mardi 8 mai 2012

Petite leçon d'entomologie austéritaire

« À ces fourmis belliqueuses, il convient, dans un dernier paragraphe, de joindre les grandes et redoutables fourmis Visiteuses ou Chasseresses de l'Afrique du Sud, de la Guyane, du Mexique et du Brésil : les Dorylini, les Ecitini et les Leptanillini.

Elles ne font pas la guerre à proprement parler, parce que rien ne leur résiste et qu'elles ne rencontrent jamais, pas plus que la tornade ou le typhon, un adversaire qui ose leur barrer la route. 

Les Dorylines Anomma d'Afrique, assez récemment observées par J. Vösseler, sont, comme les Ecitini ou Ecitons Hamatum, étudiées par Hetschako, W. Muller, Bates, Belt, Bar, etc, d'énormes fourmis aveugles, exclusivement carnivores, n'ayant d'autre industrie que le massacre et le pillage,

ne fondant pas de villes mais jalonnant leurs routes de camps ou plutôt de bivouacs, forcément nomades, parce qu'elles dévastent rapidement et complètement les lieux où elles s'arrêtent.
 

Elles organisent militairement, méthodiquement leurs expéditions prédatrices, se font précéder de quelques éclaireurs,
 

mais bientôt, impatientes de pillage et de carnage, surgissent à flots de toutes les crevasses et inondent la plaine ou la jungle. 
 

Marchant au pas de charge, elles serrent leurs rangs entre deux haies d'officiers à grosse tête et à mandibules crochues qui les protègent, les dirigent, les surveillent et, à la moindre alerte, fondent sur l'ennemi.
 

Afin que rien ne leur échappe, elles envoient à droite et à gauche des détachements de fourrageurs. 

Les mouvements de ces masses qui représentent dans le monde des insectes le cataclysme que serait dans le monde des quadrupèdes sans défense le déchaînement d'une horde de plus de deux millions de loups (car c'est à ce chiffre que s'élèvent les estimations les plus modérées) sèment partout une panique indicible que précèdent souvent des vols d'oiseaux.


Tout ce qui n'a pu fuir est instantanément massacré. La proie trop lourde est dépecée sur place et les morceaux sont portés à l'entrepôt général. S'il y a sur leur route un poulailler (...) elles n'en laissent que des os.  


Après le passage des Dorylines, comme après le passage de leurs soeurs américaines les Ecitons, on ne trouve plus un être vivant. Quand elles prennent d'assaut un village, elles y dévorent tout ce qui remue, mais en revanche l'assainissent à fond : il n'y reste plus trace de vermine,  
 

 
et les habitants, qui d'abord avaient déguerpi, finissent par reconnaître que leur malheur a des compensations qui ne sont pas négligeables. »




Maurice Maeterlinck, La vie des fourmis.



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