Après qu'il aura correctement massacré la zone défendue ces jours-ci - avec ardeur - par les habitants de Notre-Dame-des-Landes, après qu'il aura transformé cet espace rare et préservé en cauchemar aéroportuaire international, le gouvernement socialiste français, qui ne désire en tout que VOTRE bien, s'apprête (ainsi que nos lecteurs et lectrices fidèles le savent déjà probablement) à en finir une bonne fois pour toutes avec le grand fléau de la prostitution, selon l'expression récente d'un très petit énarque de ce bord-là, lequel n'a - d'évidence - jamais rendu visite, au cours de son existence enthousiasmante, à un(e) quelconque travailleur(se) du sexe. Ou encore à une PUTE, comme les putes choisissent souvent de se désigner elles-mêmes (filles ou garçons), tant cette tartufferie fameuse dont le visage de M. Ayrault suffirait seul à fournir une idée convenable - et qui entend donc aujourd'hui les éliminer de la vie publique - les dégoûte, les agace ou encore les fait rire, selon les tempéraments et les périodes.
Le Moine Bleu, quant à lui, aime aller aux travailleur(SE)s sexuel(le)s, afin de les écouter et de les entendre, afin de leur présenter, également, ses respectueux hommages.
Les témoignages ci-dessous, qui ne représentent évidemment pas l'ensemble des points de vue sur la question, ont été recueillis entre Janvier et Novembre 2012.
Il s'agit, d'abord, d'une définition spontanée de son activité par une jeune escort, ensuite de l'interview de Morgane, membre et porte-parole du STRASS (le Syndicat du Travail Sexuel).
Qu'elles en soient toutes deux remerciées.
1- Elsa
Me présenter...
Je suis une étudiante de 22 ans en littérature. Je ne suis pas entrée dans le métier par nécessité. Quand je suis allée à la fac, je suis entrée dans une association féministe qui avait à cœur de défendre la prostitution de choix et la distinguait de la traite des êtres humains. C'était très différent de ce qu'on m'avait toujours dit au sujet de la prostitution, de sa violence supposée, de l’avilissement que c'était supposé engendrer. J'ai écouté ces autres voix qui parlaient de choix, de respect, et rencontré des putes, hommes et femmes, qui se disaient heureuxSES. Très vite, j'ai pris conscience qu'il me fallait aller plus loin, que je ne pourrais être sûre de mon discours que s'il faisait partie d'une expérience vécue. Je ne dis pas qu'il faille obligatoirement se prostituer pour défendre la prostitution de choix, je dis que moi, j'en avais besoin.
J'ai commencé mon travail en Mars 2009 par petite annonce internet. Mon premier rendez vous consista à aller déjeuner avec un charmant jeune homme qui avait besoin de faire quelque chose de transgressif. Pour lui aller déjeuner avec une pute était le summum du transgressif, pour moi l'aider à faire quelque chose qui lui faisait du bien était lumineux.
Puis il y eut le premier client à payer pour un service sexuel. J'avais une peur bleue, je suis sortie au matin avec un sentiment de puissance, de joie et de calme assez impressionnant. Je me sentais bien, on m'avait bien traitée, on m'avait parlé avec douceur, offert à dîner, un petit déjeuner, abordé des thèmes de société et parlé de théâtre élisabéthain.
Je suis restée occasionnelle 6 mois. J'avais envie de vacances, je bossais. J'avais envie d'un truc, je bossais. Mes parents payaient mon loyer, et officiellement je vivais sur ce que la CAF me versait, ça suffisait pour manger et même sortir, de temps à autre, au théâtre, mais je pensais depuis un moment à trouver un job d'appoint.
Ensuite j'ai arrêté : c'était chronophage. Les mails et les demandes arrivaient à tout moment, par dizaines. Je m'emmêlais dans les rendez-vous, je répondais deux semaines en retard, c'était pas sérieux, pas professionnel, j'ai stoppé. Il y a un slogan de la lutte des putes qui commence par « prostituéE, c'est un métier » et il n'y a rien de plus juste. Pour moi, il faut être professionnel, et pour ça il faut s'y investir.
Je suis allée bosser au Mac Do, avec des horaires définis, un salaire fixe, c'était autre chose, c'était beaucoup moins d'implication, je pouvais le dire aux gens, et je pouvais me plaindre de mes clients, il n'y a pas de jugement moral particulier pour les travailleurs de la restauration rapide, on me plaignait.
