous assurer qu'il a bien conscience que le désastre à la main partout. Il faut croire que lui, moi aussi et quelques autres (je pense aux copains de La Lenteur ou de P&MO) persistons, malgré et à cause de cela, à défendre la vie comme vie. Dialectique tristounette mais dialectique quand même. Il me semble.
    Le bonjour et la santé chez vous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Hardy-Lambert (le chef trotskiste mythique de Lutte Ouvrière) semble avoir été de l'avis de François Truffaut, relativement à cette "figure de moine-soldat préférable, à tout prendre, à celle du petit-bourgeois qui fait de la politique" (sic). Le problème, c'est que cette vision de la politique façon moine-soldat est elle-même petite-bourgeoise, et que cette fascination pour le sacrificiel militant relève d'une haine de soi anti-intellectualiste fleurant bon le léninisme culpabilisant, c'est-à-dire mal déchristianisé. Marx sans Schopenhauer, ça ne vaut rien. Et inversement.

      Supprimer
  5. C'est quand même un peu un truc d'escroc le catastrophisme. Déjà parce qu'on y constate un effet de mode. Par exemple, dans les années 80 la caca la cata imminente était la guerre thermonucléaire, du fait que tout était en place pour que la moindre erreur de manipulation, inévitable, envoie la purée. Or aujourd'hui rien n'a changé de ce côté-ci du précipice, mais on n'en parle tout simplement plus alors que ça devrait suffire à clore tout débat (qu'il reste ou non des oran-outangs permaculteurs à radiocarboniser, mais quel intérêt?) On croirait vraiment un truc de petites vieilles, toujours à la recherche d'un sujet pour se biler dans l'espoir que suffisamment de mauvais sang conjurera le danger. Ensuite, ces gens-là sont tout ce qu'il y a de plus utopiste, ils le sont juste d'une manière totalement perverse. Sans être marxologue, je crois qu'un tout petit peu de Karli pourrait nous aider, en rappelant simplement qu'une société se reconduit matériellement en reproduisant dans un même mouvement ses rapports sociaux. C'est à dire que l'inertie sociale réformiste est juste normale, où est-ce que dans l'histoire on a vu une société se mettre toute seule en crise, c'est à dire menacer sa base matérielle, par simple anticipation? Ce qui met en crise ce sont les contradictions intenables dans la société. Quand on vivra sous passe-carbone et que le prix de l'électricité atteindra des niveaux stratosphériques (à la pompe et ailleurs) alors qu'on ne pourra plus sortir de la toile du tout-connecté, on verra bien si et comment ça se retournera. Et oui, ce sera «trop tard» et certainement pas beau à voir, mais c'est comme ça que ça marche, le peu qu'apprend l'humanité c'est de ses douloureuses erreurs et tous les volumes du monde où de pessimistes altitudes nous entretiennent par le menu de l'absurde et tragique condition des termites n'y changeront rien (soyez un peu rationnels les mecs, sauvez des arbres!) Bien d'accord donc, dans l'absolu c'est pas grave, puisque c'est attendre autre chose qui est a priori déraisonnable (c'est au passage le même tour de bonneteau qui alimente un certain dandysme misanthrope tout ce qu'il y a de plus droitard et satisfait de la société de classes). Un indécrottable optimisme ferait même dire que dans tous les cas c'est juste le Tao (sinon on peut toujours essayer le 36 14).

    RépondreSupprimer