samedi 14 novembre 2020

Toute ressemblance, etc

«Hegel décrit [ici] trois types de régime donc chacun représente un progrès [...]. Ils sont chacun liés de manière intrinsèque à la structure de la société qu'ils régissent. L'image générale de la société est telle que le "système des besoins" est un "système de mutuelle dépendance physique". Le travail de l'individu ne garantit pas l'assouvissement de ses besoins : "Une force étrangère à l'individu et sur laquelle il reste sans pouvoir" décide de leur satisfaction. La valeur du produit du travail est "indépendante de l'individu et sujette à un constant changement".

[Stade 1]

Le système de gouvernement lui-même participe de cette anarchie : le principe qui gouverne n'est rien d'autre que "la totalité aveugle, non consciente, des besoins et de leurs modes de satisfaction". La société est certes obligée de contrôler son "destin aveugle et inconscient". Le contrôle, cependant, demeure incomplet tant que prévaut l'anarchie générale des intérêts. Une richesse excessive va de pair avec une excessive pauvreté, et le travail purement quantitatif jette les hommes "dans un état d'extrême barbarie", en particulier la partie de la population "soumise au travail mécanique des fabriques" ("bewusstloses, blindes Schicksaal" ; "höchste Roheit" ; "mekanische und Fabrikarbeit").

[Stade 2]

L'étape suivante du gouvernement, présenté comme "système de la justice", équilibre les antagonismes existants, mais seulement dans le cadre des rapports de propriété donnés. Le gouvernement repose alors sur l'administration de la justice, mais il administre la loi "dans une parfaite indifférence envers la relation d'une chose aux besoins d'un individu déterminé". Le principe de la liberté, à savoir que "les gouvernés sont identiques aux gouvernants", ne peut être pleinement réalisé, puisque le gouvernement ne peut éliminer les conflits entre intérêts particuliers. Aussi la liberté n'apparaît-elle que "dans l'organisation des tribunaux, dans l'examen des litiges et leur règlement".

[Stade 3]

Hegel esquisse à peine ici le troisième système de gouvernement. Il n'en est pas moins significatif que le concept central de son analyse soit le concept de "discipline" (Zucht) : "La grande discipline est représentée dans la moralité générale et dans l'entraînement de l'individu à la guerre, et dans l'épreuve de sa valeur militaire."

[Conclusion]

La quête d'une communauté véritable débouche ainsi sur une société régie par une extrême discipline et par l'éducation militaire. L'unité véritable entre l'individu et l'intérêt commun, en laquelle Hegel voyait tout d'abord l'unique fin de l'État, a abouti à un État autoritaire chargé de mater les antagonismes croissants de la société individualiste. La discussion des divers niveaux de gouvernement est ainsi une description concrète de l'évolution conduisant d'un système politique libéral à un système autoritaire. La critique de la société libérale est inhérente à cette description : l'essentiel en est la démonstration que la société libérale engendre nécessairement un État autoritaire.»

(Herbert Marcuse, Raison et Révolution, 1939)

1 commentaire:

  1. Confirmation par la loi "blagole et pas drone". Lire cette excellente analyse d'un juriste d'État : Yves Jeanclos, dépassant le iatus des images.

    Démocratie policière, "troisième système de gouvernement" ? Démocratie par la peur, "phase 3" en quelque sorte... Tiens, comme un vaccin ARN. L'occasion aura fait le larron.

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