≪Le socialisme était conçu par Marx comme la phase supérieure de la société, dans laquelle tout ce qui s'était développé au cours de la phase bourgeoise devait être dépassé, c'est-à-dire à la fois dépouillé de son absolutisation et sauvegardé. En Russie, les éléments de la préhistoire sont présents mais on les trouve au contraire en morceaux et déformés jusqu'au gigantisme. C'est dans les procès que cela saute aux yeux le plus nettement. Si ce fut la gloire de la bourgeoisie de laisser à l'individu, en principe du moins, fût-il accusé ou suspect, la liberté de se reconnaître coupable ou non coupable, et si l'État avait le devoir de lui prouver la vérité, à lui comme à la société, les tyrannies soviétiques, pour leur part, reconnaissent bien ce principe, sauf que l'État, véhicule radieux de la clique la plus rouée qui soit, réduit l'individu à néant. L'épave intellectuelle qui est ici contrainte d'avouer, c'est l'image grimaçante de l'être humain que la bourgeoisie — pour ses plus proches intérêts et non par inspiration, mais toutefois avec une réelle insistance — voulait respecter et accomplir. Ce qui s'est déroulé dans les caves des commissariats de police de ses grandes villes se présente maintenant à elle, dans le prétendu socialisme, comme sa propre caricature, et la mauvaise conscience — qui en des jours meilleurs faisait que les gens convenables détournaient les yeux de tels défauts d'aspects — a aujourd'hui le regard fixé sur le miroir grossissant à l'Est. Si, voyant ces conséquences, la bourgeoisie ne fait pas un retour sur elle-même, si de la poutre dans le miroir elle ne conclut pas au moins à la paille dans son œil à elle, la caricature russe du socialisme constituera le modèle pour la dernière phase de la société bourgeoise. Hitler et ses collègues méditerranéens ont déjà fait les premiers pas. ≫
(Max Horkheimer, ≪L'avenir de la bourgeoisie≫,
in Notes critiques, 1953-1955)
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