vendredi 3 juin 2016

Léon de Mattis, en soutien à La Discordia


Dans la nuit du 21 avril, les vitrines de la bibliothèque anarchiste parisienne la Discordia ont été brisées à coups de marteau. Les discordistes expliquent dans un communiqué que les positions qu’ils ont adoptées à l’égard de « l’islamophobie » sont la cause de cette attaque anonyme.

La question de l’islamophobie ne devrait pourtant pas diviser les tenants d’une critique radicale du monde du capital. Ceux qui sont visés par la politique répressive de l’État et des flics dans un pays comme la France ne le sont pas parce qu’ils sont musulmans, mais parce qu’ils sont prolétaires. Qu’une partie des prolétaires se reconnaissent eux-mêmes comme musulmans ou non ne change rien à l’affaire. Le capital ne donne jamais comme telles, benoîtement, les raisons de ses nécessités politiques : celles-ci apparaissent avec les idéologies qui sont la forme même de ces nécessités.

Ce devrait donc être le propre de la pensée radicale de ne pas se laisser abuser par les faux débats qui séparent droite et gauche du capital. Ce qui est en jeu, et qui explique les choix politiques de l’État français, n’est pas l’opposition entre des musulmans et des chrétiens ou entre des religieux et des laïcs, mais le rapport entre les prolétaires et la classe dominante. Perdre ce point de vue, c’est se situer ailleurs que dans la perspective de la critique radicale. C’est participer au débat qui oppose Manuel Vals à Emmanuel Todd ou Edwy Plenel.

Et dans ce débat, tout est biaisé. Ceux qui critiquent l’islam ne critiquent pas toutes les religions, mais seulement celle-ci. Ceux qui défendent l’islam dénoncent le racisme de ce qu’ils appellent l’islamophobie mais refusent de tirer les conséquences de l’inscription de ce racisme dans les rapports de classe. Ils ne relèvent jamais que l’islam n’est plus tellement une difficulté quand c’est l’islam des riches. Quant aux prolétaires des cités, ce n’est pas seulement leur religion, réelle ou supposée, qui pose problème à l’État, mais bien, à en croire le discours dominant, tout ce qu’ils font : bizness, délinquance, « incivilités »…

Il y a aussi la force de l’islam politique, dont il ne faudrait pas sous-estimer l’appétit de pouvoir. Dire que l’islam est la religion des dominés est un pur mensonge. Il y a des classes dominantes dont la religion officielle est l’islam. Il y a des dominés qui se reconnaissent comme musulmans ou chrétiens et d’autres pour qui la religion n’est en pas un élément d’identification. L’islam politique, dans ses composantes conservatrices et réactionnaires comme dans ses formes extrémistes, voudrait faire croire que les bourgeoisies des pays musulmans et les prolétaires immigrés en occident ont des intérêts communs. C’est la reprise du credo anti-impérialiste dont on connaît le triste résultat. L’islam politique joue à l’heure actuelle le rôle que jouait les idéologies nationalistes de la période de la décolonisation : enrôler des prolétaires au service de capitalistes dans leur guerre contre d’autres capitalistes.

La religion n’est pas un phénomène divin, mais un phénomène social et politique et c’est en tant que telle qu’elle doit être analysée. La religion apporte aux appétits terrestres la justification des nécessités célestes. Comme politique, elle ne peut être autre chose que le discours auto-justificateur du pouvoir. La critique de la religion est la condition de toute critique.

Toutes ces considérations sont donc loin d’être partagées puisque la Discordia a été attaquée en pleine nuit. Quelles que soient nos divergences, tant sur le plan des idées que des méthodes, je suis dans cette affaire du même côté que les discordistes, tandis que ceux qui, voulant dénoncer les discriminations, défendent les religions se rangent à coup sûr dans le camp des dieux et des maitres.

Léon de Mattis.


[Repris de son blog.]

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