Cette année j'ai emménagé avec un ami, je n'ai plus envie de dépendre de mes parents, alors j'ai repris de manière régulière. J'ai conscience d'avoir des conditions de travail agréables qui ne sont pas celles de toutes les putes. Ma vie, mon parcours sont les miens. J'ai des amiEs ouvertEs, qui ne dévalorisent pas mon travail, qui le comprennent, à qui il ne viendrait pas à l'esprit de répondre à « J'ai eu un client désagréable » par : « ça prouve que ton activité est mauvaise et qu'il faut arrêter de faire ça.»
Tout le monde n'est pas capable d'exercer ce métier, tout le monde n'est pas non plus capable d’être contrôleurSEs aérien, avec les responsabilités que ça implique, ou ouvrierEs à la chaîne, qui est un travail très dur et qui n'est pas assez valorisé, ou autre chose.
J'ai rencontré des gens qui vivaient mal notre métier. Bien souvent, le problème de fond c'était le regard des gens, les jugements de valeur des gens qui bloquaient. Les putes étudiantes qui ont vu leurs photos affichées sur les murs de leurs facs, les gens qui ont pensé pouvoir le dire aux personnes qui partageaient leurs vies, amiEs, amantEs, proches et qui se sont pris en pleine face des mots très durs. C'est aussi le cas des acteurs pornos, des modèles érotiques et de tout ce qui à un rapport avec le travail sexuel. Bien sur, je ne dis pas que c'est la seule raison pour laquelle on peut mal vivre la prostitution, il y a de la violence, mais je ne vois pas en quoi empêcher par tous les moyens la prostitution de s'exercer va réduire cette violence.
Quand j'ai rouvert ma messagerie professionnelle en 2011, j'ai trouvé des mails de plus d'un an, de clients inquiets, qui voulaient juste savoir si j'allais bien. J'ai eu une bouffée de tendresse pour ces gens. Dans mon métier il y a cet aspect, très rare, de ces gens qui, après une rencontre, vérifient qu'on est bien rentrée, qu'on va bien. Qui s'inquiètent de notre plaisir, de notre bien-être. Des gens ont pleuré dans mes bras, ils ont joui, ils ont ri, discuté, soufflé. Parfois, le service sexuel, c'est une excuse, les raisons sont plus profondes, ce n'est pas la majorité des clients, mais preuve en est que ça existe.
Prendre dans mes bras un corps fatigué, usé, hésitant, un corps qui ne cherche qu'un corps ami, sur lequel se reposer en confiance. Lisser ce corps, le bercer, le rendre plus léger. C'est ce qu'il y a de beau pour moi, dans mon métier.
C'est pas toujours ainsi, mais ça compense de beaucoup mes clients plus désagréables, la peur de tomber sur un plaisantin, un agresseur ou la police.
J'ai rencontré le STRASS (Syndicat du Travail Sexuel) le jour de sa naissance, mon association était invitée aux Assises de la Prostitution du 20 mars 2009. J'y suis allée, c'était hallucinant. On a annoncé la création dans la grande salle, j'ai vu une prostituée qui avait 40 ans de métier pleurer, elle m'a dit à quel point elle attendait ça, à quel point elle avait de l'espoir, là tout de suite. C'était le lendemain de la sortie télé d'un grand reportage qui laissait parler des prostituées libre de leur choix.
Certaine étaient là, je me suis approchée de l'une d'elles, et je lui ai dit : « Vous êtes formidable, merci de parler pour nous » et elle m'a dit : « Je n'ai pas le choix, il faut lutter. Et un jour, c'est toi qui parlera. » J'ai pas osé prendre mon adhésion ce jour la, j'étais une occasionnelle qui avait bossé trois fois, je ne me sentais pas légitime.
J'ai suivi le STRASS de loin, un peu lâchement, jusqu’à ce que la situation soit trop insupportable pour que je puisse ne pas donner ma goutte d'eau au mouvement.
Je suis allée manifester devant l'Assemblée un matin, les activistes du STRASS prenaient un café juste avant d'y aller, on a donné un tract à la patronne du lieu, elle nous a dit : « C'est très bien ce que vous faites... »
J'étais en lutte, la boucle était bouclée.
Aujourd'hui c'est moi qui parle.
2- Morgane
LE MOINE BLEU : Peux-tu, pour commencer, rappeler les nouvelles menaces concrètes planant sur les putes du fait du projet de loi déposé en décembre dernier par les députés Bousquet (PS) et Geoffroy (UMP), et du vote unanime par l'Assemblée d'une résolution rappelant la « position abolitionniste de la France en matière de prostitution » ?
