dimanche 26 février 2012

Serre chaude






LUCRÈCE

Je voulais te parler du sentiment que j’ai, parfois, d’être moi-même Plante, une Plante qui pense, mais ne distingue pas ses puissances diverses, sa forme de ses forces, et son port de son lieu. Forces, formes, grandeur, et volume, et durée ne sont qu’un même fleuve d’existence, un flux dont la liqueur expire en solide très dur, tandis que le vouloir obscur de la croissance s’élève, éclate, et veut redevenir vouloir sous l’espèce innombrable et légère des graines. Et je me sens vivant l’entreprise inouïe du type de la Plante, envahissant l’espace, improvisant un rêve de ramure, plongeant en pleine fange et s’enivrant des sels de la terre, tandis que dans l’air libre, elle ouvre par degrés aux largesses du ciel des milliers verts de lèvres… Autant elle s’enfonce, autant s’élève-t-elle : elle enchaîne l’informe, elle attaque le vide ; elle lutte pour tout changer en elle-même, et c’est là son Idée !… Ô Tityre, il me semble participer de tout mon être à cette méditation puissante, et agissante, et rigoureusement suivie dans son dessein, que m’ordonne la Plante

TITYRE

Tu dis que la Plante médite ?

LUCRÈCE

Je dis que si quelqu’un médite au monde, c’est la Plante.


Paul Valéry, Dialogue de l’Arbre.




4 commentaires:

  1. Les chèvres de l'Orée raffolent de ce très beau texte, grand merci à vous !

    (Ne publiez pas ce commentaire, mais il me semble qu'il manque une virgule après "Et je me sens vivant", ou je ne sais quoi mais j'ai du mal à lire et comprendre cette phrase.)

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    1. Cher Marquis,

      Pas de soucis, non, avec la phrase que vous citez. En revanche, votre intervention m'aura permis de corriger une faute un peu plus loin dans le texte. Il fallait lire en effet : " elle ouvre par degrés, etc " et non " elle s'ouvre ".
      Merci, donc, indirectement.
      Si vous le désirez, vous pourrez découvrir ce poème en intégralité, à cet endroit
      Bien à vous

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  2. Ah zut, mille excuses, il n'y a évidemment pas d'approbation de commentaires dans ces AnAr-bres !

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  3. Tout s'éclaire à présent: d'assez d'icônes, de poésie ou de vertu, à notre guise. Ça m'apprendra, ou pas.

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