lundi 7 février 2022

Working-Class Éros


Il est notable que Shiva, représentant dans l'Hindouisme le Dieu de la destruction du voile de l'ignorance, désigne plutôt, dans le petit cosmos du capitalisme français, une entreprise de ménage et repassage à domicile donnant, à en croire certaines affiches placardées ces jours-ci dans le métro parisien, ≪toute satisfaction à ses clients depuis plus de 20 ans≫. Shiva a donc décidé récemment de magnifier le prolétariat qu'il emploie, dont on ignore s'il pratique, quant à lui, le Yoga après le travail. Shiva étant en effet aussi le dieu du Yoga, cette activité d'épanouissement martial semble surtout renvoyer ici, dans le monde bien contemporain du Spectacle, à une certaine capacité de souplesse et d'énergie productive appréciable, matérialisée, comme chacun sait, chez son sujet divin, par la possession de quatre bras, ce qui s'avère ma foi extrêmement utile pour nettoyer de fond en comble un duplex bourgeois en un temps record, afin que ses propriétaires puissent s'adonner, eux, en toute sérénité, sitôt la journée de labeur numérique abattue et les enfants enfin extraits de l'école, catholique ou Montessori, au Yoga, précisément, à moins que ce ne soit au Taï Chi Chuan, au Feng Shui ou à la méditation pleine conscience, entre deux séances Netflix. 

Tout dépend donc, dans la vie, de quel côté du Yoga et de la sérénité l'on se place. Question de karma, sans aucun doute. Cela méritait bien un petit ≪dépoussiérage≫ symbolique du métier de femme de ménage, associé traditionnellement, va savoir pourquoi, dans l'inconscient collectif (comme dirait Carl Jung, grand spécialiste de l'Inde mythologique, lui aussi) à l'exploitation la plus éhontée et méprisante qui soit de la force de travail. Ce toilettage bourgeois du Prolétariat montre cependant assez vite ses limites. Dans le métro, passe encore ! Le voyageur pressé aura, certes, tout loisir d'y méditer la bonté d'âme du groupe Shiva, capable d'offrir, grand seigneur, à ses employées, un sublime portrait des célèbres studios Harcourt. Il est vrai qu'il en faut si peu pour satisfaire une femme. Faites-lui croire qu'elle est une star, une princesse, une vedette de cinéma et le tour est joué. Las ! Le spectateur désabusé, néanmoins, volontiers amer et ressassant un vieux fond de mauvais esprit critique, aura tôt fait de constater, s'étant préalablement renseigné plus avant sur les conditions de travail régnant chez Shiva, que la magnificence se paie là, comme toujours, au prix fort. Femme de ménage, cela semble bien vouloir dire, encore et toujours, soumission extrême à des exigences très prosaïques de ≪productivité, rapidité, souplesse, flexibilité, etc≫, tous concepts n'évoquant rien moins que réalisation ou développement personnels, selon le lexique en vigueur chez les clients réguliers (et satisfaits) du groupe Shiva, lesquels possèdent, par exemple, le pouvoir permanent de contrôler, via une ≪appli≫ bien pratique l'activité en temps réel de leur employée de maison préférée. 

(source : site internet Shiva)

On notera aussi, sur le site de l'entreprise, une représentation graphique de l'employée plus conforme à ce que l'on attendait, c'est-à-dire qu'elle apparaît là interchangeable, impersonnelle (quoique, évidemment, majoritairement féminine), simple exemplaire sans visage d'une force de travail en vérité très classiquement conçue.

En ce qui nous concerne, donc, les prolétaires peuvent bien, à l'occasion, arborer un beau regard transfiguré sur les affiches noir et blanc de propagande métropolitaine, ≪dépoussiérer le statut antédiluvien sous lequel on les fait survivre quotidiennement en toute hypocrisie risque de s'avérer plus compliqué que prévu. On a toujours tort d'être fier de son métier. Il n'y a pas de beau métier en ce monde-là. C'est notre petit doigt qui nous le dit et cela vaut, entre autres, pour les employées de chez Shiva. Nous réserverons d'ailleurs, dans la foulée, un certain autre de nos dix doigts, prolongeant chacun de nos deux pauvres bras (n'étant hélas ! pas, quant à nous, des divinités multibrachiales respirant la félicité cosmique) aux très heureux propriétaires et clients (voir ci-dessous) de l'officine susmentionnée. Afin de leur faire passer ici même un chaleureux message de bienveillance et d'amitié transcendantale.   

2 commentaires:

  1. J'ignorais que Shiva était marié avec la Mère Denis ! On en apprend des choses sur votre blog !
    Zubinette

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