MORGANE : Le vote de cette résolution a permis à Madame Bousquet d'aller dès le lendemain déposer son projet de loi sur la pénalisation des clients. Cela a donc marqué le franchissement d'une étape dans la mise en place d'une politique qui vise à nous faire disparaître. Aujourd'hui d'ailleurs, lorsque l'on demande à Mme Vallaud-Belkacem quand le délit de racolage sera enfin abrogé, elle nous répond qu'il ne pourra l'être que dans le cadre du vote d'une nouvelle loi.... La « menace » est donc que l'abrogation du délit de racolage soit conditionnée à la mise en place d'un délit de pénalisation des clients, ce qui reviendrait sur le terrain exactement à la même chose en termes de dégradation des conditions de travail des travailleurSEs du sexe...
LE MOINE BLEU : « Prostituée », « Pute »... Quelle est, de ces deux appellations, celle qui a ta préférence pour définir ton activité, et pourquoi ?
MORGANE : Je préfère « pute ». Le mot « prostituée » est construit sur une forme passive et est difficilement séparable de toutes les connotations négatives dont il est imprégné. Lorsque j'emploie le mot « pute », au contraire, l'accent est mis sur la dimension active du travail, voire, au-delà, d'une certaine identité, puisque ce mot est, comme on le sait, également une insulte destinée à stigmatiser les femmes. En faire une identité est donc une manière de s'en servir comme bouclier face aux attaques de celles et ceux qui peuvent me mépriser en raison de mon comportement sexuel. J'emploie également le terme de travailleuse du sexe, pour insister sur la dimension de « travail », et donc de droits qui devraient en découler.
LE MOINE BLEU : Que réponds-tu à l'argument (qu'on vous oppose ad nauseam) selon lequel la prostitution que vous défendez, activité choisie, ne représenterait qu'une fraction ultra-minoritaire de la prostitution ?
MORGANE : On oppose sans cesse prostitution « choisie » et prostitution « contrainte ». En réalité, il y a tout une continuité de situations entre les travailleuses du sexe les plus « libres » et celles les plus « contraintes ». La contrainte économique peut être plus ou moins forte ; il n'y a pas d'un côté celles qui font ça « juste pour le plaisir », et de l'autre celles victimes à la fois de contraintes économiques et de violence de la part de proxénètes mafieux. À moins que la contrainte vienne d'un tiers qui use de violence, le travail sexuel est toujours, dans une certaine mesure, un choix, même si les conditions de ce choix laissent peu de marge de manœuvre. Mais quoi qu'il en soit, retirer ce choix à des personnes qui peuvent en avoir déjà très peu ne va certainement pas les aider. C'est sur l'extension des choix possibles qu'il faut agir, pas sur ces choix en eux-mêmes. Ensuite, quand bien même nous serions minoritaires, nous considérons que ce n'est pas une raison pour ne pas nous donner nos droits, d'autant que c'est justement le moyen le plus efficace de lutter contre l'exploitation, et donc d'aider également cette majorité supposée de personnes exploitées au nom de laquelle tout le monde prétend agir...
LE MOINE BLEU : La prostitution est-elle pour toi un métier, une simple fonction alimentaire, bref selon l'expression ouvrière, un chagrin qu'on abandonnerait, dans l'idéal, avec le plus grand plaisir, ou la charges-tu, toi, d'une signification plus universelle, plus affective ? En clair, est-ce un métier comme un autre, c'est-à-dire aussi désagréable qu'un autre ?
MORGANE : C'est un métier, bien évidemment ; un métier qui demande des qualités, des aptitudes particulières ; il ne suffit pas d'écarter les cuisses ; c'est avant tout un métier très humain, et c'est pour cela que ce n'est pas un métier comme un autre, car souvent on donne en effet beaucoup de soi, comme dans la plupart des métiers qui relèvent du « Care », des métiers du domaine médical, psychologique, social, etc... En cela il est particulièrement riche mais peut aussi être éprouvant, épuisant. Il est donc aussi « désagréable » qu'un autre, et il est évident que si on était pas obligéEs de travailler pour vivre, on préférerait souvent se consacrer à autre chose, mais cette question n'est pas spécifique au travail sexuel....
