samedi 10 janvier 2015

Prolégomènes à un dimanche de communion


Passé, ce matin, devant une agence immobilière, dans un quartier tendance du Nord-est parisien. Dans la vitrine, distraitement aperçu, aux confins de deux annonces proposant les locations d'un appartement de 45 m2 (1190 euros mensuels) et d'un studio de 19 m2 (785 euros), cette prédication simple, sobrement exhibée  par le propriétaire de la boutique sur un autocollant : Je suis Charlie. Interloqué, emporté - cependant - un peu plus loin, par le seul élan de la marche. Et quelques pauvres secondes après, déjà rectifié mentalement, déjà dissipé cette très probable illusion d'optique. C'est : Je suis cher, là ! qu'il convenait certainement de lire. 

*** 

Après le déferlement de Je suis Charlie, voici donc, à présent, le déferlement contraire de Je ne suis pas Charlie
Misère de l'ultra-gauche. 
Misère, en regard de la faribole citoyenniste, de ce second marché de la nostalgie collectiviste et, quoi qu'ils en disent, unanimiste.
Je ne suis pas Je ne suis pas Charlie. 

 *** 

Celui qui tire, aujourd'hui, un simple signe d'égalité abstrait entre les barbaries d'État et religieuses ne mérite à nos yeux ni égard ni patience. L'État est un dispositif politique, ne se maintenant jamais que par la légitimité philosophique que lui accorde la masse. Ce dispositif ne doit jamais sa survie qu'à l'hégémonie culturelle et intellectuelle dont il bénéficie parmi la majorité des opprimés. La force militaire ou policière ne lui suffit point. L'État appelle, de manière automatique, pour ainsi dire, phénoménologique, sa propre négation. Il est dans son destin de se révéler comme mensonge essentiel, dès lors que se sont vues confrontées, dans l'esprit de qui est libre de réfléchir, l'égalité formelle de tous devant la loi et l'inégalité réelle des dominants (que l'État protège par nature) et des dominés. Cette aperception du mensonge que représente l'État a pour condition sine que non l'exercice de sa liberté rationnelle. Pour réfuter tel larbin philosophique de l'État, il faut être en état de se mouvoir parmi les idées, d'user, de manière autonome, de concepts qui mettront un tel mensonge, une telle illusion, en pleine lumière. Les penseurs apologètes de l'État furent souvent de grands esprits. Lorsque Rousseau ou Hegel lient la nature de l'État à la réalisation d'un contrat social, ou d'une Idée éthique, il n'est, après eux, qu'un autre penseur, d'un calibre de Marx, par exemple, qui soit alors capable de présenter, arguments à l'appui, la fausseté de semblables assertions. Ce calibre-là, celui de Marx, n'est pas celui des frères Pois-chiche, qui ont frappé l'autre jour dans le onzième arrondissement de Paris. 
La Religion, pour elle, ne connaît que la force, l'arbitraire, la soumission violente à une vérité révélée n'appartenant à personne d'autre qu'à celui qui l'aura émise, du fond de son cerveau. La Religion n'appelle pas la conviction, l'assentiment, la légitimité, l'accord, l'acquiescement. Elle n'appelle jamais que la soumission à une force d'autant plus incontestable qu'elle sera plus absurde. Je crois parce que c'est absurde, dit Tertullien. La Religion représente le triomphe assumé de l'Ignorance, le désespoir organisé et célébré, comme une libération, la seule qui vaille, des capacités de libre raisonnement. Les frères assassins de Charlie-Hebdo furent ainsi formés par une variété spéciale de savant, ou d'anti-savant, le savant étant ici, d'ailleurs, autant chéri comme hypostase absurde que parmi l'élite scientiste moderniste. Au bout du raisonnement, cependant, d'un quelconque «savant en Islam», ainsi que se présentent les prédicateurs musulmans (le très gauchiste Tariq ramadan, par exemple), il y a toujours un premier moteur que nous jugerons absolument absurde : à savoir un Dieu, dont nous nions l'existence, ou un texte écrit par tel prophète de rencontre, dans lequel nous ne reconnaissons que délires, plus ou moins inspirés sur le plan esthétique, de l'imagination humaine. Il ne s'agit pas de dire que les musulmans sont là pires que les autres : la kippa des Juifs leur sert tout autant d'écran entre une condition de misère essentielle qu'ils s'auto-administrent humblement, à l'appel de leurs prêtres, et une sublimité divine littéralement inapprochable, et écrasante. Il s'agit de reconnaître que la Religion est pire que tout. Il s'agit de comprendre que ne pas chercher à comprendre la puissance de Dieu, reconnue par nature inexplicable et incompréhensible, c'est être un bon croyant, et même, n'en déplaise aux cathos de gauche ou aux gentils musulmans compatissants devant l'incroyable massacre récent des soixante-huitards libertins de Charlie-Hebdo, le croyant parfait : le croyant idéal. Il s'agit de comprendre, et d'admettre en toute honnêteté intellectuelle (si nous acceptons encore d'y consentir) que croire en Dieu revient littéralement à désespérer des concepts, à mépriser l'intelligence,  et à haïr la raison, toute somme de comportements qu'aucun sbire de MM. Cazeneuve ou Valls, tout répugnant soit-il, ne pourra, à l'heure où nous écrivons ces lignes, exiger de nous à la lettre, ledit sbire nous accordant donc, par là même, de penser sa chute et celle de son maître, leur possible disparition ignominieuse, leur caractère de contingence historique, qui passera. 
Le fait, donc, de refuser de s'associer à quelque moment ignoble d'unité nationale organisée par des salopards socialistes encore tout chauds du sang de Rémi Fraisse, entre autres ignominies, ne doit pas empêcher d'établir une hiérarchie pragmatique entre des barbares rationnels, des monstres froids étatiques comme disait Nietzsche, permettant, par le fanatisme scientiste même de leur hommage perpétuel rendu à une raison qui n'est pas la nôtre, de les combattre, et d'autres barbares, des barbares dont la dangerosité est, pour nous, sans équivalent, de par la promotion consciente, et perverse, que ceux-là assument - tranquillement - de la mort considérée comme seule vie valable et réelle, et de l'ignorance absolue caractérisée comme seule liberté.