LE MOINE BLEU : L'exploitation capitaliste est une exploitation du corps et du temps du travailleur. Poses-tu, à titre personnel, une équivalence stricte entre l'exploitation du corps de la pute et celle d'un exploité à l'usine, par exemple, ou d'une caissière de supermarché ? Cette équivalence implique-t-elle à tes yeux un rapport particulier au corps, une plus grande facilité d'en user, un plus grand détachement vis-à-vis de lui ? En termes clairs, au-delà des parcours forcément individuels, quelle influence penses-tu que la prostitution puisse avoir sur la sensibilité de celles et ceux se livrant à cette activité ?
MORGANE : En ce qui concerne l'exploitation, ça dépend vraiment des conditions dans lesquelles on exerce … Entre une pute indépendante et une qui travaille dans un bordel, le rapport à l'exploitation se pose dans des termes différents... Dans le cas d'une pute qui bosse pour un patron/proxo, il n'y a en effet pas de différence avec les autres salariéEs dont un exploiteur va s'approprier la force de travail. C'est d'ailleurs souvent pour échapper à ce rapport d'exploitation que des personnes qui ont pu être salariées deviennent ensuite putes, et c'est à ce titre que nous ne voulons pas des maisons closes, puisqu'il s'agit justement d'un modèle qui repose sur une telle exploitation. En ce qui concerne le rapport au corps, exercer le travail sexuel nécessite en effet un rapport « particulier » ; mais nous avons touTEs un rapport « particulier » au corps, même si seul un d'entre eux est reconnu comme « normal » ; je veux dire que le fait que je puisse offrir des services sexuels ne signifie pas que je suis plus « détachée » de mon corps ; au contraire même, puisque celui-ci est mon principal outil de travail. Enfin, je ne pense pas que ce soit la prostitution qui ait une influence sur notre sensibilité ; selon moi c'est plutôt, au contraire, la sensibilité que l'on a au départ qui va conditionner le fait d'entrer ou pas dans cette activité.
LE MOINE BLEU : Le STRASS se présente comme un syndicat. Outre la difficulté qu'il y a à syndiquer une activité au sens strict « non-salariée » telle que la prostitution, ressens-tu l'existence malgré tout, au sein du STRASS, d'un point de vue général sur le salariat, sur son abolition éventuelle ? Tout syndicat libertaire entendant (au moins statutairement) en finir à terme avec l'exploitation, la mainmise du travail sur nos existences, de ce point de vue le STRASS peut-il être, d'après toi, considéré comme une organisation libertaire (ou même simplement politique) ou se contente-t-il d'une défense pragmatique (d'ailleurs fort honorable) de ses membres ?
MORGANE : La défense des droits des travailleurSEs du sexe participe d'une lutte sociale et politique plus générale évidemment. D'une part, parce que nous nous opposons en effet à toute mainmise des « patrons » sur notre travail et promouvons plutôt des modèles d’organisation autogestionnaire du travail ; dans ce cadre, ce sont moins « nos membres » que nous défendons que la possibilité pour touTE travailleur(se) d'avoir accès à ses droits. J'en profite pour rappeler que ne peuvent adhérer que les travailleurSEs eux/elles-mêmes, et non les différents patrons, etc de l'industrie du sexe. D'autre part, la défense de notre existence en tant que travailleur(SE)s du sexe participe de la défense d'idées féministes (et libertaires) selon lesquelles l'Etat n'a pas à s'arroger le droit de contrôler la sexualité des personnes, notamment des femmes. Il faut bien garder en tête que les lois répressives à l'égard du travail sexuel sont utilisées comme outils de contrôle sur l'ensemble de la population en général, et notamment sur les personnes migrantEs. C'est également à ce titre que nous les combattons.
LE MOINE BLEU : Le STRASS est souvent accusé par ses détracteurs de vouloir « rouvrir les maisons closes ». Peux-tu préciser votre position sur ce point ?
MORGANE : Depuis sa création, le STRASS ne cesse de réaffirmer son opposition à tout réglementarisme strict, et donc aux système de maisons closes (voir par exemple ICI !). Nos détracteurs pointent sans cesse du doigt des États réglementaristes (comme les Pays-Bas) pour illégitimer nos revendications. Sauf que nous ne demandons absolument pas ce genre de système. Tout réglementarisme, dans la mesure où il ne vise qu'à autoriser une seule manière de travailler, déclarée et contrôlée par l'État, continue donc de laissser dans la clandestinité les travailleurSEs qui ne veulent (ou ne peuvent) pas se plier à ce système. Il en découle des conditions de travail dégradées pour les manières d'exercer « clandestines », et une augmentation du proxénétisme et de l'exploitation. C'est pourquoi nous demandons non pas une réglementation particulière mais l'application du droit commun : que chaque travailleurSE du sexe puisse exercer selon ce qu'elle estime préférable pour elle.
LE MOINE BLEU : Certains membres du STRASS ont des responsabilités politiques au sein de formations de la gauche parlementaire (chez les Verts, notamment). Cela ne pose-t-il pas problème au vu des décisions dramatiques que s'apprête à prendre ladite gauche parlementaire à votre encontre ? Au sein du STRASS, grossièrement, une sensibilité politique majoritaire existe-t-elle, ou bien les positions sont-elles là-dessus plus diffuses ?
MORGANE : Les positions sont diffuses ; en tant que syndicat, nous ne sommes pas partisans d'un quelconque parti, mais luttons pour nous faire entendre et défendre nos droits auprès de celles et ceux qui ont le pouvoir de changer les lois. Ensuite, il est évident que nos revendications sur la régularisation des sans-papiers et notre opposition à une réglementation qui ne permettrait que de nous faire exploiter légalement par le biais d'un strict réglementarisme, par exemple, ont peu de chances d'être entendues par les partis de droite ou défendant des idées néo-libérales.
LE MOINE BLEU : Les rapports entre le STRASS et le centre LGBT (Lesbien Gay Bi Trans) de Paris sont parfois extrêmement tendus. On se souvient des propos franchement hostiles tenus, contre vous et Act-up, par la présidente Christine Le Doaré en décembre dernier, ainsi que de certaines agressions verbales, voire physiques, que vous avez eu à subir de la part de militant(e)s LGBT durant une récente « Manif des Femmes ». La situation s'est-elle calmée ? Comment expliquer une telle violence à votre endroit ? Penses-tu, comme Didier Lestrade ou d'autres, qu'une part importante de la communauté homosexuelle pense désormais « à droite » ?
MORGANE : Christine Le Doaré a enfin quitté son poste de Présidente du CLGBT suite aux dernières élections, nous nous en réjouissons. En ce qui concerne plus généralement les tensions à l'intérieur du mouvement LGBT et féministe sur la question du travail sexuel, la situation est assez tendue, en effet. D'un côté, les féministes abolitionnistes semblent de plus en plus violentes à notre égard : nous avons encore récemment été victimes d'exclusions et de violences lors du rassemblement contre le verdict de Créteil (dans le procès des viols collectifs perpétrés à Fontenay-sous-Bois, note du MB). D'un autre côté, de plus en plus de personnes ne se reconnaissent justement pas dans ce féminisme hégémonique ; ainsi, lors du 8 mars dernier, nous avons réussi à créer une alliance au sein du collectif « 8 mars pour toutes » qui regroupe des militantEs féministes, LGBT, anti-racistes, à l'intérieur duquel nous continuons à travailler (nous avons ainsi organisé récemment une conférence débat : « Des féministes contre la pénalisation des clients ») ; Enfin, je ne pense pas que les féministes ou LGBT soient « passé(e)s à droite » mais qu'une part d'entre elles et eux y a certainement toujours été, et si personnellement j'ai du mal à concevoir comment on peut être de droite, d'autant plus quand on appartient à une minorité (ce qui induit souvent un parcours de vie peut-être plus difficile, qui incite en principe à réfléchir sur les idéologies dominantes), il faut croire que les minorités elles-mêmes n'échappent pas à l'influence des discours de plus en plus (extrême)-droitiers de ces dernières années...
LE MOINE BLEU : De manière générale, comment expliquer la sorte de fracture séparant aujourd'hui LES féminismes sur cette question de la prostitution ? En 1975, les féministes soutenaient majoritairement Grisélidis Réal et les mouvements d'occupation d'églises. Au fond, d'après toi, que s'est-il passé ?
MORGANE : En fait, si à l'époque les féministes soutenaient les putes face à la répression, c'était quand même avec un fond profondément abolitionniste... Depuis, ce qui s'est passé, je crois, c'est que les putes sont de plus en plus devenues elles-mêmes sujets des discours les concernant, et sont donc en train de remettre profondément en cause les arguments des abolitionnistes/prohibitionnistes, ce qui a mené et mène encore à des débats vraiment très virulents, dont il est impossible pour le moment d'anticiper l'issue, voire même d'être certaine qu'il y en aura une un jour...