16 commentaires:

  1. ce qui n'empêche pas les religieux de pouvoir se transformer eux-mêmes en état, avec police et tout le toutim...

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  2. L'inquisition était un instrument d'État.
    Voué à disparaître devant l'efficacité, nouvelle, de l'État nouveau, l'État prétendant désormais incarner la libre volonté collective, et tendant donc (aux moins imbéciles, soucieux d'user de leur "liberté" nouvelle) les verges théoriques pour se faire battre.

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  3. Pas très cher le 45 m carrés !

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  4. C'est le côté solidaire : Je suis Charlie.

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  5. Nom de diousse! je suis complètement d'accord avec vous cher moine. Bordel à queue! ça fait vraiment plaisir de lire ça! J'en venais à désespérer de tous ces cons...
    Perrache

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  6. Merci pour ce vibrant moment d'essentialisme laïque...

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  7. Votre mauvaise foi n'a d'égale que votre imprudence.
    Prenez garde à ce fait avéré qu'en matière d'essentialisme, c'est souvent celui qui le dit qui y est.
    Bonne soirée, M. Tévanian.

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  8. Chapeau bas pour ces éclairantes pensées, Vénéré Moine.

    Les chèvres de l'Orée viennent de vous décerner les Oreilles de platine.

    (Je précise que les Oreilles ne sont jamais décernées à des représentants de la gent masculine, mais vous le saviez déjà, en tant que non-représentant - ou non-agent.)

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  9. Nous vivons des temps sombres, Monsieur le Marquis. Et nous mettons le cap, bien malgré nous, vers des temps plus sombres encore.
    "Dans le maelström."
    Voilà. Nous y sommes.
    Nos amitiés émues.

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  10. Ah zut alors ! Qui donc était-ce, déjà, qui a écrit « To be or not to be Charlie, that is the question… » ?

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    1. Sans doute quelqu'un qui voulait qu'on liquide, parce que les chèques, c'est pire.

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  11. Salut Moine, s'il faut donc jouer au jeu des hiérarchies, on notera que la religion présente, du point de vue des infidèles, un avantage certain sur la politique : c'est qu'au moins Dieu n'existe pas contrairement à l'état... Quant au "je ne suis pas Charlie", ne lui donnons pas plus de signification que celle-ci : je ne suis pas Kouachi mais je sais sur quoi je chie...
    Sur ce bonsoir

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    1. Quand une idée - fausse, absurde ou juste - s'empare de quelqu'un (et a fortiori de deux personnes, fussent-elles aussi brillantes que les deux frères pois chiche), elle devient une force matérielle. Cette force peut prendre une importance physique considérable. Demandez-donc leur avis aux soc-dem de Charlie-hebdo. Nul doute qu'ils eussent préféré l'efficience de l'État qui - lui - existe davantage, selon votre analyse.

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  12. Et l'Etat, cher moine, est un moloch imaginaire aux dents clairement tranchantes qui étouffent, sinon éborgnent et tuent. L'irréalité tue au bout d'armes sérieuses, le mensonge est vivant.

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  13. Il ne s'agit pas de défendre l'État. Relisez notre texte.

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